Chapitre 5, Première partie
Kar plongea, de plus en plus lourd. Le loup fonça sur lui sans ménagement. Autour d'eux, la meute les entourait, leurs grands yeux clairs rivés sur le combat. Un cercle d'honneur, Le Dominant affrontait la proie, non, un fauve. Le tigre dépassait le rang du simple gibier, il était l'égal du loup. Le prédateur jouait sa place aujourd'hui devant ses pairs, et cela, il en avait conscience.
Alors qu'il bondissait de nouveau, la patte du loup vint s'écraser sur la garde du tigre ; Kar s'éleva dans les airs et retomba lourdement. Puis il se releva, encore, prêt à en découdre.
Petit être, mais être fort. Pensa le loup.
Kar le comprit. Un rictus sauvage s'imprima sur son visage qu'un mélange entre rage et douleur déformait déjà. Le loup en réponse, retroussa ses babines couvertes de sang félin. Le fauve fit claquer ses propres crocs, deux épées dentelées portant elles aussi leur lot de chair.
Il avait s'agit d'une lutte de sang, à présent, c'était un combat d'honneur.
Une nouvelle charge : Kar décolla encore une fois du sol, percuté d'une force sans pareille. Ses deux sabres avaient beau accueillir le coup, la douleur restait la même. Une fois rétabli, le tigre resserra plus encore la garde de son buste, protégeant au mieux Ryun.
Je ne dois pas faillir, se répétait-il intérieurement. Sa vie en dépend.
Il chargea à son tour. Les broyeuses qui lui servaient d'armes frottèrent contre le flanc de la bête alors qu'elle esquivait. Kar déséquilibré, tomba à genou. Ouverture dans sa garde, le croqueur plongea. Ses griffes vinrent strier ses hanches, bien prêt de Ryun. Kar, paniqué, recula pour la première fois ; grossière erreur ; Le loup n'avait plus qu'à avancer pour saisir le tigre.
La vision brouillée, et l'esprit prisonnier de la fatigue, Kar n'avait qu'une solution : plonger au plus près de la bête, pour le meilleur et pour le pire. Les canines du loup glissèrent sur sa joue, dessinèrent une plaie gorgée de sang. Kar atteignit le cou de l'animal et mordit. Ses dents percèrent à peine le cuir du croqueur, mais peu importait, accroché comme un fou, il entoura de ses bras la créature, formant avec ses deux épées un étau qu'il resserrait. Un pur coup d'instinct. Le loup, pris au dépourvu, incapable de prédire ce que le félin n'avait pas cherché à faire.
Mais le croqueur se ressaisit bien vite. Il se déchaina, se roula dans la neige, sauta, bondit. Kar qui finit par lâcher prise, percuta le sol avec force. Il ne voyait plus clair, il ne voyait plus, tout simplement. Seulement entendit-il des grognements près de lui. Que faisait-il ? Allait-on le tuer ? Mais la mort ne venait pas. Entre ses paupières, un fin filet de lumière lui parvenait. Le loup était, de toute sa prestance. Et devant lui, Ryun.
− Ryun !
Kar se rendit compte bien vite que le harnais ne tenait plus en place. Le chat gisait tout près de la bête. Une fureur sans pareil le saisit alors qu'il chargeait en hurlant.
Le Dominant fonça s'en hésiter en direction du tigre. Il contra les crocs de la bête et les repoussa, plus léger, un poids envolé de ses épaules. Le loup, surpris par cette vivacité nouvelle, ne put éviter la collision. Les deux broyeuses frappèrent comme le tonnerre. Un bruit sourd et mat retentit, alors que le croqueur retombait, inerte. Kar, dans un même geste, s'interposa entre le petit félin et la bête, qui pourtant ne bougeait plus. Les loups autour d'eux se levèrent et grondèrent. Kar, fit de même, dans un cri si repoussant et si puissant que les oreilles pointues des croqueurs se dressèrent sur leur tête allongée. Comme des statues, les formes canines ne bougèrent plus un instant. Au centre, tout près des deux félins, le loup respirait grossièrement.
Il est mort. Murmurait-on dans les rangs. Il a tué le Dominant.
Les croqueurs se détournèrent, puis disparurent à l'horizon.
Kar n'arrivait pas à déplier ses griffes, qui restaient figées dans le manche de ses épées. Epuisé, il montait cependant la garde, comme indifférent au départ des loups. Pour lui, ils étaient encore là. Dans l'hébétude de la fin d'un combat, son corps ne savait plus comment agir ; devant lui, le loup restait, mourant, toujours vivant. Kar observa l'animal d'un œil nouveau. C'était un beau spécimen, un grand gabarit au pelage argenté. Il lui sembla que le poil s'évanouissait dans la neige, déjà une part du manteau hivernal. Et le tigre regretta, d'avoir tué si belle bête.
C'était lui ou moi. Se répétait-il.
Il connaissait si bien les préceptes de la forêt.
C'était lui ou moi.
Alors que ces membres tombaient de fatigue, Le fauve se sentit sombrer lui aussi. Son cœur redevint moue, son pouls résonnait à ses oreilles, de plus en plus lent, ses muscles refroidissaient. Sa sueur se transformait en fine couche de glace, tandis que sa respiration, d'abord laborieuse, retrouvait sa régularité. Kar porta Ryun jusqu'à l'épaisse fourrure du loup. Tous les deux blottis ainsi, Kar espérait survivre un temps au froid. Alors qu'il sombrait, il se remémorait le combat. Il savait que ces rêves absorberaient ses souvenirs, et qu'il garderait longtemps en lui trace du loup. C'est en sachant cela que le tigre perdit connaissance.
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