Chapitre 66
Jour 76 : le matin
Quand j’ouvre les yeux, Louis n’est plus à mes côtés. Le canapé, trop étroit pour deux, a laissé des courbatures sur mon dos et mes épaules. Je me redresse difficilement, encore enveloppée par la chaleur résiduelle de la nuit passée, quand une tasse fumante apparaît sous mon nez.
– Chocolat chaud ?
Je relève la tête, surprise. Comment a-t-il deviné ?
– J’ai bien retenu la leçon, la dernière fois que j’ai dormi chez toi.
Ah, ce week-end-là… J’avais presque oublié. Il a donc fait attention. Cette pensée me réchauffe, et un sourire naît sur mes lèvres malgré moi.
– Merci.
– Bien dormi ? ajoute-t-il, un éclat narquois dans les yeux.
– Tu ne serais pas en train de te moquer de moi, par hasard ?
– Un chouïa.
Son sourire espiègle ne le quitte pas, et avant même que je ne puisse répliquer, il réduit la distance entre nous. Son visage s’approche dangereusement du mien, le regard pétillant d’une malice calculée.
– J’aime bien te charrier, et ça marche à tous les coups.
L’air dans mes poumons se raréfie. Ce petit jeu entre nous… il l’a commencé depuis quand, au juste ?
Comme s’il lisait dans mes pensées, son index vient doucement tapoter ma tempe.
– Qu’est-ce qu’il se passe là-dedans ?
Je cligne des yeux, déstabilisée.
– Je… Je me demandais seulement quand est-ce que tu avais commencé ce jeu.
Un rictus effleure ses lèvres.
– Quand ? Depuis le tout début, Heavan.
Je retrouve mes esprits alors qu’il s’écarte enfin, me laissant respirer un peu mieux. Il est de bonne humeur ce matin… autant en profiter.
– Je peux te poser une question ?
Il arque un sourcil, se dirigeant vers le frigo.
– Ça dépend du sujet.
Pourquoi cette méfiance soudaine ? Tant pis, autant y aller franchement.
– Tu n’habites pas avec tes parents ?
De là où il se trouve, la tête à moitié plongée dans le frigo, je vois ses épaules se tendre. L’air léger qu’il affichait quelques secondes plus tôt s’évapore en un instant.
– Tu as d’autres questions de ce genre ?
La porte du frigo claque sèchement, puis il me fixe, son regard me clouant sur place.
– N-non…
Ma gorge est sèche. Ai-je dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?
Je baisse les yeux vers ma tasse encore fumante, honteuse d’avoir brisé l’ambiance.
– Désolée, je n’aurais pas dû…
– Non. C’est moi.
Sa voix a perdue de son mordant. Sur le coup, je n’ose pas relever la tête. Puis, intriguée, je l’observe du coin de l’œil. Louis semble ailleurs, fatigué. La tension raidit sa mâchoire, et ses poings se serrent malgré lui.
– C’est compliqué, finit-il par dire, fixant un point invisible devant lui.
Ce dernier se laisse tomber sur le canapé, à mes côtés. Ses mains se frottent nerveusement l’une contre l’autre, un soupir lui échappe. Puis, dans un geste distrait, il passe ses doigts dans ses cheveux en bataille, quelques mèches retombant sur son visage.
– Disons que… mon père et moi, on ne voyait pas les choses de la même manière.
Il marque une pause, hésite, puis lâche d’une voix plus sourde :
– C’était mieux que je parte.
Celui-ci ne détaille pas, et je comprends qu’il ne le fera pas. Mais ses traits crispés, son regard fuyant et la manière dont il frotte machinalement son poignet me laissent deviner une vérité plus lourde qu’il ne veut bien l’admettre.
– Et ta mère ?
Un silence. Puis un haussement d’épaules.
– Je ne l’ai jamais connue.
Je déglutis, gênée. Il a donc toujours été seul ?
– Mais alors, cette maison appartient à qui ?
Sa posture se détend légèrement.
– À la famille d’un ami. Ils m’ont bien aidé.
– Tu vivais où avant ?
Il relève la tête vers moi, un sourire taquin étirant ses lèvres.
– Tu vas te foutre de moi, Heavan.
– Pourquoi ça ?
– Tu ne comprends vraiment pas ? Ai-je aussi vite perdu mon accent que tu ne l’entends même pas ?
Son accent ?
Je fronce les sourcils, intriguée.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
Il se lève, puis se tourne vers moi, hilare.
– Dis-moi, j’avais combien de chances de tomber sur une fille qui vient du même pays que moi ?
Mon cœur rate un battement.
– Pardon ?!
Louis semble amusé alors que je fronce les sourcils, perdue dans ses paroles.
– Tu n’as donc jamais rien remarqué ? dit-il avec un sourire en coin.
– Remarqué quoi ?
Il lâche un soupir exagéré, secouant la tête comme si j’étais irrécupérable.
– Heavan… À ton avis, pourquoi, la première fois qu'on s’est parlé, j’ai tiqué sur ton accent ?
Je cligne des yeux. Un accent ? Moi ? Il plaisante ?
– Mon accent ? J’ai pas d’accent.
– Justement, tu n’entends pas ton propre accent, mais moi, je l’ai tout de suite reconnu. Parce que j’ai le même.
Un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale. « Là-bas » ?
– Attends… Tu veux dire que…
Il croise les bras, l’air faussement vexé.
– Sérieusement, tu n’as jamais capté ? J’étais persuadé que tu l’avais compris depuis longtemps. Mais bon, puisque nous avons le même accent, c'est peut-être pour cette raison que tu n'as rien compris.
Mon cerveau se met à carburer. Son phrasé, certaines expressions qu’il emploie… Et ce jour, en cours d’anglais, quand il m’a lancé cette remarque… Mon souffle se bloque.
– Non… C’est pas possible !
Il rit doucement avant de lâcher :
– Le Dakota du Nord, Heavan ! Même ville, même coin paumé !
Je reste bouche bée, incapable de dire quoi que ce soit. Le destin s’amuse avec nous, clairement.
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