[Challenge 8 : Game Over] Le don des dieux
Téléphone à la main, Arthur s'avança dans le couloir, sans perdre le moindre détail. Il prenait un risque inconsidéré, mais la curiosité l'emportait par-dessus tout. Dire que trente minutes plus tôt, il se préparait encore des pancakes au terme d'une grasse matinée méritée. Trente minutes plus tôt... le Dôme était apparu, en bordure de la ville. Une gigantesque coquille de métal de plusieurs kilomètres de diamètre. Un phénomène qu'il n'aurait jamais cru pouvoir contempler un jour.
Il s'était glissé à travers une ouverture juste avant que les médias ne commencent à s'affoler. La thèse alien restait bien entendu privilégiée.
Le cœur battant, Arthur poursuivit sa route. Alien, cela ne faisait aucun doute. Les parois semblaient étranges, irrégulières, comme un mélange rose et gris de métal et d'organique. Il continua de filmer, effleura la matière du bout des doigts. Il s'attendait à quelque chose de visqueux, mais elle se faisait dure comme de l'acier. Cependant, elle restait tiède, comme s'il s'agissait de quelque chose de vivant.
Arthur s'arrêta. Le couloir s'interrompait pour laisser place à une paroi translucide bleuâtre. Il approcha une main... pas vraiment une paroi, mais plutôt un filtre lumineux. Un passage, une ouverture, qu'il traversa sans réfléchir.
***
« Félicitation à vous, Élus des dieux. »
Les yeux écarquillés d'Arthur balayèrent la gigantesque esplanade de métal qui lui faisait face. Au-dessus de sa tête voletaient des sphères multicolores, d'une vingtaine de centimètres de diamètre. Plus haut, un être le surplombait, paré d'un bleu azuré et profond. Élancé, haut de plusieurs mètres, il ne possédait ni bouche ni visage, ce qui n'empêchait pas sa voix de résonner à travers l'espace. Il se parait tour à tour de coloris plus sombres, et même sa forme se faisait fluctuante et incertaine.
« Aujourd'hui, nous accueillons parmi nous les représentants de trois espèces parmi les plus reculées de la Voie Lactée. Les humains, de la planète Terre... »
Un appendice se détacha de son corps pour désigner Arthur. Le jeune homme se rendit compte qu'il n'était pas seul. Plusieurs inconnus se tenaient non loin de lui, dans des tenues paramilitaires.
« Les esorïs, de la planète Ayaba... »
Arthur tourna la tête pour remarquer des humanoïdes à la peau violacée, un peu plus loin. Plus petits que des humains, leurs visages se démarquaient notamment par l'absence de cheveux, remplacés par quelques écailles rougeâtres.
« Et enfin les krodars, de la planète Ougda. »
Un groupe de primates aux fourrures vives accueillirent cette réplique par une succession de cris sauvages. Hauts de plus de presque trois mètres, leurs six pattes tambourinèrent sur leurs torses impressionnants.
Arthur fit un mouvement de recul tandis que continuait le Juge. Un être qu'il comprenait, d'ailleurs, même si cela ne faisait pas de sens. Était-ce lié à son passage à travers le film bleuté, ces aliens lui avaient-il fait quelque chose ?
« Dans leur immense générosité, poursuivit le Juge, les dieux ont décidé de réaliser le vœu le plus cher de l'un d'entre vous. Pour bénéficier de ce don, il vous suffira d'être le premier à poser votre main sur l'Artefact... »
Arthur se retourna. Il n'y avait plus d'issue, derrière, mais plus qu'un mur métallique uniforme. Son cœur s'accéléra. Plus de retour possible.
Il sursauta alors qu'une main l'attrapait par l'épaule.
« Mais qu'est-ce que tu fiches là, toi ? »
Un militaire à la veste kaki, américain, à en juger par l'insigne qu'il arborait. Sa main retira la cigarette de sa bouche, tandis que la droite restait à portée d'une arme à feu.
« Je... heu... Bafouilla Arthur.
— Mince, t'es le premier à être entré dans ces dômes, c'est ça ? Qu'est-ce que t'as fichu depuis deux jours ? »
Arthur porta une main à sa tête. Deux jours ? Il s'était glissé dans le dôme alors qu'il venait d'apparaître, il ignorait même qu'il pouvait y en avoir d'autres. Se pouvait-il que... ?
Il redressa la tête alors que le Juge disparaissait, de même que le décor en face d'eux.
« Hé, attendez-moi ! »
Son interlocuteur se retourna, pour n'afficher qu'une expression neutre, tandis qu'il allumait une nouvelle cigarette.
« J'ai autre chose à faire que de m'occuper d'une bleusaille dans ton genre. »
Il ricana.
« Quelque part, cela fait déjà un adversaire de moins. »
***
Asphaëlle bâilla de mécontentement. Leur race avait beau avoir accompli l'Éveil, obtenu l'immortalité, s'être érigée au rang de divinités, leur ennemi à tous restait l'ennui. Pour le combattre, certains se faisaient ériger des temples à leur gloire, sur des planètes inférieures. D'autres s'essayaient au talent de stratège et dressaient des armées qu'ils jetaient l'une contre l'autre. Le divertissement était au rendez-vous, paraissait-il, mais Asphaëlle ne se sentait pas l'âme d'une gestionnaire, tandis que l'art de la guerre l'indifférait. Trop compliqué.
Les épreuves pangalactiques existaient, au moins, pour offrir un peu d'inattendu. Mais cette fois-ci, le Juge avait voulu innover avec des races méconnues. Des trente-trois-mille-sept-cent-onze mondes habités, qu'avait-il été choisir ces trois-là ? Elle grogna de mécontentement. Les krodars ne faisaient que taper sur tout ce qui bougeait, les esorïs se retranchaient derrière des boucliers protecteurs, tandis que les humains en venaient jusqu'à se combattre les uns les autres, à coup d'archaïques armes à feu.
Elle agrandit l'image. Des tirs s'échangeaient dans les ruines d'une cité dévastée. Elle soupira, retrouva les noms des deux belligérants. Un certain John Cotar d'Amérique, et Igor Vassileïn de Russie. Apparemment, la planète de ces fichus andouilles se divisait en d'innombrables pays. Un Gardien intervint enfin et mit fin à leur affrontement stérile. C'était au moins cela d'épargné.
Son regard se porta vers une forêt adjacente pour y retrouver deux autres humains aux prises contre les Ombres. Le premier continua de faire feu, bien que ses balles fussent sans effet, tandis que le second détalait. Plus intelligent, peut-être, mais peu efficace. Il avait résolu l'énigme d'une salle piégée, et s'était là encore enfui à temps. Non pas que l'énigme se trouvât particulièrement difficile, mais bon... Un certain Arthur Noran, apparemment.
Plus loin, deux krodars tapaient sur leurs crânes à tour de rôle comme pour en tester la solidité. Pitoyable...
C'est un concours de stupidité, ou quoi ?
Peut-être le Juge avait-il voulu leur offrir une session plus détendue, plus drôle, plus burlesque avec ces créatures, mais son opération n'était qu'un vaste échec.
Vote noir
Elle balaya du regard les résultats du vote des spectateurs, pour constater que le noir l'emportait de loin. Mais après tout, si ce choix n'améliorait pas le spectacle, il aurait au moins pour avantage de l'abréger.
***
Arthur rouvrit les yeux. Le sol s'était dérobé sous ses pas, au dernier instant. Il avait chuté...
Son cœur s'affola. Des aliens à la peau violette se tenaient non loin de lui. Des... esorïs, lui rappela sa mémoire. Il se redressa. Sa jambe... elle ne lui faisait plus mal. Pourtant...
L'espace se déchira pour laisser apparaître le Juge.
« Après délibération, les dieux ont décidé de modifier quelques règles. À partir de maintenant, et tous les quinze atals, la Mort frappera l'un d'entre vous au hasard. »
Un spectre gris se dessina non loin d'Arthur, et abattit une faux de fumée sur un esorï. L'alien s'effondra aussitôt, mort, sous les yeux écarquillés de l'humain.
Le Juge se dissipa tandis qu'apparaissait un compteur dans le ciel.
« Prochaine mort dans quinze atals. »
***
Asphaëlle soupira. Les esorïs se décidaient enfin à participer, et la partie devenait un peu plus intéressante. L'humain, Arthur Noran, s'était finalement joint à eux... ses chances de survie s'en trouveraient sans doute améliorées.
Les Ombres ne traversaient pas les boucliers des esorïs. Dommage. Moins de piquant pour la traversée de la jungle. Les Gardiens, quant à eux, seraient sans doute une autre affaire. Asphaëlle se demanda ce qu'un esorï pourrait bien souhaiter, s'il triomphait des épreuves. Vu leur peu d'empressement, avant le veto, sans doute n'en avaient-ils pas même idée. Pourtant, le dénouement restait souvent de loin la partie la plus intéressante, sans doute par son imprévisibilité. Elle avait vu des groupes soudés s'entredéchirer au dernier moment, pour demander argent, pouvoir ou bien même amour. D'autres faisaient des vœux plus altruistes, et demandaient le rétablissement d'un proche, voire de l'aide pour leur peuple ou leur planète. Ce ne serait sans doute pas le cas des esorïs, dont le monde vivait en parfaite harmonie. Voilà qui risquerait d'être ennuyeux.
***
Arthur baissa la tête tandis que sifflait la lame d'un Gardien. L'épée démesurée poursuivit sa course pour éventrer un mur. Même les boucliers des esorïs n'y résistaient pas une demi-seconde.
Les esorïs... Il les connaissait à peine, et pourtant il leur devait déjà la vie. D'un naturel peu expressif, plutôt réservés, ils communiquaient peu, et plus souvent par signes. Leur planète, Ayaba, était un monde-océan, qu'interrompaient des cités surfaciques aux grandes tours d'améthyste. Arthur avait pu voir quelques hologrammes, entendre quelques récits. Un monde pacifique, porté sur l'art, la méditation, et la science. Les esorïs apparaissaient comme des êtres rationnels et détachés de toute considération matérielle. Pour un peu, le jeune homme avait presque l'impression de s'être trompé de planète à la naissance.
Il interrompit ses réflexions alors qu'ils arrivaient à un escalier aux marches de cristal, suspendu au-dessus du vide. Au sommet trônait une sphère d'or, l'Artefact tant convoité capable de réaliser n'importe lequel de leurs vœux.
Ils avaient réussi. Arthur jeta un regard en arrière. Aucun autre, humain comme krodar, ne les avait suivis. À tel point que le jeune homme se demandait s'il restait encore d'autres survivants.
Des bruits mats le firent se retourner. Deux des quatre esorïs venaient de tomber à terre, poignardés dans le dos. Le regard tremblant d'Arthur se porta sur leur compagnon, deux poignards à la main, recouverts d'un sang bleu gluant. La dernière esorïse affichait une expression horrifiée.
« Zoren ? »
Ses yeux parcoururent les corps étendus sans comprendre. Sur leur planète, le meurtre restait à l'état de concept théorique.
« Comme toi, leur seul souhait n'était que de retourner chez nous, répondit Zoren. Alors que nous pourrions demander tellement plus. Nous pouvons demander à devenir à notre tour des dieux, je pourrais devenir Dieu. »
Son regard fou balaya tour à tour l'humain et l'esorïse.
« Nos compagnons ne sont pas morts, je les ressusciterai, poursuivit-il. Les dieux nous ont accordé leurs pouvoirs, afin que nous apportions la paix aux autres mondes. Tu les as vus, comme moi, des barbares prêts à s'entre-déchirer.
— La paix ne mérite pas une guerre.
— Ce ne sera pas une guerre. »
Il se rapprocha de l'esorïse, agita ses couteaux. Elle recula.
« Je déteste cela, mais ta mort ne sera que momentanée, assura-t-il. Je te ressusciterai, je vous ressusciterai tous. »
Il n'eut pas le temps d'abattre son arme qu'Arthur se précipitait sur lui presque sans réfléchir.
Peut-être existe-t-il vraiment un ou des dieux. Peut-être avons-nous finalement un rôle à accomplir. Peut-être s'agit-il du mien.
La lame froide du poignard rencontra ses côtes, mais Arthur ne recula pas pour autant. Bras refermés sur son adversaire, il l'entraîna dans le vide.
« Espèce d'imbécile ! Siffla l'esorïs. Je vous aurais apporté la paix comme la prospérité, comme selon les Écritures Sacrées. »
La douleur se faisait intense, la vie s'écoulait à travers ses blessures. La bouche d'Arthur s'emplit de sang. Ils tombaient.
Il allait mourir.
***
La main de l'esorïse quitta la surface polie de la sphère. Face à elle, le Juge occupait l'espace de son bleu azuré. Elle avait réussi, mais les larmes inondaient son visage. Tant de pertes inutiles, qui jamais ne reviendraient à la vie. La Mort ne rendait pas les âmes qu'elle emportait, et l'esorïse le savait, désormais.
« Fais ton vœu. » Tonna le Juge.
Elle essuya son visage, se redressa. Il ne lui restait plus qu'une chose à souhaiter.
« L'humain... qui vient de se sacrifier... faites qu'il vive, si c'est encore possible. »
Le Juge la contempla de sa face sans visage avant d'assener d'une voix forte :
« Accordé. »
[2000 mots]
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