Chapitre 3
Clarke tournait en rond dans la salle du trône du Commandant. Elle venait d'apprendre que l'homme qu'elle avait elle-même mis sur le trône de Heda n'était qu'un homme de paille incapable de se faire obéir autrement que par la terreur. Elle avait appris avec effroi qu'il avait fait tuer une dizaine de personnes « pour exemple ».
— Si tu veux que je t'aide, il va falloir m'aider en retour, Roan ! s'exclama-t-elle en lui faisant face. Si tu ne me dis pas ce qu'il se passe et à quel point ton messager a minimisé la chose, je ne pourrais pas régler les problèmes !
— Je suis le Roi d'Azgeda, Clarke ! répliqua le Terrien. Je n'ai pas à me plier aux exigences de mon peuple ! C'est moi qui décide !
— Je suis d'accord avec le principe, mais on ne dirige pas un peuple comme on dirige une bande de sauvages !
Roan eut un hoquet de stupeur. Clarke était hors d'elle. Il ne l'avait encore jamais vue aussi furieuse, mais il comprenait, dans un sens. Il avait trahi sa confiance et elle le lui faisait payer, ne serait-ce que par la confiance que lui vouait les Terriens alors qu'ils ne croyaient même pas en leur propre Heda...
— Écoute, Clarke, je... Tu as raison, j'aurais dû te faire chercher plus tôt, mais je pensais vraiment pouvoir m'en sortir ! dit-il ensuite sur un ton plus calme.
— Oh, je n'en doute pas, mais bon sang Roan, tu es aussi large qu'un cheval et tu n'es pas fichu de te faire obéir ! répliqua la jeune femme. Je dois en penser quoi, moi ? Que l'homme en qui j'avais confiance pour mener les Terriens n'est qu'un faible ?
Roan serra les mâchoires. Elle lui avait déjà assené cette insulte un peu plus tôt dans la soirée, à laquelle il avait répondu avec véhémence qu'il n'était pas faible et qu'il pourrait le lui prouver. Elle l'avait immédiatement fait taire d'un simple geste de la main...
Repoussant ses mèches blondes sur sa tête, Clarke soupira.
— Des Natblidas ? demanda-t-elle alors.
— Trois... marmonna Roan. Deux filles de huit et neuf ans et un garçon de douze ans.
— Fais amener le garçon. Il sera intronisé, lâcha alors Clarke.
— Je te demande pardon ?! bondit Roan. Tu ne peux pas ! Il faut un Conclave !
— Un Conclave entre deux filles et un garçon non entraînés ? Roan, je te démets de ta fonction de Commandant jusqu'à nouvel ordre et je prends la tête de Terriens en tant que Wanheda, Commandant de la Mort. Heda sera intronisé au plus tôt et je le formerai moi-même au métier puisque que tu n'en es pas capable !
Roan bondit de son siège en rugissant.
— Tu n'as pas le droit ! tonna-t-il. Tu n'es rien, Clarke, tu...
— Je suis Wanheda et je t'ai mis ici, Roan ! Je te faisais confiance et tu me remercies en laissant un peuple maltraité se faire encore plus de mal là où tu devrais les soutenir !
Roan serra les mâchoires. Soudain, il quitta la pièce en faisant péter les portes et Clarke ferma les yeux.
— Trouvez-moi les Natblidas, dit-elle alors.
— Sha, Wanheda...
L'homme qui se tenait dans l'ombre d'un rideau s'éclipsa en silence et Clarke soupira profondément. Elle s'assit sur la marche du trône et observa la pièce. La dernière fois qu'elle y avait mis les pieds, c'était pour sauver le monde, littéralement et elle avait alors appris un funeste destin pour la Terre... Elle n'en avait parlé à personne, pas même à Bellamy. Elle avait du mal à croire aux élucubrations d'une entité informatique démoniaque, mais Becca, du moins ALIE2, l'Esprit des Commandant qui loge dans la Flamme, s'était trouvée là, elle aussi et elle n'avait pas bronché...
Secouant la tête, Clarke soupira et se frotta le visage. En revenant à Polis, elle n'avait pas imaginé une seule seconde que Roan ne s'en sortait pas du tout et que c'était même pire que ce qu'elle croyait, car selon le Roi d'Azgeda, il n'était plus du tout consulté pour les décisions à prendre... C'était les Prêtres qui semblaient diriger les Terriens maintenant et ça, Clarke n'était absolument pas prête à laisser faire. S'ébrouant, la jeune femme quitta la salle et alla se changer. Elle se coucha rapidement en demandant à ne pas être dérangée, épuisée par son voyage et elle décida qu'elle irait voir Gaia dès le lendemain pour qu'elle lui explique les choses de son point de vue.
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— Pour qui te prends-tu ?
— Je te demande pardon ?
Gaia regarda Clarke avec méchanceté.
— Tu n'es qu'une Skaikru, Clarke Griffin, tu n'as aucun droit sur mon peuple, rétorqua la Prêtresse.
— Je suis Wanheda et c'est moi qui ai mis Roan sur le trône de Heda. Et aujourd'hui, j'ai décidé de prendre la tête des Terriens comme on me l'a demandé il y a des mois de cela. Désormais, les Prêtres n'auront absolument plus aucune autorité, vous serez cantonnés à vos tâches religieuses habituelles sans aucune voix dans les décisions que je prendrais et ce tant qu'un semblant d'ordre n'aura pas été rétabli dans cette ville !
Gaia releva le menton. Elle regarda les deux Terriens derrière la jeune femme. Ils se tenaient droits et fiers de servir Wanheda. Gaia grimaça. Elle regarda Clarke puis, comprenant qu'elle n'avait pas le choix, elle inclina la tête, mâchoires serrées.
— Qu'il en soit ainsi, dit-elle. Sache cependant que si quelqu'un vient me demander quelque chose, il sera reçu et écouté.
— Et emprisonné si jamais il ressort de chez toi avec une autorisation quelconque qui concerne les Terriens, acheva Clarke.
Gaia grimaça, mauvaise. Clarke se détourna alors et sortit dans la rue en remontant sa capuche. Elle indiqua à l'un de ses gardes de faire surveiller les Prêtres étroitement et de lui rapporter tout agissement qui sortirait de l'ordinaire, puis elle retourna à la tour. Elle y retrouva un Roan contrarié, râleur et souffleur. Elle l'ignora et se rendit dans ses appartements. Il eut tôt fait de l'y rejoindre.
— Il y a quelque chose que je ne t'ai pas dit, dit-il en fermant la porte de la chambre.
— Dois-je m'asseoir ? railla Clarke, mauvaise.
— Non... Enfin je ne pense pas...
Clarke retira sa veste et le regarda en haussant un sourcil. Roan lui avoua alors qu'il avait été la cible de plusieurs attaques au couteau depuis quelques semaines. L'un de ses hommes avait d'ailleurs trouvé la mort en se mettant entre le couteau et son Roi.
— Et c'est maintenant que tu le dis ?
— Je...
— Oublie les excuses, soupira alors Clarke. C'est à moi de t'en faire. Je n'avais pas à te parler comme ça, hier soir, mais je n'ai pas pu m'en empêcher... Je te faisais confiance, je pensais que tu saurais gérer des Terriens à moitié brisés, toi le Roi d'une nation où la vie est plus que dure... Mais je me suis trompée. Je t'ai mal jugé. Je vais faire introniser le garçon et je resterai la Régente des Terriens jusqu'à ce qu'il ait appris son rôle, ensuite je rentrerai chez moi et j'espère bien ne plus jamais entendre parler de vous tous.
Roan baissa le nez. Cela ne lui ressemblait pas de se taire devant une femme, surtout depuis qu'il était Roi, mais devant Clarke, devant Wanheda, il ne savait pas faire autrement. C'était un petit bout de femme qui lui arrivait à l'épaule et pourtant, il la respectait de la même manière qu'il avait respecté Heda...
— Quel sera mon rôle, Wanheda ? demanda-t-il alors, presque hésitant.
Clarke le regarda un moment puis s'assit dans le canapé et soupira.
— Je n'ai personne d'autre que toi pour m'apprendre le rôle de chef, dit-elle. Tu seras donc mon Second, Roi Roan, si tu es d'accord. Ensemble, nous aiderons les Terriens à reprendre leurs vies en main et à se relever après le passage de ALIE.
Elle tendit alors la main vers lui et le Terrien hésita. Il l'observa un moment puis s'approcha et posa un genou à terre en baissant la tête.
— Sha, Rijant.
D'abord surprise, Clarke releva le menton puis lui fit signe de se relever. Il s'assit ensuite dans l'autre canapé et lui demanda ce qu'elle voulait savoir.
— Tout, répondit-elle. Depuis le moment où je suis partie avec les Skaikrus jusqu'à ce que tu décides que tu avais besoin de moi. Et inutile d'être condescendant ou fier, ce que tu ne me diras pas, je le saurais d'une manière où d'une autre.
Roan serra les mâchoires. Il n'avait pas l'habitude qu'une femme lui parle de la sorte, et encore moins une étrangère qui débarquait, littéralement, cependant il craignait bien plus Wanheda et son courroux que Clarke Griffin...
— Très bien, admit-il alors. Tu sauras tout, cependant après cela je partirais. J'ai délaissé mon pays trop longtemps, je dois m'en occuper un peu.
— Je te ferais revenir si j'ai besoin de toi.
— Et je reviendrais, mais dès demain, je quitte Polis.
Clarke opina, elle n'avait aucune raison de le retenir, de toute manière. Aboyant soudain quelque chose, Roan fit venir un serviteur et lui demanda de quoi grignoter et boire ; le jeune homme s'inclina puis quitta l'appartement...
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La nuit était noire quand Roan termina son récit de sept dernier mois et Clarke était à la fois abasourdie et admirative.
— Tu as réussi à te mettre à dos la totalité de ton propre peuple en moins d'une année, tu as fait fort, quand même.
— Arrête le sarcasme, tu veux ? gronda l'Azgeda. Qu'est-ce j'en savais, à l'époque, qu'ils allaient réagir comme ça ?
Clarke admit qu'il avait raison en inclinant la tête. Elle inspira ensuite.
— Il n'empêche que c'est ma faute, répondit-elle. Ontari était ta sœur, Nia ta mère. J'aurais dû savoir que mon choix de commandant par intérim ne passerait pas.
Roan serra les mâchoires.
— Non, tu ne pouvais pas savoir. J'ai fait tuer ma mère, Clarke, parce qu'elle ourdissait un complot contre Heda. Elle a fini par arriver à ses fins malgré la mort, et Ontari s'est emparée de ce qu'elle pensait lui être dû, mais jamais je n'aurais adhéré à une telle chose ! J'ai été banni de mon propre clan pour avoir refusé de participer aux desseins de ma mère, j'ai perdu ma famille, mon clan et ma place dans ce monde en un seul claquement de doigts. Je pensais que j'avais suffisamment payé.
Clarke pinça les lèvres.
— Apparement non. Je vais reprendre les choses en main à partir de demain, dit-elle. Toi, tu rentres chez toi et tu te fais oublier pendant quelques temps. Si j'ai besoin de toi, je te ferais chercher, mais considère-toi dès à présent relevé de tes fonctions de chef par intérim.
Ron inclina la tête.
— Merci, Wanheda. Et je te demande encore pardon de t'avoir sortie de ta retraite de la sorte, j'espère que je ne t'ai pas séparée de quelqu'un.
Clarke pinça la bouche.
— Si, mais ce n'est pas grave, je le reverrais dès que tout sera réglé ici.
— Puis-je savoir qui ?
— Tu le sais, je pense.
— Blake ?
Clarke opina.
— Nous ne sommes pas ensemble, si tu veux savoir, mais il allait venir chez moi passer quelques semaines quand ton messager est arrivé. Je suis néanmoins restée deux semaines avec lui avant de partir.
— Tu devrais te l'attacher, tu te sentirais probablement moins angoissée à l'idée de gérer un peuple entier, tu ne crois pas ?
Clarke baissa les yeux une seconde.
— Non, pas encore, répondit-elle. Nous sommes encore tous deux trop écorchés par les derniers événements, nous ne serions pas heureux ensemble. Le fait qu'il se soit installé chez moi pendant mon absence me rassure, je sais qu'il pourra guérir de toutes ces horreurs de la même manière que moi je l'ai fait et, une fois que les Triges seront de nouveau un peuple correctement géré, je rentrerai et j'aviserai mon avenir avec Bellamy.
— Tu l'aimes ?
Clarke hocha la tête.
— Oui, depuis longtemps, mais avec ce que ALIE m'a montré sur l'avenir de cette planète, je n'ai pas le droit de m'attacher qui que ce soit pour le moment, pas tant que ce qu'elle a prédit ne sera pas réalisé.
— Et si cela ne se réalise jamais, quoi que ce soit ?
— J'aviserai.
Roan grimaça.
— Tu sais, si nous avions attendu que le monde se relève tout seul avant de nous marier et de faire des enfants, Clarke, les Triges n'existeraient pas du tout, dit-il. Les survivants ont immédiatement repris pied une fois le choc passé et se sont organisés pour recommencer à vivre plus ou moins normalement, parce que l'humain a besoin d'un but dans la vie, sans but il n'avance pas et il finit par mourir.
— J'ai un but, avoir enfin la paix et ne plus jamais revoir un Terrien.
La réponse, cinglante, n'invitait pas à plus d'argumentation et Roan décida qu'il était temps de couper la discussion là. Il souhaita donc une bonne nuit à Clarke puis quitta l'appartement pour retourner dans le sien, un étage au-dessous. La jeune femme se retrouva alors seule et, prenant sa tasse de thé, elle se rendit sur le balcon et observa, accoudée à la rambarde de pierre, la ville en contre-bas. Environ trois mille Triges vivaient à Polis et dans ses environs immédiats, tous clans confondus ; les autres étaient répartis en clans plus ou moins grands dispatchés sur tout le territoire et représentaient environ trente à cinquante mille personnes. Emori avait dessiné une carte de ce territoire avec les noms des clans et leurs frontières lorsque Marcus Kane avait émis l'hypothèse de quitter Arkadia pour s'établir quelque part de manière plus durable ; il était alors apparu que les Terriens n'avaient pas laissé beaucoup de terres sans contrôle et qu'obtenir un territoire pour les Skaikrus allait être compliqué...
Avec un profond soupir, Clarke termina son thé puis décida d'aller se coucher. Elle avait douze jours de cheval dans les reins, elle était épuisée. Elle enfila donc une robe de nuit trouvée dans la penderie et, après une toilette de chat, elle se glissa sous les lourdes fourrures étendues sur le grand lit. Elle ne tard pas à s'endormir, mais son sommeil fut peuplé de rêves étranges et incompréhensibles qui la tirèrent des bras de Morphée alors que le jour se levait à peine...
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