2.
En rentrant à la maison elle m'attend perchée sur son tabouret et accoudée au plan de travail qui sert de bar et de table. Nathan est dans le canapé en train de regarder une série, un bol de céréales dans les mains. Je suis encore un peu transpirante de mon cours de sport. Je sais ce qui m'attendait en arrivant à cette heure-ci, mais je suis restée faire quelques tours de piste en plus après le cours. J'avais encore cruellement besoin de me défouler. Et elle ne semble pas adhérer à ce petit écart de ma part. Elle se tourne vers moi lorsque je referme la porte derrière moi et ses yeux gris glacés me font froid dans le dos. Elle a un long nez disgracieux et des pommettes rougies par la chaleur étouffante de la pièce. Mais quand on a un regard aussi glacial que le sien, il n'est pas étonnant de mettre le chauffage à 25° partout dans la maison.
Ses cheveux sont noirs, lui arrivant grossièrement au-dessus des épaules et bouclés. Ce serait une jolie femme si ce n'était pas une affreuse et sordide personne. Elle se rend une fois tous les mois chez le coiffeur. Alors qu'elle me regarde toujours et que je m'apprête à me baisser pour défaire mes chaussures de sport – un peu sales suite à la piste extérieur du lycée – pour ne pas salir le plancher que je nettoie moi-même, je l'entends descendre de son siège grinçant et s'approcher de moi. Et automatiquement mon corps se contracte.
– T'es en retard, dit-elle froidement près de mon visage.
– Le bus n'était pas à l'heure, déglutis-je en reculant d'un pas.
– Tu n'avais qu'à courir, rit-elle en partant vers le canapé où siège toujours Nathan.
La télévision est leur passe-temps favoris et ça me dépasse complètement. Parfois j'aimerai être à leurs côtés, regardé des émissions de cuisine ensemble, les infos et débattre sur la politique ou je ne sais quel autre sujet. Puis je me rappelle rapidement où je suis, et avec qui. Cela n'arrivera jamais. Dans mes pensées je monte jusqu'à ma chambre. Cette chambre avait les murs bleu ciel, meublé d'un lit, une armoire et un bureau pour travailler. J'ai également un cadre photo de famille, on y voit ma mère, avec ses beaux cheveux bruns recourbés en un petit chignon fou, un sourire qui lui mange le visage et ses yeux verts magnifiques qui me rappellent tant les miens. Elle est assise sur une balançoire avec mon père qui même assis fait une tête de plus qu'elle. Il souriait et cela fait tellement longtemps que je ne l'ai pas vu sourire. Sur cette photo, j'étais sur les genoux de mes deux parents, j'étais toute jeune, je ne devais pas avoir plus de quatre ans. En y repensant, j'aimerais pleurer, mais ça non plus je ne le fais plus.
Je repousse la photo plus loin pour ne pas top y penser et m'assois sur ma chaise et m'attelle à mes devoirs, il n'y a pas grand-chose à faire pour cette semaine car je me suis déjà bien avancée. Je dois seulement faire signer un papier qui liste les différents contrôles que nous aurons dans les prochains mois pour nous préparer à l'examen final qui aura lieu dans quatre mois environ. Mais avec elle c'est toujours compliqué... Même pour signer un simple papier. Je décide tout de même de prendre mon courage à deux mains, de descendre l'escalier et de marcher timidement vers elle qui est encore et toujours avachie sur le canapé.
– Qu'est-ce que tu veux ? grogne-t-elle.
– Est-ce que vous pouvez me signer mon carnet s'il te plaît ...
– Démerde-toi avec ton père, s'énerve-t-elle en zappant avec la télécommande à la télé.
– Il faudrait la tienne aussi.
– Dégage ! J'entends pas la télé ! beugle-t-elle.
Elle me fait soupire et je suis contraint de déclarer forfait et retourner vers ma chambre. C'est bon pour ce soir. Je préfère m'allonger de tout mon long sur le lit, un souffle s'échappe de mes lèvres et je ferme les yeux. J'ai dû m'assoupir, puisque je dormais profondément quand je me suis sentit noyée et pour cause, quand j'ouvre les paupières rapidement je la vois, elle. Je me rends compte que je suis trempée et que mon lit l'est également. Elle hurle des bribes de mots, toujours dans mon sommeil les mots m'arrivent comme des gifles en pleines figure sans que je n'arrive à les comprendre.
– Ça fait dix-minutes qu'on t'appelle ! C'était l'heure de manger, comme tu n'es pas venue, tu ne mangeras pas !
Elle part aussi rapidement qu'elle est venue, en fermant la porte et j'entends le verrou tourner. Elle vient de clore ma porte à double tour. Je me lève et accours jusqu'à la poignée qui même en l'abaissant n'actionne aucun système. Je suis bel et bien enfermée. Lentement, je m'assois par terre essayant tant bien que mal de réfléchir à une solution pour me sortir de là. Procédant par étapes, je me dirige vers mon armoire pour revêtir un jogging et un pull. Je soupire et pose mes vêtements trempés sur le dos de ma chaise de bureau pour qu'ils sèchent un minimum. Je vais devoir me passer de souper pour ce soir.
Bien que nous sommes en hiver, cela ne l'a pas empêché de me réveillée avec une bouteille d'eau. Maintenant réveillée, j'en profite pour continuer de réviser quelques cours. Rapidement mes paupières s'alourdissent, le sport m'a exténuée et je n'ai pas eu le temps de récupérer de ma micro-sieste. Je finis par m'endormir, la tête posée sur mes bras, eux-même en appui sur le bureau.
Ce qui me réveille le lendemain, c'est le poing tambourinant contre ma porte. Un nouveau sursaut me fait émerger rapidement, mes muscles crispés d'avoir passé une nuit assise, je me lève avec un peu de difficulté. Nathan hurle derrière la porte.
– C'est l'heure de partir !
J'entends ses pieds d'éléphant dévaler les escaliers vers le salon. En regardant mon réveil je remarque que je devrais déjà être sur le chemin du bus. Je me déshabille en moins de trente secondes et enfile rapidement l'uniforme du lycée, prends mon sac que j'avais préparé la veille et court vers ma porte. Fermée. Est-ce une blague ? Je tape contre la porte et crie pour qu'ils m'entendent, mais j'entends déjà la voiture crisser l'allée gravillonnée. Mon père est déjà parti et je suis déjà en retard pour prendre mon bus.
Je n'ai d'évidence plus d'autres choix. J'ouvre ma fenêtre et déglutis, j'ai un étage à sauter. Je souffle et lance mon sac par-dessus le rebord et me hisse dessus avant de m'asseoir les pieds dans le vide. Je ne cache pas la peur qui me tord le ventre à ce moment précis. Pendant quelques secondes je jauges mes possibilités : défoncé la porte, et avoir une porte cassé pour le restant de mes jours, ou bien sauter et risquer de me casser quelque chose. Je prends mon courage à deux mains et saute de la fenêtre. Je retombe sur les jambes avant de m'étaler sous le choc qui s'est répercuté dans tout mon corps, pour ajouter de l'hilarité à la chose, je m'étale de tout mon long dans les rosiers.
Je lâche un cri sauvage, et me redresse sur mes genoux avec difficulté. Je regarde mes bras meurtris des épines de rosiers, mon corps est maintenant couvert d'égratignures. Je suis un instant paralysé par la douleur qui m'envahit. Je ferme les yeux, tente de me concentrer sur mon problème premier, à savoir mon retard au lycée.
Lentement j'attrape mon sac de cours et le passe sur mon épaule gauche, je trottine vers le portail du jardin qui, est aussi fermé. Je soupire et passe la deuxième bretelle de mon sac sur ma seconde épaule. Je me hisse au-dessus du portail qui n'est pas trop haut et une fois de l'autre côté, je me remets en course. Avec le quart d'heure de retard que j'ai le bus ne passera plus. Il ne me reste plus qu'à marcher vers le lycée, ne prenant même plus la peine de courir.
Une demi-heure de marche plus tard, j'arrive au lycée et au moment de me justifier à la vie scolaire de mon retard, j'explique simplement que je ne me suis pas réveillé à temps. Elle me fait un billet alors que je me dirige vers la piste de sport pour mon cours d'athlétisme. À ce moment, je remarque tout le monde déjà en plein échauffement. Je vais rapidement présenter mon billet de retard au professeur de sport et il hoche la tête.
– Mademoiselle Wilson.
– Oui, monsieur, excusez-moi de mon retard.
– Allez, va te changer. On va commencer direct après.
J'opine du chef en le remerciant et trottine vers les vestiaires, l'odeur n'est pas des plus sympathique mais je regrette d'avoir mis un short dans mon sac de sport. Malheureusement, avec mon expérience rosier de ce matin, j'ai de nombreuses égratignures et balafres sur les jambes et les bras. Léna ayant choisi la danse, je ne la retrouverais que d'ici deux heures et heureusement car elle aurait été curieuse à propos de toutes ces égratignures. En rejoignant les options je souris essayant de faire oublier mon retard.
– On va partir sur un bon échauffement puis des premiers sprints, calmement et après cela, on va intensifier un peu. Mettez vous par deux pour vos sprints.
Tout le monde acquiesce d'un hochement de tête ou de petits « d'accord ». Je passe un rapide regard sur les personnes qui étaient dans mon champ de vision, beaucoup de garçons et quelques filles seulement. J'en suis surprise, mais à y réfléchir bien que cette remarque soit complètement sexiste, c'est la réalité, les filles se sont plus tournées vers l'option danse, que celle de course. Je regarde quelques groupes se former, puis une voix se fait entendre près de mon oreille.
– Tu as quoi aux jambes ?
Je roule des yeux discrètement en reconnaissant cette voix et me retourne vers lui. Il me dévisage en souriant, moi je le fixe sans émotions. Je hausse un sourcil en le voyant mettre ses mains dans ses poches et me regarder avec un mine pensive.
– Je perds toujours contre mon chat.
– Mh, dit-il septique.
– Victoria et Troy vous vous mettez ensemble ? C'est bien de faire du mixte.
Je me retourne vers le professeur de sport alors que je soupire une seconde fois; c'est vraiment pas ma journée ? Troy accepte en hochant la tête, je me tourne vers lui et lui lance un regard septique à mon tour. Je vais avoir l'air ridicule, je l'ai déjà vu courir et sa foulée est impressionnante.
– T'es sûre que ça va aller ? me sourit-il doucement encore une fois.
– T'inquiète donc pas pour moi, je dis en roulant des yeux.
– Allez deux par deux derrière la ligne de départ, on va faire un premier 50 mètres tranquillement.
Je me dirige dépitée vers les duos qui se groupent derrière la ligne de départ. Troy se met à ma droite et je regarde les autres commencer à courir. Le brun à ma droite sourit encore et toujours, si bien que je me demande parfois s'il est coincé ou s'il sourit réellement tout le temps.
Nous avançons lorsque c'est à notre tour, le brun avance a mes côtés avant que le professeur nous regarde et lance le départ. Je pars assez vite bien que l'entraîneur nous avait dit qu'il ne fallait pas s'épuiser sur le premier mais je n'ai pas envie de finir 3 mètres plus loin. Nous courons ainsi plusieurs fois, me surpassant à chaque fois un peu plus pour essayer d'être au même niveau que Troy. Le brun semble plutôt curieux.
– Dit ton chat il a pêté un câble pour t'attaquer aux jambes et aux visage ?
– Tu lui demanderas si tu as la chance de le voir un jour.
– C'est une invitation ? il demande ayant l'air intéressé.
Je me tourne vers lui et lui sourit mais avec un air agacé bien lisible tout de même.
– Non.
Je le laisse en plan et rejoins les autres qui s'agglutinent près de l'entraîneur. Il nous explique que nous allons maintenant faire de l'endurance aujourd'hui. Nous allons devoir faire un certain nombre de tours dans un temps imparti. On se met tous derrière la ligne et le professeur nous cri le départ. Je pars en courant de manière soutenue dont je suis sûre de tenir la vitesse pendant ces vingt-minutes. Au bout de huit minutes, mon ventre me fait mal, j'ai faim et il me reste encore une heure d'athlétisme et douze minutes à assurer. Au bout de la treizième minute, je vois un point noir obscurcir ma vision, il grossit encore et encore, puis mes jambes me lâchent, je tombe à genoux. Pendant les premières secondes mon coeur se tord ainsi que mon estomac. Le point noir grossit alors que mon corps entier tremble retenu au dessus du sol par mes bras et mes genoux. Puis mon énergie se vide et je m'affale, joue contre le bitume. Je ne grimace même pas pour la douleur que cela me procure. Je sens les vibrations du sol.
En me réveillant, je suis dans une petite pièce composée de deux lits et deux chaises. Je reconnais rapidement la salle de repos du lycée. La porte s'ouvre et une infirmière en blouse blanche arrive avec un plateau, je la regarde, hagarde, ne me souvenant plus de ma venue ici.
– Comment te sens-tu ?
– Perdue ?
– Tu as fais un malaise jeune fille.
Je ne dis rien et regarde le plateau qu'elle vient d'amener, dessus est posé un jus de fruit, du pain et des gâteaux, ainsi qu'un verre de lait. Un vrai déjeuner qui me mets l'eau à la bouche. Je regarde ensuite l'infirmière. Elle pose le plateau sur le chevet, près du lit puis elle s'assoit à côté de moi.
– Quand est-ce que tu as mangé pour la dernière fois ?
Je fais mine de réfléchir, je ne peux tout de même pas lui avouer tout ce qui se passe chez moi. C'est trop personnel. Trop intime. Et puis elle ne pourrait pas comprendre. Je finis par hausser les épaules en répondant vaguement que j'ai mangé ce matin mais peu. Elle paraît douce et incroyablement gentille, du moins jusqu'à ce qu'elle pose beaucoup trop de question.
– Tes bleus et égratignures c'est quoi ?
– Je suis tombée dans un rosier ce matin, avouais-je néanmoins.
– Comment ?
– En vélo, je ne faisais pas attention à la route et j'ai dévié et je suis tombé en plein dans le rosier, mentis-je.
– D'accord, faudra soigner tes plaies puisque j'imagine que tu n'as pas eu le temps ce matin. Mange tout ce que tu veux sur ce plateau. Et quand tu te sentiras mieux, viens me voir dans le bureau de l'infirmerie d'accord ?
– D'accord merci.
Je suis encore choquée de savoir que j'ai pu faire un malaise alors que je courais. Elle quitte la pièce, mais juste avant de fermer la porte, elle se retourne et me regarde.
– Quelqu'un voudrait te voir, tu veux bien ?
Je souris immédiatement et hoche la tête à l'intention de l'infirmière qui part. Léna vient sûrement me voir. Je regarde la porte d'un oeil attentif et quand je remarque que ce n'est pas Léna mais Troy mon sourcil se hausse et mon sourire s'éteint. Quand ses yeux croisent les miens il sourit alors que je le regarde surprise, m'attendant clairement à voir mon amie.
– Comment tu te sens ? me demande-t-il.
– Je suis en pleine forme, dis-je ironiquement.
– Tu m'as fais peur quand tu es tombée, tu étais toute pâle, dit-il d'une gentillesse qui me met mal à l'aise.
– Hum, ça va mieux.
– Tu peux sortir bientôt ?
– Quand j'aurais mangé, lui dis-je en souriant sincèrement cette fois-ci.
– D'accord, je vais te laisser.
Il se lève, je sais que c'est lui qui m'a porté et emmenée ici. Je ne sais pas pourquoi je suis si méchante et distante avec lui, je sais qu'il est adorable et que cela ne se fait pas; mais je ne veux pas qu'il se fasse des idées. Mais je dois au moins le remercier. Je soupire d'avance de ce que je vais dire.
– Troy ? (il se retourne vers moi) Merci.
Il sourit et m'offre un clin petit d'œil et je roule des yeux pendant qu'il sort. Je mange avec appétit ce qui se trouve sur le plateau, qui sait, il est possible que en rentrant ce soir je n'ai que mon petit déjeuner et mon repas du midi pour tenir jusqu'au lendemain. Je pars ensuite voir l'infirmière qui soigne mes blessures et me donne le feu vert pour enchaîner sur mes cours de la journée.
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