Chapitre 23
Quinze jours de voyage en chariot, c'est long, mais Raven n'avait pas le choix. Abigail non plus, même si elle aurait préféré monter à cheval, au moins, elle n'aurait pas mal partout ni même quelques bleus...
— Mesdames ! Regardez, voilà Polis ! s'exclama Jorgen.
Aussitôt, les deux femmes se retournèrent et Abigail souffla.
— Mon dieu, mais c'est immense ! Combien... ?
— Plusieurs milliers, sans aucun doute, mais toute la ville n'est pas habitée, une grande partie est encore en ruines et les maisons sont rénovées au fur et à mesure des mariages. Ah, nous sommes repérés...
Un cavalier s'approcha au trot et fit demi-tour pour accompagner le chariot.
— Heya, Merchent, dit-il. Où tu vas comme ça ?
— À Polis, et j'ai deux passagères pour Rijant.
— Qui donc ?
— Sa mère, le Docteur Griffin, et Raven.
L'éclaireur fronça les sourcils en voyant les deux femmes puis hocha la tête.
— Je vais prévenir Rijant, dit-il. Entre par la grande porte, mais ne t'arrête pas. Descend sous la Tour pour les déposer, tu te feras payer et tu repartiras dans le quartier marchand après cela.
— Entendu, répondit Jorgen.
L'éclaireur inclina ensuite la tête puis talonna son cheval qui partit au galop le long de la route parfaitement entretenue. Jorgen soupira.
— Tout va bien ? demanda Abby.
— Oui, c'est juste que je n'aime pas vraiment recevoir de tels ordres ; vous n'êtes pas si précieuses que cela...
— Un peu quand même, ronchonna Raven en croisant les bras. Je vous rappelle que sans moi, vous seriez tous morts, hein. Je dis ça comme ça...
Ni Abigail ni Jorgen ne répliquèrent ; elle avait raison. Le marchand claqua alors de la langue et ses deux énormes chevaux se remirent en marche en direction de l'immense ville qui s'étendait dans la vallée, avec au loin, l'océan brillant de mille feux.
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À leur grande surprise, personne ne sembla intéressé par le chariot bringuebalant d'un marchant traversant la ville. Certaines personnes lui jetèrent des coups d'œil, mais sans plus et lorsqu'il descendit le long pan incliné menant sous la Tour du Commandant, les pas des chevaux résonnant contre les murs de béton nu, il était déjà un lointain souvenir pour les Terriens.
— Oh, là.
Le chariot s'immobilisa et deux hommes apparurent à l'arrière.
— Terminus, mesdames, annonça l'un des hommes.
— Et vous êtes ? demanda Raven un peu abruptement.
— Raven, toujours aussi agréable...
Le Terrien, qui n'était autre que Roan, recula d'un pas et la brune fronça les sourcils en voyant approcher un homme portant une longue robe brune, capuche remontée sur la tête. Lorsqu'il la repoussa, elle souffla.
— Murphy... T'es encore en vie, sale cafard ? dit-elle.
— Un peu de respect pour Fleimkepa, grogna le second Terrien.
Raven lui jeta un regard aigu.
— Et tu es ?
Murphy inspira.
— Descend de ce chariot au lieu de parlementer, tu as suffisamment...
Abigail apparut alors et John plissa les yeux.
— Doc... qu'est-ce que vous faites ici ? Raven devait venir seule...
— J'ai préféré l'accompagner, je n'ai pas vu ma fille depuis des mois, je te rappelle. Bon, quelqu'un nous aide à descendre ou nous allons passer la nuit ici ?
— Chil au... dit alors une femme.
Tylo et Roan firent aussitôt un pas de côté en baissant la tête.
— Rijant, dit le second.
Abigail fronça les sourcils et tourna la tête.
— Clarke... souffla-t-elle.
Elle tendit alors les mains et Tylo l'aida à descendre. Elle fit face à sa fille un instant, la regardant de haut en bas, puis elle lui prit le visage entre ses mains avant de l'enlacer solidement.
— Oh, et moi ? demanda alors Raven en claquant des doigts.
Tylo lui jeta un regard et s'éloigna. Roan haussa un sourcil avant de l'aider à descendre.
— T'es plutôt malpoli, toi, lâcha alors la brune.
— Raven, ça suffit, répondit Murphy. Ton fiel n'est pas le bienvenu ici.
La jeune femme serra les mâchoires.
— Je vais la conduire chez elle, dit alors Roan. Tu as un sac, Reivon ?
La brune haussa un sourcil puis indiqua le chariot et Roan sauta à l'intérieur avec souplesse. Les essieux grincèrent en se balançant puis l'homme revint avec deux baluchons et sauta au sol.
— Viens avec moi, Reivon, dit-il ensuite. Doc, je monte votre sac dans votre appartement.
— Hein ? Oh, euh... Merci ?
— C'est Roan, Maman, répondit Clarke avec un sourire. Le roi d'Azgeda. Nous vous retrouverons chez moi, ajouta-t-elle pour le guerrier.
— Je les accompagne, répondit Murphy.
— Entendu. Marchand ?
— Je me nomme Jorgen, Rijant, répondit l'homme en se retournant.
— C'est lui qui nous ravitaille en revenant de TonDC, sourit Abby.
— C'est un plaisir. J'ai été ravi de vous amener votre mère, Rijant ; s'il faut les ramener à Arkadia, dites-le-moi, je reste ici pour trois semaines.
— Bien, je m'en souviendrais. Merci, tu peux partir. Goran ? Paie-le.
L'Intendant inclina la tête et Abigail frissonna, elle ne l'avait pas vu derrière Clarke. Elle l'observa donner un sac de tissu au marchand qui inclina la tête à son tour avant de claquer de la langue et de repartir au pas le long du large tunnel.
— On est où ici ? demanda-t-elle alors en regardant autour d'elle. Je vois des lampes modernes... C'était quoi, un garage ?
— C'est ce que je pense, oui, répondit Clarke. Comme tu peux le voir, aujourd'hui cela sert de stockage et de chambre froide ; et de prison aussi.
Il y eut quelques marmonnements mécontents dans les box du fond et Clarke serra les lèvres.
— Viens, dit-elle ensuite en prenant le bras de sa mère. Montons. J'ai beaucoup de choses à te raconter ; je ne savais pas que tu avais décidé de venir, mais c'est aussi bien, je verrais d'autres têtes comme ça !
Abigail rigola et Goran leva les yeux au ciel.
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— Tiens.
— Merci, Clarke.
Raven prit la tasse chaude et la blonde en déposa une seconde entre les mains de sa mère avant de s'asseoir. Roan lui donna une tasse et elle le remercia d'un signe de tête. Tylo et Goran les avaient laissés quelques étages plus bas.
— Je suis contente de te revoir, John, dit alors Abigail en posant sa tasse sur la table basse entre eux. Tu as l'air d'aller bien.
— Oui, je n'ai pas à me plaindre après avoir été enrôlé de force, répondit le jeune homme avec un coup d'œil pour Clarke.
— Tu aurais pu m'envoyer bouler, hein, répondit la jeune femme en haussant les sourcils.
— En effet, mais je n'ose imaginer dans quel état serait Gaia si j'avais refusé...
Il y eut quelques sourires puis John observa la femme médecin.
— Comment va Emori ?
— Très bien. Et votre fille aussi. Elle se porte comme un charme et Octavia est complétement gaga d'elle.
— Ça lui fait quoi, deux mois ? demanda alors Clarke.
— C'est ça. J'aurais aimé être là, mais...
— Tu rentreras dès que j'aurais réglé le problème avec la Flamme, assura alors la blonde. C'est promis, John. Et tu sais que je tiens mes promesses.
— Oh, ça oui, je l'ai bien vu...
Un silence s'installa ; Raven bâilla alors à s'en décrocher la mâchoire.
— Veux-tu aller te reposer ? demanda Clarke. Je ferais monter Serena pour qu'elle t'aide avec ton attelle.
— Je sais me débrouiller, hein ! répliqua la brune.
— Raven, je t'en prie, répondit Abigail doucement.
— Serena est le chef des Guérisseurs de la Tour, dit alors Clarke. Elle prendra soin de ta jambe jusqu'à ce que vous repartiez. D'ailleurs, si tu n'y vois pas d'inconvénient, je vais demander aux forgerons de te refaire une attelle plus adaptée et confortable.
— Je n'ai pas besoin de ta pitié, hein !
— Raven...
Le ton était grondant et la brune regarda Abigail avant de se lever plutôt lestement pour quelqu'un qui n'a qu'une jambe. Elle claudiqua jusqu'à la porte et sortit dans le couloir ; John soupira.
— Je la reconduit à sa chambre, dit-elle. Je vous souhaite une bonne soirée, je rentre aussi. On aura le temps de discuter, Doc.
— Oui, bien sûr. Bonne nuit, John.
Le jeune homme sourit puis quitta l'appartement. Roan soupira.
— Je vais me rentrer aussi, dit-il en se levant.
— As-tu des nouvelles de Echo, au fait ? demanda Clarke.
— Echo ? Cette femme qui a voulu tuer Octavia ? répondit Abby.
— Un instant, Maman... Roan ?
— Oui, elle m'a envoyé un courrier il y a une semaine, il semblerait qu'elle ait trouvé un compagnon prêt à la marier.
— C'est bien. Si tu ne lui as pas encore répondu, dis-lui qu'elle a mon assentiment.
Roan haussa un sourcil puis inclina la tête.
— Cela apaisera sans doute ses craintes, répondit-il. Bonne nuit, mesdames.
— À toi aussi.
— De même.
L'homme quitta ensuite l'appartement et Abigail se tourna vers sa fille.
— Alors ? demanda-t-elle.
— Nous parlons bien de la même Echo, oui, cependant, elle a déboulé à Polis il y a quelques semaines avec un nourrisson sans doute né pendant le voyage, répondit Clarke. Son mari a été tué pendant les affrontements et elle pensait trouver une sécurité auprès de Roan, mais le bébé est décédé une nuit, et Roan l'a fait inhumer ici, dans la crypte royale du quartier d'Azgeda. Il est ensuite reparti avec Echo à Monréal et revenu pour reprendre son rôle auprès de Derek.
— D'accord... Je suis navré pour son bébé...
— C'est le lot de beaucoup de femmes aujourd'hui, répondit Clarke en soupirant. La loi interdit même de donner un prénom aux nouveau-nés avant leur première lune révolue, afin que personne ne s'y attache.
— C'est terrible, et Emori me l'a expliqué quand je lui ai demandé comment elle désirait appeler sa fille, quelques minutes après sa naissance...
— Lui a-t-elle donné un nom maintenant ?
— Oui, pourquoi ?
— Pour savoir...
Abigail plissa les yeux.
— Chérie, ne fais pas quelque chose que tu pourrais regretter dans quelques années...
Clarke baissa le nez.
— Regretter de donner un peu d'espoir à une femme dont la vie n'a été que survie depuis sa naissance ?
— Je te connais trop bien, je savais que tu avais quelque chose en tête et John ne te laissera pas faire...
— Je n'ai rien décidé, de toute manière, mais c'est le devoir d'un chef que de remercier les gens qui donnent la vie, quand bien même la personne en question soit une Wastelander.
Abby fronça les sourcils.
— Ne l'appelle pas comme ça, c'est tellement péjoratif !
— C'est pourtant ce qu'elle est et ça, je n'y peux absolument rien !
— Je sais... souffla la femme médecin.
Un silence s'installa alors, juste le temps pour que la porte de l'appartement s'ouvre sur un jeune garçon qui s'arrêta en fixant les deux femmes dans le canapé.
— Bonjour... mais qui es-tu, toi ? demanda Abigail.
— Clarke ? répondit-il. Qui est-ce ?
— Derek, je te présente ma mère, le docteur Abigail Griffin. Maman, voici Derek, celui que tout le monde vit comme mon fils, mais qui est aussi Heda. Enfin, qui l'était.
— Oh... J'en ai entendu parler, oui... Et ça va ?
— Je gère, répondit Derek. On dîne bientôt ? demanda-t-il ensuite à Clarke.
— Dans un moment, oui, va dans ta chambre, je t'appellerai.
Le jeune garçon hocha la tête puis disparut dans le couloir et une porte se fit entendre. Abby se tourna alors vers sa fille.
— Pas ce regard, maman, dit Clarke en se levant.
— Ma petite fille a découvert son côté maman, roucoula-t-elle. Cet enfant est très beau, comment est-il arrivé chez toi et pire, sur le trône de Heda ?
— C'est un Natblida, le seul que Roan a été capable de dénicher... Je l'ai fait introniser il y a un peu plus de trois mois maintenant, mais il a été rejeté par l'Esprit des Commandants et j'ai dû demander à John qu'il lui retire la Flamme...
— Cela a fait pas mal parler, tu sais ?
— Je m'en doute, et je sais aussi que les gens m'en veulent, mais je n'avais pas le choix et...
— T'en vouloir ? Non, ce n'est pas ce que j'ai entendu, répondit Abigail, surprise.
— Ah non ?
— Non, du tout, au contraire, les gens comprennent que tu n'avais pas le choix, qu'il fallait un Commandant, mais je ne te cache pas qu'ils sont déçus que Derek n'ait pas su continuer...
— J'imagine qu'il aurait pu si je n'avais pas été à cette place, répondit la blonde en soufflant par le nez. J'ai été trop vite en besogne, je l'ai intronisé alors qu'il n'avait pas le bagage nécessaire pour endurer l'Esprit des Commandants, il l'a payé et je le paie aussi, très cher, parce que désormais, je dois trouver un autre Natblida pour le remplacer. Un adulte, si possible, ou une personne d'au moins seize ans, comme la nouvelle loi le stipule.
— Une loi ?
Clarke hocha la tête et entreprit alors de raconter à sa mère les dix mois qu'elle avait passés à Polis en tant que Régente des Terriens.
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