Chapitre 4, Première partie
La neige, un nom bien doux pour ce fléau du ciel ; la tombée d'un rideau blanc, à la blancheur glaciale. Elle gelait tout, cette neige, cette pollution céleste, qui s'accrochait aux fourrures et aux capes, vous saisissait là où elle en trouvait la place ; être pernicieux, fourbe de nature. Intolérante, discriminante, elle n'épargnait que les enfants de la Montagne. Tous les autres lui restaient ennemis. De tous, elle blessait Ryun plus qu'aucun autre. La neige le rongeait, le brisait, s'emmitouflant dans son propre manteau. Son poil inadapté ne le protégeait guère du froid, l'Hiver le traversait comme indifférent à l'obstacle qu'il lui présentait, il subissait son règne, sans pouvoir même se défendre. Le chat regardait envieux les flocons glisser sans prise sur le pelage de leurs guides. A travers la tombée, il contemplait avec admiration la démarche fluide de Piriam et Obaldo, les menant aux sommets.
Lui, petit félin à bout de force, que le froid usait, dans le corps comme dans l'âme. Il n'en pouvait plus de ce spectacle blanc, en fait, il n'avait jamais aimé cette couleur, insupportable. Terre et ciel uni dans ce monochrome entêtant lui rappelait à quel point il était petit face à la nature, face à la Montagne. Il grelottait, embrassé par le froid. Il sentait chacun de ses muscles raidir, la douleur s'évanouir avec ses sens. Il ne restait que cet engourdissement, se propageant comme une paralysie vicieuse. Gelées, ses lèvres le brûlaient à chaque respiration, l'air une morsure dans ses poumons, l'air si lourd à avaler. Il ne possédait plus ni la force ni la salive pour prononcer ne serait-ce qu'un mot ; la parole s'enfuyait avec ses forces, comme lui, perdait peu à peu conscience. Et au milieu du blizzard, Ryun, ne tenait que part une conviction : devant lui, Kar était là.
Ce dos, large, imposant, Ryun le connaissait bien ; il appartenait à un guerrier, un grand félin, il en était convaincu. Large et rassurant, protecteur, ce dos. Il le suivait. Il s'éloignait de plus en plus, mais Ryun restait convaincu qu'il restait toujours là, devant lui, un guide de tout moment, de tout temps. Dans son champ de vision, toujours, il l'avait gardé. Il représentait un tout, ce pourquoi il était là, ce pourquoi il était, tout simplement. Sa vie, il la dédiait à le suivre. Car le chat du désert Ryun irait là où ira Kar. Et ce, au plus profond de l'Hiver. Submergé par cet impérissable besoin de repos, qui fermait ses paupières par moment, le faisait vaciller, un instant, Ryun avançait. Car quoi que ses yeux fussent clos, il pouvait la percevoir tout de même, l'ombre du tigre devant lui. Un vent chaud soufflait tout à coup sur son corps, effaçant un peu plus les plaies de l'Hiver. Et dans le désert, Ryun revivait le passé.
Kar était là, devant lui. Son torse nu dévoilait la voûte de son dos, meurtri. Des zébrures parmi d'autres, de la chair à vif, qui traçaient dans son pelage de nouveaux dessins, rouges, incandescents. Imprimés sur sa rétines ; Ryun ne les oublierait jamais. Ni le guerrier impitoyable qui lui avait sauvé la vie, ni la figure qui s'était retourné alors. Sur cette gueule repeinte en sang, dans ses yeux couleur sable, Ryun avait lu solitude et souffrance, mais bien peu de haine. Ni rage de tuer, ni cupide plaisir à vaincre. Ces iris reflétaient l'aridité la plus totale, Kar était tel le désert que l'on personnifiait dans les contes, un être solitaire, un horizon vide de sens. Ryun, plongé dans le passé, continuait d'avancer, les yeux toujours à demi-clos. Marchant, tout droit, s'en s'arrêter, guidé par des forces qui dépassait l'entendement ; il marchait, pour lui, pour ce triste et dépossédé prince qu'il avait juré de servir.
Lorsque Kar se retourna pour la énième fois, Ryun était plus loin encore. Ses yeux, surtout, l'inquiétaient ; ils étaient vides et solides, Kar l'aurait juré. Comme à chaque fois, il lui demanda :
− Ryun, tu suis ?
Mais le chat ne répondit pas. Alors il l'appela une nouvelle fois.
− Ryun ?
Toute l'équipée était à présent à l'arrêt, alerte. Tous fixaient le chat, qui quoi qu'il restait muet, continuait d'avancer dans la neige. Le noble lion Lokan ne trouva aucune blague d'assez mauvais goût pour crever le silence ; tous suivaient du regard le chat, qui d'un pas lent, continuait sa progression. Kar, troublé par un tel spectacle, rejoignit en quelques foulées le félin sur le point de sombrer. Une petite voix fluette lui parvint finalement.
− Kar. L'appelait-elle. Ne m'attend pas. Je te suis. Je te le promets.
Brisé, à peine perceptible, ce fin filet de voix venait de lui percer le cœur. Quel qu'en soit la raison, quelque chose, au-delà du raisonnable, poussait ce petit corps fragile à se dépasser, à aller plus loin en avant. Pourquoi ne s'en était-il pas rendu compte plus tôt ? Il était évident que le chat ne tiendrait jamais toute la traversée, mais Ryun lui avait tellement affirmé le contraire, qu'il avait voulu y croire. Et le voilà maintenant devant lui, dans l'état qu'il avait atteint pour arriver aussi loin. Le tigre ne savait quoi en penser. Il porta le félin à ses bras et le blottit sous sa cape, tout contre sa fourrure. Refermant le manteau, le petit chat roulé en boule resterait bien au chaud.
Un étrange silence accompagnait soudain les voyageurs, seul berçait Ryun, protégé du froid, le chant de la Montagne et quelques battements de cœur.
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