Dans le cercle, la menace de la guerre avait divisé les neuf royaumes. Les neuf suzerains étaient présents en ce jour, neuf lions représentant le peuple Elu, réunis dans un Conseil, en des circonstances extraordinaires.

-Vous ne pouvez pas raser des villages pour votre bon plaisir ! hurlait l'un des rois, dans la langue des lions. Le doux et mielleux langage souffrait de la colère, la voix âpre s'érayait, affaiblit par la maladie.

 Il s'agissait d'Agur, un lion ridé mais fier.  Un fameux guerrier retiré des champs de batailles, le front dur, le museau droit, l'épée sur le côté ; son épaisse crinière tressée encadrait son visage sévère et fatigué. Un combattant dans l'âme et un honnête félin, toute sa vie. Un roi qui vieillissait, incapable à chasser la mort qui soufflait sur son visage.

-Vous ne semblez pas comprendre tous les enjeux de...

-Silence ! Rugit Agur. d'une voix tremblant sous la coupole.  Je suis peut-être vieux, mais pas encore fou, lionceau. Je connais vos désirs, Prayos. Je l'ai su il y a de cela dix ans, je l'ai lu dans vos yeux alors que vous n'étiez encore qu'un enfant. Tout en vous respire l'arrogance, pauvre gamin que vous êtes. Pitoyable chien de l'orgueil.

Une toux incontrôlable le saisit soudain, arrondissant son dos sans que rien n'évacue sa gorge. Plusieurs rois se levèrent, mais le vieux fauve les fit tous se rassoir d'un simple geste de la main. Il reprit d'une voix plus craquelée encore.

-Vous croyez battre les tigres ? Vous ? Prayos ? Roi de Ridon  ? Un titre, rien de plus. Je l'ai vécu, la guerre de vos parents, et de vos ailleuls avant eux. Bande de chacals. Pourquoi croyez-vous qu'on ne parle nulle part des faits si glorieux de nos guerriers, alors que les combats, hier, grondaient encore ?  Parce que nous l'avons perdue, cette guerre ! Idiots que vous êtes. Saignez-vous donc, si vous le voulez, fous ! Tous fous !

Le bruit sourd de son poing s'écrasant sur la grande table de chêne fut sursauter les rois dans leur fauteuil.

-Coupez un arbre, et c'est la Forêt toute entière qui se dressera contre vous ! Bande d'ignorants ! N'avez -vous rien appris ?

Sur ces mots, le roi quitta la pièce. L'écho des longs couloirs du palais rapportait sa litanie. "Tous fous" répétait-il. "Tous des ignorants". Prayos fulminait. Son pelage hérissé,l'ensemble de ses traits étaient tendus autour ses lèvres retroussées. Le roi de Riden avait commis un crime, brisé des traités de paix par désir d'expansion, réduit des années de diplomatie à néant, pour un peu d'or et beaucoup de gloire. Par dessus tout, il n'acceptait pas d'être traité comme l'enfant qu'Agur trouvait en lui.

-Roi Agur a raison. souffla le roi Verd, un lion au pelage pâle et au traits anguleux. Les traités ont été rompus. Il faudra en signer de nouveaux. Et ce dans l'immédiat. Qu'on envoie des émissaires.

-C'est trop tard, murmura Mir. Le sang a coulé. Les tigres voudront du sang en retour.

Un grondement s'éleva doucement d'abord, puis s'intensifia. Désaccord. Terreur ou Colère,  qui aurait pu dire ?

Dipen restait indifférent à la scène, très loin des autres Elus. Il les trouvait piteux, tous ces rois sans figure, sans prestance. Dipen se fichait des Neuf royaumes. Il ne voyait que la Grivel, dont il était seul souverain. La terre de son enfance. L'outil de sa vengeance.