Les bonnes intentions et les mauvaises actions
- Tu peux ouvrir les yeux.
A la demande de Thomas, je soulevais délicatement mes paupières en observant le paysage qui m'entourait. Nous étions dans une salle immense, remplie d'hommes en uniformes noirs, verts, marrons... L'un d'eux dominait les autres et prit la parole. Je ne compris pas un mot de ce qu'il racontait, alors j'en profitais pour examiner la pièce. La chose qui sautait aux yeux et qui attirait le plus l'attention, était tous ces tissus rouges qui recouvraient sans exception tous les murs de la salle. Au milieu de la couleur rouge, il y avait un rond blanc, et dans ce rond blanc, une sorte de croix noire. Quel drôle de dessin.
L'homme avait finit son discours très éprouvant car tout le monde l'acclamait et il avait l'air essoufflé.
- Tu vois cette homme, je vais te traduire son discours car il parle dans une langue différente de la notre. La partie de mon cerveau où se trouve l'implant me permet de comprendre n'importe quelle langue. Mais cette fonction ne doit pas s'être débloquée dans le tien, me dit Thomas en parlant fort sans aucune gêne.
Je lui fis signe de parler moins fort en jetant des regards inquiets autour de moi. Personne ne semblait remarquer notre présence. Mais à seulement deux mètres de nous se tenait un de ces hommes en uniforme, et avec sa mine sombre et ses sourcils froncés, il me faisait horriblement peur.
- Ne t'inquiète pas, personne ne peut nous voir ou nous entendre. Il s'appelle Hitler, celui qui vient de faire son discours. Il parle de découvrir un espace vital pour sa tribu. C'est une bonne intention non ?
J'hochais la tête mais ce Hitler ne m'inspirait toujours pas confiance. Thomas serra plus fort ma main qu'il ne lâcherait jamais, et le paysage se mit alors à tourner lentement, puis de plus en plus vite. Nous ne bougions pas, mais les tissus rouges, les hommes en informe, les murs, les chaises, les tables... tout tournait autour de nous jusqu'à ce que je n'aperçoive plus que des traits de lumière qui défilaient devant mes yeux. Je m'agrippais au bras du jeune homme près de moi avec ma main libre jusqu'à ce que le paysage redevienne immobile.
Quand tout s'arrêta de tourner, nous étions dans une forêt, devant un énorme fossé. Et dans le fossé, il y avait des hommes, des femmes et des enfants. Ils étaient tous nus et regroupés dans cette fosse au milieu de nulle part. Les femmes tenaient leurs enfants dans leurs bras et une grande détresse pouvait se lire sur leurs visages.
- Regarde comment Hitler a voulu conquérir son espace vital.
Thomas avait l'air serein. Moi je tremblais avec ces hommes et ces femmes en redoutant la suite. Les hommes en uniforme de tout à l'heure s'avancèrent à notre hauteur, au dessus du fossé. Ils hurlèrent quelques mots dans leur langue bizarre puis pointèrent des sortes de longs bâtons noirs en direction des pauvres gens nus qui tremblaient de tout leurs membres. Un déclic se fit alors dans mon cerveau, comme si une bulle venait d'éclater, libérant un mot, une idée, une vision. Ils tenaient des fusils. Lorsqu'ils tirèrent et qu'une partie des malheureux commença à s'écrouler, je ne pus regarder plus et fermai les yeux en attendant de partir de ce lieu rempli de mort et de haine.
Le paysage recommença à tourner et cette fois, nous étions au milieu d'une foule de gens qui dansaient, riaient, hurlaient de joie. Nous observions la scène d'en haut, puisque nous étions sur les marches d'une sorte de puit qui crachait de l'eau tout seul. Les gens défilaient dans les allées en brandissant d'autre tissus que ceux de tout à l'heure. Ils étaient aussi rouges mais avec une bande blanche et une autre bleue en plus. Ils paraissaient si heureux...Toute cette allégresse me réchauffa un peu le cœur après ce que je venais de voir, jusqu'à ce que que Thomas dise d'une voix monotone :
- Ils sont libres. Ils ont gagné la guerre. C'est beau n'est ce pas ? Veux tu savoir comment ils ont réussi à la gagner cette guerre ?
Je n'avais pas envie de savoir, pas du tout. Mais j'étais un peu obligée non ? De toute manière, l'adolescent n'attendit pas la réponse et de nouveau, le paysage défila, en faisant disparaître ce jour si heureux.
Je poussais un cri. Nous étions dans le ciel. En suspension au dessus d'une ville. Je m'agrippais une nouvelle fois au bras de Thomas en redoutant une chute mortelle, mais nous ne bougions pas. Il me fit signe de diriger mon regard vers un engin volant qui traversait le ciel à une hauteur un peu plus importante que la notre, et qui se dirigeait vers la ville. Un avion.
- Il n'y a que des civils dans cette ville. Des gens comme toi et moi, murmura Thomas avec un regard toujours aussi sombre.
À ces mots, une énorme boule noire tomba de l'avion et s'écrasa sur les habitations juste en dessous. La suite fut très rapide. Un bruit assourdissant se fit entendre, et un nuage s'éleva de la ville. Il ressemblait comme deux gouttes d'eau à notre nuage de la mort. Le nuage grandissait de secondes en secondes, il s'étalait, engloutissait tout sur son passage, brûlait, asphyxiait. Je n'avais jamais rien vu d'aussi effroyable. Les hommes étaient donc capable de commettre ce genre d'atrocités ? Lorsque le nuage arriva à notre hauteur je poussais un cri en enfouissant ma tête dans le cou de Thomas pour éviter de voir la suite. Mais je ne sentis rien. Nous étions partis juste à temps.
- Regarde, du pétrole est amené dans un pays.
J'ouvris fébrilement les yeux. Nous n'étions plus en suspension dans le ciel, nous marchions sur l'eau. Mes pieds effleuraient la surface transparente, mais ne coulaient pas. Ils étaient mouillés, mais c'était comme marcher dans une petite flaque. On ne s'enfonçait pas. Une chose énorme qui flottait aussi sur l'océan s'avançait vers nous. Pop ! Une nouvelle bulle microscopique venait d'éclater dans mon cerveau. C'était un pétrolier. Nous n'étions pas très loin de la plage, il était sur le point d'accoster, mais déjà, le paysage recommençait à tourner.
- Pourquoi m'as tu montré cela ? demandai-je à l'adolescent qui m'accompagnait.
- Tu vas voir les conséquences de ce genre de voyage.
Le paysage cessa de tourner, mais nous n'avions pas bougé. Mes pieds étaient toujours posés sur l'eau, mais elle avait prit une couleur noire et elle semblait visqueuse. C'était dégoûtant. Le pétrolier avait à moitié coulé, de la fumée s'échappait de partout et un liquide noir s'écoulait du bateau. C'était comme si nous avions avancé de plusieurs heures en seulement quelques secondes. Sur la plage à cinq ou six mètres de nous, des dizaines de poissons recouverts de cette masse noire gisaient sans vie. Certains étaient énormes mais ils avaient péri quand même. Aucun n'avait l'air de pouvoir résister à ce pétrole. L'odeur était insupportable et Thomas le ressentit aussi, alors nous partîmes une nouvelle fois. Les traits de lumière m'aveuglaient et je clignais des yeux une fois arrivés pour chasser les points lumineux qui dansaient devant mes yeux.
Il faisait chaud, mais c'était une chaleur douce et agréable. Nous étions dans une petite maison, en train d'observer une petite famille ordinaire. Une femme avec de longs cheveux noirs était assise sur les genoux de son mari, et tous deux observaient avec attendrissement leur petit garçon de cinq ans à peine. Je souris à la vue du bonheur tout simple qui pouvait se lire sur chaque visage. Le gamin était devant un sapin tout vert, qu'il recouvrait de petites boules de toutes les couleurs. J'aurais pu contempler cette scène pendant des heures, mais Thomas nous fit faire un nouveau bond, quelques années plus tard.
Le père était plus vieux. Il avait de grosses cernes sous les yeux et buvait dans une sorte de tube vert qu'il tenait dans sa main tremblante. Le petit entra dans la même pièce que lui. Et l'homme se mit soudainement à le frapper violemment sans raison. L'enfant hurlait et pleurait. J'avais envie de me précipiter vers lui et de sécher ses larmes, mais Thomas me retint et me ramena en arrière en tirant sur mon bras. Il semblait tout aussi en colère que moi, car je vis son visage se crisper et sa main serra très fort la mienne, mais je ne sentais rien. Je voulais que ce cauchemar s'arrête, mais il empira.
La femme alertée par les cris, déboula en trombe dans la pièce où elle ne voyait que deux personnes alors que nous étions déjà quatre. Elle tenta de s'interposer mais se fit frapper à son tour. Les cris déchirants étaient horribles, je ne pouvais en supporter d'avantage :
- Allons-nous en. Je veux rentrer, balbutiais-je en sentant les larmes me monter aux yeux.
- Bientôt Lavande, bientôt.
Et la famille disparu.
Du sang et encore du sang. Voilà à quoi se résumait la scène sous mes yeux. J'avais l'impression d'être à présent dénuée de sentiments. Tout ce que je venais de voir m'horrifiait tellement que je n'avais plus de mots pour décrire l'atrocité qui venait de se produire. Des hommes et des femmes vêtus de bleu arrivèrent en voiture. J'étais figée, comme une poupée de porcelaine dont le visage reflétait un profond dégoût. Ils examinèrent les corps. Les deux parents étaient couchés sur le ventre, le nez écrasé au sol, baignant dans leur propre sang coulant à flots. La petite fille quant à elle, était blottie dans un fauteuil, les genoux ramenés contre sa poitrine, le visage frappé d'une expression d'horreur.
- Pourquoi les a-t-il assassinés ?
Ma voix tremblait. Les mots sortaient de ma gorge, saccadés. Mes pieds étaient encrés dans le sol et j'avais l'impression que ma main et celle de Thomas avaient fusionnés ensemble.
- Règlement de comptes, ou cambriolage. Peu importe.
Il gardait son calme en toutes circonstances. Ces scènes devaient tourner en boucle dans son esprit depuis toujours avec plus de régularité que moi. Il me faisait beaucoup de peine mais il détestait sûrement qu'on s'apitoie sur son sort. Alors je gardai un regard fixe vers l'avant, jusqu'à ce que l'image se torde, s'enroule et disparaisse.
- Qu'est ce que c'était ? demandais-je à Thomas alors que nous revenions enfin sur notre plage devant l'océan. La dernière chose que nous avons vu ?
- C'étaient des robots. Des machines qui remplacent les humains et qui sont capables de tout. De faire la cuisine, le ménage, de faire la guerre et de tuer sans aucun scrupule.
J'étais épuisée. Je me laissais tomber sur les genoux et mon corps pencha en avant. Mes mains arrêtèrent ma chute, et toute l'horreur et la tristesse que j'avais retenu pendant cette excursion dans le passé, sortit de mon corps sous forme d'un torrent de larmes. Je ne pouvais plus m'arrêter. Tout ce que nous venions de voir tournait dans mon esprit comme une boucle infernale et interminable. Thomas ne faisait rien, il me laissa me calmer petit à petit, et finit par me donner de petites tapes réconfortantes dans le dos.
- Comment des êtres humains peuvent-ils être capables de faire ce genre de choses.
Et mes pleurs reprirent de plus belle.
- Je ne t'ai pas tout montré crois moi. Mais tu sais, tu n'as vu que les pires horreurs qu'ont causé les temps d'avant, mais je ne t'ai pas présenté les moments de gloire, les moments heureux, les moments révolutionnaires. Les anciens temps étaient peut être agréables et confortables, mais nous ne pouvons pas passer outre de ce que nous venons de voir. Si les temps d'avant renaissent, rien ne nous affirme que les humains ne commettront pas à nouveau ce genre d'atrocités. Continues-tu à douter de tes choix ?
- Pas une seule seconde, murmurai-je après avoir séché mes dernières larmes. Merci Thomas, d'avoir fait tout cela pour moi.
- Je t'en prie Lavande.
Ne réfléchissant alors pas plus à la conséquence de mes actes. Je me blottis alors sans aucune gêne contre le jeune homme qui ne me rejeta pas, mais passa un bras dans mon dos et agrippa ma taille avec sa main. La même main qui m'avais guidée à travers mon propre esprit, et qui ne m'avais jamais lâchée, quoi qu'il arrive. La nuit était presque tombée. Un tout petit bout de soleil dépassait encore de l'horizon. La beauté de ce moment me donnait envie de pleurer une nouvelle fois, mais j'avais épuisé mon stock de larmes. J'étais bien dans les bras de Thomas, dans ma nouvelle tribu, en trois mille vingt, sans pétrolier, sans nazi et sans robot.
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