Jour 19 : L'après-midi

La première heure de cours sonne comme une délivrance. Pourtant, je ne peux m’empêcher de regretter un peu la fin de cet échange avec Louis. Ce jeu improvisé de questions-réponses, qui n’avait duré que quelques instants, m’a permis de découvrir une facette insoupçonnée de lui.

Quand la sonnerie a retenti, il a esquissé une grimace presque désolée, comme s’il partageait ce sentiment de frustration. Ce n’était pas grand-chose, quelques mots échangés, un aperçu de nos vies respectives, mais cela avait suffi à créer un pont fragile entre nous.

En sortant du CDI, il m’a adressé un salut rapide, accompagné d’un sourire enjôleur qui m’a prise de court. Instinctivement, je lui ai répondu par un sourire plus timide, tandis qu’une vague de chaleur envahissait mes joues. Pourquoi cet échange, aussi simple soit-il, avait-il cet effet sur moi ?

Comment ne pas s’enticher d’un tel phénomène, à la fois solaire et magnétique, oscillant entre Adonis et Hadès ?

Je ne me fais pourtant aucune illusion. Peut-être que cet instant restera unique, comme une bulle suspendue dans le temps. Peut-être que, dès demain, il reprendra sa vie là où elle s’était arrêtée, comme si rien ne s’était passé. Mais cela n’a plus vraiment d’importance. Ce midi a suffi à bouleverser quelque chose en moi.

Je ne vais plus prêter attention aux rumeurs et aux ragots qui courent à son sujet. Ces murmures, que je laissais autrefois passer sans y répondre, n’ont plus de poids à mes yeux. Non pas parce que je le connais – ce serait prétentieux de l’affirmer – mais parce que je me suis fait ma propre opinion. Et cette opinion, forgée dans le feu de notre échange, vaut bien plus que toutes les paroles d’Angel et des autres.

Est-il sincère avec moi ? Je n’en sais rien, et je ne le saurais peut-être jamais. Mais j’ai ressenti une vérité dans ses mots, un instant de vulnérabilité partagé. Et cela me suffit.

Alors que je me dirige vers mon cours de philosophie, une pensée me traverse : que pense-t-il de moi ? Ai-je laissé une impression étrange, ou pire, insignifiante ? Cette idée me ronge. Et si je n’étais qu’une distraction passagère ? Quelqu’un qui l’a amusé le temps d’un repas avant qu’il ne m’oublie complètement ?

Mes pas ralentissent lorsque je l’aperçois devant moi, marchant à quelques mètres de distance. Il rejoint un groupe d’amis – le grand blond que je reconnais immédiatement et d’autres garçons de sa bande. Un pincement se forme dans ma poitrine.

Va-t-il raconter ce que nous nous sommes confié ? Déformer mes paroles, les transformer en anecdotes risibles pour divertir ses amis ? Cette pensée me glace. L’idée d’être trahie, humiliée, me terrifie plus que je ne veux l’admettre.

Arrivée devant la porte de la salle de classe, je m’efforce de chasser ces images de mon esprit. J’attends que le cours commence, le regard rivé sur mes chaussures, évitant soigneusement les regards autour de moi.

Au loin, j’entends le rire grave et exagéré d’Angel. Elle se rapproche, probablement entourée de ses acolytes. Un léger frisson me parcourt. À cet instant, je ne peux m’empêcher d’être satisfaite de mon choix : celui de ne pas avoir accompagné Marie et les autres au parc d’à côté.

Si je l’avais fait, je n’aurais pas vécu ce moment avec Louis. Ce moment qui, bien qu’éphémère, restera gravé en moi comme un fragment précieux de cette année.

Mais il me hante encore plus maintenant. Son regard, profond et troublant, me revient en boucle. Ces yeux sombres, perçants, qui semblaient s’ancrer dans les miens et tout comprendre. Ces quelques instants où j’avais eu l’impression d’être vue, vraiment vue et comprise.

Le rouge me monte aux joues, et je sens mon cœur s’emballer. Je tente de me ressaisir, de ne pas sombrer dans ce tourbillon d’émotions. Juste à temps, l’enseignante entre dans la salle et nous invite à faire de même.

Alors que je franchis le seuil, je prends une profonde inspiration, prête à affronter cette heure de philosophie. Mais, au fond, une partie de moi reste suspendue à cet échange avec Louis, comme un fil invisible qui refuse de se rompre.