Chapitre 75
Jour 78 : le midi
Toute la matinée, Louis et moi avons été la cible des regards et des murmures. Dès que nous passions quelque part, les têtes se tournaient, accompagnées de chuchotements moqueurs ou de ricanements étouffés.
Dès que nous nous tenions la main, certains faisaient exprès de parler plus fort pour que nous les entendions.
– Sérieusement, Louis et elle ? Je croyais qu’il avait encore un peu de dignité...
– Bah, après tout, qui se ressemble s’assemble. Ils sont aussi paumés l’un que l’autre.
– Un mec chelou et une fille transparente… C’était évident qu’ils finiraient ensemble.
– Ça y est, il est tombé aussi bas qu’elle…
Les mots me frappent de plein fouet, me nouant l’estomac. Sauf que je n’ai même pas le temps de me laisser submerger que d’autres paroles m’atteignent.
– Franchement, il aurait pu viser plus haut… Il était pas censé être populaire, ce mec ?
– Louis, avec son look de pseudo rockeur torturé… Pfff, il fait pitié !
– Sérieux, c’est une blague ? On dirait qu’elle s’accroche à lui comme une sangsue.
– Il doit se sentir obligé, Monsieur le chevalier servant…
À côté de moi, je sens le corps de Louis se tendre. Son visage reste impassible, mais je devine la tempête à l’intérieur. Lui aussi les entend et pourtant il encaisse.
Quand les remarques deviennent trop cruelles, j’aimerais me boucher les oreilles, d'un autre côté ça ne servirait à rien. Les mots résonneraient toujours dans mon esprit.
Heureusement, Louis reste un pilier. Il m’entraîne, évite les groupes d’élèves trop bruyants, tente de faire diversion, même si parfois on ne peut pas tout éviter.
Nous sommes officiellement devenus, en une seule journée, les bêtes noires du lycée.
– Je me demande ce qu'ils nous ont concocté à la cafétéria ce midi, plaisante-t-il, essayant de détendre l’atmosphère.
Son ton léger fonctionne... mais seulement quelques secondes.
– Je n’ai pas très faim, murmuré-je, morose.
– Par pitié, ne commence pas, Heavan. Tu vas bousiller ta santé juste pour éviter ces crétins ?
– Ce n’est pas ce que je voulais dire…
– Vraiment ? Tu veux leur donner raison en t’effaçant, en disparaissant derrière des murs ? Tu as autant le droit d’être ici qu’eux. Alors ne t’inflige pas ce fardeau. Ce midi, tu vas aller manger, de gré ou de force. Quitte à te porter sur mon dos ! s'exclame-t-il avec un sourire en coin.
Ces mots me détendent jusqu'à ce que des rires moqueur fusent derrière nous.
– T’as vu ça ? Il sort vraiment avec elle ?
– Il s’est lancé dans un projet humanitaire ou quoi ?
– C’est gênant...
– Il joue avec elle, c’est sûr. Ou alors, il est devenu aussi paumé qu’elle.
– Faut croire qu’il aime s’occuper des cas désespérés…
Je baisse la tête, sentant une brûlure désagréable monter dans ma gorge.
– Tu les as entendus, comme moi… J’ai l’impression d’avoir fait quelque chose de mal.
– Et pourtant, ce n’est pas le cas. Ne cherche pas à comprendre ces idiots, ça ne servirait à rien. Ne leur donne pas de grain à moudre.
– Mais…
– Chut !
Celui-ci se penche vers moi, ses doigts froids mais délicats glissant sous mon menton afin de relever mon visage. Mes yeux se noient dans les siens.
– Mets-toi bien ça dans la tête, Heavan. Tu m’as à présent, et moi je t’ai. Nous sommes plus forts ensemble. Le reste n’a aucune importance.
D'autres brimades nous parviennent alors que nous sommes seul dans les escaliers :
– On dirait un couple de rejetés.
– Bah, c’est logique, non ? Ils sont faits pour être ensemble, les losers finissent toujours ensemble.
Faire face aux jugements des autres a toujours été une épreuve insurmontable pour moi. Aujourd’hui, cette peur atteint un sommet que je ne me sens pas capable de franchir.
– Ça va être au-dessus de mes forces, Louis...
Ce dernier ne répond pas tout de suite. Une lueur de déception traverse son regard, ce qui me brise le cœur. Je ne veux pas qu’il ressente ça à cause de moi.
– Tu sais, souffle-t-il, tu m’as fait prendre conscience de qui j’étais réellement. Tu m’as ouvert les yeux malgré toi, tu me donnes envie de vivre pleinement. Alors tu ne crois pas que j’ai peur, moi aussi ?
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Ce ne sont pas des mensonges. Avant, je me cachais derrière un masque. Derrière ma musique, derrière un style qui me donnait confiance en moi. Aujourd’hui… c’est toi qui me donnes le courage d’affronter ce que j’ai toujours fui.
Ses mots me frappent en plein cœur.
Je voudrais tellement pouvoir dépasser mes propres peurs. Je sais que Louis peut m’aider, mais je ne peux pas changer du jour au lendemain. Il faudra du temps. Il faudra des efforts, mais comme il le dit, je dois essayer.
– D’accord.
Il plisse les yeux, incertain.
– Je vais aller au self avec toi.
Un sourire éclaire aussitôt son visage. Je crois bien que c’est la première fois que je le vois sourire avec autant de sincérité, avec autant de lumière dans les yeux.
Peut-être qu'il s’est réveillé grâce à moi, alors peut-être que moi, je le peux aussi à travers lui.
Derrière nous, les messes basses continuent tandis que je sens une chaleur intense monter en moi :
– Il faut qu’ils arrêtent de se croire dans un film.
– Tu as vu ça ? Ils sont pathétiques à voir ensemble. Ils cherchent la pitié des gens ou quoi ?
Mes doigts se crispent, mais Louis serre doucement mes mains dans les siennes, me rappelant qu’il est là.
Nos regards s’accrochent comme s’ils se parlaient en silence. Il n’y a rien d’autre autour de nous. Juste ce lien invisible, cet équilibre fragile qui nous unit.
Là, dans ses yeux, je parviens enfin à faire abstraction du reste du monde.
Sans même m’en rendre compte, nos visages se rapprochent.
J’ai besoin de lui. Je le sais. Il me rend déjà plus forte. Il peut m’aider encore davantage.
Il est là, à la fois le jour et la nuit, l'ombre et la lumière.
Nos souffles se mêlent, nos lèvres s’effleurent à peine, mais avant que ce moment ne devienne tangible, la sonnerie stridente du lycée explose à mes oreilles.
Des rires s’élèvent, des conversations s’animent autour de nous, brisant la bulle qui nous entourait.
– Prête à aller manger ? murmure Louis, son souffle frôlant ma peau.
À cet instant précis, une seule envie me traverse : être seule avec lui. Dans un endroit où personne ne pourra nous arracher à cet instant suspendu.
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