3 - Revenir
BIP BIP BIP BIP !
— Bordel ! Non !
Saloperie de réveil ! Pourquoi ?! Je crève d'envie de l'envoyer valdinguer contre le mur. Ah c'est malin ! J'ai la trique maintenant. Et pas la gaule habituelle du matin, non ! Une vraie qui m'oblige à quitter mon plumard pour aller me finir sous la douche parce que ça me gênerait de faire ça devant le chat.
Je me masturbe en pensant à Cassandre. C'est sans doute pas correct. Je devrais probablement me sentir mal pour elle, parce que ce rêve était cafardeux au possible quand j'y repense. Cassandre était si malheureuse... mais j'arrive pas à me sentir mal, ni à m'en sentir coupable. Franchement là, j'y arrive pas ! Est-ce que ça fait de moi un salaud ? P't-être bien, mais c'est qu'un rêve pas vrai ? Pourquoi je devrais culpabiliser pour un foutu rêve ? Cassandre, elle existe seulement dans ma tête... Pas vrai ? Et moi je suis incapable de penser à autre chose qu'à sa façon de se caresser, au plaisir qui augmente à mesure qu'elle se titille la praline, à la sensation de ses doigts qui se glissent dans son sexe tiède et humide. Et son orgasme... Alors ça c'était quelque chose ! C'est vraiment aussi intense pour les nanas ? Forcément je me pose la question. Si c'est le cas... Ben merde alors !
Une fois soulagé, j'avale rapidement un petit-déj et me mets à la vaisselle. Cassandre ne me quitte pas. Elle revient encore et encore comme un refrain que je ne parviens pas à me sortir du crâne. Ouais, je passe mes nuits à rêver d'une femme. Non en fait, je rêve carrément que j'en suis une. Si ça c'est pas tordu ! Je me demande ce qui cloche chez moi mais c'est bien le diable si j'arrive à trouver quoi. C'est pas le choix qui manque.
Ca commence à faire un sacré bail que Cassandre s'est tapée l'incruste dans mes rêves et j'ai fini par plus ou moins m'y faire ; mais je mentirais si je prétendais que ça ne m'avait pas perturbé au début. C'était à un âge où les hormones me titillaient sévère et que je commençais à regarder les filles un peu différemment. Tu sais bien... cette période un peu gênante où t'envisages avec elles des jeux moins innocents que ceux auxquels tu jouais quand t'étais petiot, mais sans pour autant oser passer à l'acte parce que ça te fiche une trouille monstre. Bref !
Forcément, j'ai parlé de Cassandre à mon père et on peut pas dire que ça ait été au poil. Il l'a pas très bien pris et je me suis retrouvé le cul sur le plancher avec un joli cocard. Je cache pas que j'ai méchamment dérouillé.
Mais sans pour autant excuser ce qu'il a fait, j'ai jamais vraiment réussi à lui en vouloir. Je me méfiais de ses réactions, ça c'est clair ! Je l'esquivais quand je voyais qu'il était pas dans un bon jour, pour sûr ! Il avait la main leste et me faisait parfois très peur mais malgré ça, je l'ai jamais haï. Mon paternel était pas parfait – je pense que c'est évident – et il traînait de sacrés démons avec lui ; cela dit il était là pour moi et c'était déjà beaucoup. Je crois qu'en réalité, j'avais de la peine pour lui, qu'il me faisait un peu pitié. Il était peut-être costaud mais ce n'était pas quelqu'un de fort. En fait c'était une loque et... enfin, comment on pourrait en vouloir à une loque ? J'veux dire... on tire pas sur les ambulances, hein ? On est d'accord que ça se fait pas ! Quelque part, il faisait de son mieux.
Et puis fallait aussi un peu le comprendre, le vieux ! Y avait des années que ma mère s'était tirée avec un pauvre type plus friqué que lui. Un jour, en rentrant de la mine, il avait retrouvé sa partie de la penderie complètement vide. La garce avait quitté la maison comme ça, sans un mot. Même pas un « Je suis désolée, c'est pas toi c'est moi, bye et prends soin de toi » ou une autre connerie de ce genre. Rien.
Moi j'étais trop jeune pour comprendre ce qui se passait. J'avais même pas six ans et je l'ai vite oubliée. Dans les rares flashs que je peux avoir de temps en temps, je revois une femme plutôt jolie, enfin je crois, mais pas spécialement tendre ou maternelle. Je dirais plutôt distante et toujours occupée à prendre soin d'elle. J'en viens à me demander si j'étais vraiment un gosse désiré au final.
Mais mon paternel, lui... Ah ! Lui, il en était mordu et il s'en est jamais remis, de son départ ! Je pense qu'il l'aimait vraiment et que, quand elle foutue le camp, il a craqué : il cédé à ses mauvais penchants et s'est juste laissé couler. Il s'est réfugié dans la bibine, sauf qu'il avait l'alcool mauvais et qu'il fallait mieux pas se trouver sur sa route quand il en avait un peu trop dans le sang. En dehors de ça, quand il allait à peu près bien, c'était pas un mauvais bougre. Il a toujours veillé à ce que j'aie un repas sur la table, un toit au-dessus de ma tête et des fringues sur le dos. Il me fêtait mes anniversaires et s'intéressait à ce que je fichais de mes journées. Il m'aimait. Je sais que c'est sans doute la pilule la plus difficile à gober mais ouais, il m'aimait. Les engueulades et les gnons, c'était l'alcool, pas lui. Lui, après avoir dessoûlé, c'était plutôt le genre à revenir me supplier en pleurant de lui pardonner.
Après coup, si on peut dire, mon vieux a toujours regretté ces moments de perte de contrôle et de colère avinée, et cette fois-là n'a pas fait exception. Seulement je savais que je ne pouvais pas me confier à lui pour ce qui était de Cassandre et après ça, je ne l'ai plus jamais mentionnée devant lui.
Y avait un dispensaire, avec de vrais médecins et tout le toutim, dans notre quartier. C'était un établissement qui manquait clairement de moyens mais qu'avait au moins pour lui de proposer des soins gratos. Sur Axilante, ça se refuse pas ce genre de services. Donc je suis allé voir un pro pour savoir ce qu'il en penserait, de Cassandre. Il pourrait peut-être me dire si les autres garçons de mon âge connaissaient aussi ce genre de problèmes ou si au contraire je débloquais.
Le doc en a conclu – je cite – que je réprimais sans doute un trouble de l'identité sexuelle qui ne pouvait s'exprimer qu'à travers mon subconscient. Ouaip. Fais des rêves bizarres quand t'es ado et on mettra automatiquement ça sur le compte des hormones qui te travaillent.
Mais les années ont passé depuis et faut bien admettre que le gars s'est planté dans les grandes largeurs. Je suis pas né dans le mauvais corps et pas gay non plus. C'est assez vite devenu évident. Alors pourquoi je continue de rêver toutes les nuits que je deviens Cassandre ? Va savoir... Peut-être que ce qui importe c'est pas tellement qui je deviens mais plus où je me trouve. Parce que quand on prend la peine d'y cogiter deux secondes, c'est quand même vachement plus fendard de se la couler douce sur Prioxus – même avec un vagin entre les jambes – que de téter au goulot de la binouze au rabais sur Axilante. Ouais... si ça se trouve y a pas à chercher plus loin.
De temps en temps quand même, comme ce matin, je doute et je me dis mes rêves n'en sont peut-être pas vraiment. Car comment de simples rêves pourraient être à ce point cohérents, avoir autant de couleurs, autant de détails et me sembler plus réels que ma propre vie ? Alors je me mets un peu à y croire, que Cassandre existe et qu'elle vit sur Prioxus... et je me souviens la manière dont elle prend notre défense. C'est le genre de petits trucs qui me fait tiquer, parce que dans la vraie vie les grands de Prioxus en ont rien à carrer des conditions de vie sur Axilante. T'y penserais toi ? Si t'avais la chance de vivre sur une planète qui ressemble à un paradis ?
Comme Charles tiens ! Quel connard celui-là. Quel empaffé ! Non mais sérieux ! Franchement, s'il n'était pas lui aussi le fruit de mon imagination, je lui ficherais bien mon poing dans la gueule. Je me suis toujours demandé pourquoi je l'ai créé. Je veux dire... j'ai pas la prétention de croire que je suis un gars correct mais moi au moins je prends pas plaisir à rabaisser les autres. Pauvre type ! Pauvre type qui se rend même pas compte de la chance qu'il a.
Penser à lui me rappelle qu'il faut que j'aille voir comment va Akseli. Ouais parce qu'on est peut-être... comment Charles nous a appelé déjà ? La vermine ? C'est vrai qu'à l'origine Axilante était une colonie pénitentiaire et qu'on descend tous de détenus ; et c'est sûrement vrai que ça a contribué à faire de nous ce qu'on est aujourd'hui. Et alors ? On a peut-être un sens de la moralité un peu élastique, on a peut-être la violence dans le sang mais c'est pas aussi simple. Même la vermine peut avoir des principes à l'occase et Akseli fait partie des miens. C'est important de prendre soin de nos anciens. Enfin... c'est ce que je pense.
Je quitte l'appartement et je vais toquer à la porte d'en face, le chat sur les talons. Le chat adore Akseli mais visiblement pas au point de vouloir emménager chez lui.
— C'est ouvert !
J'entre. Akseli est encore installé dans le fauteuil élimé de son salon tout aussi défraîchi. Il le quitte presque plus ces derniers temps et je crois même qu'il y dort.
— Salut grand-père, t'as besoin d'quelque chose ? Tu veux qu'j'aille faire des courses ?
Akseli, c'est pas vraiment mon grand-père mais c'est un peu tout comme. Je le connais depuis que je suis môme et il a veillé sur moi quand je me suis retrouvé seul, après que la cirrhose du foie ait emporté mon père. Il s'est occupé de moi et m'a fait entrer à la mine quand j'ai eu l'âge ; alors je trouve normal de lui rendre la pareille et de veiller sur ses vieux jours, surtout qu'il peut plus sortir de chez lui. Sa bombonne d'oxygène est devenue trop lourde pour lui. Ah... ça donne pas vraiment envie d'arriver jusqu'à la retraite.
— Merci, ça ira.
Sa voix chevrote et sa respiration est sifflante. Il tousse de plus en plus. Je l'étudie en silence. J'ai du mal à reconnaître le vieillard tout décrépi qui me fait face et je me demande si j'ai encore beaucoup de temps à passer avec lui.
— Arrête de tirer la tronche gamin !
Son injonction rageuse parvient à m'extorquer un sourire. Gamin... ça fait bien longtemps que j'en suis plus un. Sauf pour Akseli. Akseli qui bougonne.
— J'suis pas encore cané tu sais.
Un pied dans la tombe ou pas, il a au moins toute sa tête. Il me fait signe de me rapprocher et de m'asseoir.
— Dis-moi plutôt comment elle va ta greluche.
Y a pas beaucoup de gens au courant pour Cassandre mais Akseli est de ceux-là et il est bien le seul à pas s'être foutu de moi ou à pas me prendre pour un taré de première. Il est aussi convaincu qu'elle est réelle, contrairement à moi. Peut-être qu'il a un peu perdu la boule en fin de compte parce qu'il y croit mordicus. Ou alors il aimerait bien rêver d'elle lui aussi.
— Pas fort.
— Ah ?
— Charles.
— Ah ! Toujours aussi con ?
— Ouais. Et t'avais raison. Y a bien un autre homme.
— Ah ! J'le savais ! Alors ? Il est comment ?
— J'en sais fichtrement rien ! Je l'ai pas vu.
— Alors comment tu peux en être sûr ?
— Ben...
— Oh ! Je vois. Comme la première fois qu'elle...
— Ouais dans l'même genre. On peut causer d'aut' chose ?
Je préfère couper court. Ça me gêne d'en parler. Bizarre hein ? Parce que si Cassandre existe, ça veut dire que je suis juste un voyeur auquel elle ne peut pas échapper et qui se paluche en pensant à elle. Et ça craint. Bon, c'est pas vraiment comme si j'avais voulu que ça arrive. J'y peux rien si je partage avec elle ses moments les plus intimes. Mais au moins je peux choisir de garder ces moments pour moi. Si elle existe. Sinon ben... je protège une fichue hallucination et ça craint aussi. Y a pas à tortiller, dans les deux cas je suis sur la mauvaise pente mais quitte à choisir je préfère encore être cinglé que pervers.
Akseli me jette un regard acéré.
— Aut' chose... Pas d'problème. Toi, comment tu t'sens ?
Il m'énerve le vieux, à toujours sembler savoir avant moi ce qui me trotte dans la tête ! Comment je me sens ? Ah ah ah ! Pas très net, c'est clair !
— Ça va.
Quinze piges passées ensembles et c'est la première fois que je lui mens. En fait, ça ne va pas du tout. Je réalise que je suis jaloux. J'y ai mis le temps mais mieux vaut tard que jamais à ce qui paraît. Je suis jaloux. Pas de ce crétin de Charles, non ! De l'autre, de celui qu'elle aime. Merde ! J'ai vraiment Cassandre dans la peau. Je crois que j'en pince pour un putain de rêve. Je déraille sévère là quand même ! Mais qu'est-ce qui va pas chez moi ? Va falloir que je me dégotte une fille dare-dare. Une qui sera pas un mirage, et si possible que j'aurai pas à payer pour changer. Une fille bien qui devra être capable de me sortir Cassandre de la tête. Je n'ai pas envie de terminer à l'asile. Ouais, et pourtant j'ai déjà commencé le décompte des heures qui me séparent encore d'elle.
— Ah ouais ? Ça va ?
Akseli n'est pas dupe. Je secoue la tête en soupirant et me décide à cracher le morceau.
— Non. Faut qu'ça cesse. Un jour faudra bien qu'cette folie s'arrête. C'est pas tenable. J'en peux plus.
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