Chapitre 50
* Billie Eilish • The 30 th *
Je descends l'escalier lentement. Ma mère lève la tête de son journal avant de me sourire.
‒Tu sors ? demande-t-elle en me détaillant.
‒Ouais, d'ailleurs, Logan est déjà parti ?
Je pioche quelques cookies dans la cuisine et me sers un jus de fruits.
‒Il y a déjà une bonne heure, répond-elle. Tu as rendez-vous avec cette Sharpay ?
Je lève les yeux au ciel.
‒Shirley, rectifié-je.
‒Oups, désolée. Je la confonds tout le temps avec Miss Evans, rigole-t-elle.
Je ris. Elle fait souvent cette erreur même devant Shirley. Et elle ne s'en soucie même pas alors que cela contrarie cette dernière. Shirley, c'est ma nouvelle copine. J'ai repris ma vie en main. Cela va faire exactement sept mois dans cinq jours que Purpie est dans le coma. Je précise qu'elle a raté plusieurs évènements. Tel que le Noël, ou le nouvel an. Et spécialement, mon vingt-et-unième anniversaire. Les deux premiers mois ont été très durs, je l'avoue. Je lui ai constamment rendu visite tous les soirs et elle apparaissait devant moi. Et à chaque fois qu'elle se montre, elle me répète sans cesse de repartir si au bout du compte, je vais laisser tomber. Au début, je me suis entêté à la revoir ne serait-ce qu'une petite minute. Je lui parlais de mes journées, de mes pensées sombres, de ce que je faisais chez moi ou à l'Université. J'ai refusé de voir mes amis. J'ai coupé contact avec tout le monde. Je ne sortais de chez moi que pour aller à l'école ou à l'hôpital. Je ne mangeais que très peu. J'ai refusé les réconforts de mes amis, leur empathie, ou pire, leur pitié. Ils ont bien insisté pendant quelque temps. Ensuite, ils m'ont laissé guérir seul. Je faisais parfois, des cauchemars où il y a Purpie, morte. Je rêvais en l'appelant dans mon sommeil. Logan m'en parlait au matin. Je me réveillais à pas d'heure simplement pour aller la voir. Même les gardes du corps ont eu pitié de moi. Je voyais la famille de Purpie la plupart du temps. Ils avaient aussi du mal à accepter la situation. Son frère a pété un câble lors de sa venue à Los Angeles. Je passais quelques matinées avec certains d'eux.
J'ai rencontré un ami de la famille venant de Canada. Il a pris plusieurs vols tous les week-ends. J'ai bien évité de croiser Ashlynn, l'ex-copine de mon frère. Nos camarades venaient également dès qu'ils avaient l'occasion. J'ai reconnu quelques-uns des amis de Purpie de son université. À force de faire plusieurs aller-retours à l'hôpital, tout le personnel me connait à présent, ainsi que des patients de l'établissement. Il y avait même une vieille mamie qui me tenait souvent compagnie dans la chambre de la brune. A plusieurs reprises, je me suis mis à me défouler sur un punching-ball de mon père sans gants. J'avais tout le temps les yeux bouffis, les poignées recouvertes de pansements. J'avais le corps maigre et mes parents m'engueulaient lorsque l'occasion se présentait. Surtout mon géniteur. Rangé par la colère, je mettais en désordre ma chambre. Je pleurais souvent devant la peluche Sandy. Et son fantôme n'arrangeait rien. Ma mère a proposé un rendez-vous avec un psy. Chose que j'ai tout de suite refusé. Je n'étais pas fou. Je n'avais juste plus le contrôle de ma vie. Je perdais mon temps à me lamenter, à culpabiliser.
Je comptais les jours où elle était restée à l'hôpital. Le docteur revenait chaque semaine regarder l'état de sa santé. « Rien n'a changé », disait-il. « Elle est toujours en pleine forme ». Mais son hibernation est continuelle, me suis-je dit. Toutes les deux semaines, il vérifiait son corps s'il y avait une anomalie quelconque. Et il reposait la même question à la famille Jackson : « N'est-il pas temps de la débrancher ? Vous savez, il y a très peu d'espoir pour qu'elle se réveille. Surtout que cela ne dépendra plus de nous. » Et à chaque fois, à leur tour, ils lui répondaient la même réponse. Un Non catégorique. « Elle se réveillera en temps voulu », rétorquait sa mère. « Elle pourra prendre le temps qu'elle voudra, je sais qu'elle reviendra. Et elle peut toujours compter sur nous pour l'attendre. Je serai là parce que je suis sa maman. » J'ai mené ainsi une existence sombre et morne pendant deux mois.
Puis, j'ai commencé à accepter son état. Spécialement si elle ne devait plus revenir. Ainsi, j'ai espacé mes heures de visites. J'ai commencé à ne plus la voir que pendant les week-ends. J'ai repris contact avec mes amis. Ils faisaient tout leur possible pour me changer les idées. Dès que nous avons de temps libre, ils m'invitaient à sortir. J'assistais à des tonnes de fêtes, le soir. Je me suis soulé à plusieurs reprises pour pouvoir tout oublier. Le quatrième mois, je ne lui rendais visite qu'une fois par semaine ou moins. Et après quelques jours, j'ai fait la connaissance de Shirley lors d'une fête d'Halloween. C'était une lycéenne de dernière année. Nous nous sommes vu quelques fois et après quatre ou cinq rendez-vous, nous nous sommes mis ensemble. C'est une fille facile, d’autant plus d'avoir une beauté à couper le souffle. Malheureusement pour moi, elle se sert de ce physique pour avoir un succès auprès de la gente masculine. Elle me trompait. On aurait même dit qu'elle me défiait. Cependant, je n'ai aucun sentiment pour elle, alors je la laisse faire. Pourquoi je ne la quitte pas ? Et bien, tout simplement parce qu'elle est l'assistante de mon frère pour son stage. Et je dois avouer qu'elle est d'une grande aide. Mais je ne vais pas tarder à la plaquer quand une occasion se présentera. Elle est aussi extrêmement excessive. Lorsque je la laissais en plan lors d'un rendez-vous, elle s'emportait et m'engueulait comme si j'étais son fils. Elle en faisait tout un plat pour rien. Et quand il m'arrivait d'en avoir marre, je l’ignorais pendant toute une semaine. Puis, je reviens en l'embrassant jusqu'à coucher avec et elle me pardonne tout. Qu'est-ce que je disais ? Une fille facile.
Évidemment, je n'ai pas oublié Purpie. Au contraire, je ne l'ai plus vu depuis deux mois déjà. J'ai fini par suivre ce qu'elle m'a dit, enfin... Son fantôme... Celui de ne plus jamais persister à mettre un pied dans sa chambre. Je ne sais pas si c'était la meilleure chose à faire. Parfois, je regrette même. Mais je me suis résolu que c'est peut-être ce qu'elle aurait souhaité si elle ne revenait pas. Que j'aille de l'avant. Que je sois heureux. Bien que cette phrase soit encore irréalisable, pour l'instant. Parce que malgré tout ceci, je sombre encore quelques fois dans mes pensées obscures. Et si j'avais pensé à son réveil ? Bien sûr. J'y pense depuis maintenant sept mois, pourtant, comme je ne voulais pas avoir de faux espoirs, j'essaie de ne pas m'y attarder longuement. Cependant, si cela arriverait un jour, je ne saurais pas quoi faire. Ni où me mettre. J'ai autant désespéré à cause de cette situation, devant un trop plein de témoins.
Elle me demandera certainement pourquoi je n'ai plus continué à la voir. Elle cherchera à savoir pourquoi j'ai perdu espoir. Ou pourquoi n’ai-je pas assez attendu ? Pourquoi ai-je repris le cours de ma vie ? Pourquoi n’ai-je pas attendu encore quelques temps avant de faire la fête ? Ou à avoir une nouvelle petite amie ? Pourquoi ai-je fait toute une scène le jour de sa mort lors de son opération ? Pourquoi ai-je cessé de la soutenir alors que c'était moi qui l'ai supplié à rester en vie ? Je ne saurais quoi répondre. Oui, je suis impatient. Et oui, je sais que lorsque nous aimons quelqu'un, nous savons attendre même pour une durée indéterminée. Un siècle s'il le faut. Je ne l'aime pas assez, me diriez-vous ? Je dois en douter. Surtout après toutes les choses que j'ai faites pour l'avoir auprès de moi. Tout cela jusqu'à tromper mes ex-copines.
Je suis en route sur ma moto en direction de l'atelier de mon oncle. À présent, mon frère y travaille. Et nous avons rendez-vous avec Shirley dans quelques minutes.
‒Bonjour, oncle Blake, le salué-je. Où est Logan ?
‒Ah ! C'est toi, fiston ! Logan est à l'intérieur en train de se changer, dit-il. Ça va, les études ?
‒Ça peut toujours aller, je réponds. Les examens ne vont pas tarder.
‒Et... La petite ? demande-t-il, d'une petite voix.
Mon oncle est très proche de nous, alors forcément, il est au courant de tout. C'était sa sœur, ma mère, qui lui en a parlé. Il entend par « la petite », il fait référence à Purpie. Ma famille essaie de ne pas trop me brusquer à propos de ceci, juste pour ne pas me mettre en rogne ou autre. Ils ont peur d'aborder un sujet délicat, alias sujet qui fâche.
‒Elle n'est toujours pas réveillée ?
‒Toujours pas, secoué-je négativement la tête.
Logan sort de la loge juste à ce moment.
‒On y va ? l'interrogé-je.
Il acquiesce et nous partons chacun de notre côté. Lui avec sa voiture et moi, sur ma bécane. La brise du mois de janvier me fouette la peau malgré ma veste. Pour un commencement de l'année, ce n'est pas assez froid. Nous sommes toujours à Los Angeles, de toute façon. Arrivé devant le bar, je vois déjà la blonde en train de draguer. Incorrigible, cette fille. Elle ne perd pas son temps. Et c'est également pour cette raison que ma mère ne l'apprécie pas. Ainsi, elle l'appelle par « Sharpay, la peste ». Et quelques fois, elle lui ressemble. Même si Miss Evans est bien mille fois gentille… Contrairement à Shirley qui ne cache pas ses mauvaises manières. Et cela nous exaspère. Dès que Shirley me voit, elle sourit en m'embrassant. Elle fait une petite bise à mon frère puis, nous commençons à discuter.
‒Ce soir, il y a une fête de nouvel an chez Stan, s'anime-t-elle.
‒Qui c'est Stan ? demande Logan, les yeux rivés sur son téléphone.
Son plan cul.
‒C'est un ami dans mon lycée, répond-elle. On peut y aller si vous voulez.
Elle est toute excitée. Je parie qu'elle va faire son maximum pour se taper tous les mecs de cette fête. Elle est ridicule.
‒Je ne sais pas, ça ne me tente pas trop, dis-je.
‒Moi, je ne peux pas, fait à son tour mon frère. Je dois rendre visite à l'hôpital avec les gars.
Je baisse la tête. Je sais qu'ils m'ont invité à les rejoindre depuis pas mal de temps pourtant... Je suis comme bloqué. Je ne veux pas. Je crois que je vais craquer en la revoyant. Avec nos anciens camarades de classe, mon frère la revoit chaque samedi soir. Et c'est ainsi que je reçois des renseignements sur son état même sans y aller. Logan me raconte chaque week-end de leur visite. Nous détournons le sujet vers une autre discussion sans grande importance. Nous parlons depuis de bonnes minutes lorsque mon téléphone sonne soudainement. Je regarde l'interlocuteur. Mon cellulaire affiche Kendall. Je décide de ne pas le répondre, il va sûrement vouloir prendre de mes nouvelles. Et je ne veux pas avoir une nouvelle fois la même dispute avec lui. C'est le seul qui est au courant de tout et il a le malin plaisir à me torturer pour que je dise la vérité. Apparemment, il veut vraiment me parler puisqu'il insiste trois fois. À la dernière sonnerie, j'allais le prendre lorsqu’il coupe. Bof, une autre fois Ken. Bizarrement, une seconde après, le portable de Logan se met à sonner. Il décroche ; une voix grave lui hurle.
‒Aïe ! Mes tympans, Kendall ! s'écrie mon frangin. Que veux-tu ?
‒Seth est avec toi ?! j’entends.
‒Oui, il est...
‒Mets sur haut-parleur qu'il entende ! coupe-t-il.
Logan s'exécute.
‒Voilà !
‒SETH ! ÇA Y EST MON POTE ! ÇA Y EST !
‒De quoi tu p...
‒HOSEA M'A APPELÉ MAIS JE NE L'AI PAS CRU ! JE SUIS ALLÉ POUR CONFIRMER ET OUI ! ELLE S'EST RÉVEILLÉE ! Je viens de la voir à l'instant même ! Purpie est revenue ! Mon pote, tu m'entends ? Seth ! Elle s'est réveil... !
Je me lève brusquement de la table, renversant la chaise au passage. Je n'entends plus Kendall qui hurle au téléphone, ni mon frère exploser de joie.
‒Qui est Purpie ? m'interpelle Shirley.
Je ne prends pas la peine de lui répondre.
Tu peux repartir. Ne reviens plus.
Ni une ni deux, j'engouffre ma moto avant de partir en direction de l'hôpital.
Ça ne sert à rien que tu reviennes pour au final abandonner.
Le casque en main, j'entre et trouve à l'accueil Ylma. En me voyant, elle me sourit tendrement. Et tout le personnel que je croise fait pareil. J'en déduis, alors, qu'ils sont tous au courant.
Va-t-en. Vis ta vie.
Je me dirige à pas précipités vers sa chambre. C'est drôle. Je croirai revenir des mois en arrière.
Et laisse ma famille s'occuper de moi.
Je m'arrête devant la porte. J'entends des rires à l'intérieur. Mais un en particulier ravive les battements de mon cœur.
Et si un jour, tu entendras que je suis réveillée.
Sans réfléchir, j'ouvre la porte. Toute sa famille me regarde. Ils s'écartent, me laissant voir la brune sur son lit. Elle souriait sincèrement. Néanmoins, sa joie s'estompe lorsque ses yeux croisent les miens.
Ne reviens pas dans cette chambre pour tout basculer comme tu sais si bien le faire.
A cet instant précis, je tremble, ouvre une seconde fois la porte pour repartir, le cœur lourd comme si je n'étais jamais revenu...
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