Je lâche un hoquet de surprise. C’est tellement… inattendu.

Pourtant c’était prévisible. Adès avait subitement changé d’avis juste après mon passage dans sa meute, et la seule chose que j’avais apporté, c’était mon don de guérison. Don très précieux, au point de faire du chantage avec la guerre.

Je m’assieds sur une chaise en me défaisant de l’emprise d’Hadriel qui me scrute. J’ai omis de lui préciser la semaine dernière qu’Adès était au courant de mes facultés, mais il doit s’en douter maintenant.

- Nous caches-tu quelque chose Léonie ? me demande Connor.

Je relève la tête et réponds un peu trop vite pour être crédible. Mais il ne faut pas que mon secret se sache.

- Non, pas du tout, pourquoi ?

- Tu ne sembles pas si surprise que ça. Tu as eu un passé disons… compliqué. Alors l’idée d’un changement de meute devrait t’effrayer, ou du moins t’inquiéter, non ?

Je cherche une excuse rapidement.

- Mais vous n’allez pas m’abandonner n’est ce pas ? Je veux dire je n’ai pas de raison de m’inquiéter parce que je vais rester avec la meute, pas vrai ?

Connor me fixe. Il sait que je lui mens, et je ne m’en tirerais pas comme ça. Heureusement pour moi, Hadriel me sauve.

-  Connor, il faudrait que je parle à Léonie, on monte, d’accord ?

Le concerné hoche la tête sans me quitter du regard. C’est un homme maniaque du contrôle. Quelque chose lui échappe et ce à cause de moi. Le seul moyen pour moi d’échapper aux problèmes serait de me confier à l’Alpha, mais je ne peux pas m’y résoudre. J’ai bien trop peur qu’il m’oblige à l’utiliser sans mon accord avec ses pouvoirs de persuasion, ou qu’il me livre comme monnaie d’échange à une autre meute, comme celle du Sinnel d’ailleurs, ou pire celle de Randors.

Mais avant une autre complication m’attire, c’est Hadriel qui m’entraîne vers sa chambre. A l’heure qu’il est, nous aurions dû être dehors, mais je suppose que l’entraînement d’aujourd’hui est annulé.

- Pourquoi est ce qu’ils savent ? gronde Hadriel une fois la porte de la chambre fermée.

- Doucement, je réponds en m’éloignant près de la fenêtre.

Les loups garous ont l’ouïe très fine, et si l’on ne se montre pas plus discret, tout le monde dans cette maison sera au courant de notre discussion.

- Réponds moi Léonie.

-Ecoute, Adès est un Alpha intelligent, quand il a vu que son Oméga avait guéri et que j’avais de nouvelles plaies, il en a conclu que… enfin tu comprends.

- Non, je ne comprends pas comment tu as pu te mettre à découvert ainsi ! Tu es inconsciente ma parole, tu n’aurais jamais dû guérir cet homme.

- Je pensais que tu avais compris, je n'ai pas choisi de le faire, je m’énerve les larmes au bord de yeux.

S’il y a bien quelque chose que je ne supporte pas, c’est qu’on m’accuse et me gronde. Je suis quelqu’un de très voire trop susceptible.

- Je n’ai pas pu faire autrement, c’était plus fort que moi, il avait besoin de mon aide !

- Mais moi j’ai besoin de toi Léo ! Besoin de toi vivante, besoin de toi auprès de moi ! S’il sait, la nouvelle va se répandre. Les conséquences vont être désastreuses.

Je me mords la lèvre inférieure le plus fort possible pour éviter de craquer. Il a raison, mais j’ai besoin de soutien de mon ami, pas de reproches.

- Il m’a promis de rien dire, je réplique pour tenter d’alléger ma bêtise.

- Les  Alphas mentent Léonie, toi aussi tu mens à ta propre meute d'ailleurs. Tu leur caches un secret alors que tu as prêté un serment d’honnêteté. Donc ne t’imagine pas qu’Adès respectera ce qu’il t’a dit. D’autant plus que quand il saura que Connor a refusé sa proposition, il fera du chantage pour t’avoir.

Je ferme les yeux une larme solitaire coule. Hadriel a raison. Les membres de ma propre meute m’en voudront de leur avoir menti, les meutes extérieures convoiteront mon pouvoir et les ennemis redoubleront, ce qui mettra notre meute en péril. Tout ça, à cause de moi. Tout aurait été si simple si j’avais été une Gamma lambda.

- Tu sais que Connor et les autres te protégeront toujours, mais si les attaques sont trop nombreuses, nous ne pourrons plus t’aider. Les autres loups ne seront pas cléments envers toi. Tu sais ce qui arrivent aux guérisseurs lorsqu’ils sont découverts.

Ils sont enfermés pour être sûr qu’ils ne s’enfuient pas ou qu’ils ne soient pas kidnappés, et ils sont sujets d’expériences qui ont pour but de trouver un moyen d’extraire les dons de guérison pour les répandre dans les gênes d’autres loups. Ce sont des opérations longues et douloureuses que je ne souhaite jamais connaître.

- Arrête, je t’en supplie, je lâche entre deux sanglots.

Hadriel me scrute toujours d’un mauvais œil, et je détourne le regard, ne pouvant plus supporter le poids des reproches qu’il me lance.

- Léonie, tu sais que j’ai raison...

- Stop ! je hurle à m’en crever les poumons.

Hadriel se fige. Il s’assied sur le lit impuissant et prend sa tête entre ses mains. Je reste loin de lui.

La porte s'ouvre alors brusquement et Cassiopé entre en fusillant Hadriel du regard.

- Qu'est ce que tu lui as fait ? S'exclame-t-elle.

Hadriel soulève la tête et fronce les sourcils.

- Rien, je réponds à sa place, même si les larmes sur mon visage témoignent du contraire.

Cassiopé nous fixe à tour de rôle puis me fait signe d'approcher.

- Allez viens manger Léonie.

Je me doute que ce n'est qu'un prétexte pour m'emmener à Connor. Cassiopé a beau être mon amie et savoir que je vais passer un mauvais quart d'heure, elle reste une femme rationnelle qui obéit à son Alpha de peur de décevoir, ce que je comprends tout à fait.

Le regard d'Hadriel m'incite à rester à ses côtés mais je m'approche de la porte et sors. Aux côtés de Connor comme à ceux d'Hadriel je me fais gronder alors autant affronter l'adversaire de taille dès maintenant.

Une fois en bas, je toque de moi-même à la porte du bureau sous le regard compatissant de Cassiopé.

La porte s'ouvre et Connor m'invite à entrer. Il est seul avec de nombreuses piles de dossiers éparpillées dans tous les sens.

- Assis toi.

Je m'exécute et attends mal à l'aise que l'Alpha entame la discussion.

- Tu sais pourquoi je veux te parler.

Je hoche la tête tout en regardant Connor s'appuyer contre son bureau, à quelques centimètres de moi. Cette proximité est beaucoup trop angoissante.

Je devrais me sentir protégée dans ma propre meute mais j'ai un secret trop lourd que je cache depuis trop longtemps et qui s'apprête à être découvert malgré mes efforts.

- Si Adès te veux c'est qu'il y a une raison. Je doute que tu sois son âme soeur, tu serais affectée par la distance avec lui, alors c'est qu'il y a autre chose. La question est, que caches-tu Léonie ?

Je prends une grande inspiration et m'apprête à répondre mais Connor me coupe.

- J'avais déjà des soupçons lorsque Hadriel a miraculeusement guéri en quelques heures d'une profonde griffure du loup de la meute Loïf, et de ta mystérieuse fièvre qui t'a clouée au lit pendant deux jours, mais en vue de la guerre mes soupçons s'accentuent. Quoi de mieux qu'un guérisseur dans sa meute pour partir en bataille avec un avantage ?

Il appuie fortement sur le mot guérisseur, qui me surprend fortement.  Je ne pensais pas que Connor ait pu avoir des soupçons. S'il en a eu, n'importe qui a pu en avoir également. A croire que c'est écrit sur mon front.

Je prends la parole pour la première fois.

- Tu as raison, je suis une guérisseuse, je dis d'une voix qui se veut assurée.

Connor ne cherche pas à m'interrompre.

- J'ai caché ce secret pour survivre. Je sais que tu peux me comprendre même si ce choix ne te plait pas forcément. J'espère que tu le respecteras, dis je d'un ton solennel.

L'Alpha tend son bras vers moi et pose sa main sur mon épaule.

- J'aurais aimé que tu ais confiance en moi. Tu fais partie de ma meute, jamais ne n'aurais diffusé cette information. Je te protège parce que c'est mon devoir, et il n'est pas question que j'échange un membre de ma meute, guérisseur ou non. Je ne suis pas un monstre, j'ai vu l'état dans lequel tu étais quand je t'ai trouvé. Tu as fait beaucoup de chemin depuis, surtout grâce à Hadriel et je ne veux pas que tu connaisse à nouveau la peur et l'incertain. Jamais je ne te pousserai à partir de la meute si ce n'est de ton plein gré.

Les larmes coulent sur mes joues. Je me sens en sécurité grâce à ses paroles, Connor obtient ma confiance la plus crue car je pense que j'avais besoin d'entendre ces mots. Je n'oublie cependant pas qu'il s'agit quand même de reproches déguisés. Je n'aurais pas dû douter de mon Alpha, et c'est certainement lui qui va perdre confiance en moi.

Connor m'offre un radieux sourire qui le rend irrésistiblement craquant. Je souris également malgré les larmes.

- Bon, il va falloir qu'on discute quand même de quelques petites choses Léonie, mais en attendant tu devrais aller t'entraîner. La guerre approche et nous auront besoin de toutes les forces possibles, toi y compris.

Je hoche la tête. J'apprécie que Connor ne me confine pas dans ma chambre pour me préserver à cause de mon don. Toutefois, une part d'angoisse me saisit : je suis une piètre combattante.

- Que vas tu faire avec Adès ? Je demande avant de partir.

Connor fronce les sourcils.

- Et bien je vais refuser, répond-il.

- Oui, mais je voulais dire, s'il fait du chantage, s'il me veut vraiment ?

- Adès n'est pas en conflit avec nous, il n'a pas d'intérêt à nous mettre en danger. Et puis s'il diffuse la nouvelle, trop de meutes te convoiteront, et il sera plus difficile à Adès de t'obtenir. Mais ne t'en fais pas, je m'occupe de tout ça.

J'acquiesce et m'approche de la porte.

- Merci, je finis pas dire. Et désolée, je ne voulais pas trahir ta confiance. J'ai mal agis mais...

- Je comprends. Plus de secrets ?

De toutes manières, je n'ai rien à cacher.

- Plus de secrets, je confirme.

Je sors et ferme la porte derrière moi. Finn et Cassiopé sont installés autour du repas. La matinée est vite passée.

Je monte discrètement et toque à la porte d'Hadriel.

Le Béta n'a pas été délicat envers moi. Ses reproches étaient de trop, mais je connais la pression qui pèse sur ses épaules concernant ma protection. Rien ne l'y oblige, mais je vois bien que depuis qu'il m'a pris sous son aile, je compte énormément à ses yeux. Et la réciproque est vraie.

Alors d'une certaine facon, j'imagine que les reproches qu'Hadriel m'a adressés, ils étaient en partie pour lui, pour ne pas avoir su assurer ma sécurité. Je ne lui en veux pas, ni de pas avoir été là, ni de m'avoir grondé, mais je sais que lui s'en voudra.

C'est le point faible d'Hadriel. C'est moi.

J'ouvre la porte et découvre Hadriel toujours assis sur le lit le regard pensif.

Je m'approche doucement et m'assieds à ses côtés. Je pose une main sur sa cuisse. Ses muscles se crispent à mon contact. Hadriel est tendu.

- Je suis... commence Hadriel avec une voix éraillée.

- Désolée, je termine.

Hadriel relève la tête pour me dévisager.

- Désolée de ne pas avoir joué la carte de la sécurité. Désolée de te faire ressentir toute cette frustration.

- Léonie, tu n'as pas à t'excuser.

- C'est vrai.

J'ai encore du mal à diriger le fait que en l'espace d'une semaine deux Alphas aient découvert mon secret. Je n'ose pas imaginer les conséquences si cela se sait. Je préfère pour le moment profiter de mes derniers instants auprès du Béta avant la guerre.

- Hadriel je ne veux pas qu'on soit fâchés.

- Moi non plus, répond-il en me regardant droit dans les yeux.

Je me sens mise à nue, comme s'il pouvait lire au fond de mon âme, et c'est très déstabilisant.

Lentement, Hadriel se penche vers moi et nos visages se rapprochent. Nos regard cessent d'être en contact lorsque je ferme les yeux et me laisse aller à l'émotion du moment.

- Léonie ?

Sa voix n'est plus qu'un murmure.

Au bout d'instants qui paraissent des heures, ses lèvres effleurent délicatement les miennes.

Nous nous écartons suite à ce léger contact, souriant.

Je ne sais pas vraiment qu'elle était la sensation que j'ai vécu, mais toujours est-il qu'elle m'a permis d'oublier quelques instants le poids des complications qui viennent d'arriver dans ma vie et de celles qui approchent à grands pas.

- On va s'entraîner ? Je demande plus enthousiaste que jamais.