Yuan Lie se leva du lit et orienta son corps vers la piscine d'intérieur en utilisant ses sens. Immédiatement Qian Jingliu l'attrapa par le bras et le suivit pour tenter de le raisonner.

« Laisse-moi te laver. N'entre pas dans ce bain, ce sera douloureux, crois-moi ! insista-t-il d'un ton suppliant.
— Partageons un bain Qian Jingliu ! implora joyeusement Yuan Lie avec un grand sourire. Avec toi, je n'ai aucune crainte !
— Je crois que je vais vous laisser, déclara Kaze qui n'avait pas bougé de sa chaise. Ce n'est pas que je suis gêné par la présence d'hommes prenant un bain ensemble, mais... brrr. »

Comme si quelqu'un lui avait pincé les fesses, d'un geste vif il se leva, débarrassa la table, ne laissant que le vin et le thé, puis les salua, tourna les talons et disparut pour ne plus revenir.

La piscine encadrée par des paravents évoquait un espace parfait pour se détendre et se ressourcer. Elle était conçue de manière élégante, avec des bords lisses en bois poli. Ses parois étaient renforcées de planches de bois solides et décorées avec des motifs de vagues. L'eau maintenue à une température ambiante était d'une clarté cristalline. Les paravents ornés de motifs floraux et de paysages traditionnels étaient peints avec des couleurs vives qui semblaient presque vivantes à la lumière tamisée de la yourte.

Tout en se laissant guider par le Tigre jusqu'au bord du bain, Yuan Lie affichait un sourire espiègle puis se laissa faire par les doigts gracieux du noble qui s'occupait de le dévêtir. Le jeune homme aveugle se sentit un peu gêné d'être, couche après couche, mis à nu, mais il ne voulait pas que cela transparaisse dans sa voix ou dans son expression. Il se concentra sur les sensations de l'air frais qui l'entourait et sur les doigts délicats du noble qui le dévêtaient avec une grande habileté. Or, lorsqu'il entendit les bruissements des vêtements de Qian Jingliu qui se déshabillait à son tour, son coeur trépigna d'impatience et d'excitation. Yuan Lie devina le bruit des vêtements tombant sur le sol et il ne put s'empêcher de se demander si Qian Jingliu était aussi beau nu qu'il l'était habillé. Cette pensée éveilla en Yuan Lie un étrange désir. Il ressentit un frisson parcourir sa peau, une chaleur naissante dans son ventre qui fit doucement gonfler son membre à l'entrejambe. Il le cacha de ses mains, espérant secrètement que le Tigre n'ait rien remarqué.

Mais le Tigre saisit sa main et le guida à la première marche de la piscine. Dès que son pied effleura l'eau, comme prédit par Qian Jingliu, Yuan Lie fut foudroyé. Sans perdre un instant, le noble lui insuffla un souffle de son yang et en un clin d'oeil, la douleur s'atténua considérablement.

« Prends ton temps, suggéra le Tigre avec douceur, tenant sa main dans la sienne. Allons-y doucement. »

« Hmm, acquiesça Yuan Lie en hochant la tête. Allons-y » signifia-t-il en s'armant de courage.

Petit à petit, ils descendirent les quelques marches en bois poli et se laissèrent glisser dans l'eau fraîche. Yuan Lie resta assis sur les marches submergées pendant que le Tigre lui administrait du qi. Il libéra un peu de son yin qui se mêla à celui de Qian Jingliu, et en un clin d'œil, ses douleurs s'apaisèrent totalement pour son plus grand bonheur. Ce ne fut qu'à ce moment qu'il se hasarda à faire quelques pas jusqu'au centre de la piscine et se laissa couler entièrement dans l'eau. Lentement, il expulsa l'air de ses poumons et s'assit au fond dans la posture du lotus. L'eau fraîche était très agréable et rafraîchissait son corps exténué après ces jours de souffrance, mais il n'eut pas l'occasion d'en profiter longtemps qu'une paire de bras se glissa autour de sa taille pour le ressortir la tête hors de l'eau.

« N'a-t-on jamais dit de ne pas se baigner après avoir mangé ? moralisa la voix de velours.
— Qian Jingliu, je ne suis plus un enfant ! Et je n'ai bu que du thé ! » ricana ce dernier en essuyant l'eau dégoulinant de son visage.

Le Tigre se saisit brusquement de sa main avant qu'il ne touchât ses yeux par inadvertance.

« Attention à tes yeux, laisse-moi enlever le bandeau. »

Yuan Lie esquissa une mimique amusée du coin de la bouche qui creusa un petit sillon incurvé dans sa joue. Le tic s'adoucit doucement, il prit son courage à deux mains et d'une voix plus légère, il lui demanda :
« Qian Jingliu... n'as-tu pas quelque chose à me dire ?
— Que veux-tu entendre ? lui demanda-t-il d'une voix aussi calme qu'une pluie de printemps.
— Rêves-tu... souvent de dragons ? »

Qian Jingliu se crispa. Il y eut une fraction de seconde où l'air sembla se densifier. Il comprit immédiatement. ''Il le sait'', réalisa-t-il. ''Évidemment... C'est à cause des yeux.''

Lui-même avait senti quelque chose d'extraordinaire se produire en lui au contact des globes oculaires dans son corps. C'était comme si une énergie ancienne et puissante circulait à travers lui, fusionnant avec son être. Il avait ressenti une connexion avec quelque chose qui remontait à des éons, mais dévoré par l'anxiété dans l'attente interminable que Yuan Lie se réveille de son long sommeil après avoir absorbé sa malédiction et par la suite, il a été occupé à déjouer leurs attaquants à son réveil, le Tigre avait tout simplement minimisé ce fait.

Yuan Lie perçut le léger frémissement qui traversa le corps de Qian Jingliu. Plongé dans l'obscurité et tourné vers lui, attendant une réponse qui tardait trop à son goût, le nouvel aveugle commençait à s'impatienter. Voilà maintenant qu'il avait droit au vent monumental !

« Tu n'as pas l'intention de m'en parler ? insista-t-il et l'entendit pousser un soupir blasé.
— Je suis le dragon blanc » déclara ce dernier sans formalité.

La bouche de Yuan Lie tomba de surprise. Non pas parce qu'il venait d'avoir la confirmation qu'il attendait, mais à cause de la manière tout bonnement désinvolte dont il le lui a dit.

« Tu... !? Tu le sais depuis quand !? s'exclama Yuan Lie qui était aussi soufflé que son soupir.
— Depuis que j'ai cinq ans, répondit calmement Qian Jingliu comme s'il était déjà préparé à donner cette réponse depuis longtemps, sa voix ne fluctuant nullement.
— Et... tu savais que j'étais le dragon noir ? demanda l'aveugle abasourdi.
— Oui.
— Depuis quand !? s'écria Yuan Lie en tapant l'eau qui les éclaboussa tous les deux.
— Depuis... Qian Jingliu chercha un instant dans sa mémoire. Le jour où tu es revenu au Mont Zhu avec ton épée à la Fête des Lanternes. J'avais des doutes, sans trop y croire. J'ai eu la confirmation quand je t'ai vu avec Kaze la première fois.
— Tu le savais ? Et tu ne m'as rien dit !? »

Yuan Lie était sidéré d'apprendre que Qian Jingliu connaissait son identité depuis aussi longtemps. L'année où il a eu Hundun, cela remonte à l'année de ses seize ans. Par la suite, il avait passé plusieurs jours à la Tour d'Eau, ensuite il y a eu la guerre où ils ont lutté dans le même camp, et même s'il a oublié la plupart de ses souvenirs de cette période, une information comme celle-là, s'il l'avait su, il s'en serait sans doute souvenu ! Il aura fallu qu'il porte les yeux de son compagnon pour le découvrir ! Qian Jingliu a eu des années et d'innombrables occasions pour lui dire la vérité, et pourtant, il avait choisi de ne rien faire. Pourquoi ?

Les joues de Yuan Lie s'assombrirent, des questions l'assaillirent à travers un sentiment désenchanté et des émotions en ébullition. À quoi cela rimait ? Depuis des jours qu'ils voyageaient ensemble, pourquoi le 'dragon blanc' voudrait le surveiller en lui cachant sa propre identité ?

Qian Jingliu saisit le visage de Yuan Lie et prit ses joues entre ses mains.

« Je n'aime pas l'idée d'être le dragon blanc, avoua la voix du Tigre qui sentait son visage frissonner et voyait ses lèvres qui s'étaient mises à trembler fébrilement. Je ne voulais pas t'imposer ma présence.
— Pourquoi ? s'indigna Yuan Lie d'un ton perplexe.
— Qu'aurais-tu fait si tu l'avais su ? M'as-tu seulement cherché ?
— Je... je te croyais mort ! Je t'ai toujours cru mort et disparu ! J'étais persuadé que... quand j'étais la femme en rouge, je t'ai... J'ai toujours cru que je t'avais tué ! Je t'ai vu exploser dans des milliards de couleurs et... ! »

Il parut sur le point de fondre en larmes, ses traits tiraillés par une douleur sourde et une peine longtemps contenue. Il avait cru perdre Qian Jingliu à jamais, non pas une fois comme il le croyait, mais deux, pourtant voilà que ce dernier se trouvait devant lui, bien vivant et en chair et en os. Il avait du mal à comprendre.

Le Tigre ne put s'empêcher de ressentir un pincement au cœur en voyant la détresse de Yuan Lie. Il s'approcha plus près de lui et posa une main réconfortante sur son épaule.

« Je suis là, Yuan Lie. Je suis en vie et je n'ai jamais voulu te faire du mal. »

Yuan Lie leva ses yeux clos vers lui, les larmes menaçant de déborder. « Pourquoi m'avoir caché qui tu étais ? Pourquoi ne pas avoir mis fin à cette mascarade plus tôt ? »

Qian Jingliu baissa la tête, honteux.

« Je ne voulais pas que tu me juges comme étant le dragon blanc. Je voulais que tu me connaisses pour qui je suis réellement, sans artifice ni prétention. Mais je comprends que j'ai peut-être fait erreur en gardant le silence aussi longtemps.
— Je n'aurai jamais pensé que tu aurais pu être réincarné comme moi... Qian Jingliu ! s'exclama-t-il en souriant cette fois. Oh, Qian Jingliu pourquoi n'as-tu rien voulu me dire ? fit-il en le saisissant par les épaules, la voix chargée d'émerveillement.
— J'ai préféré rester loin de toi. J'attendais que tu le découvres de toi-même, si ce jour devait venir, répliqua le Tigre avec une pointe de reproche et d'amertume qui pointèrent dans sa voix.
— Qu'y a-t-il, Qian Jingliu ? sursauta Yuan Lie, qui capta l'émotion dans son timbre.
— ..... »

Il n'entendit qu'une bruyante inspiration qui signifia à Yuan Lie qu'il ne répondrait pas à cette question. À la place, le noble relâcha son visage qu'il tenait entre ses mains et glissa quelques mèches trempées derrière ses oreilles. En réalité, Qian Jingliu était vexé que Yuan Lie ne l'ai pas réalisé beaucoup plus tôt que ça. Il aura fallu qu'il porte ses yeux pour le découvrir !

« Je... je suis désolé de ne pas l'avoir remarqué plus tôt, répondit Yuan Lie avec un regret sincère. Pourquoi voulais-tu... rester loin de moi ? tenta-t-il en laissant ses mains qu'il avait posées sur les épaules de Qian Jingliu glisser jusqu'à ses poignets.
— Je... rêvais tout le temps de la femme en rouge. Elle hantait presque toutes mes nuits quand j'étais enfant, révéla-t-il sur un air aussi mélancolique que la pluie d'un après-midi d'hiver. Elle... me repoussait sans arrêt et... elle m'a tué, je te rappelle. »

Ses derniers mots furent presqu'un murmure que Yuan Lie intercepta. Il ressentit parfaitement le poids de ses sentiments derrière ses mots légers comme plumes.

« Je te demande pardon, Qian Jingliu, dit-il sincèrement. Je... Elle l'a beaucoup regretté, tu sais ? Elle s'en est voulu le reste de sa vie et elle a fini par se laisser mourir dans ce qui restait du dragon blanc pour être avec lui éternellement. Elle s'est langui de l'homme en blanc le restant de ses jours. »

Le noble resta muet, ses yeux fixés sur le visage de Yuan Lie, dévorant chaque expression qui traversait ses traits. Les mots de cet aveu résonnaient encore dans l'air, créant une tension palpable entre eux. Un mélange complexe d'émotions flottait sur le visage du Tigre, allant de la surprise à la contemplation profonde. Il regarda l'homme qui lui souriait en dépit de ces cicatrices noires qui le défiguraient et sentit sa gorge se nouer. Yuan Lie, qui sentait le poids du silence, tenta de déchiffrer la réaction de Qian Jingliu, ce qui s'avéra être impossible. Alors il prit une inspiration, et déballa son cœur.

« Je t'ai tué moi aussi, lui dit Yuan Lie. Enfin... J'ai cru te tuer... après la guerre, et pourtant, tu es là avec moi en ce jour. Crains-tu que je puisse te tuer à nouveau et qu'on répète l'histoire encore ?
— Non... Ce n'est pas ce qui me fait peur.
— Bien ! répliqua Yuan Lie en accentuant le mot d'un sourire sur un air entendu. Je ne te ferai aucun mal, Qian Jingliu, jamais plus ! Je te fais cette promesse ! Je donnerai ma vie pour toi ! Je ne te ferai plus souffrir ! » jura Yuan Lie en se rapprochant, déterminé, et se collant plus près de Qian Jingliu, il glissa ses mains dans les mains du Tigre et ils entremêlèrent leurs doigts.

Qian Jingliu resta muet et déglutit, sentant son coeur pomper un sang échauffé jusqu'à ses extrémités où cavalaient un millier de fourmis de feu. Yuan Lie leva le menton vers Qian Jingliu, comme s'il le fixait derrière ses paupières closes, puis s'arma de courage.

« Qian Jingliu, je... je suis désolé d'être si lent parfois ! J'ai compris que toi et moi, nous... nous sommes faits pour rester ensemble. Rappelle-toi nos combats en dragons, ces coups que nous nous sommes infligés auraient dû nous tuer à maintes reprises. Pourtant, on a toujours guéri instantanément... Je t'ai brûlé la gorge avec de la lave, mais la glace s'est formée dans ta bouche pour absorber le feu du yin. Tu m'as transpercé, mais cet endroit s'est changé en fumée et s'est régénéré au contact de ton yang. Nous sommes faits pour être ensemble ! Nous sommes totalement compatibles. Depuis le début, c'est ce que nous aurions dû faire... Toi et moi !
— Ensemble ? répéta Qian Jingliu, un brin sarcastique. Ensemble comment ? Tu m'as repoussé sans cesse en tant que femme ou en tant que dragon, et nos premières rencontres se sont faits à force de coups et d'épées, et comme tu l'as dit, tu as encore failli me tuer. Ensemble comment ? Tu t'es réincarné en homme cette fois, moi aussi. Ensemble, comment ? »

Qian Jingliu dévia son regard sombre vers l'eau. Si ce n'était pas un message clair, il ne voyait pas ce que c'était. L'enfant qui avait été hanté dans ses rêves tellement souvent par ces images de dragons, avait grandi avec la vision du rejet permanent de la part de son 'autre'. Lorsqu'il comprit qui était réellement Yuan Lie, et sachant que c'était un homme comme lui, il l'interpréta naturellement comme une autre gifle envoyé de son rival acharné. Le message était clair et pas très subtil.

Cependant, Yuan Lie ne se laissa pas intimider. Il ramena les mains de Qian Jingliu devant lui et se rapprocha plus près jusqu'à n'être qu'à un ongle de lui.

« Qian Jingliu, je veux être avec toi ! déclara-t-il de façon claire, précise et nette. J'aime être avec toi, j'aime ta compagnie, j'aime ta présence, j'aime ta façon de faire, ta façon d'être, j'aime tout chez toi ! Chaque instant partagé avec toi est précieux. Tu me plais entièrement ! Mes sentiments sont... confus, mais je crois que je comprends. Tu es ma raison d'exister, je te veux toi et je... je ne veux plus jamais te quitter. Je... Je veux être à tes côtés pour toujours... Qian... Qian Jingliu ? Je... Il fallait que... »

S'il avait parlé sans trembler, les mots s'étranglaient maintenant et ne parvenaient plus à franchir ses lèvres. Être aveugle et ne pas voir Qian Jingliu avait été d'une grande aide pour faire sa déclaration, mais l'autre revers était qu'il ne voyait absolument pas l'expression qu'affichait ce dernier.

« ...Tu ne veux pas m'appeler Qian Ling ? » ronronna la voix de velours à sa grande stupéfaction et, hélas, à son plus grand regret.

Les sourcils de Yuan Lie observèrent un sursaut, il eut un recul de surprise et resta bouche bée, muet par l'incompréhension. Les mots qui déferlaient tel un torrent tempétueux, butaient à présent contre le barrage de ses lèvres qui allaient se refermer avant que Qian Jingliu ne les arrêtât en y apposant ses lèvres et en le tirant vers lui dans un baiser passionné.