Jour 40 : vendredi matin

La sonnerie retentit alors que j'entre dans la salle de cours. C’est la première fois que je remets les pieds au lycée depuis lundi, et l’anxiété me serre la gorge. Mon père a encore insisté pour que je reste à la maison, surtout que c'est le dernier jour de la semaine, mais je n'ai pas cédé. J'avais besoin de sortir, de respirer un peu, même si je n'avais aucune envie de revenir ici.

Je me dirige vers une table au premier rang, seule, contre le mur. La salle est déjà pleine, et à peine ma silhouette franchit le seuil de la porte, tous les regards se tournent vers moi. Ça ne m'étonne pas. Mon retour ne passe pas inaperçu, mais ça ne fait rien. Je m'y attendais...

Le prof est toujours plongé dans ses papiers, indifférent à ma présence. Je pose mes affaires sur la table en essayant de m'installer discrètement, mais la chaise à mes côtes grince sur le sol, brisant le silence.

– Heavan ?

La voix, je la reconnais tout de suite. Louis. Mon cœur se serre et je ferme les yeux, tentant d’échapper à son regard. Pourquoi ne reste-t-il pas de l’autre côté de la salle, comme les autres ? Pourquoi vient-il à moi ?

– Qu’est-ce que tu as ?

Je ne le regarde pas, je le fuis. Je cache mon visage derrière mes cheveux, espérant qu'il prenne mon silence comme une réponse. Cependant, je sais qu'il ne l'acceptera pas. Il ne lâchera pas prise aussi facilement.

– Arrête de m’ignorer. Réponds-moi, au moins !

Un regard rapide vers le prof me fait réaliser que le cours a déjà commencé. Parfait ! Il faut que je me concentre sur autre chose, mais c’est compliqué avec Louis qui est là, juste à côté, insistant.

Ce dernier cesse enfin de parler, mais ses yeux restent fixés sur moi. Je peux sentir son regard brûlant sur ma peau. Il veut absolument capter mon attention, mais je tiens bon, refusant de lui accorder ce qu’il veut. Je dois tenir, ne pas flancher !

– Bon, crache le morceau ! Je t’ai vexée ? C’est parce que je t’ai laissée toute seule lundi que tu ne me parles plus ?

Ses mots m’atteignent, mais je les repousse aussi vite qu’ils arrivent. Comme si cela avait de l’importance ! Comme si c’était la raison !

Je secoue la tête, agacée par ses conclusions hâtives et son ton implacable. Ce n’est pas ça, Louis. Ce n’est pas une simple question de jalousie. C’est bien plus compliqué que ça...

– Dis-moi une fois pour toutes ce qui ne va pas, Heavan ! Sinon je...

– Louis Sträff ! intervient la prof, agacée.

Celui-ci soupire, exaspéré, mais ne se laisse pas décourager. Il déchire un bout de feuille de son cahier et écrit quelque chose dessus, avant de me le glisser discrètement.

« J’aimerais te comprendre, mais je t’avoue que je n’y arrive pas. Essaie au moins de m’aider ou dis-moi si j’ai fait quelque chose qui ne t’a pas plu. Je n’arrive pas à saisir le pourquoi du comment, alors si tu pouvais m’aider... »

Ses mots résonnent dans ma tête. J’hésite. Est-ce que je devrais lui dire ? Est-ce que je devrais tout lui révéler et passer à autre chose ? Ça me soulagerait peut-être, mais je sais aussi que ça pourrait tout changer entre nous.

Je prends la petite feuille et écris ce qu'il doit savoir, ce que je peux lui dire sans me perdre dans trop de détails.

« Je me suis fait agresser lundi. C’est tout ce que tu as à savoir. »

Aussitôt, je vois ses yeux s'écarquiller. Il me regarde comme si j'étais une étrangère, comme si mes mots l’avaient frappé. Il ne bouge pas, me scrutant, et moi, je me détourne, fuyant une fois encore son regard. Je ne veux pas voir sa réaction. Je veux juste que tout cela cesse.

Alors je me replonge dans le cours, en espérant que tout cela ne le perturbe pas trop. Néanmoins, alors que je tente de comprendre les mots qui défilent sur le tableau, je sens une sensation glacée contre mon sourcil gauche. Ses doigts. Il ne se cache même plus des autres élèves, et son geste est à la fois tendre et envahissant.

– Qui t’a fait ça ? Je le connais ? Chuchote-t-il d'un ton à la fois inquiet et tranchant. Dis-moi qui c'est ?

Je lève les yeux, et un frisson me parcourt. Je veux lui répondre, lui dire de me laisser tranquille, mais je me retiens. Pas aujourd'hui, pas maintenant.

Je secoue la tête, essayant de lui faire comprendre que je ne veux pas en parler. Je veux juste oublier, oublier tout ce qui m'est arrivé, mais Louis ne semble pas vouloir lâcher prise.

– Laisse tomber, Louis. D’accord ? S’il te plaît.

– Pourquoi ? insiste celui-ci.

– Je ne veux pas en parler ! Laisse-moi tranquille, tu veux ?

– Hors de question ! Je veux savoir qui t’a fait ça, qui a osé lever la main sur toi, tu comprends ?

Je tourne la tête afin d'éviter son regard, or il est déjà trop tard. Je sais qu'il ne m'écoutera pas. Il veut des réponses, il veut comprendre, et je ne peux pas lui donner ce qu’il attend. Pas encore...

– Pourquoi ? Tu as une idée, toi ? rétorqué-je, sèche, l’énervement montant en moi.

Louis ne semble même pas perturbé par mon ton. Il me regarde toujours, avec cette insistance qui me fait presque peur. Il ne comprendra pas, et je ne peux pas lui laisser cette chance. Pas encore. Pas maintenant. Parce qu’une fois que je lui ferai confiance, tout sera fini pour moi...