Chapitre 22
Le lendemain, Palmire prit sa mère à l'écart pour lui parler à l'abri des oreilles indiscrètes.
— Tu penses que l'on peut vraiment leur faire confiance ? demanda-t-elle dans un murmure.
— À voir leur arrivée essoufflée, leur discrétion, leur volonté de se cacher, les soldats qui sont venus fouiller toutes les maisons alentours, leur inquiétude constante, leur faiblesse et surtout la présence de la Princesse... je pense que nous pouvons croire en leur bonne foi, assura Lisie.
Palmire parut convaincue par ce raisonnement infaillible et elles décidèrent ensemble de protéger les trois adolescents cachés dans le grenier. Elles mirent leur méfiance de côté pour accorder leur confiance et jouer très gros dans ce qu'elles allaient dévoiler. Après s'être assurée encore une fois, en observant minutieusement leurs comportements, de la sincérité des Elémentiens cachés, Palmire leur dévoila, quelques jours plus tard, l'existence d'une Résistance dont sa mère et elle faisaient parties.
Damien, qui avait changé de côté, fut stupéfait d'apprendre qu'un groupe d'Elémentiens avait réussi à se former malgré l'extrême surveillance perpétuelle d'Isabelle. Le fantôme d'Arthur voulut s'imposer et le Terricien eut des sursauts violents et un mal de crâne terrible qu'il tenta de maîtriser pour ne pas perdre le contrôle. Ses membres convulsaient traduisant le combat intérieur du jeune homme et d'Eléazar. Il semblait vouloir se jeter sur la guérisseuse pour l'étrangler de ses vigoureux doigts mais il se retenait avec violence en se jetant sur le côté. Ce spectacle horrible pétrifia les deux jeunes filles dont la peur grandissait.
Finalement, Arthur parvint à reprendre le dessus et son corps s'apaisa. Ses yeux fermés, ses sourcils froncés et la bouche tordue de douleur, il tentait de maîtriser sa respiration. Palmier put reprendre son explication quand Arthur murmura des excuses et s'assit contre le mur auquel il était toujours enchaîné.
Une tension inquiétante venait de s'imposer dans le grenier. Cependant, Palmire enchaîna en expliquant que, grâce à cette Résistance, elle avait put les nourrir tous les trois sans lever des soupçons sur la consommation de l'Hôpital. En effet, chaque Elémentien devait respecter les restrictions alimentaires et n'avait, par conséquent, qu'une seule dose de nourriture par repas. Si Palmire ou sa mère en avait demandé trois de plus, les soldats seraient venus inspecter la demeure et une enquête se serait imposée. Mais, elles n'avaient pas eu besoin d'aviver la méfiance du commissariat et ce, grâce à des Résistants qui avaient volé de la nourriture pour eux. Régulièrement, sous la demande de Lisie, un jeune homme leur apportait leur repas. Cette nouvelle renouvela l'espoir des jeunes Elémentiens qui furent soulagés d'apprendre qu'ils n'étaient pas seuls pour résister à la dictature d'Isabelle. Ils avaient désormais la preuve qu'ils auraient du soutien dans leur combat et cela les rassura un peu.
* * *
Des liens entre les adolescents commencèrent à se former au fil des jours ; ils prenaient confiance les uns envers les autres, apprenaient à se connaître, racontaient leurs aventures et mésaventures, parlaient pour combler le temps et oublier la crainte permanente qui régnait. Ils lisaient aussi beaucoup de livres de magie et réfléchissaient sans cesse à ce qu'ils devaient faire car le temps les oppressait de plus en plus, et il fallait penser à quitter cet Hôpital.
Gabrielle, qui s'était longuement interrogée sur la présence de la Résistance au sein d'Elémentarius, proposa de se rendre dans leur cachette pour leur assurer leur soutien. Mais Palmire s'y opposa, justifiant que la Résistance ne se regroupait que très rarement pour ne pas attirer l'attention des soldats sur un groupe suspect et qu'en outre, ni elle, ni sa mère ne connaissait le lieu de leur réunion secrète. Cela s'expliqua car elles avaient plus de contact avec Isabelle et ses soldats en tant que guérisseuses et qu'il ne fallait pas risquer d'élever les doutes de ces hommes qui auraient pu leur soutirer des informations.
Palmire se rapprocha progressivement d'Arthur qu'elle trouvait très calme et réfléchi ; elle souhaitait l'aider à apaiser son âme torturée. Leurs entretiens étaient toujours d'une grande douceur.
La guérisseuse commença également à réellement apprécier Gabrielle et leur confiance l'une vis-à-vis de l'autre s'imposait. Elles discutèrent beaucoup en analysant les différents sortilèges des livres mais finalement, elles conclurent que le sort qu'ils avaient trouvé auparavant était le seul qui avait une réelle et durable chance de réussite. Gabrielle, reposée depuis plusieurs jours et ayant récupéré des forces, décida qu'il était temps d'agir et qu'elle craignait de plus en plus les pertes de contrôle récurrentes d'Arthur. Elle défendit son opinion et montra tant de volonté qu'après s'être concertés tous ensembles, les quatre adolescents acceptèrent de prendre le risque de réaliser ce sort périlleux.
— Nous allons donc essayer, conclut Palmire. Je vais chercher une plante et je reviens, tâchez de ne pas faire exploser les pauvres meubles restants... railla-t-elle avec cynisme.
La jeune guérisseuse, malgré les jours passés, n'avait toujours qu'une confiance restreinte en Damien depuis que celui-ci s'était aventuré à attaquer Gabrielle lorsqu'elle était partie avec Arthur chercher le vieil ouvrage. D'autre part, les impressionnantes crises du Terricien mettaient la Soleil mal à l'aise. Mais celle-ci sourit et rassura Palmire ; en effet, n'ayant toujours pas réussi à contrôler sa magie, Arthur et Damien étaient continuellement enchaînés au mur du grenier. Palmire esquissa un sourire.
— Je me dépêche !
Et elle partit, laissant Gabrielle face à ces deux jeunes hommes dépités qui, assis sur le sol frais, désespéraient d'être un jour libérés.
* * *
La jeune guérisseuse dévala l'escalier. Elle voulait vraiment aider Gabrielle avec laquelle elle développait une amitié sincère et naturelle ; et pour ce faire, il fallait d'abord qu'elle trouve une plante. Simple en apparence, la tâche s'avérait en réalité plus complexe. Dans cette maison, on trouvait plusieurs dizaines de plantes mais toutes étaient médicinales et cela l'embêtait d'en prendre une de cette sorte. Elle frissonna à l'idée qu'ils s'apprêtaient réellement à réaliser un dangereux sort, dans lequel Gabrielle pouvait perdre la vie... Elle traversa le couloir avec les chambres et descendit au rez-de-chaussée. Elle manqua de renverser sa mère qui sortait de la chambre d'un patient.
— Ça va ma chérie ? demanda-t-elle.
— Très bien. Tu n'aurais pas une plante que nous puissions brûler ? demanda calmement Palmire.
Lisie parut surprise. Qu'elle veuille une plante était une chose mais pour la brûler en était une autre. Mais qu'était-elle en train de mijoter ? Comprenant les pensées de sa mère, Palmire lui expliqua rapidement.
— On va réaliser un sort pour arrêter l'influence du fantôme qui a pris possession d'Arthur. Il se trouve dans ton livre.
— Ce n'est pas dangereux ?
— "Dangereux" serait un euphémisme de la situation actuelle, souffla cyniquement Palmire. Mais nous n'avons pas tellement le choix... Alors ? pressa-t-elle.
Lisie fit une moue dubitative, mais, connaissant les valeurs et le sérieux de sa fille, décida de lui faire confiance. N'avait-elle d'ailleurs pas été elle-même une Elémentienne un grain inconsciente dans ses années de jeunesse ?
— Viens, suis-moi.
Elles marchèrent jusqu'au bout du couloir où se trouvait le bureau de Lisie. De nombreuses étagères comportaient divers flacons, plantes, remèdes. Des feuilles avec des notes et des mots scientifiques parsemaient tout son bureau dans un désordre organisé. Une grande fenêtre ouvrait sur le fleuve et un lit d'observation se tenait dans un coin. Il y régnait une atmosphère de sérénité ; les médicaments ainsi que les herbages embaumaient la pièce d'une odeur douce. Lisie réfléchit un instant puis, se dirigeant vers une étagère, prit une plante verte où poussait une belle fleur. Rose-orangé, ses pétales en cœur retombaient délicatement. Elle la tendit à sa fille en ajoutant.
— Une rose des lacs, comme tu peux le voir. La moins rare, il me suffira d'aller en rechercher une près de l'eau demain matin quand elles sont les plus épanouies.
— Merci maman.
— Allez, vas-y, lui dit-elle alors qu'elle la voyait trépigner pour partir.
Palmire ne se le fit pas redire. Elle lui tourna le dos et courut vers le grenier. Elle monta les escaliers, ouvrit la porte secrète et rejoignit Gabrielle, Damien et Arthur. Elle découvrit une pièce calme, d'un silence consciencieux. Sentant la tension et la concentration, Palmire eut le besoin d'être rassurée sur ce sort qui s'apparentait davantage à une première expérience redoutable.
— Tu te sens vraiment capable de le faire ? demanda-t-elle inquiète à Gabrielle.
— Oui, nous devons agir et nous avons assez attendu. Qui sait si des rumeurs n'ont pas averti Isabelle quant au lieu de notre cachette ? Et puis, je me sens mieux, cela fait bientôt une semaine que je me repose.
Palmire se rappela qu'elle avait dû, par habitude, lui donner régulièrement le chocolat des malades qui leurs redonne de l'énergie ; d'où une récupération plus rapide. Gabrielle se leva d'un bond du lit sur lequel elle s'était assise.
— Bon, tu es vraiment sûre que ça ne pose pas de problème qu'ils restent attachés ? insista Gabrielle pour se rassurer à son tour, en souriant à l'Eaunicienne. Parce que le seul problème c'est que je ne sais vraiment pas comment gérer ma magie.
Pendant ces quelques jours, occupée à récupérer des forces, elle n'avait pas eu le temps de réfléchir à la façon de les libérer, ni à s'entraîner à utiliser ses pouvoirs. Palmire lui avait assurée qu'elle l'aiderait à pratiquer sa magie, à la comprendre et à contrôler son énergie, pour devenir pleinement maîtresse de ses sorts.
Damien s'agita ; signe de son impatience et de sa contrariété.
— Lorsque Mademoiselle aura la bonté de comprendre le fonctionnement de son énergie élémentienne, et la gentillesse de me libérer, je crois que Mademoiselle devra faire attention au vampire légèrement agacé d'être ainsi soumis et enchaîné, railla Damien qui ne trouvait que du cynisme et des piques acerbes pour évacuer la frustration.
— Si Monsieur est un jour libre, effectivement, il pourra peut-être se plaindre, répliqua Gabrielle. En attendant, la Demoiselle ne sait absolument pas comment faire et te laisser ainsi ne lui pose guère plus de soucis, d'autant plus si le vampire en question cherche à évacuer sa colère par la suite.
Damien se mura dans le silence, contenant encore sa frustration acide.
— Donc pour revenir à ma question, reprit Gabrielle, peut-on réaliser ce sort sans détacher Arthur auparavant ?
— Je pense qu'il ne risque rien, répondit Palmire. Il n'est rien précisé sur cette question dans le livre.
— Parfait, alors commençons...
Arthur n'avait rien dit, ce sort ne lui plaisait guère plus mais il se savait incapable de briser la volonté de Gabrielle. Damien n'ajouta rien mais son visage ne cachait pas qu'il ne supportait pas d'être attaché et sans défense. Palmire sourit faiblement comme pour se donner du courage, puis posa la plante au sol.
Elle prit une boîte d'allumettes dans le coffre placé au chevet du lit de Gabrielle. Cette dernière inspira profondément avant d'expirer doucement pour se calmer. Elle avait peur. La magie venait à peine de rentrer dans sa vie que déjà elle était embarquée dans une histoire alambiquée. Son âme, ou un équivalent, allait quitter son corps pour entrer dans celui d'Arthur, et rien que cela lui causait des sueurs froides.
Si un jour elle avait su qu'elle quitterait son corps, elle n'aurait pas tant insisté pour rencontrer d'autres personnes. Elle se mit même à penser que sa forêt et son calme lui manquaient, alors que toujours elle s'était interrogée sur le pourquoi vivait-elle seule et éloignée de tous. Maintenant elle comprenait et la solitude, qu'elle avait souvent questionnée, lui paraissait soudain être un sentiment lointain qui faisait naître en elle une certaine nostalgie.
Toutefois, elle s'encouragea en se rappelant qu'à chaque fois qu'elle utilisait ses pouvoirs, Arthur, Damien ou Palmire paraissaient impressionnés ; par conséquent, elle se répétait qu'elle devait être puissante. Elle aurait certainement les moyens de trouver une solution si cela venait à dégénérer. Et puis, d'ailleurs, pourquoi cela tournerait-il mal ? Tout irait bien.
Elle reprit une grande inspiration en se vidant l'esprit. Elle était forte, elle déjouerait et arrêterait les influences du fantôme ; elle n'avait pas le choix si elle ne voulait pas risquer de retourner en prison. Ses yeux se tournèrent vers Palmire. La jeune guérisseuse gratta une allumette avant de l'approcher délicatement de la tige ; la plante s'enflamma. Le livre ouvert à la bonne page, elle suivait les instructions. Et d'une voix claire, récita la première formule :
Terre et Feu, en une chaleur froide vous vous unirez. Toi, terre, en une plante vivante, tu brûleras mais sauveras d'une possession. Toi, feu, puissance tu donneras au Soleil qui risquera sa vie.
Palmire enchaîna la procédure du sort, ses yeux ne quittant quasiment pas les mots du livre ancien. Elle invoqua alors une petite boule d'eau qui se déversa sur le feu qui venait de brûler la plante, y laissant un léger tas de cendre. Puis récita :
Eau, éteins ce feu, fumée tu dégageras et air tu créeras. Mouillée tu seras et aideras de ta douceur le Soleil qui risquera sa vie.
Palmire invoqua ensuite une bulle qui vint envelopper la fumée, la coinçant à l'intérieur. Puis prenant l'aiguille qu'elle avait posée sur le coffre, elle fit comprendre à Gabrielle de lui donner sa main. Ne voulant pas briser le sort par des paroles non écrites, elle prononça aucun mot, et Gabrielle fit de même en comprenant ses intentions. Palmire prit alors sa main et enfonça l'aiguille dans son index. Un léger filet de sang coula et l'Eaunicienne laissa tomber deux gouttes sur la bulle qu'elle avait créée. Celle-ci les absorba et Palmire récita :
Air, récupéré et emprisonné, tu seras mélangé au sang pur du Soleil. Un souffle tu seras que tu donneras au possédé.
La fumée et le sang de Gabrielle se mélangèrent alors pour former une solution liquide complètement homogène. Puis Palmire s'approcha d'Arthur et transforma la bulle en verre. Le demi-elfe regarda d'abord la solution avec appréhension. Devait-il vraiment boire ce liquide rougeâtre avec des éclaircies dorées ? Était-il simplement buvable ? Mais mettant ses hésitations de côté, il ferma les yeux et l'avala d'une traite. Un goût légèrement âcre lui resta en bouche mais il n'y fit pas attention. Tous regardaient Gabrielle alors que Palmire termina le sort :
Ainsi mélangés, vous, éléments, par votre magie, que l'âme de ce Soleil vienne et délivre ce possédé. Ô puissances occultes nous vous invoquons, magie répends-toi et que ce sort réussisse !
Tout d'abord rien ne se passa. Damien n'avait pas bougé et observait Gabrielle d'un air toujours énervé d'être enchaîné. Arthur, assis, attendait impatiemment que quelque chose se passe. Il jeta un regard à la guérisseuse, regard doux et sincère, en réfléchissant au sort. Palmire rejoignit Gabrielle en prenant une chaise qui trônait dans un coin de la pièce et s'installa auprès de la jeune fille. Celle-ci, assise, regardait les trois personnes présentes dans ce grenier caché, essayant de masquer sa crainte.
Le silence qui s'était installé se faisait pesant, quand soudain Gabrielle tomba sur le côté, expirant bruyamment. Palmire la rattrapa rapidement et voyant qu'elle ne bougeait plus, qu'elle respirait faiblement et que ses muscles l'avaient abandonnée, elle l'allongea. Ses cheveux reprirent leur teinte originelle de blond cuivré, si longtemps disparue. Palmire fut la première étonnée, rapidement rejointe par Damien qui laissa son énervement de côté pour s'intéresser davantage à la situation présente. Mais ces deux paires d'yeux se tournèrent ensuite vers Arthur qui venait de s'assoupir. Le sort avait donc marché ! Le reste était entre les mains de Gabrielle.
La jeune fille avait été traversée d'une soudaine fatigue et d'une douceur qui l'avait calmée instantanément. Cet agréable apaisement s'était propagé dans tout son corps à une vitesse fulgurante, et tout lui avait soudainement semblé paisible. Ce calme l'avait prise brutalement et elle s'était... endormie ? C'est vrai que s'était-il passé ? La mort avait décidé de la prendre ? Un évanouissement soudain ? Non, son âme l'avait seulement quittée.
Maintenant Gabrielle flottait, oui littéralement, au-dessus des autres adolescents qui continuaient de vivre normalement sans la voir. Elle se vit même, allongée sur le lit, ses cheveux redevenus blonds. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi ils changeaient de couleur, quoiqu'elle commençait à avoir quelques hypothèses. Mais elle ne s'attarda pas davantage sur ces réflexions inopportunes et partit en direction d'Arthur. Postée devant lui quelques instants, elle se décida enfin à le toucher, mais au lieu d'avoir sous sa main une peau lisse, elle fut attirée en lui par une force inimaginable et le noir se fit tout d'un coup.
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