Into the Earth
「
Into the Earth, de Lorna Shore
par ciriice
」
tw : crise hallucinatoire, gore, scène(s) perturbante(s)
« Serait-ce la fin ou bien le commencement ?
Un élan de lucidité ou un cauchemar se déroulant sous mes yeux ? »
⛧
Froid. Il faisait très froid dans ces rues urbaines presque désertes, illuminées par les lampadaires extérieurs. L'automne venait de faire son grand retour à coup de grosses baisses de température et de pluies torrentielles infatigables. Jour et nuit, il pleuvait. Matin et soir, les gros nuages restaient, campaient dans ce ciel autrefois azuré. Mère Nature perpétuait sa lamentation, goutte après goutte contre le bitume, tapant contre les carreaux des différentes habitations et commerces locaux. Parfois, elle grondait au point de fendre l'horizon par des étincelles éblouissantes et bruyantes, semblables à l'annonce d'une catastrophe imminente aux conséquences irréversibles. Les journées se confondaient et se ressemblaient. C'était une étrange monotonie à laquelle Jung Hoseok, assis sur son tabouret, tentait tant bien que mal de se familiariser.
Plus les jours passaient et plus l'obscurité s'imposait de plus en plus tôt. C'était ce qu'avait constaté le jeune homme dans la boutique où il travaillait, peu de temps auparavant. En plus de ça, l'air était devenu aussi glacial que celui de la banquise. Il pouvait sentir la fraîcheur de son environnement se glisser au travers des coutures de son gros pull noir en laine et caresser délicatement son épiderme quelque peu hâlé, lui donnant la chair de poule. Il faudra vraiment que le boss active le chauffage, pensa-t-il alors qu'il se frottait les bras dans le but de se réchauffer en vain. Il se doutait bien que ses frottements ne serviraient à rien ; cet infime courant d'air serait toujours là, à mordre sa chair et grignoter chaque centimètre de celle-ci avec ses mâchoires aiguisées.
Une cliente courageuse entra, la clochette annonçant son arrivée. Elle frotta ses bottes en cuir contre le paillasson après avoir abaissé la capuche de son manteau. Ses yeux manquèrent de quitter ses orbites. Il y avait de quoi quand on se retrouvait dans un tout petit disquaire qui se révélait être la caverne d'Ali Baba. Peu importe où elle poserait son regard, elle tomberait sur un mont de CD's empilés, des bacs remplis à ras bord de vinyles ; il y en avait absolument partout.
Hoseok la laissa faire et elle se dirigea directement vers le grand meuble où étaient rangés et classés les nouveaux arrivages d'albums de rock et de métal. Son cœur pencherait-il pour le tout dernier album de Lamb of God ? Peut-être était-elle plus branchée Nu-Métal ? Se jetterait-elle sur les occasions sur tous les albums d'Iron Maiden ? Qu'importe, ce serait contre-productif s'il était allé la solliciter dès son entrée dans la boutique. C'était important de laisser de la liberté aux clients qui entraient et sortaient du Hellfire Square. Sauf en cas de besoin de conseils, là le vendeur aurait dû quitter sa chaise et son comptoir réunis puis aller vers elle pour lui recommander les meilleurs disques du moment ou encore les perles rares méconnues du grand public, malgré sa nature très peu bavarde. En lisant ces quelques lignes vous devez vous dire : « comment diable a-t-il pu décrocher ce poste en étant aussi renfermé qu'une huître ? ». Hoseok lui-même se le demandait encore. Communiquer, faire ami-ami avec autrui, ça n'avait jamais été son truc. Il avait toujours préféré la solitude, dès son plus jeune âge. Il fallait dire, il y avait quelque chose de particulièrement stressant dans le fait d'essayer de socialiser avec les autres, sans se ridiculiser. Trouver les bons mots, une bonne phrase d'accroche qui aboutirait à une conversation sans pause. Avoir une attitude correcte, pas trop rebutante ni trop extravertie non plus ; le juste milieu quand on ne connaît encore personne. Hoseok n'avait jamais été doué pour ça. Que ce soit durant son enfance ou à l'âge adulte.
Pourtant, c'était sa passion pointue pour la culture Rock et Métal qui l'avait sauvé et par extension, qui lui avait permis de s'insérer dans le monde professionnel après son entretien. Son cœur avait fait tout le travail à la place de ses lèvres, à sa propre place. Oui, ce furent des morceaux jugés inaudibles pour certains, découverts à force d'errer sur Youtube, qui avaient aidé l'homme à tenir le coup. Ce furent des notes dissonantes et saturées qui avaient été ses plus fidèles alliées durant ses heures les plus sombres. La musique est éternelle et statique, contrairement aux amis et à la famille. Elle ne risque pas de vous trahir ou de vous abandonner, ni même de vous blesser. Au contraire, elle vous donne la force de vaincre, de vous lever chaque matin en vous disant « demain sera un jour meilleur ». Elle ne vous déçoit que très rarement et devient de fil en aiguille votre confidente, votre amie ; votre bouteille d'oxygène. C'était devenu l'un des principaux points d'accroche de l'ébène. Peut-être même le plus sain de tous ceux qu'il détenait.
Depuis, il travaillait ici, dans ce disquaire spécialisé au coin d'une rue d'Hongdae ; quartier connu de Séoul pour ses nombreuses boîtes de nuit et cafés à thèmes, sa musique indépendante et bien d'autres faits encore qui faisaient de cet endroit un lieu incontournable. Maintenant que l'automne était de retour, moins de monde s'aventurait le soir et préférait rester au chaud chez eux. Hoseok les comprenait totalement. Qui aimerait rester dehors durant ne serait-ce que deux petites minutes alors qu'il faisait deux degrés Celsius ?
Ses yeux cernés et maquillés de crayon noir, deux petites billes en métal entre eux sur le pont de son nez, se posèrent à nouveau sur la demoiselle qui trifouillait dans le bac à nouveautés de ses doigts manucurés. Il jeta alors un œil à l'immense horloge murale noire accrochée juste au-dessus de lui. Dix-neuf heures approchait : soit la fermeture du Hellfire Square. Encore cinq misérables minutes avant qu'il ne ferme la porte d'entrée à clé. La journée s'était écoulée si vite. Trop vite au goût du vendeur de vingt-cinq ans qui resta focalisé sur ces deux grandes aiguilles maîtresses du Temps, fiancées de sa vie faite d'échecs, de dégringolades, d'emprunts de chemins dangereux. Il n'y avait pas de quoi s'affoler, cependant Hoseok ne put s'empêcher de ressentir un certain malaise à la vue de cet horaire. Sa gorge devint sèche et il manqua d'avaler de travers sa salive. Après dix-neuf heures, fini le boulot. Fini cette journée de distraction et de bonheur factice. Bonjour aux pensées obscures et à la horde de démons reclus tout au fond de lui ; à cette douleur folle lui labourant l'âme, encore et toujours. Il pouvait déjà entendre leurs rires stridents éclater tout proche de ses oreilles percées, imaginer quel sombre spectacle se jouerait encore sous ses yeux. Il frissonna d'appréhension et étouffa un cri de panique en plaquant violemment sa main sur sa bouche, les pupilles tremblotantes.
Tout va bien Hoseok, ça va aller ! Ça allait parfaitement bien jusque-là alors pourquoi ça n'irait pas à partir de maintenant ? Je suis bête haha, c'est dans ma tête tout ça ! Pourquoi est-ce que je m'inquiète comme ç–
— Au revoir, bonne soirée à vous.
La voix de la femme l'arracha de sa bulle d'angoisse d'un coup. Il eut à peine le temps de se tourner dans sa direction qu'elle avait déjà quitté les lieux, le tintement de la petite cloche ayant signalé son départ. J'aurais aimé que tu restes plus longtemps, se dit-il pour lui-même, une expression maussade voire désespérée sur son visage pâle. Oui, il aurait aimé qu'elle traîne quelques minutes de plus à l'intérieur, qu'elle vienne lui demander des renseignements, peu importe : le noir de jais aurait fortement apprécié qu'elle retarde l'arrivée de ses songes macabres, qu'elle distrait son esprit ténébreux de ses horribles chimères qui pullulaient dans son crâne. Il ne restait désormais plus que lui, l'averse tonitruante dehors et ce silence aussi apaisant qu'oppressant prenant place dans la boutique. Puis, il y avait elles. Elles qui ne partaient jamais vraiment, qui se tapissaient dans l'ombre durant un certain laps de temps pour revenir plus bruyantes encore. Elles qui laissaient Hoseok espérer que c'était fini pour de bon pour, au final, revenir le narguer avec sadisme et lui rappeler que toute cette merde ne trouverait pas de point final.
Il rassembla ses esprits, souffla un grand coup comme pour se donner du courage avant de quitter son comptoir et s'avança vers la porte d'entrée. D'un geste habile, il retourna la pancarte « Ouvert » sur « Fermé » puis tourna les talons. Il se mit alors à s'ajouter des corvées à faire de lui-même comme passer un léger coup de balais, ranger les vinyles qui dépasseraient du rayonnage, en ajouter d'autres alors que le rayon était déjà plein à craquer ; en s'éparpillant parmi celles-ci. Aucun trou ne doit être délaissé, il faut les remplir, tous ! – le vide le stressait et l'obsédait, même un infime espace devait être comblé – et d'autres tâches qu'il aurait pu effectuer le lendemain avant qu'il n'ouvre l'établissement. Ces tâches supposément urgentes n'étaient qu'un prétexte pour qu'il rentre plus tard chez lui. Car dans son appartement miteux à la crasse prononcée, il n'y avait rien à faire. Il n'avait rien à faire. Rien à part penser, penser encore, boire en quantité alarmante, délirer, fumer ; s'abîmer un peu plus qu'il ne l'était déjà. Pas d'occupations, rien d'intéressant ou de productif, ni même de personnes assez importantes pour leur rendre visite. Une vie sociale inexistante, une absence cruelle d'activités ; le néant total. Ses nuits étaient interminables. Elles l'étaient au point d'en devenir pénibles. Hoseok les haïssait de tout son être. Il les passait très souvent les yeux ouverts, recroquevillé sur lui-même et cramponné à ses draps, crispé et de la sueur se répandant sur l'entièreté de son corps maigrichon qu'il négligeait, à attendre que la crise passe.
Ce corps qui était sien, qu'il croisait chaque jour devant le miroir de sa salle de bain bouffé par le calcaire ou dans la vitre d'une voiture, était celui d'un autre. Un parfait étranger à l'apparence distordue avec des traits grossiers, un peu trop disproportionnés pour qu'ils aient l'air réalistes, voire humains. Son reflet ressemblait à l'un de ces affreux tableaux de Picasso ou à un tout premier dessin réalisé par un enfant ; sans perspective, à plat. Et à travers cette représentation floue de lui-même, il pouvait apercevoir ses organes et ses os comme s'il passait un scanner médical. Tout bonnement troublant. Il était transparent, se lisait comme dans un livre ouvert ; tous ses secrets devaient être cadenassés, ignorés de tous à tout prix. Cette vision était étrange, avait de quoi filer les chocottes et pourtant : c'était ainsi que se voyait le jeune homme.
Durant sa tentative infructueuse de rangement de la quantité de CD's qu'il détenait dans les mains, l'un d'entre eux chuta au sol. Hoseok pesta dans ses dents, posa ceux qu'il tenait encore contre lui sur l'une des étagères et se pencha vers celui échoué par terre. Dieu merci, il n'avait rien. En le voyant, le vendeur fronça des sourcils. Il le prit et le décortiqua plus en détail. Cet album n'avait rien à voir avec tous les autres qu'il avait pu recevoir jusqu'à présent. Il n'avait pas de jaquette. Le CD était aussi noir que sa propre chevelure et dessus figurait un nom en rouge sang, sans doute celui de l'artiste, mais il était illisible. Même avec une loupe, la lecture aurait été impossible. Tout laissait croire qu'il s'agissait d'un énième groupe de Black Métal ou de Grindcore qui cherchait à être le plus dark et cent pour cent Métal possible. Ce qui étaient supposés être les lettres composant le nom du groupe imitaient des branches d'arbres qui s'entrecroisaient ; le même type d'arbres que l'on retrouverait dans des forêts sinistres issues de contes d'Halloween pour les enfants. À la cime de cette typographie, se trouvait un minuscule croissant de lune. Tout mignon, tout discret, presque effacé comparé à toute cette armada de racines dessinant le nom de ce groupe inconnu.
La curiosité d'Hoseok venait d'être piquée vive. Plus les microsecondes s'effilaient et plus il ressentait l'envie d'embarquer cette pièce inédite avec lui. Il avait l'air d'un bambin découvrant ses cadeaux de Noël. Un sourire fendit ses lèvres, prit de plus en plus de place sur son faciès puis il se mit à sautiller sur ses jambes, tout en serrant bien fort contre sa poitrine l'objet comme on chérirait un nounours en peluche. Trouver cet album n'était pas un hasard. C'était un signe, une récompense... Un cadeau ! Oui, ça devait être ça ! Parce qu'il n'avait pas succombé et qu'il avait été sage ! Comme pouvait l'attester le décompte dans son téléphone, preuve irréfutable de sa bonne conduite ! Déjà six jours sans s'auto-saboter, sans avoir recours à de bonheurs éphémères et nuisibles pour accéder à une douce et agréable béatitude en échange de sa sainteté d'esprit ; c'était un exploit ! Il n'y avait pas d'autres explications plus plausibles que celle-ci.
Merci à vous, merci, merci !
— Vous êtes géniaux, chers anges gardiens, je vais en prendre grand soin ! s'exclama-t-il.
Hoseok ne se contrôlait plus. Sa jouissance était immense, difficilement canalisable, alors il la laissa le consumer. Son cœur palpitait, cognait bien fort dans sa cage thoracique, ses yeux se mirent à pétiller de mille feux, comme si on avait pris tout une galaxie entière pour la greffer dedans afin d'embellir et de donner de la vie à ce regard terne. Il aurait tellement aimé voir ces protecteurs devant lui pour les remercier à leur juste valeur, chaque fois qu'une chose positive se produisait au cours de son piètre quotidien. Ils ne se montraient jamais. Ces créatures devaient être trop timides. Mais Hoseok le savait, ils existaient. En chair et en os. Il les avait vu de ses propres mirettes, un soir d'hiver après avoir frôlé le fond, quelques années auparavant. Ils étaient apparus à lui tel un miracle, sous forme de trois halos puissants, d'une série d'images qui lui parlaient, qui résonnaient en lui. Un peu comme lorsque l'on trouve sa foi dans des circonstances fortuites. Dieu apparaît pour certains au pire instant de leur existence. C'est ce moment qui signe l'éveil de leur foi spirituelle, de la découverte de leur propre vérité. Quant à Hoseok, c'était ce qu'il appelait des « anges » qui s'étaient manifestés juste au-dessus de lui alors qu'il était allongé à moitié mort sur le parquet de son habitation, l'œillade vitreuse, amorphe. Et cette simple perception l'avait inconsciemment poussé à essayer de se battre contre son pire ennemi : lui-même.
Sa trouvaille mit donc un terme à son pseudo grand ménage – une priorité plus intéressante entre ses doigts – et il se précipita pour récupérer son sac dans son vestiaire dans l'arrière boutique avant d'éteindre toutes les lumières. La pluie l'accueillit lorsqu'il se retrouva dehors, chaque gouttelette qui entrait en collision avec lui le faisant chevroter mais assez pour faire baisser son enthousiasme. Une fois la porte du magasin fermée à clé, Hoseok entama une course jusque chez lui, de l'euphorie illuminant sur son visage d'habitude inexpressif, cette même extase qui rythmait ses pas contre le trottoir parsemé de flaques d'eau.
Seulement, Hoseok savait-il que ses remerciements s'adressaient depuis toujours à un interlocuteur fantôme ? Qu'il n'y avait jamais eu d'anges sauveurs, uniquement des mirages créés par son esprit désaxé ? Se consoler dans la folie était sans doute mieux et plus rassurant que d'affronter la dure et terrible réalité.
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Excité comme une puce, le vendeur s'était rué jusqu'à son appartement. Enfin, il ne s'agissait pas vraiment de son logement. C'était un studio une pièce aux murs blancs « hôpital » prêté et qui se situait à l'intérieur d'une résidence où les voitures roulant sur la route à proximité cadençaient les nuits de sommeil et journées des habitants, où l'on pouvait voir les marques laissées par le temps qui s'écoulait à l'extérieur. Des taches noirâtres coloraient les recoins de la pièce à cause de l'accumulation d'humidité. Très peu de meubles décoraient l'espace. Un vieux canapé clic-clac recouvert de draps aux motifs d'une autre époque. Une table guéridon en bois qui n'était plus d'actualité. Des palettes servant de meuble télé où reposait un petit écran et une console branchée à elle. La cuisine équipée se trouvait pas très loin et dans une autre petite pièce, se trouvaient les WC ainsi que la salle de bain... Sans oublier la montagne de détritus qui jonchait le sol de partout. Impossible de traverser cette mer de saleté sans shooter dans un gobelet de fast-food, dans un emballage de nouilles instantanées ou encore dans des bouteilles de bières vides. On aurait pu croire qu'il s'agissait d'un squat tant cet appartement était mal entretenu. Personne ne venait dans ce taudis qu'il payait à faible revenu, argent qui partait sans compter dans ses excès. Pas même ses parents qui, de toute façon, avaient toujours comploté dans son dos, tenté de lui faire du mal en lui balançant des tas et des tas d'inepties à la figure, sans se soucier de son ressenti et de ce qu'il se tramait dans son cerveau empli de fantaisies. C'était pour son bien, d'après eux. Pour le faire réagir, faire prendre conscience de sa situation, de sa décadence alarmante. Hoseok n'avait pas cherché à comprendre et avait décidé de son propre chef de quitter le domicile familial, après des journées entières à encaisser leurs dires. Maintenant, il était chez lui, son propre foyer, et vivait comme il le désirait, loin de ses géniteurs. Alors pourquoi s'embêter à tout nettoyer de fond en comble ?
Il traversa la route adjacente à son immeuble, dont la présence de bois ne faisait que renforcer la pénombre des environs. La lueur d'un lampadaire tout proche du bâtiment clignait une fois sur deux, éclairant et plongeant à la fois dans la nuit noire l'environnement. C'était particulièrement effrayant. On aurait presque pu se croire dans un thriller ou un récit d'épouvante à glacer le sang. Une fois à l'intérieur, Hoseok prit les escaliers et gravit les sept étages un à un. Une odeur de renfermé empestait dans l'air, senteur qu'il remarqua de suite et qu'il tenta de faire abstraction en plaquant sa main contre son nez. Une fois arrivé à son palier, il enfonça sa clé dans cette porte orange à la peinture défraîchie et ferma à double tours derrière lui. Son bordel familier l'accueillit lorsqu'il alluma la lumière de la pièce. Quand son sac fut déposé sur son clic-clac, le jeune homme partit illico fermer les rideaux des deux fenêtres présentes. Enfin, ce qu'il en restait...
Elles étaient barricadées de planches en bois récupérées par-ci par-là de l'intérieur, ne donnant par conséquent aucune vue de l'extérieur et amplifiant ce côté étriqué, confiné que l'appartement possédait déjà. Les rideaux ne servaient donc plus à rien mais, dans la logique d'Hoseok, ils avaient une utilité : apporter une sécurité, un camouflage supplémentaire pour ne pas être épié. Il en était certain, les personnes vivant dans l'immeuble d'en face complotaient contre lui, même avec moins d'une centaine de mètres qui les séparaient. Ils étaient là, dissimulés derrière leurs vitres et à fomenter un plan diabolique qui pourrait causer sa chute. Tout le monde cherchait à le briser d'une façon ou d'une autre, pour une raison ou une autre. Tous, sans exception et ce, depuis la fin de son enfance. L'univers entier était contre lui. On voulait le foutre à feu et à sang. Ses précieux protecteurs avaient raison sur toute la ligne, ils étaient porteurs de la vérité vraie et le lui avaient murmuré au creux de l'oreille chaque fois qu'ils étaient d'humeur loquace. L'œillade mauvaise de ses voisins de palier, qu'il croisait de temps à autre, sur sa silhouette toute vêtue de noir ne le trompait pas. Surtout celui de ce gamin à la bouille de lapin avec son œil de verre qui vit au second étage, lui c'était le pire de tous ! S'il le pouvait, le noir de jais le lui aurait énuclée à la petite cuillère dans son sommeil, mais il n'était pas assez fou pour céder à cette pulsion assassine qui le ravageait chaque fois que son regard croisait cet œil bleu pâle, presque translucide. Il y avait aussi cette vieille mégère du rez-de-chaussée, avec son air hargneux et ses robes affreuses à motifs fleuris que l'on voyait à plus de cinquante mètres tant on ne voyait que cela. Rien qu'à son visage, on pouvait lire clairement « ne viens pas me faire chier ». Sans parler de ses lorgnades insistantes sur son apparence, témoignant toute l'ouverture d'esprit dont elle pouvait faire preuve à son égard.
Hoseok n'osait imaginer ce que tous ces gens avaient en tête, quels macabres scénarios s'écrivaient dans leurs esprits quand ils pensaient à lui. Cela lui donnait la chair de poule rien que d'y penser ne serait-ce que quelques pauvres microsecondes.
Ce n'était pas le moment de s'adonner à des songes aussi funestes. Pourquoi penser si négativement alors qu'un tout nouveau cadeau l'attendait ?
Il jeta son sac à dos sur le canapé et se dépêcha de lancer l'album sur sa console, qui faisait parfois office de lecteur CD's, après avoir allumé sa télévision, le tout dans le noir et sans bruit pouvant parasiter tout cela. D'après lui, cela rendait l'expérience d'écoute plus immersive, plus intéressante.
— J'ai hâte, j'ai hâte ! Que le concert commence ! s'exclama-t-il tout en tapant dans ses mains avant de s'asseoir face à l'unique écran de cet espace.
Il pouvait sentir son estomac crier famine, se tordre sur lui-même à en mourir à l'instant où il s'assit sur le vieux sofa. Cela ne le dérangea pas plus que ça. C'était une douleur à laquelle il s'était habitué avec le temps, en esquivant parfois des repas car il n'avait pas assez pour remplir son frigo. Ce qui carburait son organisme se trouvait pas très loin. Elle reposait juste sous son nez, étalé sur la surface du guéridon comme un tas de poussières et ressemblait à de la neige. Cependant, Hoseok s'était promis de ne plus y toucher, pour la on-ne-sait-combientième fois, car il sentait que quelque chose se tramait en lui. Quelque chose de profondément mauvais qu'il n'arrivait plus à gérer, qu'il adorait tout autant qu'il détestait. Sur l'instant T, c'était l'extase. Après coup, le remords le tenaillait, lui faisait vomir jusqu'aux larmes et lui rappelait combien il se haïssait. C'était un cercle vicieux dans lequel il s'était retrouvé piégé, duquel il peinait à s'extraire. Cela faisait six jours maintenant qu'il tenait bon. Il pouvait le faire, il pouvait y arriver avec un peu de persévérance. Enfin, s'il lui en restait encore suffisamment.
Hoseok se concentra sur ce qui s'affichait sur l'écran de sa télé et la magie opéra. Scotché et perturbé, sous ses yeux défilaient des séquences bizarres, abstraites, au son de cette musique épique. Cette chanson, ce mélange entre beauté et brutalité, entre guitares saturées et cordes symphoniques : c'était comme contempler avec ébahissement une cathédrale jaillir des tréfonds de la terre. C'était grandiose, dégoûtant, fascinant et répulsif à la fois, l'ébène pouvait sentir ses entrailles à deux doigts de chuter par terre au chant guttural du chanteur, ne savait plus où se donner de la tête au rythme frénétique de la batterie, à ces notes expertes de guitare électrique. Il était dans un état second, avait l'impression de planer par-delà les cieux. C'était un ressenti inédit, jamais aucun groupe de Métal ne lui avait fait éprouver pareilles sensations.
My heart, my soul,
My body has grown so cold,
Converge, I crash
Into the earth !
Ce n'était plus un simple écrasement face contre terre, la terre l'avalait tout entier tant cette chanson le retournait. Malgré ces micro-chocs subis, le jeune homme tenta de rester attentif aux images que son téléviseur diffusait. Elles n'avaient aucun sens, aucun fil conducteur. Tout son contenu paraissait décousu, monté à l'arrache. Néanmoins, une petite voix intérieure soufflait à Hoseok qu'il devait forcément y avoir un sens. Un message caché qu'il se devait de décoder, que lui seul pouvait décrypter en faisant fonctionner ses méninges. Parce que c'était un bien offert par ses anges gardiens. Ils avaient choisi de le prendre sous leurs ailes majestueuses, agrémentées de plumes aussi douces que du coton, aussi blanches qu'un ciel hivernal, plutôt qu'un autre. Ce n'était pas un hasard, c'était sa destinée.
C'était une autre vérité qu'il se devait de comprendre à travers ces tableaux de décors urbains et naturels ravagés par les flammes, d'horizon orangé voilé d'une brume noirâtre, d'hommes et de femmes à l'expression tourmentée où il ne restait plus que leurs orbites ; répliques grandeur nature du Cri. Toute cette chaleur lugubre qui émanait de ces séquences déroutantes refilait des bouffées au noir de jais qui fit de l'air à l'aide d'une de ses mains, comme s'il se trouvait lui aussi au cœur du feu. Une voix saturée, pleine d'assurance et de conviction, se mit à parler, entamer un discours sérieux, toujours avec ces représentations apocalyptiques qui filaient face à lui :
Accueille cette bénédiction et laisse-toi aller à cette chute dans la lucidité.
Ce monde, matérialiste jusqu'à son noyau, est voué au chaos.
Comme de l'argile dans de la boue, ils sculptent tous leur plongeon, leur déchéance.
La destruction totale de ces nations sera le coup de grâce, la touche finale du chef-d'œuvre de l'Homme.
Le cours des choses va à contre-sens.
Tu es celui qui peut remettre de l'ordre dans cet environnement malveillant, parsemé de mille et uns vices.
Il est temps de te réveiller, Ô rêveur endormi.
Hoseok goba chacune de ces paroles à l'allure prophétique aveuglément, enregistra toutes les images retransmises sur son écran les yeux grands ouverts, la poitrine criblée de palpitations. C'était une révélation de plus qu'il apprenait, qui le dépassait de par son ampleur et seul, se recroquevillant de plus en plus sur lui-même comme dans un désir inconscient de ne plus être, il se tortura l'esprit sur ses propres capacités. Serait-il à la hauteur de cette mission ? Celle de vivre, de se surpasser et de faire entendre sa voix ? Prouver qu'il est entier, existe et que ses actions peuvent bousculer la tournure que prend la vie sur Terre ? C'était une trop grande responsabilité qu'on lui donnait là. Les anges lui faisaient beaucoup trop confiance. Il ne pouvait pas répondre à leur demande. Hoseok faisait partie de ceux qui abandonnaient, après avoir résisté le temps d'un instant. Il était de ceux qui subissaient, sans rien dire. Qui ont senti leur cœur se déchirer, à un moment ou un autre, et qui auraient préféré souffler la veilleuse lors de cette déchirure. Il n'avait aucun courage. « Lâche ». C'était le bon adjectif pour le qualifier. C'était ce qu'il pensait de sa propre personne. C'était ce que les démons dans son crâne lui hurlaient. C'était ce que ses camarades lui faisaient croire, dans les corridors obscurs de son adolescence, dans les méandres de son enfance avant eux. C'était ce qui l'avait amené à mettre le pied dans les abysses pour ensuite apprécier ces moments enténébrés jusqu'à s'oublier, puis les maudire ensuite.
— Je ne peux pas... Une merde comme moi ne peut pas... murmura-t-il tout en se frottant les bras avec nervosité.
Comment un moins que rien peut y parvenir ? J'y arriverai pas. Je n'y arriverai jamais.
L'euphorie était retombée. Les mêmes éternelles interrogations fusaient à la vitesse de l'éclair dans son esprit au point de lui donner mal à la tête tandis que son écran redevint noir et le jeune homme pria, pria encore en silence, pour que ses tourments se taisent, seul, dans ce studio devenu sa propre tombe ; le pigment de sa chair devenant écarlate à mesure que son inquiétude s'intensifiait.
Comment trouver le repos quand l'intérieur de votre crâne n'est que désordre et bruits parasites ?
⛧
Calme, tranquillité et apaisement. Voilà l'ambiance qui régnait à présent dans le studio du passionné de la musique Métal. Il n'y avait absolument aucun bruit. On pouvait même entendre les mouches voler tant le lieu était silencieux, digne d'un monastère. Allongé de tout son saoul sur son clic-clac transformé en lit, Hoseok sommeillait profondément, la bouche entrouverte et laissant à aller et venir l'oxygène ambiant. Morphée avait eu du mal à l'emmener au doux pays des rêves, tant il était préoccupé par ses questions alambiquées, farfelues sur les bords. Il n'avait cessé de ruminer encore et encore ses questionnements vides de sens, qui étaient vitaux à ses yeux. Ces longues minutes, comparables à une éternité, l'avaient gardé éveillé jusque très tard. Puis lentement la fatigue l'avait rattrapé et ses forces l'avaient quitté.
Dans son cerveau à l'imagination plus que débordante, la mélodie saturée écoutée plus tôt retentissait en boucle. Elle coulait littéralement dans ses veines, s'infiltrait dans chaque cellule de son corps malmené par ses années d'abus en tout genre. Hoseok n'était pas prêt de l'oublier. Ni ses sonorités paradoxales, ni le chant horrifiant du chanteur proche de celui des plus viles créatures dont le Pandémonium est leur foyer, aucun des éléments constituant cette chanson au titre inconnu ne tomberait dans les méandres de l'oubli. Il devait tout faire pour que cela n'arrive pas, surtout qu'il n'avait pas la moindre idée de l'avenir qu'il réserverait à ce CD's. Le garder rien que pour lui ? Le vendre ? L'expertiser auprès d'un meilleur connaisseur en la matière que lui ? L'ébène n'en savait franchement rien. Ça lui était passé par-dessus la tête, il fallait dire.
Il se sentait bien dans la douceur de sa couverture, mêlée à la tiédeur de son enveloppe charnelle. C'était réconfortant. Reposant sur son flanc gauche, Hoseok profitait de l'un des rares moments de quiétude dont il disposait. Il aurait aimé rester ainsi pour toujours : être invisible aux yeux de tous. Rester dans son quatre murs sans devoir bouger, peu importe la raison. Malheureusement, cela ne durait jamais bien longtemps. Car ces vilains cris revenaient, sans relâche. Ils ne le lâchaient pas et le plongeaient chaque fois que cela arrivait dans une psychose monstre dont il s'échinait à se défaire.
La nuit se prolongeait. Toutes les conditions pour passer de belles et paisibles heures de sommeil étaient réunies sous son toit. Jusqu'à ce qu'Hoseok ressente un drôle de poids écraser sa poitrine, ce qui le fit froncer des sourcils. Il avait la sensation que des mains invisibles tripotaient, pétrissaient son cœur jusqu'à l'éclatement. Peu à peu, c'est son corps qui s'échauffa au point qu'il finisse l'épiderme ruisselant de sueur. Il étouffait sous son plaid, suffoquait, sentait l'oxygène s'amenuiser dans cette pièce sous les cognements incessants de son organe vital qui pulsait à toute allure. Sa respiration anarchique, le jeune homme rejeta sa couverture, ses paupières solidement fermées et mourant de chaud. Il se mit à bouger tantôt sur la droite, tantôt sur la gauche, dans le but de trouver une position correcte qui le délivrerait de cette douleur vive qui se propageait dans sa cage thoracique. Bon dieu, que ça faisait mal. Il se mit à respirer bruyamment, rapidement, en quête d'oxygène pour remplir ses poumons. Soudain, il se mit sur le dos d'un grand mouvement et...
Regarde-toi, pauvre loque !
Tu fais pitié !
Dégage de là, l'anormal !
Tu t'es vu dans une glace, un peu ?! Personne ne voudra de toi !
Je suis sûr que cette nana en fin de journée ne reviendra plus, tant tu l'as dégoûté !
Le monde se passerait bien de ta présence inutile et de ton apparence repoussante !
Suppôt de Satan !
Cet appartement sera ta tombe, le nœud qui strangulera ta gorge !
Couic couic, Hoseokie !
Hoseok ouvrit grand les yeux à cette dernière parole prononcée toute proche, la panique s'immisçant seconde après seconde en lui.
Quelle ne fut sa surprise lorsqu'il découvrit plusieurs visages aux traits fantomatiques penchées juste au-dessus de lui, une kyrielle de flammes les encerclant. Il était putain de terrorisé face à ses faciès sans émotion, des trous noirs sans fond pour yeux et pour bouche. Ils ressemblaient à des morts-vivants et leurs paroles pleines de cruauté ne faisaient qu'accroître son effroi. Leurs voix entrelacées, d'outre-tombe, créait une cacophonie atroce faisant bourdonner son cerveau stigmatisé, siffler ses pauvres tympans au bord de l'explosion.
— Pas encore, allez-vous en ! hurla-t-il à se briser les cordes vocales, tout en enfonçant ses ongles dans sa couette.
Sortez-moi de là pitié, faites que ça s'arrête ! Je vais mourir, ils vont me tuer ! À l'aide !
Hoseok tenta de se protéger en levant l'un de ses maigres bras mais rien à faire, son corps ne répondait pas. Impossible de ne serait-ce que bouger le petit doigt. Il était cloué à même la surface dure de ce qui lui servait de lit, dans l'incapacité d'effectuer le moindre mouvement. Il ne sentait même plus ses membres, paralysé, l'impression désopilante d'être amputé. Ces spectres à la silhouette longiligne continuaient leurs moqueries tout en riant diaboliquement et secouant leur tête de façon frénétique. Fou, il était en train de devenir fou, ce n'était pas possible. Il était en pleine dérive devant cette scène aussi familière qu'atroce. Non, ce n'était définitivement pas la première fois que cela se produisait. Mais peut-être que ce serait la dernière, cette fois-ci. Il le suppliait de toute son âme désolée, dévorée par un mal qui ne faisait que trop durer.
Par delà ces figures fantômes, le noir de jais entrevit de la lumière. Trois grandes auréoles scintillantes, aussi brillantes que le soleil et les étoiles réunis. Ces mêmes lumières qu'il avait aperçu ce soir-là alors qu'il avait effleuré la mort. Ces mêmes ondes pleines de bonté et qui inspiraient une gratitude digne des dieux. Une seule et même divinité divisée en trois entités distinctes, tels le Père, le Fils, le Saint Esprit. Ses anges étaient là, postés sous ses yeux presque larmoyants, resplendissant d'une lueur puissante, si puissante qu'elle pourrait chasser les ténèbres les plus sombres. Hoseok fut pris d'un fou rire libérateur à leur vue, le front ruisselant de sueur. Son expression faciale n'était plus que démence joviale. Quelle joie de les revoir !
— J'savais que vous reviendrez ! S'il-vous-plaît, tirez-moi de cet horrible endroit !
Les cercles lumineux restèrent statiques, indifférents face à la détresse du jeune homme.
— Hé ho ! Vous m'entendez ?! Venez là ! cria-t-il par dessus le vacarme provoqué par les voix abondantes de haine.
Rien n'y faisait. Ils restèrent plantés là, à faire perdre de plus en plus la patience d'Hoseok qui s'agitait davantage à leur non-action. L'environnement se mit à tanguer d'un coup, renforçant le malaise palpable de ce dernier. Il ferma les yeux, tentant de calmer cette nausée inattendue qui allait et venait dans son œsophage, puis les rouvrit dans la seconde qui suivit. Sa réjouissance s'estompa, sec.
Ses précieux protecteurs s'étaient volatilisés. Les présences fantomales s'étaient dédoublées et quant au feu les cernant, il ne cessait de s'épanouir, de grandir, encore et encore ; indéfiniment. Hoseok craqua à ce constat. Son visage se contorsionna dans une expression furax et les larmes contenues dans ses mirettes éreintées déferlèrent à torrent le long de ses pommettes saillantes, sa langue devenue hystérie.
— Revenez ici tout de suite ! Je vous déteste putain, je vous hais tous ! Allez vous faire foutre, vous et votre mission divine à la con !
Je suis condamné à revivre ce cauchemar tant que je serai vivant.
Quelque chose se passa en lui à cette réflexion. Quelque chose qui remit tout en question sur ces derniers mois écoulés, sur sa personne, sur la supposée existence de ces anges qu'il croyait plus vrais que nature. Une pensée terrible qui retentit en lui comme une épiphanie, qui l'accabla.
Il rêvait. S'égarait. Maintenant, comme les jours précédents. En permanence.
Toutes ces visions qu'il percevait, toutes ces choses qu'il entendait n'était que des projections de son imagination débordante, aliénée. Malgré la chaleur ambiante, Hoseok ressentit des sueurs froides. Était-ce le début de la fin ? Un nouveau commencement ? Ses parents avaient donc raison depuis tout ce temps ? Perdait-il la raison ?
Ayant retrouvé un soupçon de lucidité, Hoseok essaya de se libérer de ce maléfice. Il tenta de gesticuler, de passer outre les piques que lui balançaient ces démons dépourvus d'yeux, de reprendre le contrôle de lui-même et des événements qui se déroulaient. Cet enchantement était coriace. Aucun sort ne pouvait le briser. Hoseok se mit à tousser. Faiblement puis violemment, à la limite de répandre ses entrailles sur lui. Un arrière-goût immonde empesta son palais. C'était affreux, il fallait que ça sorte. Qu'il régurgite ce relent dégueulasse qui comprimait sa gorge.
Tu es une véritable honte, Hoseok !
Personne ne te sauvera !
De toute façon, tu ne le mérites pas !
Même le Diable ne voudra pas de ta présence en sa demeure, tellement tu es répugnant !
Dis bonjour à l'Autre Monde !
ToMbE aVeC nOuS !
Sa raison se faisait lacérer, déchirer de part en part par ces murmures stridents qui continuaient de gagner en volume sonore, au point de devenir inaudibles. Hoseok s'étouffa, puisa dans ses ressources pour se relever et apporta ses mains à sa gorge, sentant quelque chose remonter dans son gosier. Des bruits répugnants s'extirpèrent de ses lèvres sèches, les perles salées redoublèrent d'intensité et dans un énième toussotement, sa bouche obtint un début de libération, l'objet de son martyre enfin sorti.
Ses yeux prirent la forme de soucoupe lorsqu'il se rendit compte de ce que contenait sa bouche. Il éprouva à la seconde même l'envie, le besoin urgent de hurler à perdre la voix, tant ce qui se tramait était anormal et ô combien traumatisant.
Mais comment voulait-il crier son horreur alors que cette main décharnée, à l'aspect cadavérique, dégoulinante de liquide vermillon et de salive était coincée dans sa propre gorge ?
Hoseok ne savait plus quoi penser. Il était démuni, impuissant face à cette situation impensable. Cela paraissait si vrai, si réel. Ni cette vision, ni cette compression féroce dans son œsophage ne pouvaient le tromper. Dans une poussée d'horreur et de dégoût, il chercha à retirer ce corps étranger dont il ne savait la provenance. De ses ongles, il alla gratter, taillader, déchiqueter à sang cette zone qui ne le faisait que trop souffrir, qui ne faisait qu'accroître son épouvante ; surtout que cette main devint un bras pour ensuite former, donner naissance à une charogne, faite de muscles atrophiés et de sève vineuse. Ce moment était sans fin. C'était comme avancer dans un tunnel sans en connaître le bout. Un aperçu de ce que c'est de croupir dans l'abîme infernal. De mourir à petit feu. Sentir son âme s'envoler, puis périr.
Pourtant, il ne pouvait pas rêver mieux. La Faucheuse était plus mortelle que jamais, toute proche de lui sous sa plus belle cape noire et la plus tranchante de ses faux, comme dans ses espérances les plus sordides. Mais Hoseok s'accrochait à sa vie. Aux misérables secondes qu'il lui restait à vivre. Être confronté à la mort était mille fois plus éprouvant qu'il ne se l'était imaginé. Le comble pour lui, qui attendait sagement qu'elle vienne à lui pour le réduire en cendres, mettre sur arrêt ses pensées folles ingérables, paranoïaques et ses souvenirs d'antan qui le hantaient encore telles des âmes errantes. Du plus profond de son être, il l'avait patienté, conjuré sa venue alors qu'il trouvait refuge dans ses albums de Métal et l'attention illusoire que lui octroyaient ses anges invisibles. Désormais, il l'implorait de l'épargner par des œillades suppliantes, des bafouillages incompréhensibles, tout comme il suppliait ces monstres aux corps fins à la langue venimeuse de stopper leurs mantras malicieux à son égard. Il était encore trop tôt pour abdiquer, trop tôt pour s'avouer vaincu face aux aléas de la vie, à la maladie ayant infecté sa raison, à l'addiction gangrenant son organisme.
Mais après une lutte acharnée, l'agitation dans l'appartement de l'ébène se mut vacarme mortuaire. Plus de cris comparables aux crissements de pneus contre une route goudronnée. Plus d'élancement dans la poitrine, ni de visions dignes de film d'horreur, plus de spectres à d'apparence livide que l'on pourrait croiser au détour d'une paralysie du sommeil. Il n'y avait plus rien...
Excepté la carcasse inanimée du jeune homme sur son vieux canapé, la gorge couverte de griffes sanguinolentes, les iris révulsés, quelques mèches collées sur son front, de la mousse blanchâtre s'écoulant du bord de ses lippes asséchées.
La poudre blanche étalée sur son guéridon avait disparu. Son souffle vital s'était éteint. Ses démons internes avaient emporté la grande bataille. À force de flirter avec les ténèbres, on finit par y prendre goût et se laisser emporter à contre-courant dans ses gigantesques vagues, sans parvenir à remonter à la surface. Puis on se noie, coule un peu plus profondément dans ses abysses, s'éloigne de la lumière obstruant son eau funèbre avant l'ultime étape de cette déchéance : devenir épave.
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