Chapitre 56
Jour 61 : le soir
– Heavan… qu’est-ce qu’elles t’ont fait ? murmure-t-il, son regard glissant vers moi.
Son visage est fermé, mais ses yeux… ils trahissent tout. Une inquiétude sincère, mêlée à une colère sourde qu’il s’efforce de contenir. Ses mâchoires sont contractées que je peux presque sentir la tension qui émane de lui.
Je baisse les yeux, incapable de parler. La honte m’envahit, et je me rends compte que si je commence à parler, si je lui dis ce qu’il s’est passé là-dedans, je vais m’effondrer.
– Rien… elles n’ont rien fait, dis-je d’une voix cassée, mais même moi, je n’y crois pas.
Louis reste silencieux, mais je sens son regard lourd sur moi. Il ne me presse pas, mais son silence est plus éloquent que n’importe quelle parole. Je sais qu’il attend, qu’il me laisse l’espace de parler, si je le souhaite.
– Elles m’ont juste… un peu taquinée, finis-je par lâcher, les mains tremblantes.
– Taquinée ? répète-t-il, la voix plus grave, presque glaciale.
Je lève les yeux vers lui. Son visage est impassible, mais ses poings se serrent sur le guidon et sa mâchoire se contracte si fort que j’ai peur qu’il finisse par exploser.
– Heavan, ne me mens pas. Qu’est-ce qu’elles t’ont fait ?
– Ce n’est pas grave ! insisté-je faiblement. C’est juste… Elles ont été un peu mesquines, mais je vais bien, vraiment !
Il secoue la tête, incrédule, et passe une main dans ses cheveux, visiblement à bout.
– Pas grave, tu dis ? Tu étais terrifiée quand tu es sortie de cette maison, Heavan. Tu crois que je n’ai pas vu ?
Il marque une pause, son souffle court, comme s’il luttait pour garder son calme.
– Quand je t’ai vue là, devant la porte… T’avais l’air tellement… brisée, lâche-t-il finalement, la voix rauque, presque étranglée.
Je reste figée, ses mots me percutant de plein fouet.
– Je veux juste savoir ce qu’il s’est passé, reprend-il, son ton plus doux, presque suppliant, pas pour les juger, pas pour te juger, mais parce que… parce que je ne supporte pas de te voir comme ça, Heavan.
Son regard plonge dans le mien, et je sens ma gorge se serrer. Ses yeux sont remplis d’une chaleur intense, mais aussi d’une détresse que je n’avais jamais remarquée auparavant.
– Si elles t’ont fait du mal, je… commence-t-il avant de s’interrompre comme s’il n’osait pas terminer sa phrase.
Je détourne les yeux, incapable de supporter ce mélange de colère et d’inquiétude dans son regard.
– Ça va aller, Louis. Vraiment.
Je le dis autant pour moi que pour lui, mais au fond, je ne suis pas certaine de croire à mes propres paroles.
Louis inspire, me tendant au passage un casque alors que je reste stoïque, incapable de lui dire à quel point j’ai eu peur, à quel point ces filles ont fait vaciller toute la confiance que je m’efforce de construire jour après jour.
Louis met un temps interminable à démarrer sa moto. Assis derrière lui, je ne peux m'empêcher de sentir sa tension émaner de chaque geste, de chaque mouvement retenu. Ses épaules, d'habitude si décontractées, sont tendues, et il fixe l’horizon comme s’il cherchait à canaliser une tempête intérieure, comme s’il n’arrivait pas à digérer ce qu’il venait de voir.
D'ailleurs, je ne m'attendais pas à ce qu'il ait le permis. Après tout, ici, en France, ce n’est pas courant à seize ans. Moi, je n’ai même pas eu l’occasion de finir mes leçons de conduite avant de déménager. Mais ce n'est qu'un détail dans le tumulte qui traverse mon esprit.
– Je n’imagine même pas ce qui se serait passé si mon rendez-vous n’avait pas été avancé d’une heure, murmure-t-il finalement, sa voix grave, presque rauque.
Sa phrase tombe comme un couperet. Je ressens à quel point il est contrarié, je n’ai pas envie d’envenimer les choses.
– Oublie ça, Louis. S’il te plaît, on peut juste partir ? Je veux mettre le plus de distance possible entre moi et elles.
Je le supplie du regard, espérant désamorcer cette colère palpable. Il tourne la tête vers moi, lentement, et lorsqu’il croise mon regard, je vois une tempête déferler dans ses yeux sombres. De la colère, oui, mais aussi autre chose… Une vulnérabilité si intense qu’elle me coupe le souffle.
– J'aurais pu faire un scandale dans cette maison, finit-il par lâcher d’une voix sèche, cela dit, nous allons être plus intelligents qu'elles, toi et moi.
Je fronce les sourcils, mal à l’aise.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Ce que je veux dire, c’est que si j’avais agit selon ce que j’avais en tête au moment où j’ai vu ton visage à la porte… c’est moi qui serais passé pour le mauvais. Mais à charge de revanche, Heavan. À charge de revanche…
Il prononce ces mots avec une froideur telle qu'il me fait frissonner. Durant un instant, je le vois sous un jour différent et aussi étrange que cela puisse paraître, je ne ressens aucune peur. Je sais que là, quelque part dans mes tripes, que cette rage n’est pas dirigée contre moi, elle provient de ce qu’il a remarqué, de ce qu’il a ressenti en me voyant sortir de cette maison.
_ La vengeance n’est pas une solution, dis-je doucement, tu le sais, Louis. Ne te rabaisse pas à leur niveau, je t’en prie. Fais-le pour moi.
Ce dernier inspire longuement, fermant les yeux comme pour se calmer.
_ Tu as raison, finit-il par murmurer, sa mâchoire toujours aussi crispée, laissons couler pour ce soir. Je veux seulement passer un bon Halloween avec toi. Cela dit, je te promets, Heavan, qu’elles ne paieront rien pour attendre. Surtout elle.
Il pointe du doigt la maison, où je devine Angel derrière la fenêtre, observant chacun de nos mouvements. Quand leurs regards se croisent, elle sursaute avant de disparaître derrière le rideau.
– Louis…
_ Ne t’inquiète pas, je ne ferai rien de violent, dit-il avec un sourire presque malicieux, mais je n’oublierai pas.
Il me fait un clin d’œil, un geste si inattendu que je sens un sourire se dessiner sur mes lèvres malgré moi. Je ne sais pas ce qu’il mijote, mais je sens qu’il est sincère dans sa promesse de ne pas perdre le contrôle. Louis est comme ça : imprévisible, mais jamais injuste.
Il y a quelque chose entre nous, je le ressens de plus en plus. C'est une sorte d’alchimie inexplicable. Une force magnétique qui nous pousse l’un vers l’autre, malgré les différences, malgré les incertitudes. Peut-être que je me fais des illusions, peut-être qu’il n’y aura jamais rien d’autre que cette amitié étrange qui est née entre nous. Toutefois au fond, une petite voix me murmure que Louis et moi, c’était inévitable.
Dès le premier regard, quelque chose s’est passé. Quelque chose qui aurait pu mal tourner, mais qui, contre toute attente, nous rapproche un peu plus chaque jour.
Et là, alors que la moto démarre enfin et que je m’accroche à lui, je décide de laisser mes pensées s’évanouir parmis le bruit du moteur.
Pour ce soir, je veux juste me sentir en sécurité, là, derrière lui, où rien ni personne ne peut m’atteindre, hormis les battements de cœur de Louis.
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