Celui qui cherchait
Contrairement à Raphaël, Romi ne passait pas ses journées à l'agence. Quand elle ne se levait pas après midi, ce qui était plutôt rare ces derniers temps, elle partait de chez elle vers onze heures pour apporter le déjeuner à son meilleur ami, manger de la nourriture faite maison était toujours plus sympa que celle du supermarché.
En ce lundi matin, juste après avoir fait quelques courses, la fille se rendit sur son lieu de travail. Alors qu'elle sortait le sac de Tupperwares et de thermos, elle vit un homme à forte carrure ouvrir la porte de leur petite agence. Elle se dépêcha donc et entra dans le bureau au moment où Raphaël invitait leur client à s'asseoir. Romi fit le moins de bruit possible et s'installa un peu à l'écart pour écouter ce que cet homme avait à dire.
‑ Qu'est-ce qui vous amène ici ? demanda Raphaël avec un sourire de banquier.
‑ Pour commencer, sachez déjà une chose, je ne crois pas à tout ça, à tous ces trucs que vous faites, je suis uniquement là sur l'insistance de ma fille. J'ai acquis un vieux manoir il y a de cela quelque mois, vous voyez, je travaille dans ce business, j'achète, je rénove, je revends. Ce manoir était une opportunité, il était dit hanté, personne ne voulait l'acheter et le prix était donc très bas. Comme ma fille aime ce genre de logement, elle a décidé d'y passer quelques jours avec ses amis.
A ce stade de l'explication, Romi et Raphaël voyaient très bien ou leur client voulait en venir, ils le laissèrent néanmoins continuer.
‑ Elle a passé plusieurs jours et plusieurs nuits sur place, au début elle m'avait dit entendre des bruits, je lui ai répondu que c'était sûrement le bois qui craquait ou même des souris qui couraient mais elle ne voulait rien entendre, elle était persuadée que quelqu'un fouillait dans les tiroirs et les armoires. Elle a déjà fait le tour du manoir sans rien trouvé d'anormale.
Raphaël hocha la tête d'un air entendu.
‑ Pouvez-vous faire quelque chose pour la rassurer elle et les potentiels futurs acheteurs ? Même si c'est du bluff, je payerais le prix.
‑ Nous irons voir de quoi il retourne. Quand êtes-vous libre ?
‑ Vous pouvez venir cet après-midi.
‑ Parfait ! Vous parliez d'argent, tout à l'heure...
Dix minutes plus tard, l'homme repassait la porte de l'agence dans le sens inverse.
‑ Nous en sommes donc réduits à ça ? lança Romi. A s'occuper exclusivement des maisons hantées ?
‑ Qu'est-ce que tu croyais ? Officiellement, on chasse les esprits.
‑ Je pensais les gens plus rationnels au vingt-et-unième siècle.
Raphaël haussa les sourcils.
Ils rendirent visite à leur client en début d'après-midi. L'homme n'avait pas menti en leur disant que le manoir était vieux, la pierre blanche était salie par le temps, les marches qui menaient à la porte étaient pour la plupart fissurées et plus aucun volet ne tenait en place. Seules les colonnes qui soutenaient un balcon et le décor au-dessus des fenêtres étaient en parfait état.
A leur entrer dans le bâtiment, toute la famille était là pour les accueillir, ou du moins, il y avait leur client, sa femme et sa fille. Ils s'installèrent tous au salon, une grande pièce munie d'une cheminée, et prirent quelques instants pour discuter. Raphaël demanda :
‑ Ça ne vous dérange pas qu'on fouille partout ?
‑ Non, nous n'avons aucun objet personnel, ici.
Malgré le fait que la fille de leur client ait expliqué que les bruits venaient exclusivement de l'étage, comme la majeur partit du temps, les deux compagnons scrutèrent d'abord les pièces du bas, sans grand résultat. Alors qu'ils allaient monter un escalier, à l'extérieur, des bruits de pas se firent entendre.
‑ Qu'est-ce qu'il se passe ? fit le père de famille.
L'homme s'approchait de la porte au moment même où celle-ci s'ouvrit avec fracas, laissant passer une myriade de policiers qui foncèrent sur eux.
‑ Arrêtez-les tous, sans exception ! cria un homme de loi qui semblait plus haut gradé que les autres.
Ils se ruèrent sur Romi et Raphaël pour les embarquer.
‑ Attendez, dit le garçon, je crois qu'il y a méprise...
Quelques heures plus tard, les deux meilleurs amis étaient assis devant le bureau de l'inspecteur Vallet, un homme aux cheveux presque noirs et à la barbe de trois jours. A côté de lui se tenait une femme qui notait tout ce qui se disait dans cette pièce.
‑ Nous avons vérifié vos dires, fit l'inspecteur, vous êtes effectivement à la tête d'une agence et vous n'avez rien à voir avec l'homme qu'on a arrêté.
Romi fut soulagée, elle n'avait rien à se reprocher mais c'était toujours angoissant de se retrouver dans ce genre de situation.
‑ Nous pouvons donc partir ? demanda Raphaël.
‑ Bien sûr, mais avant ça, nous aimerions vous poser quelques questions. Que savez-vous sur M Benoît Petit ?
‑ Notre client ? En vérité rien du tout à part le fait qu'il semble avoir pas mal d'argent. Ainsi que l'affaire sur laquelle il nous a demandé de l'aider.
‑ Et pourquoi vous a-t-il engagé ?
Le garçon lui expliqua toute l'histoire. Il conclut avec un sourire :
‑ Enfin, je ne pense pas que tout ceci vous intéresse. Sinon, pourquoi avez-vous arrêté notre client ?
‑ Chantage, escroquerie. Si j'ai d'autres questions à vous poser je vous appellerais. Vous êtes libre de vous en aller.
Avant de quitter le bureau de l'inspecteur, Raphaël lança :
‑ Au fait, vous pensez qu'on pourra finir ce qu'on a commencé au manoir ?
Deux jours plus tard, Raphaël reçut un appel de l'inspecteur. Une fois la conversation terminée, il se dépêcha de trouver Romi qui s'occupait comme elle le pouvait sur l'ordinateur de l'agence.
‑ L'inspecteur nous donne rendez-vous au manoir demain.
La jeune femme leva les yeux de l'écran.
‑ Pourquoi ça ?
‑ La fouille est terminée, il a dit qu'il faut en profiter maintenant, après ce sera trop tard.
‑ Je veux bien, mais...
Raphaël haussa les épaules.
‑ Il est peut-être juste curieux. Il va nous surveiller.
Ils retrouvèrent donc l'inspecteur le lendemain et purent enfin atteindre l'étage tant désiré.
‑ Alors comme ça, vous vous intéressez à ce qu'on fait, inspecteur ? lança Raphaël en ouvrant une porte. Les flics croient aux esprits ?
‑ Les flics je n'en sais rien mais moi je me demande comment des personnes finissent par faire ce genre de... travail. Surtout que vous avez déjà une petite réputation alors même que votre agence vienne d'ouvrir.
‑ Vous avez enquêté sur nous ?
‑ Ce genre d'information est très facile à trouver. J'ai déjà eu affaire à des médiums et à d'autres personnes du milieu, c'est souvent bizarre et parfois malaisant. Aujourd'hui j'en profite, j'ai l'occasion de vous observer.
La pièce dans laquelle ils se trouvaient était peu éclairée et peu conviviale, pendant que les deux jeunes gens fouillaient, l'inspecteur se tenait près de la porte.
Raphaël ouvrit le tiroir d'une commode et regarda à l'intérieur. Une masse sombre munie de deux yeux blancs le fixait. Il écarquilla les yeux et referma vivement le tiroir. Il prit une inspiration pour tenter de calmer son cœur et se tourna vers Romi en se raclant la gorge. Celle-ci ne lui prêta pas attention, elle était trop occupée à essayer d'ouvrir un placard.
‑ Qu'est-ce qui se passe ? Il n'est pourtant pas fermé.
Elle tira dessus de toutes ses forces.
‑ Vous voulez de l'aide ? demanda l'inspecteur.
Elle allait acquiescer lorsque le placard céda enfin. Les deux portes s'ouvrirent en grand et un squelette lui tomba dessus. Romi ferma les yeux et poussa un petit cri.
‑ Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit l'inspecteur.
Raphaël s'approcha de sa meilleure amie.
‑ Il a l'air d'être vrai.
‑ De quoi est-ce que vous parlez ?
Les deux jeunes gens se tournèrent vers M. Vallet avant de se regarder. Manifestement, il ne voyait pas la même chose qu'eux.
‑ Je... je vais aux toilettes, fit Romi.
‑ Je t'attends ici.
La fille sortit de la pièce. Elle n'eut pas besoin de courir jusqu'aux toilettes. Yuilhan sur les talons, elle se dépêcha d'entrer dans une pièce au hasard pour invoquer Aki et lui expliquer ce qui venait de se passer, encore un peu sous le choc. Le renard ajouta :
‑ La présence que j'ai sentie n'était pas dans le placard mais plutôt dans le tiroir qu'a ouvert Raphaël.
Aki tira sur sa pipe.
‑ Tu n'as pas senti le squelette et pourtant il s'agit bien d'un esprit ?
‑ Exact.
‑ Alors je ne vois pas trente-six possibilités, à mon avis, l'esprit dans le tiroir cherche son corps.
‑ Il aurait dû le trouver depuis le temps, remarqua Romi. S'il était juste à côté pourquoi ne l'a-t-il pas déjà récupéré ?
‑ Tu n'as rien remarqué d'anormal en ouvrant le placard ?
‑ Non, il était juste un peu dur à ouvrir, j'en ai encore mal aux doigts.
‑ Il devait être scellé. Quelqu'un a dû le mettre ici il y a longtemps, grâce à ton pouvoir et au temps qui est passé, tu as dû réussir à le desceller sans t'en rendre compte. Si c'est le cas, l'esprit doit être sacrément en colère.
‑ Raphaël est resté là-bas !
Romi se rua hors de la pièce et arriva en courant à l'endroit où elle avait laissé son ami. Elle le retrouva allongé sur le sol, une immense forme sombre était penchée au-dessus de lui et l'étranglait. L'inspecteur, ne voyant pas l'esprit, était en train de paniquer.
‑ Yui, attaque ! cria Aki.
Le renard, gueule ouverte, bondit sur l'esprit et referma ses crocs sur lui, voyant qu'il était en mauvaise posture, l'espèce de fantôme noir se débarrassa une nouvelle fois de son squelette trop encombrant et s'enfuit par un interstice de la seule fenêtre de la pièce. Raphaël se tourna sur le côté et toussa à en vomir. Romi s'agenouilla à côté de lui et lui frotta le dos, ne sachant pas quoi faire d'autre, des marques rouges se dessinaient sur le cou de son meilleur ami.
‑ Vous avez de l'eau ?
L'inspecteur secoua la tête.
‑ J'ai mieux ! fit Aki en faisant apparaître une gourde de saké.
‑ Je ne pense pas que ce soit une bonne idée...
Le tanuki releva la tête de Raphaël et lui fit boire une gorgée d'alcool, le garçon fit la grimace et repartit dans une quinte de toux.
‑ Encore, ça fait du bien, dit-il d'une toute petite voix.
Aki, tout content, passa sa gourde au jeune homme qui reprit une gorgée.
‑ Qu'est-ce que c'était que ça ?
‑ J'avais raison, répondit le tanuki, l'esprit essayait de récupérer son squelette. Seulement, il n'a pas assez de force alors il va essayer de voler l'énergie des humains et des esprits qui passent à proximité. Il va revenir, tu fais une cible de choix, Romi. Ceci dit...
Il désigna Yuilhan du doigt. Celui-ci, fier de lui, tenait un os dans sa gueule.
‑ Je vais devoir l'enfermer de nouveau, murmura Romi.
‑ Tout à fait.
Raphaël se releva en s'appuyant sur la jeune femme, il avait la gorge en feu. Du coin de l'œil, il remarqua l'inspecteur qui se tenait dans l'embrasure de la porte, les bras croisés, il l'avait presque oublié, celui-là.
‑ Ça va ? Vous semblez un peu pâle.
M. Vallet hocha la tête.
‑ Mon cerveau est en train d'assimiler, ne vous occupez pas de moi.
‑ Vous le prenez plutôt bien.
L'inspecteur haussa les épaules.
‑ Vous ne devriez pas aller à l'hôpital ?
‑ Et dire qu'un esprit a essayé de m'étrangler ? Je vais bien et nous n'en avons pas encore fini ici.
Romi le fit asseoir contre un mur et sortit une craie de sa sacoche. Sur le sol, vers le fond de la pièce, elle dessina une étoile à cinq branches et plaça une rune à chaque bout. Après s'être assurée auprès d'Aki qu'elle ne s'était pas trompée, elle s'agenouilla devant, une carte vierge dans les mains, et attendit.
Longtemps. Ils perdirent tous très vite patience. L'esprit se montra enfin à la tombée de la nuit. Il se rua sur le squelette que la fille avait placé au milieu du pentacle et le récupéra. Une fois que son corps fut au complet, il s'aperçut qu'il ne pouvait plus bouger, Romi venait de le paralyser. La jeune femme sourit, plaça ses mains devant elle et lança :
‑ Moi, fille des esprits, je t'appelle, ô toi qui résides en ce manoir, à me révéler ton nom.
‑ Jamais ! siffla la voix de l'esprit.
Romi ouvrit un œil, voilà qui n'arrangeait pas ses affaires. Elle répéta :
‑ Moi, fille des esprits, je t'appelle, ô toi qui résides en ce manoir, à me révéler ton nom.
Un murmure parvint à ses oreilles, elle sourit.
‑ Isan, moi, fille des esprits, je t'emprisonne dans ce réceptacle jusqu'à ce que soit décidée ta libération.
Elle jeta la carte vierge devant elle, en moins d'une seconde, l'esprit fut aspiré à l'intérieur et le calme revint dans la pièce. Les jambes engourdies, la fille se leva avec difficulté, le pentacle était en train de s'effacer sous ses yeux.
‑ Voilà à quoi ressemble l'esprit qui a étranglé Raphaël, inspecteur.
Elle montra la carte à l'homme, la photo et le nom de l'esprit y figuraient en toutes lettres. L'inspecteur se passa une main dans les cheveux.
‑ Je vois...
- On rentre ? Je suis fatiguée, il faut que je mange.
‑ Je ne sais pas si je vais réussir à avaler quelque chose, fit Raphaël la voix enrouée.
‑ On a peut-être de la soupe au frigo. Inspecteur, on vous invite ?
‑ Ma femme m'attend.
Cette phrase était plus au moins une excuse, il avait besoin de se remettre de ses émotions et il ne pouvait pas le faire en leur présence. Ils sortirent tranquillement du manoir et allèrent rejoindre leurs véhicules. Une fois que l'inspecteur se fut en aller, Romi dit avec un petit sourire :
‑ Et une carte à collectionner, une !
‑ Tu ne devrais pas trop rigoler avec ça. Allez, grimpe, c'est moi qui conduit.
‑ Et puis quoi, encore ?
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