Chapitre 67
Jour 76 : Le soir
Après avoir passé la journée à regarder des films comme deux bons potes, Louis a décidé de se mettre aux fourneaux tout seul, sans mon aide.
Advienne que pourra !
Ce dernier a mis de la distance aujourd’hui, et ça m’interroge. J’aimerais lui demander pourquoi, mais je me retiens. Je suppose qu’il se sent gêné après cette nuit. Moi aussi, en temps normal, je le serais. Sauf qu’avec lui, je commence à me sentir de plus en plus à l’aise. Lui, en revanche, fait comme si aucun rapprochement n’avait eu lieu.
– Je veux vraiment réussir à te préparer quelque chose de mangeable ! se défend-il face à mon air moqueur.
– Je n’ai rien dit ! Seulement… tu es en train de renverser la bouteille entière de sauce César dans la salade.
– Faut que ça ait du goût !
Je l’observe reposer précipitamment la bouteille avant de mélanger la salade avec une application douteuse.
– Ça ne m’a pas l’air trop mal, marmonne-t-il, l’air faussement confiant.
– Tu devrais éteindre ton gaz, sinon tes œufs vont finir par cramer.
Il sursaute et court vers les plaques. Je réprime un sourire. C’est frustrant de rester là, à ne rien faire, mais le voir s’acharner aux fourneaux est un spectacle en soi.
– Ça donne toujours aussi chaud de cuisiner ? se plaint-il, passant un revers de main sur son front.
– Pas si tu gères bien, non.
– Madame-je-sais-tout-faire… râle-t-il en versant les œufs brouillés dans nos assiettes.
– Tu as tort, tu sais. Il y a beaucoup de choses que j’aimerais être capable de faire, mais que je n’arrive pas.
Ce n’est pas une invitation déguisée, juste une vérité que je laisse filer, sans trop y penser.
– En parlant d’incapacité… il va vraiment falloir que je t’apprenne à gratter une guitare, Heavan. Laisser la tienne moisir accrochée au mur, c’est une honte.
– Honteux, carrément ?
Il opine, l’air exagérément révolté.
– Une guitare, ça ne prend pas la poussière comme un meuble. Soit tu t’en sers, soit tu la donnes à quelqu’un qui le fera.
– Je n’ai jamais eu le temps d’apprendre, et mon père n’a plus vraiment de disponibilité pour moi.
Louis s’immobilise. Son regard s’assombrit en une fraction de seconde. Ses poings, posés sur la table, se crispent jusqu’à blanchir ses phalanges.
Qu’ai-je dit de mal, encore ?
Lentement, j’effleure sa main du bout des doigts, cherchant à comprendre. Mais celui-ci ne bouge pas.
– Ça ne va pas ?
– Ce n’est rien, lâche-t-il d’une voix plus rauque, je te l’ai dit, j’ai un problème dès qu’on prononce ce nom.
Je fronce les sourcils, confuse. Son problème ? Puis, en repassant mes mots dans ma tête, je percute.
– Je ne savais pas…
– C’est moi, le souci. Pas toi. C’est normal que tu fasses allusion à ton père.
Le silence qui suit est glacial. Un mur s’est dressé entre nous, invisible mais oppressant. Dois-je commencer une liste mentale des sujets à éviter avec lui ? À ce rythme, le dialogue va vite devenir un champ de mines.
Quelques instants plus tard, alors que nous passons à table, je finis par briser la glace avec une remarque légère :
– Tes parents ne t’ont jamais dit que c’était malpoli de manger avec son téléphone à table ?
Louis ne lève même pas les yeux de son écran.
– Désolé, mais je dois régler un truc. Je ne voulais pas te laisser manger seule.
Il n’a pas l’air de l’avoir mal pris. Ou alors, il a choisi d’ignorer ma pique.
– Détends-toi, je rigolais.
– Tu as une ironie très hilarante, Heavan.
– On parle de la tienne ?
Il repose son téléphone, un sourire en coin.
– La mienne est travaillée.
– Ah oui ? Et comment, alors ?
Un éclair malicieux traverse son regard. Il attrape soudainement ma chaise et la tire brusquement vers lui. Mon cœur manque un battement lorsqu’il se penche à mon oreille.
– J’analyse. Je réfléchis. Je reformule. Et je balance.
Sa voix grave, son souffle effleurant ma peau… Son sourire amusé alors qu’il dépose un baiser léger entre chaque mot…
Je devrais rire, sauf qu'au lieu de ça, un frisson remonte le long de mon dos.
– Tu vois ? Ça, c’est travaillé, Heavan.
Il marque une pause, puis ajoute, tout bas :
– Dors avec moi cette nuit.
Je me fige. C’est direct. Trop direct !
– Pourquoi ?
– Pourquoi ? Je n’ai pas envie que tu détruises davantage le canapé.
Son ton détaché n’est qu’une façade. Il ne veut pas montrer ses faiblesses. Moi, je ne les contrôle pas.
– Pauvre canapé…
– En effet. Il n’est même pas à moi. Je n'ai pas envie d’avoir des problèmes avec les proprios.
Il me fixe, son sourire s’élargissant peu à peu. L’intensité entre nous grimpe, mais jusqu’où ? Jusqu’à ce que Louis redevienne froid et insensible ?
Je prends une inspiration et tranche :
– D’accord.
Ses sourcils se haussent, surpris, mais son expression bascule aussitôt dans un amusement moqueur.
– Tu es plutôt dévergondée pour une fille coincée.
La gifle part avant même que je ne la contrôle. Son visage bascule légèrement sous l’impact. Une marque rouge s’imprime aussitôt sur sa joue.
Il reste figé, puis repose lentement ses yeux sur moi, l’air stupéfait.
– Tu m’as giflé...
– Tu m’as insultée !
– Ce n’était pas une insulte !
– Tu m’as rabaissée pour te sentir plus fort, parce que tu te sentais faible en me demandant de dormir avec toi !
Nos voix claquent dans la pièce. L’écho de notre dispute flotte entre les murs.
Louis ouvre la bouche, cherche ses mots, puis se ravise.
Moi je serre les poings. Je peux comprendre ses blessures, mais ça… ça, c’est trop !
Louis finit par lâcher, plus bas :
– C’était idiot de ma part. Je ne le pensais pas.
– Alors pourquoi l’avoir dit ?
Il inspire, puis souffle, agacé :
– Je n’en sais rien ! Je ne veux pas me trouver d’excuse, mais parfois, je parle sans réfléchir.
– Pourtant, tu analyses, tu réfléchis, tu reformules… et tu balances, non ?
Son regard croise le mien. Pendant un instant, il esquisse un sourire.
Mais moi, je n’ai plus envie de rire.
Sans un mot, je me lève et tourne les talons avant de redevenir faible face à son regard.
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