Elle a grandi sans père, fille unique d'une mère accaparée par un travail envahissant et d'un père absent. Tout n'avait pas toujours été rose, elle était seule. Seule la nuit quand les cauchemars revenaient, omniprésents, seule quand le jour se levait et seule quand il se couchait.

La Lune était son unique amie. Parfois, la nuit, elle montait sur le toit de sa grand maison déserte dont elle ne connaissait vraiment qu'une seule pièce, trop effrayée pour partir à l'aventure dans cette immense bâtisse froide et austère. Elle s'asseyait par terre et racontait sa journée à la Lune, elle lui déclamait ses poèmes, lui contait ses joies et ses peines. Surtout ses peines.

L'enfant était encore dans l'âge de l'innocence, de la joie mais pourtant déjà meurtrie par la vie. Elle ne voyait pas sa mère, sans cesse partie aux quatre coins du monde, lisait parfois un mot sur la table de la cuisine, toujours très bref et peu réconfortant. Elle la prévenait d'un énième voyage dont elle ne rentrerait que plusieurs mois plus tard. Quand à son père, elle ne l'avait jamais connu, il avait quitté sa mère en apprenant sa naissance. Elle avait partagé son enfance entre des nourrices (qui changeaient tous les ans, sa mère ne pouvant se résoudre à en garder une plus longtemps) et des précepteurs tous plus inaptes et ennuyants les uns que les autres. Le propre d'un précepteur. Mais l'enfant, alors âgée de 8 ans s'était rebellée, pour la première fois de sa vie. Elle n'en pouvait plus de rester dans cette maison si froide, elle voulait sortir, voir des enfants de son âge, courir, sauter, jouer au ballon, marcher pieds nus dans l'herbe. Sa mère avertie par la nourrice avait cédé. La maison était maintenant vide de précepteur et de nourrices, il restait uniquement une femme qui rangeait la maison, faisait le ménage et les courses quand la petite fille était à l'école.

L'école. Elle pensait que cela serait sa délivrance, sa liberté chèrement acquise. Elle se trompait au plus haut point. L'enfant a toujours été cruel, il nécessite en permanence une victime faible et sans défense.

Ceux qui devaient être ses sauveurs furent ses bourreaux, ses tortionnaires. Pendant 1 an, jour après jour, elle subit les brimades, les coups et les insultes sans jamais rien dire, la tête baissée. Puis un jour, un coup un peu plus fort la projeta contre une pierre, tranchante, aiguisée.

Elle ne sentit plus rien. En se relevant, elle vit la main d'une femme souriante tendue vers elle. Reconnaissante, emplie de bonheur, la petite fille la prit et elles s'en allèrent, ensemble, au loin.