Ch 12 : Des mystères sous le voile
Après leurs repas, Yuan Lie se hâta de préparer un bain pour son compagnon de voyage, car il voulait en prendre un lui-même. Par courtoisie, il offrit à Qian Jingliu le premier bain et eut le plaisir de l'assister dans cette tâche.
Le jeune dragon guida le Tigre aveugle jusqu'à la grande bassine d'eau et l'aida à se déshabiller. Avec prévenance, il lui frotta le dos à l'aide d'un linge de bain et d'un broc. Le jeune homme se sentait de plus en plus troublé à mesure que ses doigts et ce bout de tissu frôlaient la peau lumineuse et blanche comme lait. Le corps viril du cultivateur était bien bâti et chaque centimètre de sa peau dégageait de la puissance. Malgré les marques sombres sur son visage, cet homme exerçait toujours un magnétisme indéniable sur lui.
Sentant que sa gorge était sèche, Yuan Lie tenta péniblement de déglutir et comme dans la journée, il sentit à nouveau son corps réagir capricieusement. Inconsciemment, il recula et tira sur ses vêtements. Ce qui n'aida pas son état à s'améliorer arriva lorsque soudain, le Tigre se leva de son bain et déploya ouvertement ses attributs virils juste à côté du visage de Yuan Lie. Vivement, ce dernier détourna les yeux et resta figé. Il demeura muet, bouche bée et sans souffle. Peut-être même que son coeur avait cessé de battre.
L'aveugle resta devant lui sans vergogne et sans montrer aucune gêne à se dévoiler de la sorte sans pudeur. Ses longs cheveux noirs détachés et dégoulinants collaient comme du lierre sur son corps divinement sculpté. Ayant été habitué à être habillé par des serviteurs, le fils du duc n'avait aucune honte d'exhiber ce corps ainsi.
« D-d-d-deux minutes ! J'apporte vos vêtements de suite, Jueye Qian ! »
Le jeune homme aux yeux d'or se retourna, tirant sur sa mèche courte pour la replacer derrière l'oreille et alla récupérer un léger peignoir blanc sur le lit et l'ouvrit devant le noble en fermant les yeux quand ce dernier sorti de l'eau.
'' Avec un corps comme le sien, je n'aurai honte de rien moi non plus... J'ai sûrement trop pensé à lui dans le Néant, voilà maintenant que mon corps réagit... ainsi !''
Il marchait avec un peu de difficulté à cause du troisième bras dressé sous sa ceinture, faisant passer son pantalon pour une tente de petits génies. Malgré le handicap du Tigre, Yuan Lie se sentait honteux de manquer autant à la courtoisie envers sa personne et tentait tant bien que mal de dissimuler l'expression physique de son trouble derrière l'étoffe de vêtement qu'il portait dans ses mains. Il s'approcha du Tigre en baissant les yeux et sans lui jeter un autre regard, déploya en grand le linge de nuit devant lui. Le noble sorti de l'eau et Yuan Lie posa les vêtements sur ses épaules. Il l'aida jusqu'à ce que des bras glissent dans le linge et c'est seulement quand il sentit que la ceinture se serrait qu'il releva son regard.
Un court instant plus tard, Yuan Lie avait coiffé la crinière miroitante du Tigre, changé l'eau du bain, et avait pris la place du noble dans la bassine pendant que ce dernier s'affairait à broyer des herbes médicinales pour en faire une tisane.
Dans le bain, l'esprit du jeune homme se mit à vagabonder. Il n'avait pas eu beaucoup d'occasions d'aborder les questions qui le taraudaient et qu'il brûlait de poser à Qian Jingliu. Yuan Lie ne savait absolument pas par quel côté il devait l'attaquer et se demandait encore comment il devrait amener le noble sur la question de sa survie.
Durant ces deux dernières journées, il guidait principalement l'aveugle et lui décrivait les scènes des paysages qui défilaient devant eux ou sous leurs pieds, ce qui semblait beaucoup plaire au noble. Mais il le réalisait à l'instant, quand ils devaient parler dans cette situation, ils devaient beaucoup se rapprocher, vraiment très près, pour pouvoir s'entendre à cause du vent et de la vitesse à laquelle Pétrichor filait. Le Tigre gardait ses mains obstinément sur le ventre ou le dos du jeune dragon, son nez dans ses cheveux ou au creux de sa nuque. Quand l'aveugle parlait, sa voix de velours si près de son oreille lui envoyait une avalanche de frissons dans la colonne vertébrale et pour éviter de se retrouver encore avec son membre dressé comme une deuxième épée en plein vol, il faisait la conversation la majeure partie du temps.
L'homme aux yeux de miel repensa au comportement qu'il avait pendant leur vol et son visage prit soudain une vive teinte cramoisi. Parce qu'à chaque fois qu'il tournait la tête pour parler à Qian Jingliu, le guide rejetait parfois un bras en arrière et glissait une main dans ses cheveux de jais ou dans son cou pour l'attirer plus près. Ces gestes, il le savait, n'avaient rien d'innocents, car inconsciemment, il se pressait de plus en plus contre le Tigre. Son corps témoignait du désir, c'était indéniable.
Repliant les jambes et en courbant le dos dans sa bassine d'eau, Yuan Lie parvint à enfouir son menton et sa bouche dans l'eau, et se mit alors à souffler des bulles. D'une autre main, il se renversa des brocs d'eau sur la tête pour se rafraîchir l'esprit et ne sortit du bain que lorsque ses doigts devinrent fripés tel un vieux pruneau.
La chambre de l'auberge du village restait une modeste pièce meublée d'un lit, d'une commode, d'un bureau d'étude, d'une table et sa panoplie de chaises. Une fine odeur imprégnait l'air, émanant d'un tapis en feuilles de vacoas tressées qui recouvraient toute la pièce et se mariant harmonieusement avec le parfum des herbes. Une onde naquit dans le cœur de Yuan Lie et le parcourut entièrement jusqu'aux couches de sa peau dès qu'il posa les yeux sur le profil séduisant de son compagnon qui finissait de préparer des herbes de tisane sur la table de la chambre. Le jeune homme le rejoignit. Il s'apprêtait à utiliser ce moment de repos pour lui soutirer quelques informations.
« Jueye Qian, me permettez-vous de vous demander un conseil ? »
L'aveugle tourna légèrement la tête avec une pointe flagrante d'intérêt.
« Je vous en prie, répondit-il tendrement.
— Je n'ai plus de travail, et même si je ne suis pas un cultivateur, je comptais m'engager dans une armée pour l'Alliance des Cinq Cardinaux. Ils recrutent des soldats pour grossir leurs rangs. Trouvez-vous que l'idée est judicieuse ? »
Yuan Lie paraissant regonflé et radieux en s'approchant de la table où il était assis et souleva la théière pour se préparer du thé. Il vit que Qian Jingliu y avait déjà mis du thé à la place de sa tisane et versa alors deux tasses.
« C'est une très mauvaise idée, répondit le Tigre en croisant les bras. Il avait un léger grognement dans sa voix.
— Pour quelle raison dites-vous cela ?
— Une armée de cultivateurs peut se passer de l'aide d'hommes non-initiés à la cultivation pour faire cette guerre, répondit Qian Jingliu en se retournant vers lui comme pour le regarder. Jeune maître Ling, veuillez oublier cette idée. » Il pesait chaque mot.
''D'après sa réaction, le clan Qian et la secte du Tigre Blanc sont donc dans le camp opposé à la guerre, songea Yuan Lie. Si les Qian sont contre, je présume que son allié, le clan Zhu l'est aussi ?"
Yuan Lie s'appuya contre le dossier de sa chaise et huma le parfum du breuvage.
« Le temps que nous passons dans le Monde Mortel est précieux, je vous l'accorde, la vie est précieuse. Pourtant, même un empereur a besoin de manger, dit-il avant de prendre une gorgée avec un sourire. On m'a rapporté que je pourrais devenir riche. Si je l'avais su avant, j'aurais pu même parier sur l'issue du procès si j'étais rentré à temps. »
Il prit une autre gorgée avant de poursuivre, en prenant une voix empreinte de doutes et fixant l'aveugle pour voir sa réaction.
« Comment aurait-on pu prévoir le matin ce qui adviendrait le soir ? Ah! C'était pourtant couru d'avance. Tout le monde semblait persuadé que les cultivateurs ne voteraient pas pour la guerre, mais à cause d'un simple accident... tout a basculé ! Et comme c'est arrivé à Cime-d'Ail, mon village natal, par respect pour la famille et le village, je n'aurai pas pu parier non plus. Heureusement que je me suis abstenu des jeux d'argent, finalement...
— ... »
Yuan Lie avala une autre gorgée. Il lançait des appâts que le Tigre ne gobait pas. L'ancien junzi savait la nature calme et réservée de Qian Jingliu. Il était un modèle de vertu et de moralité qui ne s'abaisserait pas à des commérages de comptoirs, et bien qu'après ces deux jours, le jeune guide trouvait qu'il était plus sociable qu'avant, il lui arrivait encore d'administrer une dose de son silence glaçant quand il ne voulait pas répondre.
Yuan Lie reprit encore :
« Quel genre d'accident cela pouvait-il être ? Je connais l'issue, mais je n'ai pas suivi qui a voté qui, ou voté quoi. J'ai été trop longtemps absent de mon village. Mais le fils d'un chef de clan doit mieux savoir ces choses qu'un misérable collecteur d'impôts comme moi. Si j'étais mieux au courant des choses, je serais peut-être plus armé avant de vouloir me lancer dans cette campagne.
— Je suis au courant de certaines choses. Je peux vous renseigner, jeune maître Ling, demandez-moi. Que voulez-vous savoir ? » répondit le noble en levant sa tasse de thé.
Yuan Lie sourit en constatant que c'était plus facile qu'il ne le pensait.
« S'il y a eu une conférence et un vote général pour que toutes les sectes de cultivation choisissent d'entrer en guerre ou non, est-ce parce qu'il n'y a pas eu d'accord parmi les clans majeurs sur ce sujet avant ça ?
— En effet. Pour mener cette guerre, l'arme ultime est le Coeur de Soleil. Nos lois stipulent qu'il faut l'accord des cinq chefs des clans majeurs pour utiliser le joyau. Il y a eu un premier vote entre les cinq clans majeurs en première instance. Le clan Zhu s'est abstenu. Il y avait deux voix contre deux. Puisque l'unanimité n'avait pas abouti, il y a eu le Procès du Nadir avec tous les dirigeants des Neuf Royaumes pour décider s'il y aurait guerre ou pas ; avec les rois, les seigneurs des régions, les chefs de clans, les chefs de tribus. Chaque royaume et grandes provinces ont participé et ont dû voter pour ou contre une invasion sur les Enfers.
— Je vois... Quand le Procès du Nadir a eu lieu, le camp favorable à la guerre était dans une position perdante, et pourtant cet accident a tout changé. N'est-ce pas là un événement extraordinaire appelant une explication paranormale ou surnaturelle ?
— Sans cet accident, le verdict aurait pu être différent. C'est la raison pour laquelle je me rends au village de Pan.
— Vous enquêtez sur cet accident Jueye Qian ? »
Yuan Lie était sincèrement étonné. La cécité ne semblait en rien priver le noble de ses devoirs et en un sens, il en était content pour lui.
« Hmm, confirma le Tigre. L'accident a provoqué la mort de la promise du chef de la secte et a entraîné le détour de la troupe Eau des Montagnes qui se rendait au Procès du Nadir. Eau des Montagnes est une branche secondaire du Tigre Blanc. Je m'y rends pour payer mes hommages.
— Oh, c'est bien triste... » marmonna Yuan Lie en se tenant le menton entre les doigts.
Le songeur réfléchissait aux conséquences que cet accident avait provoquées, pas seulement sur l'issue du Procès du Nadir. En outre, l'absence d'Eau des Montagnes avait mis le clan Qian dans une position pour le moins embarrassante. Les branches secondaires soutenaient et suivaient toujours la décision de leur secte principale. Sans doute que le Tigre Blanc comptait sur ses alliés pour soutenir son vote et appuyer son choix, pourtant Eau des Montagnes avait brillé par son absence, tournant sens dessus-dessous l'issue du procès et certains seraient sûrement amenés à se demander s'il n'y avait pas des querelles intestines au sein des alliés du Tigre Blanc. La visite du fils du duc pour payer des hommages était peut-être à moitié vrai, à moitié faux. Il allait assurément pour demander des comptes.
De fil en aiguille, la visite du noble souleva un autre mystère qui se creusait de plus en plus autour du Tigre. Le village de Pan se trouvait dans le royaume de Yelang et était proche des Chutes Blanches. Si Qian Jingliu devait s'y rendre, que faisait-il donc dans la région de Ying, si loin dans les Plaines Centrales, au lieu d'être à Yelang après ces événements ?
Qian Jingliu poursuivit :
« Les cultivateurs d'Eau des Montagnes étaient en chemin et ils devaient arriver au Procès du Nadir le jour même. Mais un yaoyang a causé un éboulement de montagne qui a emporté la jeune femme promise au chef de clan. Il se nomme Shui Wuyue, mais tout le monde l'appelle Lune Brumeuse. Sa troupe et lui ont fait demi-tour pour porter secours, hélas trop tard. »
Yuan Lie avait matière à réflexion et lâcha son menton pour son thé. Une lumière étincela dans ses yeux au moment où il pensa à une hypothèse. Ses sourcils se froncèrent alors qu'il se demanda, ''Ce pourrait-il que ..? ''
D'emblée, il reposa sa tasse en s'exclamant :
« Jueye Qian, la promise du chef de clan Shui, était-ce demoiselle Ying Xue, que tout le monde appelait mademoiselle Lune, par hasard ? »
Le noble répondit d'une voix qui trahissait une pointe d'intérêt :
« C'est précisément elle... D'où la connaissiez-vous jeune maître Ling ? »
Un tic de sourire anima sa bouche, Yuan Lie balaya sa main vivement en se levant pour débarrasser la théière.
« Je suis originaire de Cime-d'Ail... ça au moins je sais ! J'en ai certainement déjà entendu parler, hehe... Finalement, je ne suis pas un ignare sur tout... »
L'aveugle ne pointa pas que c'était d'autant plus étrange pour quelqu'un de Cime-d'Ail de ne pas connaître toute l'histoire. C'était un scandale qui court encore partout en faisant un énorme bruit. Le duc de Yelang frémissait toujours de rage à cause de l'absence d'Eau des Montagnes au Procès du Nadir, autant que par la tournure tragique de la raison de cettte absence. Il était tellement irrité par cette situation délicate, d'autant qu'il ne pouvait pas prendre de sanction contre eux à la suite de cette tragédie, que ses cheveux hérissés soulevaient son chapeau. Qu'un originaire de Yelang n'ait pas eu vent de cette histoire, était en quelque sorte extraordinaire, surtout que les événements étaient survenus il y a à peine quelques jours.
Yuan Lie était excité et songeait en se levant, '' Je le savais ! Je n'ai pas été amené ici pour une simple affaire de meurtre et de vengeance. Je le savais ! J'étais sûr qu'il y avait plus à mon enquête que cela. Mon affaire et le Procès du Nadir sont donc liés... Et ce n'était pas un accident ! Je le savais !''
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