14
Incroyable de se dire que presque deux mois plus tôt, Taehyung passait ses nuits à cogiter sur le concerto de Korngold. À chercher désespérément la pièce maîtresse de cette représentation qu'il allait désormais tenir dans moins d'une semaine. Cette lumière qui magnifierait cette oeuvre qu'il affectionnait tant. Il s'était fait un sang d'encre avant de le trouver, lui.
Tout était devenu plus facile à partir de ce moment-là. Plus facile, oui, mais surtout aussi plus magique. Parce que Jungkook n'était pas n'importe qui. C'était...Il n'y avait pas de mots pour l'expliquer. Parce qu'il était tant de choses à la fois. Taehyung doutait que toute cette histoire soit bien réelle, il craignait que tout cela ne soit qu'un rêve.
Encore aujourd'hui, il se rendait vaguement compte de la chance qu'il avait. Au fil des années, peut-être qu'il en prendrait de plus en plus conscience. Mais maintenant, il se contentait seulement de l'apprécier avec la sensation merveilleuse que tout n'était que le début.
C'était comme si sa relation avec son cadet avait clôturé la fin d'un livre tout en étant le commencement d'un deuxième, d'une suite. Un autre ouvrage avec une fin plus belle que le précédent, il l'espérait.
Jungkook hésitait, souvent. Il avait peur, parfois. Il était timide, toujours. Mais lorsqu'il jouait, lorsqu'il commençait à se fondre avec Miyu, fusionner avec, tout semblait disparaître. À ce moment-là, seulement, il était bouleversant et magnétique à un point qu'il ne pourrait jamais concevoir. Mais les autres le savaient, eux. Peu importe le nombre d'éloges qu'on lui ferait, Jungkook était ce genre de personne qui passerait le reste de ses jours à douter, à être humble et renversant en même temps.
Miyu...Jungkook avec un lien avec ce violon que peu de personnes pouvaient comprendre. Un lien que Mee-yon n'avait jamais eu avec son Stradivarius. Un attachement qui se rapprochait de celui qu'avait eu Ha-neul avec Romance, en beaucoup plus profond, plus fort et inaccessible.
Peut-être parce que Miyu l'avait vu grandir. Parce que c'était une partie de sa mère. La dernière. Parce qu'en grandissant, Miyu avait grandi aussi, s'abreuvant de ses larmes passées. Ce violon était trop petit, mais qu'importe, il s'agissait d'un fragment de l'âme de Jungkook.
Et il était divin avec.
Lorsque son étoile joua la dernière note du concerto de Korngold, clôturant ses deux mois de répétitions, la réalité lui sauta en plein visage.
La musique était là. La musique était là depuis toujours, elle serait toujours là. Elle était tellement plus vaste que la vie, tellement plus forte, tellement irrésistible, elle révélait si puissamment l'existence d'une sorte de paradis sur Terre, qu'elle balayait tout devant elle.
Tous les membres de l'orchestre étaient fiers de
lui. Ils avaient pratiquement tous adopté ce petit ange à la voix douce et au cœur d'or qui semblait aussi fragile qu'un chaton.
En particulier Yoongi, Jimin et Seokjin. Taehyung était heureux que son protégé se soit trouvé des piliers au sein de l'orchestre. Il affectionnait déjà beaucoup ce trio, différents mais complémentaires. Ils apportaient tous quelque chose à Jungkook d'une manière ou d'une autre. Yoongi était celui qui le comprenait le plus, Jimin était ce soleil d'insouciance qui lui avait été arraché depuis tant d'années et Seokjin possédait cette sagesse et cette légèreté réconfortantes.
Tout allait si bien.
Tout était trop beau, peut-être.
Taehyung avait une surprise pour Jungkook, ainsi, lorsque la plupart des membres furent partis, il s'approcha de lui tandis qu'il rangeait précautionneusement Miyu.
-Suis-moi.
Jungkook se redressa légèrement et observa son aîné, le regard empli de questionnement. Doucement, Taehyung glissa sa paume dans la sienne et entrelaça leurs doigts.
-J'ai quelqu'un à te présenter.
Taehyung le tira légèrement vers lui et Jungkook jeta un regard en arrière sur son étui.
-Mais Miyu...
-Ce ne sera pas long, on ira le chercher après, promis.
La plupart des membres de l'orchestre étaient déjà partis. Il ne restait presque plus personne. Ses trois amis s'en étaient déjà allé. Jungkook hocha alors la tête, laissant Miyu dans la salle, avant de s'éclipser avec Taehyung, main dans la main.
En avançant dans le couloir, le bouclé refusa de lui dire où est-ce qu'il l'emmenait, agrandissant la curiosité dévorante de son petit violoniste.
Plus loin, au fond du couloir, un homme était appuyé contre le mur. Il était assez grand, portait une chemise blanche et un joli foulard autour du cou. Certaines de ses mèches noires s'éparpillaient sur son front tandis que son regard semblait concentrer sur son cellulaire. Il avait une certaine prestance, quelque chose de presque royale dans sa plus simple manière d'être.
Taehyung s'arrêta face à lui et l'homme rangea alors son téléphone avant de sourire au bouclé, révélant deux jolies fossettes. Jungkook aimait bien les fossettes. C'était pourtant une malformation au niveau des zygomatiques, mais au 18e siècle, l'on disait que c'était l'empreinte du doigt de Dieu. Petit, Jungkook avait été charmé par cette histoire, cette croyance, et avait alors toujours adoré ce trait physique chez une personne.
-Le voici, annonça seulement Taehyung avant de poser ses mains sur les épaules de Jungkook et de le placer face à l'homme.
Le petit violoniste, perdu, lança un coup d'œil au chef d'orchestre, les joues rougies. Il ne savait pas vraiment quoi faire et ne comprenait pas grand-chose à la situation alors, sous le stress, il joua avec les pans de son pull.
-Le fameux.
Le mystérieux inconnu avait répondu tout en balayant la silhouette du plus jeune de son regard aiguisé, comme intrigué.
Taehyung glissa ses bras autour de la taille de son protégé avant de doucement coller son torse contre son dos, le berçant tendrement dans ses bras.
-Le seul et l'unique.
Jungkook ne comprenait absolument rien à ce qui se passait et, au-delà d'être perdu, il commença aussi à être légèrement irrité. Il essaya de repousser discrètement l'emprise de Taehyung, une moue agacée décorant son joli minois. Le chef d'orchestre se contenta de ricaner légèrement avant de frotter son nez contre sa nuque.
-Je te présente Kim Namjoon, commença-t-il. C'est un de mes très bons amis et un excellent violoniste. Tu ne l'as jamais rencontré avant parce qu'il vit aux États-Unis, Monsieur est donc très pris.
Jungkook hocha doucement la tête.
-Un excellent violoniste, murmura-t-il évasivement.
-Il est la relève de Mee-yon, précisa-t-il pour que son petit protégé se fasse une idée.
Jungkook se rendit compte alors qu'il avait face à lui un musicien de la même trempe que la mère de Taehyung ou Jung Hoseok. Un musicien d'exception, doté d'un talent et d'un prodige inné. Comme s'il venait d'être ramené brusquement à la réalité, le petit violoniste se dégagea hâtivement de la prise du plus âgé avant de s'incliner plusieurs fois d'affilée devant l'homme face à lui.
-Enchanté, je suis...
-Jungkook, je sais, répondit doucement son homologue. Taehyung ne me parle que de toi. Ça a piqué ma curiosité alors je suis venu pour te voir.
Jungkook écarquilla les yeux. Cet homme avait fait tout ce trajet uniquement pour le voir, lui ? Ça lui semblait irréaliste. Il jeta un bref coup d'œil en direction de Taehyung, se demandant ce que celui-ci avait bien pu dire.
-A-ah bon ?
Namjoon hocha la tête.
-Il paraît que tu fais de la magie avec tes doigts.
Les joues rougies, Jungkook se retourna vers Taehyung. Il lui fit des gros yeux, grommelant des paroles inaudibles. Mais avant que le chef d'orchestre n'ait pu dire quoi que ce soit pour s'expliquer, son ami le devança.
-Taehyung ne m'a jamais parlé de qui que ce soit auparavant, souligna-t-il. Toutes ces années d'amitié et c'est la première fois qu'un musicien le touchait autant. Et il faut le faire, pour le toucher.
Le cœur de Jungkook battait si vite qu'il avait l'impression qu'il allait exploser. Il se sentait engourdi, bizarre. Une chaleur prenait doucement possession de lui, s'infiltrant dans ses veines, dans les pores de sa peau, atteignant jusqu'à son âme.
Là, tout de suite, il désirait Taehyung à un tel point que c'en était scandaleux.
Le chef d'orchestre lui offrit un doux sourire et hocha imperceptiblement la tête.
-Je n'ai rien d'extraordinaire, déclara maladroitement Jungkook.
C'était vrai. Il ne comprenait pas tout cet engouement autour de lui. Il aimait juste la musique et essayait du mieux que possible de lui rendre justice. Il tentait seulement de faire honneur à tous ces compositeurs et à leurs merveilles. Les entretenir avec amour et passion.
Taehyung et Namjoon échangèrent un regard et sourirent. Le chef d'orchestre lui avait parlé du manque de confiance de son petit violoniste. Son ami lui avait répondu que c'étaient parfois les petites gens, ces personnes si normales d'apparence, qui pouvaient bousculer le monde. Le bouclé avait été d'accord avec lui, Jungkook avait déjà bousculé son monde, après tout.
Les deux amis ne se voyaient pratiquement jamais, s'échangeant seulement des nouvelles de temps en temps, mais ce dernier avait décidé d'assister à la représentation du concerto de Korngold. Parmi toutes les représentations que Taehyung avait faite, le violoniste avait décidé d'assister à celle-ci, seulement pour admirer de ses propres yeux cette magie qui semblait habiter ce jeune musicien au regard voyageant entre mélancolie, espoir et passion.
-Permets-moi d'en douter.
♪
En rentrant ce soir-là, les deux hommes avaient le cœur léger. En particulier Jungkook. Kim Namjoon et lui avaient longuement parlé de leur passion commune pour le violon, jusqu'à ce que le célèbre musicien lui parle des États-Unis, cette Amérique confiante et pleine de rêves. Il lui parla du sombre parc de Yellowstone avec ses sources d'eau chaude multicolores, ses geysers miniatures, ses arc-en-ciel de boue effervescente, les déserts, ces étendues de sables brillant sous la chaleur de l'été et les immenses buildings impérieux de New-York. Ensuite, le sujet dévia sur les différentes tournées qu'il avait faites aux quatre coins du monde.
Kim Namjoon était allé partout. Il lui conta les paysages magnifiques d'Europe, les cultures d'Amérique du Sud et de tout ce dont il pouvait se souvenir pour alimenter les chimères du jeune homme face à lui dont le regard était aussi rêveur que pouvait l'être celui d'un enfant. Puis, Jungkook lui apprit alors :
« J'aimerais aller à Vienne. C'est la capitale de la musique et lorsque j'étais enfant, ma mère me jurait qu'elle m'y emmènerait un jour. Je veux y aller, voir de mes propres yeux cette ville qui a vu naître tant de partitions sublimes. »
Namjoon avait froncé les sourcils et avait longuement dévisagé son ami, curieux. Il tenta de le questionner discrètement, mais son regard était insondable. Lorsque Taehyung portait ce masque, si lisse et impénétrable, il ressemblait tant à Mee-yon que c'en était perturbant.
« Taehyung ne te l'a pas dit ? Vienne fait partie des destinations de la prochaine tournée du philharmonique de Séoul, l'année prochaine. »
Jungkook avait tourné la tête si brusquement vers l'homme à ses côtés que Namjoon crut qu'il s'était brisé la nuque. Le petit violoniste avait longuement scruté le plus âgé, surpris. Il s'était demandé si lui aussi ferait partie de cette tournée ou s'il avait sa place au sein de l'orchestre seulement pour la représentation du concerto de Korngold. Taehyung n'avait pas répondu à sa question silencieuse, se contentant seulement de tapoter ses longs doigts sur la surface lisse du bar. Jungkook n'avait pas insisté, par peur d'être déçu. La vie lui avait appris que trop d'espoir, trop de rêves, pouvaient apporter une chute brutale et cruelle lorsqu'ils n'étaient pas assouvis.
Namjoon était un homme bon, discret et sophistiqué. Tout ce qu'il disait était si prenant qu'on n'osait jamais l'interrompre. Ou peut-être parce qu'on n'en avait pas réellement l'envie. Jungkook aurait pu l'écouter parler pendant des heures entières, le regard brillant d'admiration. Il y avait quelque chose de sage chez lui, une force tranquille qu'il espérait obtenir lui aussi dans le futur.
Jungkook le lui avait d'ailleurs fait remarquer, ce à quoi le musicien avait ricané avant de lui répondre sérieusement, sa tasse de café entre les mains :
« Beaucoup de gens pensent que la sagesse vient avec l'âge. C'est faux. La sagesse provient d'un mélange d'intuition et d'éthique, de la faculté de faire des choix et d'en tirer des leçons. Connaître le monde, c'est de l'intelligence. Se connaître soi-même, c'est de la sagesse. »
Oui, Jungkook aurait pu l'écouter pendant des heures.
Cet ami-là que possédait Taehyung était bien différent du célèbre pianiste. Pourtant, Namjoon lui avait révélé qu'ils formaient une sorte de trio étrange. Namjoon était la sérénité, Hoseok la tempête et Taehyung était entre les deux, comme s'il était l'élément qui tempérait ces deux personnalités opposées, les rapprochant.
À peine eut-il le temps de poser son étui au sol que Taehyung s'empara de son bras avant de le tirer vers lui, l'étreignant fermement. Il glissa ses mains dans la chute de ses reins avant de poser un doux baiser sur ses lèvres brillantes.
Taehyung adorait ses lèvres. Pas seulement parce qu'il était amoureux, mais parce qu'elles étaient belles, exquises, et qu'elles pouvaient se courber en un sourire somptueux. Penser au fait qu'il avait l'honneur d'y goûter lui arracha un frisson et il raffermit un peu plus sa prise. Doucement, il caressa ses lèvres de sa langue, s'en abreuvant, faisant légèrement gémir son petit violoniste. Leurs souffles se mélangeaient, leurs fronts étaient collés et les deux hommes pouvaient entendre la cacophonie de leurs cœurs battant en harmonie.
Jungkook aimait beaucoup embrasser Taehyung, mais il était aussi terrifié. Il ne savait pas vraiment quoi faire face à l'expérience évidente du chef d'orchestre. Il craignait d'être une déception. Il ne savait pas que Taehyung se fichait éperdument de si son protégé était maladroit ou non, parce que c'était lui, tout simplement.
Les boucles brunes de Taehyung brossèrent délicatement ses cils, le faisant papillonner des yeux. Il aperçut alors le regard de Taehyung qui voyageait sur l'étendue de son visage. Ses prunelles obsidiennes brillaient si fort que c'en était déroutant. C'était comme si le chef d'orchestre avait face à lui un trésor éclatant dont la richesse se reflétait sur ses iris. Il voyait les imperfections magnifiques, les marques d'innocence sublimes et les cicatrices de la vie. Tout ça sur cette simple peau.
Si Taehyung plongeait son regard dans le sien, il pouvait alors voir l'immensité de la galaxie, le feu de la passion, la poussière de l'amertume, et les éclats dorés de l'amour. De tout l'amour qu'il possédait dans son cœur et qui pouvait inonder le monde.
Jungkook toucha doucement la joue du plus âgé de sa paume, caressant de son pouce sa pommette. Taehyung pencha la tête, avide de ce contact, admirant son étoile, le cœur dansant entre tendresse divine et nostalgie bouleversante.
Il se demanda comment il avait fait auparavant. Comment avait-il pu vivre si longtemps de manière aussi insouciante alors que lui n'était pas là. Qu'il n'était pas dans son monde, que son odeur n'emplissait pas ses draps et que son rire ne chatouillait pas son ouïe. Il prenait conscience qu'il lui était devenu vital.
Rien que de penser au fait de le perdre provoqua en lui un sentiment presque similaire à ce que pourrait être la mort.
Taehyung voulait lui hurler qu'il l'aimait, il voulait tant, mais les mots restaient coincés dans sa gorge. Il se contenta seulement de le contempler encore et encore, infiniment, inlassablement. L'amour romantique était profondément intéressant en ce sens que non seulement il promettait la fin de la solitude, mais suggérait un niveau supérieur de l'existence, une transcendance.
Jungkook se pencha doucement et embrassa brièvement ses lèvres avant de lui offrir un sourire timide. Les joues rougies, il questionna le plus âgé du regard qui semblait perdu, presque en transe. Il n'avait même pas répondu à son baiser. Taehyung se racla soudainement la gorge et fronça les sourcils, comme si Jungkook était un cadeau bien mystérieux.
-Où étais-tu, tout ce temps ?
Jungkook ouvrit la bouche, surpris, avant de glousser adorablement. Il avait remarqué que Taehyung était un très beau parleur, mais aussi un garçon romantique, un peu. C'était touchant. Il entoura ses bras autour de sa nuque, jouant avec ses boucles indomptables de ses mains, enroulant ses belles ondulations ténébreuses entre ses doigts.
-J'attendais que tu viennes me trouver, chuchota-t-il.
Taehyung rigola, totalement charmé par la réponse du plus jeune. Il le souleva brusquement du sol avant de tournoyer avec dans son salon, ses éclats de rire emplissant la pièce.
-Tu commences à comprendre comment je fonctionne.
-Repose-moi ! geigna faiblement Jungkook.
Taehyung lui obéit sagement et le reposa au sol. Il entendit Jungkook pester dans son coin comme un enfant et décida alors de le taquiner un peu plus longtemps. Son étoile était un véritable poids plume. Même s'il n'était plus aussi fin qu'à son arrivée, son corps restait tout de même délicat, comme un vase en porcelaine qu'on aurait peur de briser. Néanmoins, ça ne l'empêcha pas de le soulever à nouveau avant de le porter sur son épaule comme un vulgaire sac à patate. Jungkook laissa échapper un petit cri avant de froncer les sourcils.
-Taehyung, repose-moi.
Le chef d'orchestre secoua la tête, tenant fermement son petit violoniste, ses bras s'enroulant à l'arrière de ses cuisses. Il avança paisiblement dans son salon, comme si de rien n'était, Jungkook lui ordonnant de le reposer au sol avec autant de crédibilité qu'un chaton.
-Pas envie, répondit-il distraitement.
Jungkook tapa son dos de ses poings dans une vaine tentative, mais le plus vieux n'avait pas l'air d'avoir envie de le lâcher. Il marchait avec une telle aisance dans la pièce que ça l'agaça. Sous ses faibles gestes et avec sa position, son pull s'était légèrement soulevé, découvrant sa peau diaphane et lisse. Taehyung tourna alors vivement la tête, appréciant de voir cette étendue vierge sous ses yeux. Juste là, se trouvait sa taille. Il se lécha les lèvres avant de caresser cette douceur de son nez.
Jungkook cessa de se plaindre suite à ce geste. Ses yeux s'étaient légèrement écarquillés et des frissons parcoururent l'entièreté de son corps. Il avait presque l'impression d'être en apnée, attendant la prochaine action du chef d'orchestre. Les cheveux de Taehyung chatouillaient son dos et il pouvait sentir son souffle sur son flanc, lui procurant une agréable chaleur. L'un des bras de Taehyung quitta sa place à l'arrière de ses cuisses pour venir se poser au hasard sur son dos qu'il tapota du bout des doigts.
Puis, sans prévenir, il croqua cette chair si tendre et douce, faisant couiner le petit violoniste. Taehyung n'avait pas pu l'en empêcher, il avait juste eu l'irrépressible désir de marquer cette partie de son corps, la faire sienne. Regrettant légèrement son geste, il la lécha rapidement, laissant Jungkook sentir cette humidité tiède sur cette zone qu'il n'aurait jamais pensé être aussi sensible. Puis, il l'embrassa, l'effleurant de ses lèvres dans un soupir brûlant.
Le souffle de Jungkook se fit court et son regard fuyant lorsque le bouclé le reposa enfin au sol dans un silence étrange. Il tira sur son pull, le baissant au maximum, tout en évitant les prunelles obsidiennes du plus âgé.
Taehyung se fit la réflexion qu'il était peut-être allé trop loin. Doucement, il embrassa le front de son étoile avant de lui ébouriffer les cheveux.
-Excuse-moi.
-N-non, ce n'est rien, répondit hâtivement Jungkook.
Il remarqua alors le regard de Taehyung. Ses pupilles dilatées à un tel point que ses iris n'étaient plus qu'un cercle fin d'obscurité. Ils se scrutaient silencieusement. Jungkook avait l'impression d'être une proie que Taehyung voulait dévorer tout cru.
Et c'était bien le cas. Mais le chef d'orchestre pensait que Jungkook n'était pas prêt. Il pouvait attendre, il pouvait patienter tellement longtemps si c'était lui. Autant de jours qu'il faudrait car il savait que l'attente vaudrait toutes les splendeurs du monde, même les plus inconcevables.
Seulement, Jungkook le désirait aussi. Il était juste incapable de le formuler. Il était aussi effrayé de ne pas être à la hauteur. Mais il le désirait si fort que c'en était crevant. Son cœur lui hurlait de s'unir avec lui, mais ses pieds restaient résolument ancrés au sol; ses lèvres, scellées, et son regard, fuyant.
Après avoir fusionné leurs cœurs et leurs musiques, Jungkook voulait que ce soit au tour de leurs corps et de leurs âmes. Dans ce moment ultime, intime, magnifique.
Taehyung, en voyant que son petit protégé semblait perdu, comme s'il était en pleine lutte avec sa conscience, souris doucement.
-Je vais faire à manger, tu as faim ?
Jungkook redressa vivement la tête et dévisagea Taehyung. Il admira cet homme sublime qui se tenait face à lui et qu'il pouvait faire si aisément sien si seulement il possédait plus de courage. Il soupira, déçu, avant d'acquiescer.
Taehyung s'en alla alors, le laissant seul avec ses doutes et ses inquiétudes. Passerait-il le reste de sa vie à hésiter ? Combien d'occasions précieuses laisseraient-ils encore passer avant de comprendre la leçon ? Comme les êtres sont étranges, soumis qu'ils sont à toutes sortes de forces invisibles, en proie à des démons cachés, s'efforçant tout le temps de sauvegarder les apparences.
Il secoua légèrement la tête avant de s'avancer vers son étui, l'envie de jouer pour se libérer lui brûlant les doigts. Parce que jouer avec Miyu, c'était presque magique. C'était si bon, parfois, que c'en était insoutenable. Il jouait, il sentait une résistance, il poussait de plus en plus fort... et soudain il débouchait en pleine lumière, juste comme ça...Il passait de l'autre côté du mur. Il n'y avait plus de résistance, il naviguait. De la pensée pure, qui se transformait en musique pure.
Lorsqu'il entendit Taehyung chantonner un air d'opéra depuis la cuisine, il sourit doucement, amusé.
Taehyung affectionnait les opéras en italien et les chantait à coeur ouvert. C'était magnifique, d'autant plus qu'il ne semblait jamais se tromper. L'entendre chanter dans cette langue le séduisait, il devait être honnête avec lui-même. Lorsque Taehyung roulait les R, son organe vital se serrait délicieusement.
Depuis qu'ils avaient joué ensemble Clair de lune, d'autres nuits de ce genre avaient suivi. Il adorait ce genre de moments qu'il partageait avec Taehyung. Car, pendant qu'il façonnait la musique dans sa tête et la jouait, il sentait que Taehyung la façonnait et la jouait en accord avec lui, leurs âmes jointes dans une entreprise harmonieuse, comme deux êtres qui peuvent se parler sans mots, se communiquer une pensée avant qu'elle n'émerge totalement, parce que la même pensée naissait dans l'âme de l'autre.
Ils jouaient tard la nuit, lui avec Miyu, Taehyung avec son piano. Il avait récemment pris conscience que les deux instruments étaient un cadeau de celles qui les avaient mis au monde et rien que cette vérité embellissait chacun de ces instants.
Taehyung n'avait pas l'impression de jouer dans ces moments-là. Il avançait à travers une nuit, respirait sa transparence fragile faite d'infinies facettes, de feuilles, de vent. Il ne portait plus aucun mal en lui. Pas de crainte, non plus. Pas d'angoisse ou de remords. La nuit à travers laquelle il avançait, lui rappelant l'irrémédiable brisure du passé, se transformait en musique et n'était plus que beauté.
Mais Jungkook, en ouvrant son étui, se décomposa. Son sourire se fana doucement, tortueusement, dans une fêlure, un craquèlement atroce.
Nous vivons dans un monde étrange et sublime. On y rencontre les êtres humains les meilleurs, et aussi les pires. On peut aussi bien y avoir affaire à une générosité sans pareille qu'à une cruauté qui dépasse l'entendement.
Comme lors de ce moment précis où Jungkook réalisa qu'on avait détruit sa plus fidèle amie, le dernier fragment de sa mère, une partie de son âme.
Le regard vissé sur son violon, il était incapable de prononcer quoi que ce soit. Il l'admira seulement, la sensation que le monde autour de lui venait de s'effondrer. Sous ses paupières dansait un kaléidoscope terrorisant de ténèbres, de tristesse et de rage qui se bousculaient sans relâche.
Miyu avait perdu toute sa splendeur, le manche était brisé, les cordes tombant lamentablement, s'éparpillant tout autour. On avait aussi détruit les ouïes, comme si quelqu'un avait mis ses doigts et avait poussé aussi fort que possible, témoignant une colère aveuglante.
Jungkook l'admira, longtemps.
Puis peu à peu, il se rendit compte.
Miyu n'était plus.
Miyu lui avait été arraché.
Plus jamais il ne rejouerait avec.
Taehyung lui posa une question, mais il ne l'entendit pas vraiment, ses oreilles bourdonnantes. Quelques minutes auparavant il était heureux, insouciant, un peu perdu aussi, mais là, il n'était plus qu'une masse de tristesse qui menaçait d'éclater à tout moment.
S'il n'était pas déjà à genoux au sol, il savait que ses membres auraient lâché sous ce spectacle brisant.
Il approcha une main tremblante sur son violon, en caressa les derniers vestiges, et là, une larme roula sur sa joue.
En fermant les yeux, il eut un flashback d'un sourire décoré de rouge, de cheveux virevoltant dans le vent, d'un regard tendre. Il eut des souvenirs de ses petites mains tenant maladroitement Miyu pour la première fois. De tout ce qu'il avait vécu avec.
De tout ce qu'il aurait encore pu vivre avec si la vie n'était pas aussi cruelle.
Mais l'horreur sur Terre est malheureusement réelle et quotidienne. C'est comme une fleur ou le soleil, rien ne peut l'empêcher d'être.
Il pensa alors que ce flux désordonné de vie et de mort, de beauté et d'horreur devait avoir une signification cachée, une clef qui les aurait rythmées dans une harmonie tragique et lumineuse. Sinon, pourquoi lui faire endurer tout ça ?
Pourquoi toutes les choses qui lui tenait à coeur s'en allaient ? D'abord sa mère, son père, puis maintenant Miyu. Était-il condamné à subir la perte de ses fragments de bonheur un par un ? Lorsque les silhouettes de Seokjin, Yoongi et Jimin se dessinèrent comme des fantômes sous ses paupières, il prit une brusque inspiration. Allait-il les perdre, eux aussi ? Est-ce que Taehyung allait voler en éclats un jour ? Pourquoi son éclaircie était-elle si brève, sans arrêt éclipser par les nuages ? C'était comme si son monde était voué à être constamment embrumé.
Jungkook aimait se dire que Miyu était le dernier lien qui rattachait Ha-neul à ce monde. Il croyait dur comme fer qu'elle était toujours à ses côtés, substituant à travers son violon.
Une âme frôle un être humain, lui touche doucement l'épaule ou la joue, puis continue doucement sa route vers le paradis. Les vivants ne voient jamais vraiment les morts, mais beaucoup d'entre eux semblent avoir une conscience aiguë autour d'eux. Ils parlent d'un frisson dans l'air. Un frisson que Jungkook ressenti, qui lui asséna le coup de grâce, lui faisant réaliser qu'elle ne serait définitivement plus là. C'était comme revivre sa mort une deuxième fois.
En prenant conscience qu'il ne jouerait jamais avec Miyu ce deuxième mouvement qui l'avait tant torturé, prouvant ainsi à ceux qu'il aimait et à celle qu'il avait chérie mais qui s'en était allé, que l'espoir n'était pas seulement une chimère, il éclata en sanglots, gémissant de douleur.
Il éclata en sanglots parce qu'il y a des sentiments qui justifient qu'on vole en éclats.
Miyu...Jolie pluie n'était plus. Elle était désormais condamnée à un silence éternel. Et tandis que cette pluie-là s'était éteinte, le violoniste esseulé laissa couler l'averse de ses yeux en reflet à celle de la voûte céleste, leurs gouttes tombant, glissant, jusqu'à capter dans leur chute l'éclat triste de la lune.
Jungkook ne lui avait pas répondu. Lui qui était encore si troublé par les événements précédents pensa naïvement qu'il en était de même pour son étoile. La voix claire de Jungkook ne se fit pas entendre en retour à la sienne, il pensa alors qu'il était sûrement allé trop loin. Mais il avait été pris d'un désir si incontrôlable qu'il n'avait pas pu empêcher ses gestes, voulant sentir, goûter cette peau de ses lèvres et de sa langue.
Il secoua la tête et posa son couteau sur le plan de travail. Distraitement, il lava ses mains avant de se diriger vers le salon. Il marchait à une allure quasi hésitante car il craignait d'avoir réduit en néant le confort que le petit violoniste avait mis si longtemps à ressentir auprès de lui.
Mais en débouchant sur la pièce, il remarqua que Jungkook n'avait allumé aucune lumière, la plongeant dans l'obscurité inquiétante de la nuit. Il s'arrêta à une distance raisonnable de son petit protégé, admira sa silhouette assise, et remarqua alors les petits soubresauts qui secouaient son dos.
Il s'approcha craintivement, un mauvais pressentiment prenant possession de lui.
-Jungkook, est-ce que tout...
Il ne finit pas sa phrase que son petit protégé se tourna vers lui, lui laissant admirer le triste spectacle de son visage ravagé par le désespoir et l'impuissance. Taehyung en resta coi, interdit, car il ne saurait dire l'émotion qui s'empara de lui à l'instant même ou il vit cette expression sur le visage de celui qu'il aimait. Son coeur s'était alourdi, ses yeux s'étaient écarquillés et dans ses veines couraient le sentiment urgent de le prendre dans ses bras, mais il n'en fit rien, trop chamboulé.
En jetant un regard par-dessus son épaule, il vit la cause des souffrances du plus jeune. Son visage se tordit en une grimace consternée en voyant l'état du violon. Miyu avait été brutalisé. En prenant conscience de ce fait, et de tout ce que ça impliquait, il plongea à nouveau son regard dans celui de Jungkook.
Ils se regardèrent inlassablement et Taehyung sentait toujours plus fortement la tension qu'il y avait entre eux. Ce silence strident et pleins de cris intérieurs, c'était comme une corde de violon tendue à se briser : enfin, la parole de Jungkook, d'abord hésitante de terreur, le déchira.
-Miyu...Maman...
Taehyung n'avait jamais vu chez un être humain une telle vulnérabilité, il n'avait jamais ressenti un tel sentiment d'injustice. Mais voir ce joli garçon à genoux devant lui, qui venait de perdre l'une des choses qu'il affectionnait le plus au monde, murmurer avec une telle difficulté tout ce qui lui avait été arraché, lui broya le coeur. Jungkook ressemblait à un enfant désemparé qui appréhendait pour la première fois les douleurs viles de l'humanité.
Taehyung ne perdit pas de temps avant de se précipiter jusqu'à lui et de l'enlacer fortement. Il l'enlaça aussi fort que possible, comme si par la seule force de ses bras il pouvait le protéger de tous les maux de ce monde. Le regard fixé sur les vestiges de Miyu, Taehyung sentit une boule grossir dans sa gorge, la sensation qu'il pourrait lui aussi s'effondrer en larmes le déstabilisa. Le chef d'orchestre aurait tant aimé prendre ne serait-ce qu'un fragment de sa peine si ça suffisait à alléger le tourment de son coeur.
À la place, il le berça lentement, doucement, chuchotant des paroles apaisantes, son souffle faisant voler ses mèches d'encres. Mais rien ne changeait. Les larmes de Jungkook ne tarissaient pas, Taehyung les sentaient réchauffer la peau de son cou avec amertume. Soudain, il prit son visage entre ses doigts, atténuant la rivière salée qui laissait un passage ignoble sur ses joues. Il en voulait à ces larmes, de ternir ce si joli visage.
Avec peine, il trouva le regard brouillé de Jungkook et cogna doucement son front contre le sien.
-Tu ne peux pas continuer à être infiniment triste, à rester bloquer sur le passé, à pleurer encore et encore...Tu ne devrais pas pleurer autant, Jungkook, tu fais de l'ombre à la pluie alors que tu es pourtant un enfant du soleil.
Le petit violoniste hoqueta. Il s'accrochait si désespérément à Taehyung que ses ongles laissèrent une empreinte sur son pull. Il tentait de se rattacher à sa voix, à son odeur, mais inexorablement, la douleur de la perte le ramenait dans les méandres de la désolation.
Entre la réalité et les souvenirs, entre l'esquisse de l'espoir et du destin, se glisse l'ombre.
Lorsque Taehyung remarqua qu'il n'était malheureusement d'aucune aide, il se détacha de lui. Il le dévisagea encore quelques instants, le regard brillant, avant de se relever. Le chef d'orchestre n'aurait pu décrire l'abjection qu'il avait envers lui-même en se tenant debout de toute sa hauteur face à son étoile recroquevillée au sol de douleur.
Mais il devait l'abandonner. Taehyung lui tourna le dos et monta les marches menant à l'étage, son coeur se compressant à chacune des plaintes de son ange.
Il se trouvait dans un état si second, comme s'il voyait le monde à travers une nébulosité, chaque pas qu'il effectuait alourdissait son corps.
Il repensa à Ha-neul, à Mee-yon, à Hoseok...À toutes ces personnes qui avaient façonné son monde et qui, pour certaines, s'en étaient si injustement allées. Il prenait alors conscience de la cruauté de l'existence, du fatidique chemin qui attendait inexorablement chaque mortel.
Il réalisa aussi la valeur humaine. Parce qu'il n'y avait que Jungkook, Jae-sun et lui pour encore pleurer Ha-neul alors que tous se souvenaient de Mee-yon. Cette réalité lui sembla injuste en repensant au fait que si Mee-yon avait touché des vies par sa musique, Ha-neul en avait bouleversé d'autres de sa personne. Mais qui se souviendrait d'elle ?
Il réprima le cri de rage qui menaçait de jaillir de sa poitrine. Le destin lui avait apporté un si joli cadeau, mais l'avait cruellement rappelé à son passé. Il avait l'impression que la suite des événements paraissaient si claire et si évidente qu'il se demanda si une force extérieure ne s'amusait pas à emmêler avec sadisme les fils de son avenir.
Leurs vies avaient une signification plus profonde que les simples événements extérieurs qui les réunissaient. Une profonde magie de l'existence gouvernait leurs destinées, même lorsqu'ils croyaient en rester les maîtres - une magie que seuls les sentiments perçoivent, et non les sens.
Taehyung réalisa alors plusieurs choses.
La première fut qu'il n'avait jamais ressenti autant d'émotions contradictoires depuis que Jungkook était survenu dans son quotidien. Il voulait lui révéler toute sa vie, cette vie qui n'a semblé véritablement commencé que depuis le jour où il l'avait connu. Il se rendit compte qu'auparavant, ce n'était qu'une chose trouble et monotone, dans laquelle son souvenir ne se replongeait jamais ; c'était comme une cave où la poussière et les toiles d'araignée recouvraient des objets et des êtres aux vagues contours, et dont son coeur ne savait plus rien.
La deuxième était l'irritation qu'il ressentait pour la condition de son petit violoniste. Il était intolérable de rester le regard fixé, sa vie durant, sur un point de son existence. Taehyung ne l'accepterais plus, désormais.
Et enfin, il réalisa que si la notion de promesse existait, c'est parce que certaines d'entre elles étaient vouées à être inévitablement brisées.
Une fois dans sa chambre, il jeta un regard par la fenêtre. Jamais il n'avait vu le ciel comme cette nuit-là, d'un bleu acier si métallique et pourtant tout éclatant, tout rayonnant et tout débordant de lumière, d'une lumière qui tombait, comme voilée, de la lune et des étoiles.
C'est non sans une légère pointe de mélancolie qu'il se dirigea vers son armoire. Avec une telle lenteur, il ouvrit les portes de bois. Son regard se posa hasardeusement sur les babioles en tous genres. Il ne put réprimer le soupir qui passa la barrière de ses lèvres lorsqu'il fit face à cet étui qui, en son sein, couvait un trésor qui n'avait plus vu le jour depuis tant d'années.
Il s'empara de la poignée, la sensation que l'instrument pesait une tonne, sollicitant tous les muscles de ses bras. Mais c'était faux. Il puisait seulement dans sa force d'esprit.
Marchant dans le couloir, il eut l'impression que s'il osait un regard en arrière, il verrait flotter le fantôme de sa mère. Et pourtant, s'il ne se retourna pas, ce n'était pas par peur. Mais parce que contrairement à Jungkook, il s'interdisait à laisser les morts prendre le dessus sur sa vie. Cela faisait longtemps déjà que la pierre de son âme était retombée de tout son poids sur son passé, qu'elle maintenait comme un caveau, l'empêchant de se réveiller.
En réapparaissant à nouveau dans le salon, il remarqua que Jungkook avait arrêté de pleurer. Mais il tenait entre ses mains le manche de son violon avec une telle affliction que Taehyung balaya ce sentiment d'insécurité qui ne le lâchait plus.
Il s'agenouilla aux côtés de Jungkook, posa l'étui près de celui de Miyu et, lentement, tortueusement ouvrit celui-ci.
Enfin, le Stradivarius respira, fut couvé d'un regard à nouveau.
Jungkook détailla le magnifique violon, l'esprit quelque peu embrumé. Au début, il remarqua seulement l'ancienneté de l'instrument, puis sa taille. Une taille que Jungkook aurait dû manier pour exprimer librement sa musique, mais dont il n'avait jamais pu se résoudre à posséder, trop attaché à Miyu.
En plongeant son regard dans celui de Taehyung, il comprit alors. Il réalisa à travers l'intensité de ses prunelles obsidienne le présent qu'il avait face à lui. Il écarquilla les yeux, totalement paniqué.
-N-non...Tu ne peux pas...
-Jungkook, écoute-moi...
-Tu ne peux pas !
Taehyung s'empara de ses mains, le ramenant contre lui. Son étoile avait tenté de se relever, totalement révolté et paniqué. Il caressa de ses pouces le dos de ses mains, tentant de le rassurer.
-Il n'y a personne d'autre qui le mérite plus que toi..., chuchota-t-il.
Jungkook balbutia des paroles inaudibles avant de fermer douloureusement les yeux. Il ne pouvait pas jouer avec un tel instrument, il ne se sentait pas digne de lui. Puis, surtout, ce Stradivarius était connu pour avoir été le partenaire de Kim Mee-yon. Si on le voyait avec, les gens comprendraient.
-C'était à ta mère...
-Ma mère est morte, Jungkook. Ça fait dix ans, maintenant.
Sa voix avait claqué l'air, sèche et grave. Jungkook fronça les sourcils.
-Tous les musiciens laissent une partie de leur âme dans leur instrument.
Taehyung ne put s'empêcher de sourire à la croyance touchante de son petit violoniste. Il aimait cette sensibilité qu'il possédait à un point inimaginable.
-Si c'est vrai, alors lie son âme à la tienne. Fais-la revivre. Si c'est toi, je pense que ça ira.
Un silence profond envahit la pièce. Le coeur serré, ils étaient remplis de la solennité de l'instant et l'on entendait rien d'autre que, dehors, sous les fenêtres, la voix forte et irritée de la capitale qui continuait de gronder sans relâche, indifférente à la vie et à la mort,
Jungkook était totalement perdu, choqué. Comment Taehyung pouvait lui offrir le violon de sa mère aussi simplement, sans une seule trace de doute ou d'appréhension sur son visage ?
Mais pour Taehyung, c'était si simple. Au-delà de la mélancolie qu'il ressentirait lorsque Jungkook jouerait avec le violon de sa mère, il éprouverait un sentiment de justice, il le savait.
Mee-yon n'avait jamais connu Jungkook. C'était un beau moyen que de le connaître à travers cet instrument qu'ils auraient tous deux partager.
Miyu avait accompagné l'enfant qu'il était, mais maintenant qu'elle était partie, le Stradivarius de sa mère accompagnerait l'adulte qu'il est.
-Pourquoi ?
Jungkook avait soufflé cette question d'une voix si faible que Taehyung doutait de l'avoir entendu. Il l'admira caresser précautionneusement les courbures du Stradivarius et ne put s'empêcher de sourire en repensant au fait qu'Ha-neul avait fait exactement la même chose lorsqu'elle l'avait tenue dans ses mains pour la première fois.
-Parce que tu es devenue la personne la plus importante de mon monde, commença-t-il, hésitant. Je veux juste te voir sourire, je...
Il inspira brusquement, les mains étrangement moites. De toute sa vie, il ne s'était jamais senti aussi vulnérable, lui qui était de nature pourtant si confiante.
-Je t'aime, Jungkook.
Le petit violoniste l'observa longuement, puis, soudainement, ses joues se colorèrent vivement. Son coeur battait furieusement dans sa poitrine, il ressentait un trop-plein d'émotions qui menaçait d'éclater. Il était si heureux et partageait désespérément ses sentiments, néanmoins, il ne put s'empêcher de trouver la situation trop idyllique.
Jungkook baissa le regard sur le Stradivarius, se mordillant la lèvre inférieure. Qu'avait-il apporté à Taehyung ? Le chef d'orchestre lui avait tant donné, mais Jungkook avait l'impression de n'être qu'un fardeau. Kim Taehyung était merveilleux, magnifique, splendide...Il pouvait être proche de vous que vous auriez tout de même la sensation qu'il était à des milliers de kilomètres. Jungkook ne comprenait pas comment il pouvait ressentir ce genre de sentiment à son égard. À ses yeux, ça dépassait l'entendement humain.
Il releva alors à nouveau la tête et planta son regard dans celui du bouclé, un sourire désabusé courbant ses lèvres.
-Comment peux-tu m'aimer ? Dans quel monde un homme comme toi peut vouloir de quelqu'un comme moi ?
Il avait parlé d'une voix si froide, si coupante, qu'elle s'était insinuée en Taehyung telle une lame, touchant quelque part un point tellement sensible qu'il eut l'impression de devenir fou.
Le chef d'orchestre écarquilla les yeux et resta quelques instants interdit, non seulement souffler par le fait que Jungkook n'avait pas pris au sérieux sa révélation, mais aussi par le fait qu'il osait encore se rabaisser dans une telle situation. Son visage se déforma par la colère et la suite de ses paroles ne purent exploser sans qu'une certaine véhémence ne vienne teinter sa voix.
-Comment...il fronça les sourcils, comme s'il pensait avoir mal entendu. Je suis amoureux de toi parce que tu es magnifique, parce que tu me fais vibrer lorsque tu joues du violon, parce que tu rends la musique encore plus belle. Je t'aime parce que tu souris, parce que tu fais des gâteaux, parce que tu glousses adorablement. Je t'aime parce que tu n'es pas parfait, mais que tu es toi. Je t'aime tout entier, que ce soit lors de tes jours heureux ou de tes nuits de malheurs. Je t'aime parce que tu es comme les saisons, ni calme, ni tempétueux, mais imprévisible. Je t'aime parce que tu me fais sourire, que tu façonnes mes rêves, parce que j'ai l'impression d'être un gosse avec toi. Car à tes côtés je ne vis plus, j'ai la sensation de transcender le monde. Je me fous de savoir si les gens pensent que c'est rapide, précipité, ou voire scandaleux...Je sais que je suis amoureux de toi. Tu sais ce qui prime sur la durée lorsqu'on parle d'une relation ? L'intensité. Et l'intensité de cet amour, de cette relation, de ce que nous partageons a été capable de vaincre les secondes, les mois, les années et peut-être même l'éternité. Tu ne me crois pas ? Si tu ne me crois pas, juste, sens-le. Là, tu verras.
Il ne sert à rien d'éprouver les plus beaux sentiments si l'on ne parvient pas à les communiquer. À la fin de sa tirade, essoufflé, Taehyung s'empara brusquement de sa main et la posa sur sa poitrine. Jungkook sentit alors sous ses doigts la chaleur qui émanait de sa peau et les battements endiablés de son coeur. Tout ce qu'avait dit Taehyung l'avait bouleversé à un tel point que son regard se mit à briller et qu'il eut la sensation de fondre.
Il releva timidement les yeux et laissa un hoquet de surprise s'échapper de ses lèvres en remarquant que Taehyung le dévorait déjà du regard. Il y avait une avidité et une tendresse qui brûlait dans ses prunelles. Il était si beau...
Doucement, Taehyung toucha sa joue du bout des doigts et pencha légèrement la tête, un sourire profondément amoureux débordant sur ses lèvres
-Dans quel monde un homme comme moi peut vouloir de quelqu'un comme toi tu dis ? Dans tous les mondes, Jungkook. Et en particulier celui-ci.
Cette déclaration qu'il lui faisait, Taehyung l'oublierait un jour. Pas parce qu'elle n'avait pas d'importance, mais parce qu'il y a certaines paroles qui sont d'une vérité profonde qu'une seule fois, prononcées entre quatre yeux, et qui jaillissent spontanément du tumulte des sentiments.
Mais entre le désir et le spasme, entre la puissance et l'existence, entre l'affection et la dévotion, se glisse la lumière. C'est ainsi que se définissait sa renaissance.
Jungkook le détailla longuement puis, soudain, l'explosion tant attendue arriva. Elle s'était déchaînée chez le plus jeune comme une tempête dévastatrice.
Avant qu'ils ne s'en rendent compte, leurs deux corps tremblants s'enflammèrent, et dans un baiser infini, ils étanchèrent les heures et les jours innombrables de soif et de désir innomés. Leurs lèvres se faisaient délicieusement malmenées par celles de l'autre. Il n'y eut plus de doute, de peur, de tristesse...Seulement l'irrémédiable urgence qui parcourait leurs veines.
Ce n'est pas Taehyung qui l'avait attiré à lui, ni Jungkook, ils étaient tombés dans les bras l'un de l'autre, comme emportés ensemble par une tempête, l'un avec l'autre, l'un dans l'autre plongeant dans un inconnu sans fond, dans lequel sombrer était un évanouissement à la fois suave et brûlant. Et ce n'est que peu à peu, lorsque leurs lèvres collées se détachèrent, qu'encore pris de vertige devant le caractère invraisemblable de l'événement que Taehyung le regarda dans les yeux.
Ses prunelles brûlaient d'un éclat magnifiquement scandaleux. C'était la première fois que Taehyung la voyait, cette expression de volupté, de luxure sur le visage du plus jeune. C'était saisissant. Il l'admira avec des yeux conquis. Et Jungkook, qui semblait totalement possédé par l'envie, enjamba son corps avant de s'asseoir à califourchon sur lui. Son regard brumeux parcourut l'étendue du visage de Taehyung avec l'envie de goûter à plus, de ressentir infiniment plus. Car rien de ce qu'il avait expérimenté avant ne pouvait lui suffire, désormais.
Il passa une main dans ses cheveux sombres, tirant sur ses boucles brunes, arrachant un grognement au plus vieux. Malgré ses gestes, Jungkook possédait encore une douce innocence. Son regard se fit un peu plus timide lorsqu'il fut confronté de plein fouet aux pupilles assombries de Taehyung. Le chef d'orchestre dégageait une telle aura de tentation et de lascivité que le petit violoniste chancela l'espace de quelques secondes.
Après ce bref moment d'égarement il approcha son visage du sien, leurs souffles se mélangeant, leurs nez se caressant, leurs yeux s'embrassant. Il frôla ses lèvres des siennes avant de murmurer doucement, la voix tremblante de détermination, ces quelques mots qui eurent raison des derniers vestiges de contrôle du plus âgé :
-Je veux t'appartenir.
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