Chapitre 17
Le cerveau de Gabrielle tournait à toute allure, cherchant à expliquer ce que ses yeux voyaient mais que son esprit ne pouvait saisir. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Arthur était donc un espion d'Isabelle depuis le début ? Non, ce n'était pas possible... Il l'avait aidée, l'avait défendue face à Damien, lui avait raconté toute son histoire ! Il lui avait donc menti pendant tout ce temps ? Non. Impossible. Elle refusait d'y croire. Il devait y avoir une autre explication; elle avait confiance en lui. Ses yeux brillaient de larmes qu'elle peinait à contenir, des larmes de rage, d'impuissance, d'incompréhension. Ses yeux perdus ne semblaient plus pouvoir lui envoyer des informations cohérentes.
- Alors ? Tu as compris ? Je t'ai eue petite Soleil !
Et Arthur partit d'un rire sardonique.
- Arrête ! s'écria-t-elle terrifiée par la démence qui semblait s'emparer du jeune elfe. Tais-toi !
- À ton avis, Isabelle va venir d'ici combien de temps ? continua-t-il d'une voix étonnamment calme comme s'il lui demandait quel temps il ferait le lendemain. Oh et puis elle sera ravie d'apprendre que tu es une Elémentienne descendant de Solathan, une véritable Soleil !
Gabrielle essayait d'invoquer sa magie, tentant de faire abstraction des paroles glaciales d'Arthur. Mais, n'étant certainement pas encore assez expérimentée, ses mains étant attachées et fortement serrées, elle n'arrivait à rien. Elle se savait perdue, incapable de se battre contre un Elémentien qui savait user de sa magie à tout instant, elle n'avait plus qu'à attendre que le malheur se rabatte sur elle. Devait-elle vraiment tout laisser tomber comme ça ? Après qu'elle ait réussi à parvenir jusqu'à la frontière de sa libération, avant de se perdre dans Elémentarius et de disparaître des yeux d'Isabelle ? Pouvait-elle vraiment attendre que sa sœur ne l'enchaîne à nouveau ? Elle voulait se battre mais le désespoir la rongeait. Elle ne cessait de s'apitoyer sur sa crédulité idiote, de se gronder violemment de son inconscience, de son inexpérience.
Elle laissait la colère la gagner quand soudain une ombre se jeta sur Arthur et le plaqua à terre. Gabrielle écarquilla les yeux lorsqu'elle reconnut Damien. Ce dernier tenait Arthur en joue et, alors que celui-ci avait ses yeux qui viraient au vert pour riposter, il le mordit violemment au cou. Le jeune elfe hurla de douleur et sa magie s'arrêta net ; il relâcha Gabrielle qui tomba à terre. Dès lors, le vampire retira ses crocs de la chair et attrapa le visage d'Arthur entre ses mains, ses yeux virant, eux, au rouge. Gabrielle, abasourdie, reconnut le sort que sa mère avait enduré lors de leur attaque.
- Regarde-moi, Arthur ! s'écria Damien. Regarde ce que tu as fait, tu m'avais dit que tu ne lui ferais rien !
Gabrielle crut percevoir une pointe de tristesse dans sa voix. Damien, inquiet ? Elle devait être sous le choc de son coup.
- Tu n'as pas su résister ! continua le jeune vampire. Alors maintenant tu vas revenir ou je serais obligé de te menotter et dans tous les cas je t'emmènerai. Je compte jusqu'à cinq.
Le corps d'Arthur tenta de se rebeller. Sa tête lui brûlait, il voulait hurler mais rien ne sortait de sa bouche, trop enflammée. Il tiendrait, il était plus fort que cet elfe minable.
Un. Non, il y arriverait. Il se débattait avec fougue, mais Damien, assis sur lui, avait plus de force. Deux. Son visage était rouge, les flammes s'insinuaient dans sa tête, touchant des points sensibles, elles le brûlèrent. Trois. Elles avançaient entourant un endroit en particulier de son cerveau. Non, pas ça ! Il tiendrait. Il était fort. Quatre. Le feu se propageait ne laissant plus que des images de cet elfe, de lui. Il était heureux et, assis au sommet d'un arbre, souriait en contrebas à sa mère. Non ! Il ne devait pas se laisser prendre pas ses images, ce n'était pas lui. Lui c'était un fantôme ! C'était Eléazar. Cinq. Ses parents souriaient. Sa mère, elfe, et son père, Terricien, le prirent dans ses bras. Ils le serrèrent et l'embrassèrent passionnément. Il se laissa prendre. Et... Arthur remonta à la surface.
- Damien... Arrête... C'est moi... Je suis là... parvint-il à articuler.
Alors Damien relâcha son sort et se releva, puis se dirigea vers Gabrielle. Arthur se frotta le visage douloureusement et sentit le feu qui quittait chaque cellule de sa peau endolorie. La jeune fille venait d'assister à un spectacle qui la surpassait; elle ne comprenait plus rien, tout était flou. Mais ses yeux se perdirent d'autant plus dans le vague, qu'une douleur lui saisit soudain la jambe, comme si ses muscles se contractaient violemment et involontairement. Elle laissa échapper un gémissement. Damien, étant arrivé à sa hauteur, l'aida à se relever mais elle ne put tenir debout.
- Qu'est-ce qui se passe ? s'inquiéta-t-elle.
- Pas le temps, il faut partir.
Damien souleva Gabrielle comme si elle ne pesait rien et, plaçant un bras sous sa tête et un autre sous ses jambes, il se retourna vers Arthur.
- Allez, on y va. Prends ces menottes ! Si tu sens qu'il revient, mets-les.
L'elfe hocha la tête. Et alors qu'Arthur et Damien entendait une troupe de gardes arriver, ils partirent à travers la forêt à une vitesse... époustouflante ! Gabrielle en eut le souffle coupé. Sa jambe la lançait fortement, elle avait mal, très mal. Mais une autre douleur lui lancinait aussi le dos. Damien le remarqua lorsque ses mains se firent ensanglantées. Sa bouche se serra, ses narines frémirent et ses canines s'allongèrent. Pas maintenant, il devait résister. Arthur, courant à côté de lui, s'en rendit rapidement compte.
- Ça va aller. Pense à autre chose, lui dit-il. Si tu veux je la porte.
- Et risquer que tu l'emmènes chez Isabelle ? Non, merci, lui lâcha Damien.
Sa bouche s'entrouvrit, et il soupira de plaisir. Du sang comme celui-là, il n'en avait pas tous les jours, il pouvait bien lui en prendre encore un peu. Rien qu'une gorgée. Non ! Mais qu'est-ce qu'il racontait ? Il ne devait pas, il ne pouvait pas. Mais ce sang, ce sang sur ses mains...
Gabrielle hurla, sa jambe était encore plus insupportable. Mais d'où venait cette douleur ? Elle essaya de penser à autre chose. Ses yeux se tournèrent vers le paysage qui défilait à toute allure, un paysage flou dans les tons verts et noirs. Ce n'était pas possible d'aller si vite, même une voiture ne roulait pas à cette vitesse. Arthur combattait toujours le fantôme en lui, il ne devait pas le laisser prendre le contrôle. Il avait réussi, mais ça ne se reproduirait plus. Il était assez fort et avait réussi à le repousser. Il lui faudrait plus de force pour y arriver en si peu de temps.
- Arrête-toi ! hurla l'elfe. Elle perd connaissance.
Damien s'arrêta brusquement et Arthur fit de même. Il la posa au sol, et se recula doucement : il fallait qu'il s'éloigne. Le Terricien, lui, s'approcha rapidement de la jeune fille et souleva sa tête. Elle était très pâle, et des tremblements parcouraient tout son corps, sa jambe était pliée en proie à des crampes atroces et son dos dégoulinait de sang. Ils étaient déjà assez loin du château et pouvaient s'arrêter.
- Gabrielle, parle-moi. Ça va aller, on va t'aider, fit doucement Arthur.
Les yeux de Gaby se fermaient. Arthur la gifla pour qu'elle reste éveillée et pour la réanimer. Il ne fallait pas qu'elle sombre dans le sommeil, pas alors qu'elle perdait autant de sang.
- J'ai... mal, murmura-t-elle.
- Ça va aller, ça va aller, tu vas t'en sortir. Tu m'entends; tu es forte !
Arthur prit la jambe de Gabrielle pour la tendre et essayer de faire passer ses crampes mais rien à y faire. La douleur avait pour source autre chose que ses muscles et la jeune fille se sentait absolument perdue par la tournure sidérante que venaient de prendre ces dernières minutes...
Damien se rapprocha alors d'eux, la bouche crispée.
- J'ai repéré où l'on est. On est parti vers l'ouest, nous devrions rejoindre Eaunicée d'ici une heure, à cette allure, dit-il.
- C'est trop. Tu ne peux pas faire quelque chose pour l'aider ? demanda Arthur. Avec ton sang ou je ne sais trop quoi, pour refermer la plaie ?
- Ça ne marche pas, je ne suis pas entièrement vampire. Mon sang ne guérit pas.
- Essaye au moins, on n'a rien à perdre, insista-t-il après un regard à la jeune souffrante.
- Je ne peux pas m'approcher d'elle, il y a trop de sang, articula le jeune vampire avec difficulté en raison des crocs qui dépassaient largement de sa bouche affamée. Je risque de ne pas pouvoir me retenir. J'ai déjà énormément de mal, dois-je te rappeler son groupe sanguin ou ce serait trop ironique ?
Il regarda la jeune fille qui l'attirait avant de poursuivre avec un sourire pour paraître décontracté.
- Mais je crois que tu le connais déjà.
- Essaye ! reprit Arthur. On n'a pas le choix, elle va mourir, elle perd trop de sang. C'est de ma faute, je ne veux pas qu'elle meurt par ma faute ! Je ferai tout pour qu'elle vive. Alors fais-le, je te retiendrai.
- Mais ça ne marchera pas. C'est courir un risque pour rien !
- Si, ça a déjà marché mais que lorsque tu le souhaitais vraiment !
Gabrielle laissa échapper un autre gémissement. Sa respiration se faisait saccadée. Alors Damien n'hésita plus. De sa vitesse surhumaine, il la rejoignit, se mordit le poignet et le porta à la bouche de Gabrielle la forçant à boire, malgré ses gestes de protestation. Il crut le plus possible en ce qu'il faisait et ferma les yeux, crispé, pour oublier l'odeur du sang. Il repensa aux yeux de la jeune fille, à ces yeux si vivants, si lumineux. Le sang de Damien coulait le long de la gorge de Gabrielle avec un goût pétillant, brûlant et métallique. Il se propageait pour soigner. Arthur regardait la plaie de la jeune Soleil ; une grande entaille lui traversait le dos, elle était profonde. Il ne se passait rien dans un premier temps. Puis doucement, elle se referma, très doucement, son dos revint à la normale. Dès que ce fut fini, il prévint Damien qui se détacha d'elle et s'éloigna à toute vitesse. Il respirait bruyamment.
- Je t'avais dit que tu pouvais le faire ! s'exclama Arthur.
Damien lui tourna le dos pour cacher son expression de soulagement qu'il essayait de faire disparaître. Il était hautain et impassible, il ne pouvait pas ressentir ce qu'il ressentait ! Il continuait de refuser ce que le regard de la jeune fille créait en lui.
- J'ai refermé la plaie mais je ne peux rien contre sa douleur à la jambe, dit-il durement. D'ailleurs personne ne le peut; à part Isabelle. C'est elle qui en est la cause ou plus exactement la poupée d'Hitro.
- Mais bien sûr ! C'est cette poupée de malheur dont tu as permis la création qui est à l'origine de tout ça, critiqua l'elfe.
Damien soupira; l'odeur du sang commençait à se dissiper peu à peu. Il fit volte-face pour fixer Arthur dans les yeux avec dédain. Il ne répondit rien, ignorant la remarque, et garda son calme qui contrasta avec son regard glacial.
Un long soupir les arrêta dans leur combat visuel. Gabrielle s'assit et les regarda fixement, sa douleur à la jambe s'étant un peu atténuée.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-elle d'une voix faible mais ferme. Arthur... Damien, vous deux, pourquoi ?
- Il faut que l'on t'emmène chez Lisie, dit Arthur détournant le sujet. C'est la meilleure guérisseuse de tout Elémentarius et elle n'est plus très loin, à cette vitesse.
- Mais...
- Pas de mais, il faut te soigner ! s'exclama Damien qui n'était pas sûr que la plaie de la jeune fille ne se rouvre pas.
- Je la prends cette fois, dit Arthur à la vue du visage déformé par la douleur de la jeune fille.
- Non pas question ! s'écria le vampire. Je le ferai, ça va mieux, son sang ne coule plus.
- Mais... fit Gabrielle.
Damien ne lui laissa pas le temps de finir. Il l'avait déjà prise dans ses bras. Gabrielle se laissa aller et ferma les yeux, trop fatiguée pour résister. Ils repartirent à la vitesse de l'éclair. La forêt était sombre et Arthur savait ce qui pouvait leur tomber dessus à tout moment. En effet, cette dernière regorgeait d'êtres de l'eau. Mais à cette allure et en raison de l'heure matinale, il y avait moins de risques. L'elfe remarqua néanmoins qu'ils dépassèrent une Macaça, être ressemblant à une limace, d'un mètre de haut, très lent mais dont la bave était empoisonnée. Il fit signe à Damien de s'arrêter.
- Qu'est-ce qu'il y a ? On ne peut pas s'arrêter à tout bout de champs comme ça ! Je te rappelle qu'elle ne va pas bien, que les gardes d'Isabelle nous recherchent et que je ne sais pas si sa plaie va rester fermée tout le temps ! s'écria le jeune demi-vampire.
- Je sais je prends seulement un peu de bave.
De la bave ?! On s'arrêtait pour cela ?
- Quoi ? Mais pourquoi ? demanda le Feuricien scrutant la bête devant eux.
- C'est une Macaça, et ce n'est pas tous les jours qu'on en voit une, expliqua calmement Arthur en sortant un flacon.
Damien fixa l'objet que l'elfe tenait dans sa main.
- Mais d'où tu sors ça ? interrogea-t-il suspicieux. Je pensais que l'on ne laissait rien aux prisonniers.
- Je te rappelle que je suis un elfe et qu'un elfe a toujours des choses sur lui qui peuvent servir.
- Mais il n'a pas de couteaux car il est trop vantard pour les cacher, lança Damien avec sarcasme.
- La ferme !
Arthur s'approcha de la grande limace et avec précaution lui racla la peau avec son flacon pour attraper de la bave. Malgré leur apparence peu attrayante, les Macaças étaient des êtres très gentils et coopératifs. Mais malheureusement, ils étaient rares et ne sortaient que la nuit des pleines lunes entre trois et quatre heures du matin. Lorsque le flacon fut plein Arthur le rangea dans sa tunique et se tourna vers Damien.
- C'est bon, on peut y aller.
Ils reprirent leur course. Damien se sentait bien, porter Gabrielle ne lui faisait rien : elle était si légère et sa force de vampire l'aidait. Cette dernière avait les larmes aux yeux, elle refusait de se laisser submerger par la douleur mais que faire lorsque l'origine de sa souffrance est intraitable ? Elle finit par s'endormir malgré les spasmes qui la parcouraient.
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