Chapitre 11
Jour 12 : Le matin
Apeurée par ce mouvement soudain, je me réfugie contre le mur près des marches. Mon cœur bat à tout rompre, et une peur bleue de chuter m’envahit. Les pensées s’embrouillent alors que mon premier réflexe est de me recroqueviller sur moi-même, protégeant mon visage de ce danger imprévu. J’agis vite, trop vite, et je m’en rends compte lorsque je me décide enfin à scruter les environs. Mon regard cherche désespérément celui ou celle qui m’a bousculée.
Toutefois, je tombe sur autre chose. Deux yeux vairs, l’un bleu glacier, l’autre vert mousse, voilés par de légers cernes, me fixent intensément.
Louis Sträff.
Mon souffle se bloque. Involontairement, mes yeux glissent vers ses lèvres, étirées en un sourire ravageur. Ce sourire, mi-carnassier, mi-malicieux, contraste avec son aura impénétrable. Malgré moi, je me surprends à le trouver irrésistiblement attirant.
Une vague d’images me traverse : Ulysse face aux sirènes, perdu en pleine mer, envoûté par un chant dangereux mais impossible à ignorer.
Je déglutis avec peine et tente de retrouver un semblant de contenance. Pourtant, ce regard magnétique m’immobilise. Que me veut-il ? Pourquoi m’a-t-il attirée ici, loin du tumulte ambiant ?
Un silence lourd s’installe autour de nous, si dense qu’il semble étouffer le moindre bruit. Tout a disparu : les échos des couloirs, les pas pressés des étudiants. Il ne reste que nous deux, face à face, à nous jauger comme deux adversaires hésitant à faire le premier mouvement.
Son comportement me déstabilise. Je l’observe à nouveau, notant les détails que j’avais peut-être négligés auparavant : ses mèches noires retombant sur son front, qu’il chasse d’un geste impatient. Cependant ses efforts pour se donner une contenance est trahi par la crispation de sa mâchoire. Un combat intérieur se joue en lui, sans totalement réussir à le dissimuler.
Il semble gêné. Ou peut-être troublé ?
Celui-ci se racle la gorge, un bruit rauque qui brise la tension puis pose son sac contre le mur, à quelques centimètres de mes jambes devenues flageolantes. Dans un même geste, Louis referme la porte coupe-feu derrière nous, coupant encore plus le monde extérieur.
Qu’est-ce qu’il prépare ?
– Je n’ai pas eu l’occasion de te parler jusqu’à maintenant.
Sa voix est plus calme que je ne l’aurais imaginé. Il parle sans me regarder, comme s’il pesait chacun de ses mots. Ses mains fouillent dans son sac noir, et en sort un livre. Mon cœur rate un battement.
Ce livre…
Mes yeux s’écarquillent lorsque je reconnais la couverture.
– Le Vol d’Icare, lit-il en examinant l’objet sous toutes ses coutures, je l’ai emprunté il y a quelques jours… mais je ne l’ai pas encore commencé.
Son regard se tourne vers moi, accompagné d’un sourire bref, presque timide. Il feint une assurance qui sonne étrangement fragile.
– Il est bien ? me demande-t-il, ses yeux sondant les miens. J’aimerais éviter de perdre mon temps, même si c’est pour les cours, tu comprends ?
De mon côté, je reste muette, prise au dépourvu. Ses mots raisonnent avec simplicité, mais sa proximité me trouble. Mon esprit vacille, incapable de trouver une réponse adéquate. Je détourne le regard, mes dents mordillant nerveusement ma lèvre inférieure.
Le feu dans ses yeux semble m’attirer et me repousser à la fois. Une lutte intérieure s’engage : fuir ou rester. Mais mes jambes refusent de bouger.
Quel est ce sentiment qui grandit en moi ?
Depuis que j’ai croisé son regard le premier jour, quelque chose a changé. Je ne suis plus la même. Ce bouleversement est inexplicable, mais il est indéniable.
Et ce dernier en est la cause.
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