Ch 19 : Toujours à le défendre
« Comment oses-tu te tenir devant nous ? Yuan Lie ! beugla Zhu Yaling en arrivant à sa hauteur avec Qian Jingliu se tenant à trois pas derrière lui. Tu nous expliques ce que tu fais ici ? La Porte de l'Avenir ne t'avait pas banni ? Tu sais ce que tu as fait ?
— Shixiong, tu es dur ! protesta Yuan Lie en levant ses paumes devant lui. Je n'ai rien demandé, je t'assure...
— Yuan Lie ! Espèce d'ingrat ! Tu mérites de mourir cent fois ! reprit Zhu Yaling.
— Shixiong, tu es vraiment impitoyable ! Tes paroles font aussi mal qu'un fouet cinglant ! » se plaignit tristement ce dernier avec un sourire contrit, comme s'il avait été durement blessé par ses mots, pourtant ses interlocuteurs auraient juré était feint.
Zhu Yaling fut irrité et se mit à crier plus fort.
« Tu as tué les parents de ma femme et l'époux de Qian Xiuying ! Tu as blessé mon père et à cause de toi, il a dû quitter sa position de chef de clan ! Tu as tué des centaines de personnes, et complètement détruis le palais du Croissant d'Oasis ! Et tu as même failli tuer Qian Jingliu !!! Tu n'es qu'une créature abjecte et maléfique, cruelle et abominable ! Rien en toi n'est humain malgré ton apparence, qu'est-ce...
— Yaling, cesse, je te prie, intervint Qian Jingliu d'un ton ferme en faisant quelques pas vers lui. Essaie de te calmer.
— JE NE PEUX PAS ! explosa ce dernier en voyant que son ami ne lui apportait pas son soutien. Yuan Lie ! N'as-tu donc aucune part de décence en toi pour partir de ta propre volonté ? N'éprouves-tu aucun regret ? N'as-tu aucun remords ? »
Les paroles de Zhu Yaling eurent l'effet d'un seau d'eau glacée sur Yuan Lie. ''Évidemment que j'ai des remords !'' Des remords, il en avait à en revendre à la terre entière !
La voix de Yuan Lie s'étrangla et il ne put plus rire, ni sourire. Il tremblait, ses mots luttant pour sortir de sa gorge nouée. Ses yeux, fixés sur le Tigre, n'avaient pas quitté ce dernier depuis qu'il l'avait aperçu sur son cheval. À présent qu'il se tenait devant lui, Yuan Lie parla pour se défendre, le supplia et se prosterna pour demander pardon.
« Shixiong, rien de tout ça n'a été mon intention, je ressens un profond remords pour tout ce mal que j'ai causé ! Je suis accablé par la culpabilité. Les regrets me déchirent, je demande pardon pour toutes les souffrances que mes actions ont infligées. Qian Jingliu ! Je voulais te le dire, je le jure, crois-moi ! Mais comment le pouvais-je ? » La voix tremblante de Yuan Lie trahissait sa douleur et dévoila la peine enfouie qu'il gardait jusque-là.
« Je n'y comprends rien ! reprit-il. Je ne comprends pas moi-même ce qui s'est passé... Je t'avais tué Qian Jingliu ! J'avais transpercé ta poitrine ! J'ai senti ton coeur dans ma main... ! Son dernier battement ! Te voir mourir était la dernière chose que j'ai vue... que j'ai faite avant de fermer les yeux ! Sais-tu ce que cela m'a fait ? Peux-tu l'imaginer ?..... J'ai vécu l'éternité avec cette image gravée de ton sang sur mes mains. À me ressasser encore et encore ce que j'ai fait. J'ai été hanté par ce souvenir horrible qui me torturait sans cesse, sans même être capable d'ôter ma propre vie pour ne plus avoir à te voir mourir par ma main indéfiniment. Cette torture ne s'arrête pas ! Qian Jingliu... je suis... » Les mots qui s'étranglaient dans sa voix étaient sortis comme un torrent tempétueux à travers un barrage avant que sa bouche ne se referme aussitôt. Un silence aussi lourd qu'un manteau d'hiver s'installa.
Sa peau, jadis dorée comme une pêche, avait pris une vilaine teinte grenat. Une grimace confuse se dessina sur son visage et dans ses yeux se lisait une immense et profonde tristesse. Qian Jingliu et Zhu Yaling restèrent immobiles sans dire un mot. Yuan Lie espérait au moins leur cacher le nombre de fois où il avait frôlé la folie. En son for intérieur, il se demandait s'il n'était pas en train d'imaginer tout ceci et qu'en réalité, il était enfin devenu fou au fond du Néant. Qu'en vérité, il n'était jamais revenu dans le Monde Mortel. Et Qian Jingliu était bel et bien mort, le voir n'était que le fruit de sa folie.
En face, l'aveugle sentit quelque chose de lourd enfler dans sa poitrine. Le sol lui parut soudain bouger sous ses pieds. Dans la voix de Yuan Lie, il percevait une intense tristesse et une immense culpabilité. Sa mort l'avait-elle traumatisée à ce point ? Entre ses lèvres tremblantes, le Tigre poussa un lourd soupir, quoique l'instant d'après, un croissant de détermination étincela derrière un sourire.
La voix tremblante de Yuan Lie surgit encore. À l'abri des regards, ses larmes coulaient.
« Alors, tu imagines que je te rencontre par hasard, à peine quelques jours après mon retour ? Qu'est-ce que je pouvais bien faire ? Te taper dans le dos et dire, 'Merveilleux, tu n'es pas mort !' et continuer tranquillement ma route ? Je ne sais pas comment tu es encore en vie, c'est un miracle et j'en suis tellement, tellement heureux ! Je voulais essayer de comprendre ce qui t'est arrivé et puis... crois-moi, je voulais vraiment t'avouer qui j'étais ! J'avais prévu de te le dire demain et aussi te dire que je suis terriblement, terriblement désolé ! Je demande pardon pour tous mes crimes dont le pire de tous, a été de te tuer Jueye Qian... J'accepte ta punition... quelle qu'elle soit ! »
Après plusieurs kowtow devant lui, Yuan Lie demeura immobile et prosterné aux pieds de Qian Jingliu. Il n'aurait pas bougé, même si Qian Jingliu lui plongeait sa lame dans le coeur à cet instant.
L'aveugle ne pouvait voir la marque de respect qui lui était adressée, mais il la devina aisément. Il demeura un instant muet et maintint sa contenance sereine en restant maître de lui-même, excepté que deux secondes plus tard, il ne put s'empêcher de lever son bras pour dissimuler un sourire fugace qui traversa son visage. Il enroula machinalement son collier tricolore autour de son index, comme pour l'emprisonner. Quand son bras se baissa à nouveau, il avait regagné une expression solennelle. Il s'adressa à Yuan Lie et de sa voix profonde, parla distinctement en appuyant chaque mot un à un.
« Yuan Lie... Si tu veux te repentir, alors offre-moi ta vie. Mets-toi à mon service et sois mon valet » dit-il par-dessus le dos roulé en boule.
Yuan Lie n'avait pas bougé et n'avait pas répondu immédiatement. En toute vraisemblance, le pénitent était en train de peser les mots du Tigre et sa requête surprenante. Finalement, le temps qu'un oiseau déploie ses ailes et s'en va voler dans le ciel, il déclara honnêtement, en restant le front et les paumes dans la poussière :
« Jueye Qian, j'aimerais devenir ton valet, t'offrir ma vie et toute l'éternité si tu me le demandes, mais saches que ce n'est pas possible.
— Pourquoi cela ? demanda Qian Jingliu sur un ton qui trahissait mal sa surprise et un certain agacement.
— Je n'ai été ramené que pour une année dans le Monde Mortel pour remplir une mission. Si j'accomplis cette mission, je pourrai être à ton service jusqu'à ce que mon temps ici s'écoule. Ensuite, je retournerai d'où j'ai été exilé.
— Une année ? répéta Qian Jingliu sidéré. Sa main droite replia ses doigts à plusieurs reprises inconsciemment, ses sourcils se rapprochèrent.
— Jueye Qian, si tu acceptes ma courte vie d'une année, elle est tienne. Je te la donne de tout mon coeur. »
La mâchoire du Tigre s'était crispée et il ne souhaitait plus prononcer un mot de plus.
« Par quelle magie t'a-t-on fait revenir ici ? demanda Zhu Yaling en prenant un air incrédule par-dessus le dos roulé de Yuan Lie.
— Ce fut l'œuvre de la Pierre d'Opaque. »
Une même expression de surprise saisit les deux hommes au-dessus de lui.
« La Pierre d'Opaque ? N'avait-elle pas disparu pendant l'invasion de Yu Zhaocai ? souffla Zhu Yaling avec colère.
— Il faut croire qu'elle a été retrouvée, shixiong ! Enfin... Shengren Zhu, corrigea Yuan Lie, esquissant un fugace sourire. J'ai entendu dire que shixiong est maintenant chef de clan. Je me dois de rendre hommage au nouveau dirigeant du Bambou de Jade.
— Tssk ! Relève-toi imbécile et cesse de faire ton malin ! C'est quoi exactement cette mission ? » maugréa son shixiong d'autrefois.
Yuan Lie essuya discrètement ses larmes avec sa manche, puis se releva doucement. Il calma sa respiration en inspirant profondément, puis leur raconta son réveil en détail et jura sur sa vie d'une année qu'il n'avait aucune autre information que cela. Ils l'écoutèrent sans l'interrompre. Zhu Yaling roula les yeux d'exaspération en apprenant la libération de Kaze, bien qu'en réalité, il n'en fut guère surpris. Entendre de telles histoires de revenants et de démons ferait dresser la chair de poule de n'importe quel humain, mais les deux interlocuteurs en face de lui restèrent stoïques. Dans leurs vies de cultivateurs, ils avaient eu à faire à tellement de spectres et de situations folles qu'ils étaient rodés à toute éventualité. L'expérience les avait forgés ainsi, surtout après ce qu'ils avaient vécu pendant la guerre.
À son tour, Qian Jingliu interrogea Yuan Lie :
« Pourquoi es-tu à Cime-d'Ail en réalité ?
— J'enquête sur l'accident qui s'est produit ici. C'était peut-être un meurtre et si c'est le cas, je dois trouver le meurtrier.
— Ta présence à la veille d'une guerre serait pour enquêter sur un accident ? Tu comptes nous faire avaler ça ? railla Zhu Yaling avec dédain. Ta venue ici doit plutôt avoir à faire avec la guerre qui se prépare. Pourquoi es-tu là ?
— J'ai déjà répondu à la question, shixiong.
— Je crois plutôt que tu es ici pour t'allier à nos ennemis ! Le Patriarche des Enfers est comme ton chien, s'exclama Zhu Yaling en soufflant par le nez. Tu complotes pour protéger les Enfers ? Tu n'es qu'un...
— Suffit ! » intervint Qian Jingliu, son ton comparable au froid d'un glacier.
Avant que Zhu Yaling ne parlât à nouveau, Qian Jingliu prit la parole et s'adressa à Yuan Lie.
« Qui t'a invoqué ?
— Je l'ignore. L'invocateur a préféré me cacher son identité.
— Une quinzaine de jours se sont écoulés depuis l'accident de mademoiselle Lune. Qu'espères-tu découvrir ? persista Qian Jingliu.
— Le lieu est resté à l'identique depuis ce jour grâce à un sortilège de conservation. Il y avait bien un esprit ancré ici et une chasse a déjà eu lieu. Le décès de la victime peut effectivement être classé comme une cause naturelle » répondit Yuan Lie, essayant de rester évasif.
Yuan Lie sentait sincèrement qu'il pouvait avoir confiance en Qian Jingliu, mais pouvait-il en faire autant pour Zhu Yaling ? Après tout, il ne savait rien de l'homme qu'il était devenu, ni presque rien de sa vie après ses dix dernières années. Yuan Lie éprouvait une sincère amitié envers lui, mais il ne pouvait que l'envisager comme un étranger pour l'instant, la prudence étant de rigueur. Une chose étrange l'interpellait. Il avait la nette impression qu'il y avait de la tension entre ses deux shixiongs.
Amer, Zhu Yaling reprit.
« Cet accident était peut-être dû à la providence. Avec les esprits, on ne peut jamais savoir. Mais ce qui m'inquiète par-dessus tout, c'est que tu sois de retour, Yuan Lie ! Ta présence ici avec le Premier Sang n'est pas anodine ! Il faut que je rapporte cela immédiatement à mon père et à shizun...
— Zhu Yaling ! le coupa Qian Jingliu.
— Quoi ?? Qu'y a-t-il encore ? répliqua ce dernier de plus en plus énervé.
— Je te prie de garder le retour de Yuan Lie dans le secret absolu. Accorde-moi cette faveur, en vertu de notre amitié. »
Le nouveau chef des junzis et l'ancien junzi en tombèrent presqu'à la renverse. Zhu Yaling ne comprenant pas sa requête, lui demanda sur un ton acerbe :
« Que me dis-tu là ? »
Le Tigre répondit cette fois en pesant bien sur chaque mot tout en replaçant une longue mèche derrière ses oreilles dans l'action :
« Laisse-le partir, qu'il demeure à mes côtés. N'en parle à personne, je te le demande comme un service, il parla d'une voix basse et résolue. J'aurai à jamais une dette éternelle envers toi.
— Tu réalises ce que tu me demandes là ? Tu réalises ce qu'il représente ? » protesta Zhu Yaling, visiblement énervé.
Il posa une main sur sa hanche et piaffa en émettant un rire moqueur à l'idée que le Tigre lui soit redevable, puisqu'il pensait lui-même être endetté éternellement envers Qian Jingliu depuis qu'il lui avait permis d'épouser la femme qu'il aimait. Qian Jingliu ne réagit pas et campa sur sa position, mais Zhu Yaling ne lâcha pas si facilement. Yuan Lie silencieux, se fit petit.
« Pourquoi es-tu toujours à le défendre Qian Jingliu ? Tout perdre à cause de lui ne t'a-t-il pas suffi ? Tu te souviens des dégâts qu'il a causé quand il s'est transformé en cette chose monstrueuse ? Ce qu'il t'a fait à toi et à l'époux de ta sœur ? Ce monstre a changé ce pauvre Li Jiangshan en cendres volantes et en fumée ! S'il n'y avait pas eu Mei Fang, qui sait dans quel état serait notre pays aujourd'hui ? Tu aurais pu devenir chef de clan si ce n'était pas à cause de lui ! Tu ne lui dois rien Qian Jingliu ! Tu n'as pas à le protéger ! C'est le monde entier qui doit être protégé de lui ! »
Yuan Lie sentit le poids du ciel peser sur sa tête et son coeur sombrer. La dernière fois où il s'était transformé en cette créature monstrueuse, il avait réduit Croissant d'Oasis en cendres et tout ce qui l'entourait. Le nombre de morts qu'il avait laissé derrière lui était incalculable. Zhu Yaling avait raison. Ce jour-là, le monde aurait pu être englouti par la fureur déchaînée du golem.
Malgré tout, le Tigre ne changea pas d'avis et n'ajouta plus un mot. À contrecœur, Zhu Yaling finit par concéder :
« Qu'est-ce que je leur dis-moi, alors ?
— Ne leur dis rien. Ni sur le Patriarche des Enfers. N'en parle à personne » déclara le Tigre d'une voix feutrée mais déterminée.
En fin de compte, Zhu Yaling accepta de se plier à la requête de son ami. Ils se séparèrent peu de temps après. Zhu Yaling devait rentrer au Mont Zhu et Qian Jingliu se rendait à la secte d'Eau des Montagnes. Le chef des junzis leur annonça qu'il se renseignerait sur tout indice qui puisse aider à retrouver la Pierre d'Opaque ou la personne qui aurait pu invoquer Yuan Lie. Qian Jingliu avait convenu qu'il resterait avec Yuan Lie pour le surveiller pendant qu'il poursuit sa mission.
Lorsqu'ils furent seuls, Qian Jingliu dit à Yuan Lie d'un ton ferme :
« Comme tu n'as ni vieux père ni vieille mère à retrouver, rentre avec moi à la secte d'Eau des Montagnes. Tu seras mon valet personnel à compter de maintenant. Je t'aiderai dans ton enquête en retour. Amène mon cheval, nous partons dans l'heure. »
Yuan Lie voulut dire quelque chose pour objecter, mais abaissa les bras sans protester.
« Bien » abdiqua-t-il en se prosternant et en serrant son poing contre sa paume.
Le jeune homme dont l'identité n'était plus un secret se redressa pour aller chercher le grand cheval blanc qui appartenait à son nouveau maître. Au moment où il passa près de l'aveugle, Yuan Lie s'arrêta à sa hauteur et se tourna vers lui doucement.
« Tu savais déjà qui j'étais, ai-je tort ? » demanda-t-il doucement.
Qian Jingliu hocha légèrement la tête.
« Depuis longtemps ? Depuis quand ?
— ..... »
Qian Jingliu ne répondit une nouvelle fois que par son silence. Les yeux de Yuan Lie s'embuèrent de larmes à nouveau.
« Merci » souffla-t-il dans un murmure aussi léger qu'une caresse.
L'homme aux yeux meurtris le gratifia en retour d'un sourire, lui volant une respiration. L'espace d'un instant, le cœur de Yuan Lie rata un battement et il sourit également.
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