Chapitre 6
« Lorsque la vie devient plus difficile, c'est une occasion de devenir plus fort. »
Lorsque Gabrielle rouvrit les yeux, elle ne se trouvait plus dans sa chambre. Le paysage avait changé le temps d'une seconde. Elle se trouvait dorénavant dans une pièce carrée, assez sombre, aux murs noirs, éclairée seulement par la lumière qui filtrait par la porte grillagée. Sa tête lui faisait mal, comme si elle était descendue sous l'eau sans décompresser, comme si on enserrait sa tête dans un étau; elle voyait trouble, des picotements s'emparaient de son crâne. Enzo, toujours à ses côtés, ne trahissait, quant à lui, aucun signe de faiblesse et s'affairait à enchaîner la jeune fille. Cette dernière se laissa faire, sa tête lui tournant trop. Si Enzo avait l'habitude des voyages inter-mondes, ce n'était pas le cas de Gabrielle dont le corps n'était pas du tout entraîné à subir tant de magie d'un coup et tant de pression. En effet, la téléportation demandait de supporter cinq à six G, ce qui causait une grande douleur crânienne et corporelle, que seules des personnes ayant de la pratique pouvaient surmonter aisément. Toutefois, cette douleur n'était pas mortelle pour les Elémentiens.
- Voilà. Avec ces chaînes aucune chance que tu arrives à faire de la magie, lui expliqua-t-il conquérant.
Car si les Feuriciens étaient vulnérables face à la nacre, Gabrielle étant une Airicienne, ne pouvait rien faire contre le fer. L'aluminium bloque la magie Eaunicienne et l'étain celle des Terriciens.
Gabrielle ne répondit rien, acceptant sans broncher.
- Prépare-toi, jeune fille, reprit-il. La douleur est une douce souffrance à laquelle tu vas être soumise dans une dose que tu n'avais pas encore connue. Ne résiste pas trop, ton corps ne le supporterait pas...
Sur ces mots effrayants, Gabrielle grimaça, sa tête bourdonnant. Et sans attendre de répliques de la part de la jeune prisonnière, il sortit et referma à clef derrière lui. Gabrielle soupira. Elle n'avait pas sourcillé quand on l'avait enchaînée. Depuis quand se laissait-elle maltraiter sans se défendre ? Quelle idiote ! Surtout, il fallait rester calme et ne pas céder à l'énervement et encore moins à la panique. Apparemment elle ne pouvait utiliser sa magie, chose de toute façon inutile puisqu'elle ne savait pas comment elle se déclarait. Étirant ses chaînes au maximum, elle essaya de voir à travers les barreaux. En tirant fort sur ses poignets, elle réussit à voir le couloir. Mais il était, pour le moment, vide, si ce n'était deux gardes postés de part et d'autre de la grille. Habillés eux aussi de noirs, leur carrure imposante, ils portaient une épée au côté gauche. Puis elle leur parla d'une voix assurée, ses yeux furetant sur les gardes à la recherche d'une clé. Mais rien qui put même y ressembler.
- Nous sommes sur Lunos ? demanda doucement la jeune fille.
Les deux gardes se retournèrent en un accord si parfait que c'en était presque déconcertant.
- Pas très accueillant comme pays, enchaîna-t-elle sans attendre de confirmation de la part de ses hôtes.
Voyant qu'ils ne disaient rien, Gabrielle se résolut de retourner au fond de sa cellule. L'humour lui permettait de relâcher l'inquiétude qui la tenait à la gorge mais le malaise persistait toujours, alors que ses maux de crâne commençaient à se dissiper.
- Intéressant cette fille, murmura l'un des gardes. Je me demande pourquoi Isabelle a peur d'elle...
Une voix puissante s'adressa alors aux gardes paniqués qui se mirent dans un garde-à-vous impeccable face à la nouvelle venue. Elle les dispensa et ils saluèrent, gênés. Leur pas régulier frappait encore le sol, résonnant dans le couloir vide, lorsqu'Isabelle déverrouilla la grille.
Gabrielle était nerveuse; qu'allait lui faire cette femme ? Quand elle entra, elle ne put retenir un frisson glacial qui parcourut tous ses membres et qui s'amplifia à son approche. Elle ne parvint pas à lui déterminer un âge car ses vêtements la vieillissaient mais son visage semblait jeune. A quel âge avait-elle réussi à prendre le pouvoir ? Elle portait une robe pourpre avec une ceinture noire ébène, une étoile en rubis pour boucle. Sur sa tête, un diadème noir, un gros rubis au centre et deux plus petits de part et d'autre, lui encerclait ses cheveux blonds foncés. Elle paraissait magnifiquement puissante.
- Isabelle tra Torturemenchi, dit-elle d'emblée d'une voix puissante. Je suis enchantée de te rencontrer, cela fait si longtemps que je te cherche.
Ses yeux brillaient d'une lueur prédatrice ce qui ne participa pas à calmer la jeune prisonnière qui ne pouvait émettre le moindre son, tant sa gorge était nouée.
- Je souhaite ardemment, reprit Isabelle, te voir à mes côtés pour gouverner ce royaume. Tu seras heureuse et comblée. Tout sera à ta portée et aucun de tes désirs ne restera insatisfait.
Gabrielle qui avait gardé un regard sûr d'elle et presque provocateur ne put cacher la surprise qui l'envahit. Elle s'étonnait des propos inattendus et plutôt aimables de la jeune femme qui contrastaient avec l'intensité de son regard malfaisant, si bien qu'aucun son ne sortit de sa bouche.
- Et bien ? insista-t-elle. Tu as perdu ta langue ?
Elle ne savait que dire, cherchant à trouver un piège.
- C'est une blague...? demanda Gabrielle d'une voix qu'elle voulut confiante.
- Pas le moins du monde, répondit la jeune femme.
Alors l'énergie regagna la jeune fille, ses pensées se rassemblèrent; et elle sut quoi répondre, avant même de réaliser ce qu'elle fit.
- Je ne connais rien de votre royaume... Et vous voulez qu'à mon âge je le gouverne ? Mais la jeunesse est bien trop inexpérimentée et sans recul. Gouverner est comme toute chose et s'apprend avec le temps. On ne sait pas parler ni lire avant d'avoir appris.
Le regard haineux que lui lança alors Isabelle fit vite regretter à Gabrielle son emportement. Trop spontané, son caractère la mènerait un jour à sa perte. Pourtant, elle savait qu'elle ne devait pas la suivre, elle avait ce pressentiment que ce n'était pas sa voie... Pour une raison qu'elle ignorait, elle sentait qu'elle devait agir contre tout instinct de survie. Pour au moins donner un sens à sa vie, à ce que ses parents avaient fait pour elle...
Sa ravisseuse avança alors vers elle, ses yeux remplis de violence. Gabrielle recula jusqu'à rencontrer le mur froid dans son dos, mais elle garda son regard dans celui d'Isabelle. Ses améthystes ne se briseraient pas face à ces éclairs. La main d'Isabelle vint se placer dans la nuque de Gabrielle avec une douceur inattendue. La jeune fille fut parcourue de frissons et sa mâchoire se crispa.
- Tu crois que je vais laisser le pouvoir à mes parents et attendre qu'ils meurent quand je peux l'avoir tout de suite ? Je vois bien que tu as vécu sur Terre.
- Je sais ce que vous avez fait, déclara Gabrielle en repoussant la main d'Isabelle et en mettant de la distance avec elle. Vous avez pris le pouvoir par la force et détrôné deux souverains aimés de toute la population. Et qu'est-ce qu'elle y gagne ? Une vie gouvernée par la peur ! Je... je ne veux pas être comme vous.
Elle cherchait à se convaincre de ses propos en les assénant avec force. Mais ses paroles furent accueillies par un silence, et Gabrielle reprit calmement.
- Co... comment ça « laisser le pouvoir à vos parents » ?
Isabelle sourit, satisfaite de son effet.
- Le fait est que je suis la fille des souverains que j'ai détrônés.
- Non...
- Et si, je suis ta sœur aînée ! acheva Isabelle d'une voix satisfaite.
- Mais... comment ?
- L'impatience, ma chère, et la détermination. A cinq ans, j'aimais me promener dans Elémentarius avec des gardes et ma nourrice, et je rencontrais de nombreux habitants. Parmi ces derniers, je me pris notamment de sympathie pour Josiane. Elle avait gagné la confiance des gardes qui me surveillaient et pouvait alors se promener seule avec moi. Elle devint comme une nouvelle nourrice pour moi, se faisant accepter étrangement facilement par ceux qui m'accompagnaient. Si facilement que j'étais presque jalouse; d'ordinaire ils n'obéissaient jamais à mes désirs, seulement à mes parents... J'étais émerveillée par le charisme de Josiane et sa force, à tel point que je développais une admiration pour elle. C'est cette femme qui me remit sur le droit chemin. A huit ans, elle m'emmena chez elle. J'étais jeune mais je savais ce que je voulais, je ne considère donc pas cela comme un enlèvement. Dans ma nouvelle demeure, je rencontrais André qui me charma dès la première seconde. C'est à mes quinze ans que notre plan fut prêt et nous pûmes prendre le pouvoir. Malheureusement, Josiane mourut. Personne ne me reconnut dans la population comme la fille des souverains alors je pris le nom de cette femme extraordinaire qui réalisa mon rêve et ma soif de puissance.
A la suite de cette déclaration, le silence s'imposa en maître. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Gabrielle releva le regard vers Isabelle, l'incompréhension se lisant dans tout son être.
- Pourquoi me dire tout cela ? demanda-t-elle cherchant à nouveau le moindre piège.
Isabelle semblait montrer sa vulnérabilité face à Gabrielle, lui faisant comprendre qu'elle voulait qu'elle soit à ses côtés. Malheureusement pour elle, peut-être inconsciemment, Gabrielle se sentait plus de courage pour refuser. Il y avait baleine sous gravillon...
- Mais parce que tu es ma sœur, chérie, lança Isabelle d'une voix joyeuse et glaciale. Et je veux que tu viennes à mes côtés, je déploierai ta puissance. Ne la gâche pas.
- Taisez-vous... J'ai du mal à vous croire. Vous voulez me corrompre...
- C'est ainsi que tu le prends ? se vexa Isabelle. Je voulais seulement t'éviter de souffrir...
- Vous voulez que je fasse du mal aux gens, comme vous ? s'énerva Gabrielle. Non... Je ne veux pas... Vous allez me tuer peut-être ? Si c'était le cas vous l'auriez déjà fait... suppose-t-elle en la défiant.
Isabelle attrapa la jeune fille à la gorge et commença à l'étouffer, refermant sa poigne avec violence.
- Tu n'es vraiment pas en position pour me menacer. Je te rappelle que c'est toi qui es prisonnière et non l'inverse.
Elle relâcha la pression de sa poigne et recula. Isabelle ressemblait à ce moment à une lionne déchaînée et pareil à ce félin, elle semblait épier du regard la jeune fille afin de la cerner pour mieux la tuer. Tout en surveillant sa proie, elle appuya sur une branche de l'étoile située sur sa ceinture. Quelques secondes plus tard, un être transparent apparut devant elles. Il avait le physique d'un homme mais pas la matière. Gabrielle eut un mouvement de recul mais tenta de cacher son désarroi.
- Je te présente Liam, un fantôme. Il est capable d'entrer et de prendre possession de ton pauvre corps d'Elémentienne. Souhaites-tu te joindre à moi ou découvrir par toi-même la délicieuse sensation de perdre le contrôle de tes gestes et paroles ?
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