Chapitre 14
Jour 15 : Le midi
L’immense table qui nous accueille pourrait facilement recevoir une dizaine de personnes, mais aujourd'hui, elle paraît trop grande, trop imposante, comme si elle amplifiait chaque mot échappé dans l’air. Pourtant, en cet instant, je me sens bien, presque apaisée. Depuis que Marie m’a ouvert les bras avec une gentillesse désarmante, l’angoisse qui pesait sur mes épaules s’est allégée de moitié. Parfois, il ne faut pas grand-chose pour être heureux.
Autour de moi, les rires fusent, les conversations s’entrecroisent. Angel, Rosa, Manon et les autres parlent entre elles, échappant des éclats de rire que je devine volontiers mesquins. De mon côté, je discute avec Marie. Nous parlons de tout et de rien : mes hobbies, ses anecdotes, ce qui nous passionne. Avec elle, c’est simple, naturel. Une véritable alchimie amicale.
Mais Angel ne semble pas en rester là. Elle m’observe, par intermittence, me décochant des regards furtifs, teintés d’une moquerie à peine voilée. À chaque fois, ses murmures s'intensifient, ses éclats de rires se prolongent. La paranoïa me guette, mais une part de moi refuse de croire que c’est à moi qu’elle s’en prend. Peut-être est-ce dans ma tête ?
Et soudain, elle frappe, comme un serpent prêt à mordre.
– Pourquoi Louis n’arrête pas de te regarder derrière toi ? balance-t-elle d’un ton glacial, presque tranchant.
Le silence autour de la table est aussi brutal qu’un coup de tonnerre.
– Ouais ! insiste Manon avec un sourire venimeux. Il ne te lâche pas du regard. T’as fait quoi pour qu’il te toise comme ça ?
Je balbutie, prise au dépourvu :
– Je… je…
– Tu lui as volé le seul stylo qu’il a réussi à acheter ? conclut-elle, hilare, ses éclats de rire contaminant aussitôt les autres filles.
Je reste figée, incapable de réagir. Leur comportement, puéril et cruel, m’irrite plus qu’il ne me blesse. Mais au fond, une part de moi vacille. Et si c’était vrai ?
Marie, perplexe, fronce les sourcils. Elle finit par murmurer à mon oreille :
– Ne les écoute pas. Elles aiment se monter la tête pour un rien. Ça ne vaut pas la peine de le prendre personnellement.
Je lui réponds faiblement :
– Je vois…
Mais en réalité, l’envie de fuir cette table se fait oppressante. Ce repas, qui avait si bien commencé, s’est transformé en une mascarade humiliante. Pourtant, quelque chose me retient. La curiosité, peut-être, ou cette pointe d’angoisse qui refuse de lâcher prise.
Et si elles disaient la vérité ? Est-ce que Louis me fixe réellement ? Je veux savoir. Je dois savoir !
Dans ma tête, un compte à rebours commence :
Dix, neuf, huit…
Respire. Je dois regarder, ne serait-ce qu’un instant.
Sept, six, cinq…
Courage. Je dois savoir si tout cela n’est qu’une farce.
Quatre, trois, deux, un…
Je me lance.
Je me retourne avec précaution, feignant de fouiller dans mon sac à dos pour ne pas éveiller les soupçons. Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il va exploser. Mes yeux balayent rapidement la foule, cherchant un visage familier, et là, je le vois.
Louis.
Il est là, à deux rangées de nous. Ses amis l’entourent, mais il ne semble prêter attention à personne. Ses yeux sont rivés sur moi, perçants, presque intrusifs. Une étrange tension s’installe entre nous.
Chaque fois que je croise son regard, c’est comme si le monde autour disparaissait. Une sensation glaçante m’envahit, comme si la faucheuse elle-même aspirait mon âme.
Je détourne précipitamment les yeux, le souffle court. En me rasseyant, je sens une chaleur envahir mon visage. Aor, avant que je ne lui tourne le dos, je crois apercevoir un sourire. Un sourire espiègle, à peine perceptible, mais terriblement troublant.
Je fixe mon assiette vide, tentant de calmer le rouge qui me monte aux joues.
Louis...
Il m’envoûte. Il m’effraie autant qu’il m’attire, et cette dualité me désarme.
C'est un fait, je me mens à moi-même depuis le début. Depuis ce premier échange de regards. Depuis cet instant où son existence a croisé la mienne.
Mais pourquoi ? Que cherche-t-il ? Est-ce un jeu pour lui ? Une manière de me déstabiliser ?
Je n’ai aucune réponse. Tout ce que je sais, c’est que ce jeu, quel qu’il soit, est dangereux. Et je crains d’y laisser bien plus que de simples regards échangés.
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