Chapitre 19
Damien, son sourire aux lèvres et au bord de l'hilarité, entraîna Arthur dans le salon. Cette salle, une fois la porte d'entrée du bâtiment médical franchie, était la première pièce qui accueillait les patients et servait tantôt comme salle d'attente, tantôt comme salle de repos pour les guérisseurs qui aimaient y discuter. Trois canapés formaient un U, une petite table basse en bois était placée devant, sur laquelle était posé un vase contenant un immense bouquet de fleurs bleutées pour rendre l'endroit plus apaisant. Enfin, des photos de guérisseurs étaient accrochées au mur, représentant les ancêtres de Lisie et Palmire ainsi que des affiches répertoriant certaines plantes médicinales avec leurs propriétés.
- Oh... C'est excellent ! arriva-t-il à articuler entre deux hoquets.
- Ça va on a compris... râla l'elfe.
- T'aurais vu ta tête, t'es devenu tout rouge. C'était la meilleure expression de gêne et de honte que j'ai jamais vue ! En même temps, se faire ainsi freiner dans son élan de violence par une fille qui paraît si frêle, ce n'est pas très sexy...
Arthur, soudain très agressif, se jeta sur Damien qui bascula sous la puissance du choc et s'écrasa violemment contre le parquet. L'elfe sortit de son haut un morceau de bois qu'il plaça sous la gorge du vampire qui grimaçait de l'impact qui venait d'ébranler son corps. Le bras d'Arthur bougeait seul, comme déconnecté de son corps.
- Tu peux parler; toi tu t'es reçu les foudres de Gabrielle, qui n'a pas hésité à te frapper sans que tu ne réagisses. Tu te souviens du coup qu'elle t'a mis dans la gueule après que tu te sois jeté sur elle et alors que tu pensais qu'elle serait bien trop affaiblie après ta morsure pour émettre la moindre réaction ?
Le fou rire de Damien se stoppa d'un coup.
- Je l'ai trouvé dans la forêt, expliqua un Arthur démoniaque face à l'expression du vampire. Je sais que ce n'est que ça qui peut te tuer... sourit-il. Je ne voulais pas te le montrer tout à l'heure, surtout que j'avais l'occasion de prendre le bois de l'armoire.
Il descendit son arme mortelle vers la partie gauche de la poitrine du vampire. Il avait réellement l'intention d'accomplir cet acte et une vague de plaisir le submergea. Son esprit divaguait, il n'arrivait plus à contenir sa main. Ses membres engourdis agissaient presque sans l'accord de son esprit.
- Si j'exerce une légère pression...
- Lâche ça ! hurla-t-il lorsque le bois pénétra en lui.
- Sinon quoi ? Tu vas me tuer ?
Une main de feu tapota ironiquement l'épaule d'Arthur, avant de l'éjecter contre le mur. Le violent choc sur sa tête lui procura une vigoureuse décharge à travers tout son corps, et il sembla revenir à lui. Il parvint à contrôler son esprit pour empêcher le fantôme de s'imposer à nouveau, tenta de calmer son âme et surtout de vouloir du bien à son meilleur ennemi. Cependant, les flammes le bloquèrent et, les menottes toujours à son poignet, il ne put se défendre. Damien se releva et ramassa le morceau de bois qu'il avait laissé tomber.
- Ce joujou n'est pas pour toi, il est très dangereux tu sais, fit le vampire avec une voix ironique. C'est interdit aux petits elfes minables !
Soudain il fronça les sourcils, concentré.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as perdu ta langue ? grinça Arthur dont les flammes le brûlaient mais qui ne voulait aucunement faire plaisir à Damien en lui montrant sa souffrance.
Damien ne répondit pas : - Sa Maxima veut que l'on inspecte toute la ville pour retrouver une jeune fille rousse.
- Ouais, eh bien, elle ne se rend pas compte du travail !
- C'est la reine, qu'est-ce que tu veux imbécile ! Elle a ses folies, et personnellement, je n'essayerai pas de la raisonner ! Bon continuons avec l'hôpital.
- Damien, tu m'écoutes ? Allo ? Lunos appelle Damien !
Ce dernier secoua la tête comme sorti de transe.
- Des gardes de la reine arrivent, ils recherchent Gabrielle. Il faut la cacher, lança le Feuricien de but en blanc.
Arthur le regarda perplexe, la respiration plus calme et ses membres de nouveau sous son emprise.
- L'ouïe des vampires est plus aiguisée que celle des elfes à ce que je vois, lança Damien narquois.
On frappa alors à la porte.
- Pas de temps à perdre, reprit le vampire en relâchant son sort.
Alors que l'elfe se libérait et soufflait sur les parties de ses vêtements brûlés, Lisie apparut dans le salon pour aller ouvrir.
- Ils viennent pour Gabrielle. La jeune fille que l'on a amenée, lui souffla Damien en l'interceptant pour freiner le mouvement de la guérisseuse.
- Ne dites rien. Il faut la cacher d'Isabelle, enchaîna Arthur.
- Mais qui est-elle ? demanda Lisie dubitative.
- Gabrielle lib'Enachi, murmura le Terricien.
Lisie parut encore plus surprise que sa fille. Connaissant ses parents personnellement, savoir leur fille chez elle après tant d'années... Alors qu'elle avait été mise en lieu sûr, si loin de tout ce monde et de cette tyrannie...
- Non. Impossible... souffla-t-elle.
Ce mot commençait à se répéter de plus en plus souvent sur Lunos comme un espoir qui renaissait après longtemps. Comme une petite graine qui se propageait pour éclore à de nombreux endroits, après un hiver bien trop long.
- Si, assura Arthur.
On frappa à nouveau avec plus d'énergie.
-On a un grenier, allez chercher Palmire elle vous montrera, je vais les retarder.
Elle se dirigea vers la porte tandis que les deux jeunes hommes coururent vers la chambre de Gabrielle. Ils ouvrirent la porte à grande volée et firent sursauter la jeune fille, qui se reprit bien assez vite.
- Ah vous voilà, vous deux ! J'exige des explications ! râla-t-elle.
- Pas maintenant, répliquèrent en chœur les deux garçons.
Gabrielle ouvrit grand les yeux ; ce soudain unisson de deux êtres aussi proches l'un de l'autre qu'un brasier et une forêt l'étonnait grandement.
- Ah bon ? Et pourquoi ? Parce que : toi, Damien, tu veux encore me faire du mal pour masquer le fait que tu aies un cœur et toi, Arthur, que tu puisses me raconter n'importe quoi, en tentant de m'entourlouper et de gagner ma confiance, pour me trahir et m'emmener chez Isabelle ?
- Tu ne comprends pas, soupira le dernier accusé.
Damien prit la jeune fille dans ses bras. Ce n'était vraiment pas le moment de prendre le thé pour discuter des problèmes passés, il y en avait des plus urgents.
- On n'a pas de temps à perdre avec tes réprimandes inutiles et tes grognements futiles, asséna-t-il de façon impérieuse et avec toutefois un sourire fier qui dévoilait ses canines.
- Lâche-moi ! ordonna Gabrielle.
Alors qu'ils allaient sortir, Palmire fit son entrée.
- Parfait ! Tu tombes bien, montre-nous le grenier. Il faut la cacher, annonça Damien pour diriger toute la rapide manœuvre consistant à les éloigner du danger imminent.
- Non, mais que se passe-t-il ? demanda la Soleil irritée.
- Suivez-moi, enchaîna Palmire.
Gabrielle se sentait perdue dans les vagues de l'action. Elle ne parvenait plus à assembler deux idées et tout se mélangeait dans sa tête. Qui étaient ses amis ? Qui ne l'étaient pas ?
- Mais lâche-moi, bon sang ! hurla-t-elle encore.
- Tais-toi ou je te mords ! fit Damien en baissant considérablement d'un ton car ils sortaient de la chambre.
Gabrielle fut choquée et allait répliquer quand Palmire lui parla doucement.
- On va t'expliquer, mais là il y a des gens qui sont ici pour te ramener chez Isabelle...
- Alors à moins que tu ne veuilles y retourner, tu la fermes ! coupa Damien.
Gabrielle lui lança un regard noir mais se tut. Ils traversèrent le long couloir blanc qui offrait de chaque côté des dizaines de chambres pour les malades et atteignirent un escalier. En haut, trois autres chambres se distinguaient, celle de Palmire, de sa mère et une libre. Trois salles de bain coïncidaient avec ces dernières. La fin du couloir donnait sur un mur blanc recouvert de photos en noir et blanc représentant des Elémentiens, le roi et la reine lib'Enachi ou encore des elfes, des vampires ou des fantômes.
Palmire posa sa main sur le tableau représentant les Elémentiens et invoqua, ses yeux virant au bleu saphir, de l'eau. La photo ne parut pas mouillée d'un millimètre. Puis elle tourna le cadre une fois et l'inclina vers la gauche. Alors, sous les yeux fascinés de Gabrielle, le mur coulissa sans un bruit et un escalier sombre et poussiéreux leur fit face. Le mur n'était pas complètement ouvert qu'ils montaient déjà. Lorsqu'Arthur, le dernier de la petite troupe, rentra dans le passage, le mur se referma, les plongeant dans le noir. Puis une dizaine de secondes plus tard, une vive lumière les éclaira, rendant le chemin moins périlleux. En haut se trouvaient deux lits recouverts d'une toile blanche, un petit bureau, une chaise et un grand coffre en bois vernis, fermé. Palmire enleva le tissu d'un lit et Damien vint y déposer Gabrielle.
- Je pense que j'ai le droit à des explications, non ? râla-t-elle. Et pas besoin de me raconter tous les mensonges que vous avez dit à Palmire, j'ai tout entendu.
- Ce n'étaient pas des mensonges, soupira Arthur. Je suis vraiment possédé mais j'arrive à le tenir à distance et garder le contrôle.
- Qui ça le ? demanda Gaby.
- Eléazar. Le fantôme en moi.
- Et tu ne pouvais pas me le dire, que je me méfie ? pesta-t-elle.
- Je ne pouvais pas. Il ne me contrôle pas - enfin presque pas - mais arrive à m'empêcher de dire des choses.
- Et donc il peut refaire surface à n'importe quel moment ?
- En quelque sorte...
C'était la meilleure !
- Il n'y a pas un moyen de le faire sortir ? Parce que là tu ressembles plus à une bombe à retardement qu'à un elfe.
- Non, seule Isabelle, qui a ordonné qu'Eléazar entre en moi, peut lui ordonner de ressortir... ou alors s'il le décide lui-même mais c'est vraiment un cas rare ; les fantômes préférant suivre des ordres, que de contrôler leur propre vie.
Le silence vint suivre ses paroles. Tout le monde réfléchissait à un autre moyen de libérer Arthur; d'autant que la sécurité de Gabrielle était en jeu. Finalement, ce fut Palmire qui reprit la parole. Elle évoqua un livre de vieux sortilèges que ses parents avaient et expliqua qu'il y aurait peut-être une solution à leur problème. Par conséquent, elle irait le chercher lorsque les gardes de la reine seraient partis.
- Très bien. Donc, reprit Gabrielle, vous êtes tous les deux des hybrides et vous vous connaissez à ce que je vois ?
- Ouais, fit Damien. Les hybrides, étant assez rares, ils vont dans une école spécialisée. Du coup on se connaît tous... malheureusement.
Gabrielle fronça les sourcils. Quel était son problème ? Au moins, il connaissait du monde et était entouré de gens plus ou moins humains et comme lui; ce qui n'avait pas été le cas de la jeune Soleil. Elle avait été élevée au milieu de la forêt sans compagnie autre qu'animale.
- Pourquoi ? interrogea-t-elle un peu énervée.
- Parce que ne pas connaître cet imbécile d'elfe ne serait pas une grosse perte ! lança Damien méchamment.
- Parle pour toi, vampire, ma vie serait bien meilleure sans toi ! accusa Arthur.
Alors que des bruits de pas se faisaient entendre, Lisie apparut enfin à la porte.
- C'est bon, ils sont partis après avoir tout inspecté, expliqua-t-elle.
- Merci beaucoup madame, remercia Gabrielle. Vraiment, merci de m'aider.
- Je vous en prie Mademoiselle, c'est tout naturel.
Gabrielle fut à nouveau surprise de la politesse dont faisait preuve Lisie et elle ne s'habituait toujours pas à être vouvoyée et tant respectée.
- S'il vous plaît, je suis plus jeune que vous, tutoyez-moi.
- Non j'insiste, Princesse.
Gabrielle sourit intérieurement, presque ironiquement, de cette situation absurde qu'elle n'aurait jamais pu imaginer, mais ne dit rien de plus.
- Je pense que vous devriez rester ici pour plus de sécurité, continua Lisie.
- C'est gentil, répondit la jeune Soleil.
Une sonnerie retentit soudain faisant sursauter Lisie et Palmire et ce fut la grande guérisseuse qui partit la première, d'un pas rapide.
- C'est le signal qui indique qu'un patient à besoin d'aide, expliqua Palmire voyant les regards étonnés qu'affichaient les trois adolescents.
Gabrielle sourit, alors qu'on entendait le mur secret se refermer derrière Lisie. Mais d'un seul coup ses sourcils se froncèrent et elle porta une main à sa gorge. Son visage rougit, elle cherchait de l'air comme elle pouvait, faisant de grands signes pour attirer l'attention, et paniquant voyant qu'elle ne respirait plus. On l'étranglait. Palmire le remarqua tout de suite, courut à son chevet, tout en envoyant Arthur sur les pas de sa mère. Elle releva l'Airicienne en position assise et utilisa la méthode d'Heimlich pour tenter de libérer ses bronches. Rien ne se produisit, Gabrielle devenait de plus en plus rouge, puis très pâle, presque bleutée. Elle paniquait et se frottait la gorge comme si ça pouvait changer quelque chose. Puis, progressivement, elle cessa de se débattre et sa main retomba. La jeune guérisseuse ne paniqua pas mais on sentait qu'elle était mal à l'aise. Soudain Damien s'écria :
- La poupée d'Hitro ! Elle n'a rien physiquement, c'est Isabelle.
Alors que le regard de Gabrielle se faisait vide et qu'elle se mourait, Arthur revint avec Lisie, qui courut aider sa fille. Soudain l'air s'insuffla à nouveau dans les poumons de Gabrielle et le sang remonta à son cerveau. Voyant qu'elle respirait à nouveau Palmire soupira et regarda sa mère.
- Elle s'est arrêtée de respirer d'un coup, expliqua-t-elle, oh mon Dieu, je n'ai jamais vu ça ! Damien dit que c'est à cause d'une poupée d'Hitro.
Lisie tourna son regard vers ce dernier, dubitative.
- Quoi ? s'exclama la guérisseuse. Mais je pensais que ce n'était qu'une légende ?
- C'en était une, mais Isabelle a trouvé comment en créer, intervint Damien.
Pendant le silence qui suivit, Lisie, après avoir vérifié l'état de Gabrielle, se retourna et expliqua qu'elle devait y aller et qu'elle les rejoindrait quand elle aurait réglé le problème de M. fil'Ochi. Palmire en profita pour demander l'autorisation d'aller chercher le livre des anciens sortilèges.
Sur ce, la guérisseuse partit rapidement. Gabrielle avait repris une respiration moins saccadée.
- Je vais chercher le livre, dit Palmire. Par contre, j'aimerais que l'un de vous deux vienne avec moi et que l'autre m'appelle s'il y a un problème.
- Prends donc Arthur, il sera mieux dans cette tâche, répondit Damien hautain.
- Parce que tu crois que tu peux garder Gabrielle ? lança l'elfe sarcastiquement.
- Ne faites pas comme si je n'étais pas là ! s'exclama Gaby. Je vais bien, si j'ai un problème à cause d'Isabelle, Damien pourra te prévenir, Palmire. Je ne suis pas malade et puis, je sais me défendre.
- Bon très bien, dit l'Eaunicienne. Allez viens Arthur.
L'elfe jeta un regard noir à Damien mais suivit Palmire.
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