- Qui es-tu ?

Les deux grands yeux me regardent. Je me tais comme maman m'a dit de faire.

- Qu'est ce que tu fais dans ce placard ?

Je ferme les yeux pour que le monsieur disparaisse. Mais quand je les rouvre, il est toujours là.

- Aller viens, suis moi.

Je fais non de la tête et me serre un peu plus contre le mur.

- J'ai plein de gâteaux chez moi. Et des jus de fruit.

J'ai tellement faim. Et soif. Mais maman ne veut pas que je sorte. Est ce que maman voudrait que je meurs de faim ? De soif ? Non.

Le monsieur tend sa grande main et je dépose la mienne dedans.

~

- On devrait la mettre dehors. Je suis sûre qu'elle n'a même pas de meute, qu'elle voulait nous piller. Ou alors elle vient de la meute de Randors. Elle nous met en danger. Elle est leur espion.

- Calme toi Chanelle ! Cette femme n'a rien de tout ça. Attendons son réveil.

- Mais on devrait...

- Je suis l'Alpha et je décide, hausse la voix. Ton père voulait que tu lui succèdes en tant que Béta, ne me fait pas regretter ce choix !

Une conversation houleuse me tire des bras de Morphée, et je me réveille brusquement, les yeux convulsés par la douleur fulgurante qui me prend d'un coup.

- Elle s'est réveillée. Sors d'ici maintenant.

Mon corps tremble, certainement pas de froid puisque je me sens brûlante.

L'homme s'assied à côté de moi sur le lit et pose dans un geste tendre sa main sur mon front.

- Ce n'est pas très prudent de sonner à la porte d'une meute inconnue jeune louve. D'autant plus lorsqu'on porte un secret aussi lourd que le tien.

J'ouvre des yeux ronds qui traduisent ma peur.

- Ne t'en fais pas, je ne dirais rien.

Il valait mieux. Les guérisseurs sont très rares. Certains pensent que nous n'existons que dans les légendes. Alors en détenir un, en avoir un dans sa meute est un atout majeur. D'autant plus que la guerre approche. Nous ne sommes considérés que comme des biens à acquérir et c'est pourquoi je ne veut pas qu'on me découvre. Je tiens trop à ma liberté.

- Adès, je murmure d'une voix éraillée.

L'Alpha en face de moi est un homme à la carrure imposante. Avec sa trentaine bien avancée, il garde un charme élégant qui pourrait plaire à plus d'une. Ses yeux d'un bleu nuit captivant, sa bouche pleine et pulpeuse, ses cheveux cuivrés qui bouclent légèrement aux pointes ne sont que des détails comparés à la large balafre qui traverse son visage. Étonnement, celle ci augmente son aspect charismatique, donnant l'image d'un homme aventureux et combatif.

Si Connor me semblait puissant et imposant, il l'est presque moins que ce fameux Adès.

Adès de la meute de Sinnel. Un allier potentiel qui refuse tout ralliement.

- Qui es-tu ?

- Léonie de la meute de Davon.

- Intéressant, répond le mâle en se penchant vers moi. Connor a de la chance d'avoir une guérisseuse comme toi.

Son doigt se balade dangereusement sur ma joue puis le long de ma mâchoire, là où se trouvent les blessures d'un autre.

- Pourquoi as-tu sauvé mon Gamma Léonie ?

Rien n'aurait dû me pousser à le faire. Je ne connaissais pas cet homme, rien ne nous unissait, ni lien familial, lien de meute et il n'était pas mon âme soeur. Pourtant j'avais ressenti le besoin de prendre sa douleur en moi.

- Il avait tellement mal... j'articule.

Je me rappelle encore le mal qui le taraudait, ce qui rend ma douleur actuelle moindre. J'ai cicatrisé rapidement, et bientôt je ne sentirai plus rien. Si je n'avais rien fait, cet homme serait encore cloué au lit en train de souffrir le martyr.

- Tu te fais battre par l'une des miennes, et pourtant tu sauves la vie à un autre des miens. Peu de personnes feraient preuve de cette charité. Surtout si on ajoute le fait que ton secret vient d'être découvert.

Je n'ai rien à ajouter alors je garde le silence. Ce que j'ai pas n'a rien de charitable, c'est stupide et Adès me le fait bien comprendre.

Nous restons ainsi pendant de lourds instants, lui me fixant intensément, moi méditant sur ses paroles. Il avait raison, j’avais tout fait pour me jeter dans la gueule du loup.

- Il va bientôt être 20 heures, Agrippine passera t’apporter à manger et on te raccompagnera demain à la meute de Damon. D’ici là tu seras certainement rétablie.

-  20 heures ? Je demande surprise. Quand je suis arrivée il faisait déjà nuit, il devrait être midi, ou quelque chose comme ça !

- Tu as dormi toute la journée dans l’infirmerie, m’annonce Adès.

Je clos mes yeux en pensant à Hadriel qui doit se faire un sang d’encre pour moi, du moins s’il est rentré à la meute. Obnubilée par les événements, j’en avais oublié la raison de ma fuite et le danger dans lequel Hadriel et les jumeaux s’étaient fourrés en partie pour me sauver. Et moi au lieu de sagement trouver une planque, je m’étais battue et j’avais accentué mes blessures en soignant celles d’un autre.

- Alors je ferais mieux de rentrer maintenant, je déclare en me redressant.

Les sourcils d’Adès se froncent en, dans un geste rapide et imprévisible, il appuie sa paume sur mon épaule afin de m’empêcher de me lever, en enfonçant ses doigts dans ma peau, là où mes os commencent à peine à se ressouder.

Je pousse un petit cri plaintif, tout en tentant de me dégager pour alléger la douleur.

- Tu es encore trop fragile. Et puis avant de partir il faut que tu répondes à mes questions.

Son regard perçant me dissuade de le contredire. Je hoche la tête docilement en me rallongeant. Adès se relève et s’éloigne un instant pour revenir avec des bandages propres. Doucement, il pose sa main sur mon bras pour jauger ma réaction, puis retire mon bandage actuel imbibé de sang. Je détourne les yeux de ce spectacle infâme tandis que je sens les mains de l’Alpha s’occuper de changer mon pansement.

- Qui fuyais tu jeune Gamma ? me questionne subitement Adès.

- Je ne sais pas vraiment, je réponds honnêtement. Il devait y avoir cinq ou six loups.

Je pense qu’Adès me croie sincère, car il n’insiste pas.

- Tu les as semés à toi seule ? enchaine-t-il.

- Non, les trois loups qui m’accompagnaient ont commencé à se battre contre eux quand je suis partie.

- Il fallait qu’il protège leur guérisseuse, murmure Adès comme pour lui-même.

Je ne réponds pas cette fois ci. Adès a tort : les jumeaux ne connaissent pas mon secret, et Hadriel a fait ça pour me protéger car il me sait trop faible pour me défendre. C’est son devoir d’Alpha de protéger les membres de sa meute, prioritairement ceux qui ne peuvent pas le faire eux-mêmes.

- Que faisiez vous seuls dans la forêt ?

- Je ne vois pas en quoi...

- Répond moi, me coupe-t-il en serrant fermement le bandage, m'arrachant une grimace de douleur.

- Mon Béta apprenait des techniques de combats.

Le regard d'Adès pétille de malice.

- Elles ne t'ont pas été très utiles face à Chanelle, d'après ce que j'ai vu.

Ma louve grogne à l'intérieur face à cet affront. Toutefois je reste calme et silencieuse. L'indifférence est la meilleure des réponses.

Adès entreprend de descendre le drap sur mon corps mais je l'en empêche pour préserver ma nudité.

- Il faut que je vois tes blessures, s'explique-t-il. Et puis je t'ai déjà vue nue hier soir chère louve.

Je rougis à ce souvenir mais le laisse faire sachant qu'il utilisera son aura persuasive si je refusais.

- Connor était-il avec toi ? Reprend l'Alpha comme si la situation n'était pas horriblement gênante.

- Non.

Je ne saisis pas l’intérêt de cette question, ni où il souhaite mener la conversation. L’Alpha hoche la tête mais ne demande rien d’autre. Il semble réfléchir à quelque chose qui m’échappe. Qu’est ce que j’ai pu dire de si intriguant ?

- Le repas est là !

La même vieille que la dernière fois entre dans la salle avec deux enfants accrochés à sa longue jupe. Elle s’approche et dépose le plateau dans lequel figure un repas plus qu’appétissant pour mon estomac vide, alors que les enfants, deux garçons aux longues boucles blondes, restent cachés derrière elle, seule leur tête dépassant de chaque côté.

- Ils souhaitaient voir la nouvelle, affirme Agrippine sous le regard lourd de l’Alpha envers les enfants, certainement pas à leur place.

- Ils ne la verront pas longtemps, elle repart demain, déclare posément Adès.

- Demain ? s’exclame la vieille. Elle n’aura pas le temps de cicatriser ! C’est déjà un miracle qu’elle se rétablisse si vite, mais d’ici demain, c’est inespéré qu’elle puisse entreprendre le chemin de retour.

Adès et moi même connaissons mon don qui me permettra d'être rétablie en un rien de temps, mais la femme a raison sur le fait que je ne tiendrai pas le coup sur plusieurs heures de marche. 

- Taylor pourra la conduire en voiture. Rudy l'accompagnera.

En voiture ! Puisque très coûteuses, peu de meute avaient le luxe de s'en offrir. Ce sera la première fois que je monte dedans. Cela en dit long sur les moyens de la meute du Sinnel et de l'importance de notre alliance.

- Dans ce cas cette jolie demoiselle doit prendre des forces ce soir et se nourrir, concède la vieille.

Son sourire est si tendre et doux qu'elle m'aspire entièrement confiance. J'attrape le plateau et le pose sur les genoux, puis commence à manger silencieusement sous le regard des personnes présentes dans la pièce. Qu'est ce que ça fait du bien !

Finalement, Adès quitte la pièce suivi d'Agrippine. Les deux enfant quant à eux restent dans la pièce, cachés à l'autre bout du lit. 

- Tu es qui ? Me demande l'un des deux bonhommes.

Je prends soin d'avaler avant de répondre. 

- Je m'appelle Léonie, je viens d'une autre meute, mais la mienne est alliée avec la tienne et celle de ton frère. 

Après un silence, le même garçon reprend :

- Papa était bizarre ce matin. Je crois qu'il avait peur.

- Ah bon ? Je demande faisant mine de m'intéresser alors que le plat sous mes yeux me semble bien plus attrayant.

- Oui, il a dit que si tu étais là, c'était que les méchants arrivaient. Et les méchants ils sont... très méchants !

Ce gamin avait dû entendre une conversation avec son père mais dont il ne comprenait pas le sens, juste la menace d'un méchant comme dans les contes pour enfants. 

- Papa s'est disputé avec Chanelle toute la journée, se lamente le second garçon. Chanelle elle est gentille.

- Non ! Crie l'autre. Elle veut remplacer maman mais c'est pas maman.

- Elle a un amoureux, argumente le frère. Elle peut pas se marier avec papa et être notre maman.

Je ne suis plus la discussion des deux petits êtres. 

- Tu veux être ma maman ? 

Je recrache le contenu de ma bouche dans l'assiette. Je ne parle à ces garçons que depuis deux minutes, je ne connais même pas leur nom et ils veulent que... Qu'il est étrange l'esprit enfantin !

- Papa il t'aime bien. Il a dit que tu étais précieuse et que tu lui seras utile.

- Qui est ton papa ? Je demande perplexe.

Je ne connais personne ici alors qui pourrait penser une telle chose ?

- C'est le chef de la meute ! Repond-il tout fier.

Adès. Mais le petit a dit que son père avait peur. Que je lui serais utile. En quoi ?

Je m'apprête à interroger les deux garçons mais ils jouent déjà plus loin au niveau d'un autre lit.

Je repose ma fourchette  sur le plateau une fois l'assiette vide et me rallonge. Demain je serais de retour chez moi.

J'angoisse à l'idée qu'il soit arrivé quelque chose à Hadriel, Kamil et son jumeau, et j'appréhende également les reproches d'Hadriel car mon secret a été decouvert. De toutes manières, je ne pourrais le lui cacher, je n'arrive pas à mentir devant lui.

~

Les deux mêmes gardes que la veille, Taylor et Rudy d'après ce que j'ai compris, sont venus m'escorter ce matin sous les regards curieux de la meute. Heureusement pour moi, pas de Chanelle en vue.

Installée dans la voiture, j'attends que les gardes reçoivent les instructions de leur Alpha pour qu'ils puissent me ramener chez moi. Alors que je revasse, quelqu'un cogne contre la vitre et je sursaute, la main sur le coeur. 

Adès est là, et m'indique du doigt d'appuyer sur un certain bouton, ce que je fais, et la vitre s'ouvre alors.

Le sourire d'Adès est à la fois un appel à la luxure, mais aussi un signe d'avertissement.

- On se reverra vite Léonie.

Je fronce les sourcils. Que sous entend-il ? Soudain une idée me vient à l'esprit.

- Est ce que ça veut dire que vous acceptez un ralliement ? Je demande pleine d'espoir.

- Sous certaines conditions.

Sur ce il s'éloigne et la voiture demarre direction la meute de Davon.

Adès ne m'a pas dit non. Est ce prometteur pour l'avenir ?

🌵

C'est la fin du chapitre un qui arrive un peu plus tôt que prévue ! J'espère vous avoir mis dans l'ambiance. N'hésitez pas à me dire quel perso vous préférez même si il y en a certains que vous ne connaissez pas encore assez bien et donc ceux que vous aimeriez mieux découvrir.

Je prends toutes les remarques constructives que vous avez ça m'aide toujours et c'est toujours très sympa (mêmes les fautes) 😄

Merci de vos lecture, à bientôt pour le chapitre 2 ! ❤