Chapitre 44
Jour 40 : le soir
Je marche vers chez moi, encore sous l'effet de la journée, et Louis, comme un fantôme, traîne derrière moi. Mais il n’a pas l’air de vouloir me laisser tranquille, et je sens qu’il ne lâchera pas facilement. Il faut qu’il me parle, encore et encore.
– Comment tu l’as appris, Sherlock ? lui demandé-je, intriguée et un brin ironique.
– Arrête de m’appeler comme ça ! souffle-t-il, agacé. C’est un ami de l’autre classe de littérature qui a tout balancé.
– Quoi ? Un garçon qui est dans la même classe que Marie ?
– Je ne sais pas qui est Marie, réplique-t-il d’un ton condescendant.
– C’est ma seule amie. La seule personne qui soit toujours là pour moi, répondé-je d’une voix un peu plus douce, une fille géniale. Heureusement qu’elle est là, sinon… je me demande ce que je ferais parfois.
Malgré moi, je sens ma colère et ma rancœur ressortir. Je le blesse, volontairement et involontairement. Ses mots me touchent, mais pas de la bonne façon. La culpabilité m’envahit. Mais ce n’est pas le moment de me laisser dominer par ça. Ce qu’il m’a fait aujourd’hui… c’est bien plus que de l’incompréhension.
– Je ne savais pas, murmure-t-il, comme si tout à coup il comprenait l’étendue de sa maladresse.
Celui-ci déglutit, gêné. Sauf que ce n’est pas son malaise qui compte. C’est le mien. Il a franchi des limites que je ne suis pas prête à lui pardonner.
– Tu ne peux pas tout savoir de moi, de toute façon, lâché-je, froidement.
– Au contraire, je devrais te connaître, à force d’échanger avec toi, rétorque-t-il.
Je n’arrive pas à croire qu’il parle encore de notre amitié comme ça. Échanger ? Qu’est-ce que veut dire ce mot ?
– Pas forcément, non. Tu comptes me suivre jusque chez moi ?
– On ne sait jamais, tu pourrais te faire agresser dans ces petites rues, répond-il, presque amusé.
Ce n’est plus de l’ironie, c’est de l’insouciance, et ça me frappe en plein cœur. Est-ce qu’il se moque de moi ? C’est trop facile de blaguer sur des sujets aussi sérieux. Je pensais qu’il était plus intelligent que ça, plus respectueux, mais à ce moment-là, je me rends compte qu’il n’en est rien.
– Tu n’es qu’un crétin ! m’écrié-je, hors de moi, ma colère éclatant comme une cloche de verre brisée.
– Heavan, je rigole ! Détends-toi !
– Justement, je ne peux pas me détendre ! Hurlé-je en le fusillant du regard. Ce n’est pas marrant de blaguer sur ça, quelqu’un de sensé le saurait !
Il se fige, tout en continuant à me fixer, hagard.
– À quoi tu joues ? Dis-je furieuse. Tu veux que je me sente coupable ? Que je m’excuse d’être là, d’avoir croisé ton chemin ? Ou est-ce que tu fais joue le même jeu que ton pote Bill ?
Juste à ce moment-là, une voiture fait irruption dans le parking de mon immeuble. Je n’ai même pas besoin de voir le visage du conducteur pour savoir que c’est mon père, car je reconnais sa voiture grise et démodée.
Je lui fais un signe de la main, mais je distingue immédiatement son regard se poser sur Louis, un regard que je connais trop bien. Celui qui scrute, qui jauge, qui analyse. Un regard de père inquiet.
Et là, je le remarque clairement. Louis, tout comme mon père, est surpris. Néanmoins, il y a quelque chose de plus dans ses yeux. De la honte peut-être, ou de la confusion. Il semble déstabilisé, et je ne sais pas pourquoi.
– Écoute, Heavan, on se reparle plus tard, d'accord ? Ajoute-t-il en évitant mon regard, visiblement mal à l’aise. Le bus ne va pas tarder à passer.
– Pas de problème.
Ce dernier baisse la tête, comme si mes mots lui coupaient l’air. Il accélère le pas, une lueur d’urgence dans sa démarche. Je n’ai jamais vu Louis aussi pressé, et lorsqu'il tourne dans la rue suivante, il me lance un dernier signe de la main. Un geste froid, presque mécanique.
Moi, je reste là, figée un instant. Pourquoi ce geste me fait-il sourire ? Peut-être parce qu’au fond, même si je le déteste d’avoir joué avec moi, il garde cette humilité, cette part de lui qui n’est jamais totalement perdue.
– Heavan ? M'interpelle mon père arrivé à ma hauteur, l'air toujours aussi perplexe. Tout va bien ?
Sans répondre, je fixe l’endroit où Louis a disparu.
– C’était qui ?
– Un camarade de classe.
– Qu’est-ce qu’il voulait ? Il ne t’embêtait pas, j’espère ?
– Non. Il voulait juste savoir comment j’allais depuis… mon malheureux accident.
– Oh ! C’est gentil de sa part, n'est-ce pas ?
– Je suis juste… perplexe. Les garçons, tu sais, c’est toujours un peu compliqué. On ne sait jamais s’ils sont sincères ou non.
Mon père éclate de rire, et je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel en souriant.
De vrais gamins, ces mecs…
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