Chapitre 4
Bien que Clarke ait dit à Bellamy qu'elle ne resterait pas des semaines à Polis, au bout d'un mois d'absence, le jeune homme dû se faire une raison. Elle avait envoyé plusieurs lettres indiquant que la situation était pire que ce qu'elle avait imaginé et qu'elle en découvrait chaque jour de nouvelles encore plus inquiétantes. Pressentant devoir rester bien plus longtemps que prévu, elle lui avait donc confié son petit domaine et le jeune homme s'était trouvé un peu perdu d'hériter ainsi d'une maison et d'un grand jardin pour lui tout seul jusqu'à une date indéterminée...
Heureusement, il avait régulièrement de la visite et, par exemple, Octavia l'avait rejoint une semaine plus tôt, afin de faire une pause dans son entraînement pour prendre un jour la tête de Trikrus à la place d'Indra. Cette formation lui avait été proposée par Indra en personne qui avait compris que les Skaikrus n'aimaient pas particulièrement la jeune fille. Condamnée à mort parce qu'elle avait eu l'audace de venir au monde, elle n'était pas à sa place dans un tel peuple et son alter-ego, Skairipa, avait beaucoup plus de prestance et de poids dans le regard que les Trikrus posaient sur elle là où les Skaikrus n'y voyaient que prétention.
— Ça fait combien de temps qu'elle est partie, Clarke ?
Bellamy quitta les flammes du regard et déposa le tisonnier contre le mur.
— Un mois... répondit-il.
— Tu crois vraiment que Roan a tout fait foirer ?
Bellamy regarda sa sœur qui faisait de la lessive, assise au soleil.
— Tout fait foirer, non, répondit-il en sortant à son tour avec le seau pour l'eau potable. Mais qu'il n'ait pas su faire face, c'est plus probable. Après tout, il n'était pas Roi depuis longtemps et seuls les Azgedas étaient susceptibles de le respecter. Ça ne m'étonnerait même pas que les autres clans refusent d'être dirigés par le frère d'Ontari...
Octavia grimaça aussitôt.
— C'est évident... Tu crois qu'on pourrait la rejoindre ?
— Pour ?
Bellamy baissa le seau du puits, étonné. Octavia serra les lèvres sans répondre et haussa les épaules.
— Je ne sais pas, pour lui montrer qu'on la soutient, peu importe ce qu'elle fait là-bas ?
— Hum, c'est une idée intéressante, mais je pense qu'il faut la laisser gérer ça comme elle veut et de toute façon, elle reviendra bien, ne t'en fais pas. Et si elle a besoin de Skairipa ou de moi, elle nous le fera savoir.
Octavia hocha lentement la tête puis retourna à sa lessive. Vivre aussi simplement lui permettait de revoir tranquillement dans sa tête les leçons d'Indra sur la manière de gérer un clan, mais aussi et surtout de reposer son corps malmené par les entraînements qu'elle subissait avec toutes les armes qui pouvaient exister, du bâton au sabre en passant par la lance et la masse... C'était sans doute le pire, de ne jamais utiliser la même arme à chaque entraînement. Elle avait une prédilection pour son sabre qui lui avait permis de tuer Pike et ainsi venger la mort de Lincoln, mais Indra semblait s'en donner à cœur joie en l'obligeant à laisser cette arme au placard...
.
À plusieurs dizaines de kilomètres de là, cependant, la vie avait repris son cours et, étrangement, les Triges semblaient se faire à l'idée que Wanheda les dirigeait désormais. Ils avaient cependant beaucoup plus de mal à accepter d'un Heda soit intronisé en faisant fi des protocoles habituels, soit l'organisation d'un Conclave...
— Rijant...
Clarke inclina la tête pour l'homme qui venait de se pencher devant elle. Un simple serviteur, mais un salut méritait une réponse, tel était l'enseignement de Clarke pour son petit minion qui la suivait partout depuis trois semaines. Elle avait en effet jeté son dévolu sur Derek, un jeune garçon de douze ans, estimant que les deux filles allaient sans arrêt être comparées à Lexa ou, pire, à Ontari, et que leur accession au trône des Triges serait un calvaire.
— Entre.
Derek passa devant et entra dans la vaste chambre où Clarke vivait. Il s'approcha de la cheminée et attrapa le tisonnier tandis que la jeune femme refermait la porte et retirait son manteau en soupirant.
— Comment s'est passé ta journée ? demanda-t-elle alors. Ton instructeur n'a pas été trop dur avec toi ?
— Non, Wanheda, aujourd'hui, nous avons beaucoup plus discuté qu'autre chose, mais j'ai appris des choses qui devraient m'être utiles plus tard...
— C'est le but de son enseignement, sourit Clarke.
Le jeune garçon lui sourit en retour puis baissa le nez et détourna la tête en reniflant. Clarke pencha la tête.
— Eh bien, que se passe-t-il ?
Elle tendit la main et l'attira à elle. Il passa ses bras autour de sa taille et posa sa tête sur sa poitrine.
— J'ai peur, Clarke... dit-il doucement.
— Il ne faut pas. Tu n'as rien à craindre, je serais là même une fois que tu seras intronisé, ne t'inquiètes pas. Je ne vais pas partir dès que tu seras sur le trône, tu auras encore besoin de moi quelque temps et...
— Et en attendant, tu passes à côté de ta vie !
Le jeune garçon s'éjecta des bras de la blonde qui eut un mouvement de recul, surprise. Elle le saisit par le poignet et l'obligea à lui faire face.
— Non, dit-elle en lui prenant le visage entre ses mains. Non, je ne passe pas à côté de ma vie en étant ici pour réparer les bêtises Roan. J'ai dix-huit ans, Derek, ma vie, je dois encore la vivre, d'accord ? Ce n'est pas parce que les gens baissent la tête sur mon passage que je suis autre chose qu'une gamine de dix-huit ans qu'on a condamné à mort parce qu'elle a osé vouloir dire la vérité.
Derek haussa les sourcils, soudain blême.
— Mais c'est ridicule... C'est vrai ?
— Oui, je sais, mais c'étaient les lois de l'Arche... Chacun devait justifier de l'air qu'il respirait en se rendant utile dans sa station. Moi, je ne servais à rien, j'étais une adolescente qui finissait ses études pour ensuite se marier et avoir son bébé. Au lieu de cela, j'ai choisi de poursuivre et finir ce que mon père avait entreprit et pour laquelle il a été condamné à mort et éjecté dans l'espace. Ma mère m'a trahie et m'a fait jeter en prison...
Derek secoua la tête.
— C'est... horrible. J'ignorais tout cela, je suis désolé...
— Peu de gens le savent ne t'en fais pas. Il n'empêche que je n'en serais pas là sans cela ; nous serions tous morts là-haut, dans l'Arche, parce qu'elle n'a jamais été prévue pour supporte quatre mille personnes pendant près d'un siècle... J'ai probablement sauvé la vie de milliers de personnes en faisant ce que j'ai fait, même si, au final, seul trois cents ont survécu à la réentrée dans l'atmosphère.
Derek serra les lèvres.
— Est-ce que vous allez partir chercher les autres stations ? demanda-t-il.
Clarke sembla pensive un instant puis haussa les épaules.
— J'aimerai, mais j'ai peu d'espoir de retrouver des survivants...
— Il y a des clans partout sur cette terre, peut-être que les autres ont fait comme vous et son intégrés à un clan ?
Clarke grimaça.
— Nous le saurions si des étrangers venus du ciel s'étaient installés dans un autre clan, répondit-elle en haussant les épaules.
— Pas forcément, les clans les plus éloignés ne viennent jamais en ville, ou alors très rarement ; si des Skaikrus sont parmi eux, on pourrait ne le savoir qu'en y allant.
— Ce qui serait un voyage de plusieurs mois juste pour des suppositions, répondit la blonde. C'est trop cher payé pour ce que c'est.
Derek l'observa un moment et se mordit la lèvre.
— Quand tu ne seras plus Rijant, tu seras libre d'y aller, dit-il. Avec Bellamy si tu veux...
Clarke lui jeta un regard puis soupira et lui fit signe de regagner sa chambre. Le jeune garçon opina et tourna les talons, comprenant que, malgré le lien affectif qu'il avait avec cette femme, elle ne lui parlerait pas facilement de son horrible passé et encore moins de sa relation avec l'Assassin d'Arkadia...
L'appartement possédait trois chambres et Clarke s'y était installée pour que Derek ne se retrouve pas seul après avoir été arraché à ses parents puis à la famille d'accueil où il vivait depuis la fin de la guerre avec les deux autres Natblidas. Il vivait donc avec Wanheda comme tout petit garçon de douze ans vivrait avec sa mère, ou sa grande sœur, ainsi Clarke pouvait avoir un œil sur lui pendant son entraînement, mais surtout après son intronisation, afin qu'il ne soit pas brutalement projeté dans le monde des adultes, pire, le monde impitoyable de l'après-guerre où les gens étaient tellement écorchés qu'ils se battaient pour un oui ou pour un non...
Plissant le nez, la jeune femme s'approcha de la cheminée et se réchauffa les mains. Praimfaya avait complètement déglingué le temps sur la planète, ainsi il n'y avait plus aucune saison et le temps pouvait passer de grand beau soleil à un mètre de neige en une nuit... Heureusement, il y avait quand même une nette distinction entre le vrai hiver et le reste de l'année, mais parfois la météo était capricieuse, comme ces dernières semaines. On toqua soudain contre sa porte et elle fit entrer.
— Goran ? s'étonna-t-elle. Il est tard, que se passe-t-il ?
L'homme tout mince qui venait d'entrer s'inclina puis traversa la grande pièce.
— Désolé de vous déranger chez vous, Rijant, mais des patrouilleurs m'ont rapporté que des Terriens étaient sortis du Temple ce soir...
Clarke inspira en serrant les lèvres.
— C'est la cinquième fois cette semaine, dit-elle. Est-ce qu'elle fait pour me chercher ?
— Très certainement. Elle ne vous reconnaît pas comme notre chef, Rijant...
— Que dois-je faire, selon-toi ? Visiblement, punir ceux qui vont la voir ne dissuade pas les autres... Les cellules de la tour sont pleines et je n'ai aucun motif réel pour les garder enfermés plus longtemps que nécessaire...
— En effet. Dois-je faire convoquer Gaia dès demain ?
Clarke sembla réfléchir un instant puis opina.
— Oui. Envoie deux hommes la chercher au saut du lit pour me l'amener. Je dois avoir une franche discussion avec elle sur qui dirige pour le moment.
— Sans vous manquer de respect, elle ne vous écoutera pas. Elle recommencera dès qu'elle sera ressortie d'ici, répondit Goran, un peu gêné.
— Sauf si je la destitue et la renvoie chez sa mère.
Goran devint blême.
— Quoi ? Mais c'est Fleimkepa, elle...
— Je ferais venir John Murphy pour la remplacer le temps qu'un autre Fleimkepa soit officiellement nommé par Heda, répondit la jeune femme.
— Es-tu sûre qu'il...
— Qu'il quoi ? demanda Clarke. Qu'il va être intronisé ? Oui. Et non, il n'y est pas contraint, il connaît parfaitement les enjeux pour son peuple liés au fait d'avoir un Heda. Je ne suis personne, Goran, juste une gamine de dix-huit ans qu'il tellement de sang sur les mains qu'elle pourrait en remplir une barrique.
— Ton mari en a autant, rappela le conseiller.
— Bellamy n'est pas mon mari et, contrairement à moi, lui n'a pas eu le choix...
Goran pinça les lèvres puis souhaita une bonne nuit à Clarke avant de quitter l'appartement sans un mot de plus. La blonde soupira alors en s'appuyant contre le dossier du canapé de cuit gris défoncé derrière elle. Derek sortit de sa chambre, presque timide.
— Il est parti ?
— Oui. Tu ne l'aimes pas ?
— Si, il est gentil, mais je n'aime pas que les gens m'appellent Heda et s'inclinent devant moi limite à tomber sur les genoux...
Clarke esquissa un sourire en coin.
— Il faudra t'y faire, répondit-elle en se redressant.
Elle contourna le canapé et s'effondra dedans ; Derek vint se blottir contre elle et elle rabattit un grand plaid tricoté sur eux.
— Est-ce que tu veux des enfants, Wanheda ? demanda-t-il, le regard rivé sur la cheminée dansante.
— Oui, mais je n'en aurais probablement jamais.
— Pourquoi ? À cause de Lexa ?
Clarke haussa un sourcil et Derek se redressa.
— J'ai entendu la rumeur qui courre sur vous deux, comme quoi vous auriez eu une aventure ensemble...
Clarke inspira.
— Ce n'est pas une rumeur, répondit-elle. C'est arrivé, mais une seule fois et c'était un coup de tête. Lexa a été tuée au petit matin alors que je descendais me changer pour rentrer à Arkadia avec Indra et Skairipa.
Clarke baissa les yeux.
— J'ai découvert John Murphy ligoté sur une chaise au milieu de la pièce, reprit-elle. Puis Titus est apparu, armé d'une de nos pistolets, en me hurlant qu'il allait me tuer parce que j'avais rendu Heda faible... Il ferait croire que Murphy m'avait tué puisqu'il s'était suicidé derrière ; il a alors commencé à tirer, mais il ne savait pas viser et une balle a détruit des poteries, l'autre a frappé le mur...
Clarke ferma les yeux et Derek et lui prit la main.
— Lexa est entrée comme un boulet dans la chambre au moment où une troisième balle partait... Elle s'est logée droit dans son estomac, provoquant une hémorragie interne, reprit-elle. Titus l'a aussitôt déposée sur mon lit, j'ai essayé de l'aider, j'ai fait pression sur la plaie, mais c'était peine perdue, une blessure ici c'est la mort assurée en quelques secondes...
Les larmes glissèrent sur les joues de la blonde.
— Lexa est morte en quelques secondes sur mon lit et j'ai cru qu'on m'arrachait le cœur à mains nues ! Une fois que ce fut terminé, Titus a retourné le corps et retiré la Flamme de sa nuque avant de confier la boîte à John Murphy. Il est ensuite parti et...
Clarke secoua la tête.
— Je ne me souviens de rien à partir de ce moment-là, juste que Roan nous a aidé à quitter la tour, enfin je crois, et que nous avons fui dans les bois en emportant la Flamme... Quelques jours plus tard, on apprenait que Heda avait été tuée pendant un accident de chasse.
Derek était ému aux larmes et il tendit les bras pour enlacer Clarke. Elle se laissa faire un instant puis recula et passa ses mains sur ses joues.
— Tu l'aimais ?
— Oui, répondit-elle. Mais je n'ai jamais été amoureuse d'elle.
— On peut aimer quelqu'un sans être amoureux ?
— Bien évidemment, sourit Clarke en reniflant.
Elle attrapa un morceau de tissu dans un panier sur la table basse et se moucha bruyamment.
— Et tu es amoureuse de Bellamy alors ? demanda Derek.
Clarke cessa de se moucher et se frotta le nez.
— Oui, répondit-elle après quelques secondes de silence.
— Alors pourquoi tu es là ? Pourquoi tu n'es pas avec lui, à nous laisser nous débrouiller tout seuls ?
— Parce que je suis beaucoup trop gentille, voilà pourquoi. À présent, il est l'heure d'aller te coucher. Tu as de longues journées qui t'attendent, et moi aussi, donc au lit, jeune homme !
Derek haussa les sourcils puis comprit qu'elle ne lui dirait rien de plus ; il l'embrassa sur la joue et sauta ensuite du canapé en lui souhaitant une bonne nuit. Une fois que sa porte fut refermée, Clarke se pelotonna sous le plaid et tenta de chasser ces douloureux souvenirs de son esprit...
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