17.
Ce matin, Léna m'a réveillé de bonne heure, je devais rentrer chez moi. Le sourire ne retrouve plus sa place sur mon visage, je sais à quel point mon retour va être mal perçu. Deux jours dont je ne suis pas venu faire la vaisselle, que je n'ai pas pris ma place de punching-ball. Elle va être heureuse en me revoyant. J'ai dû tellement lui manquer, la pauvre, toute seule...
J'en ris mais au fond je pourrais en pleurer. Je suis dans la voiture de Léna, sur le chemin mes poings se serrent, mon visage se ferme de plus en plus mais je lutte pour que mon amie ne s'en rende pas compte. Elle sait que je ne vis pas la vie que je devrais mener chez moi, mais elle ne sait pas tout ce dont elle est capable. Et je ne veux en rien l'affoler. Quand Léna me dépose dans ma rue, je la câline et la remercie; je ne suis de nature pas très tactile mais pour elle je fais des efforts.
– Je viens te chercher demain matin ? me demande-t-elle.
– Non, je prendrais le bus, ne t'inquiète pas, dis-je en souriant le plus sincèrement possible.
– D'accord passe une bonne journée alors, dit-elle avec une pointe d'inquiétude.
Je lui souris et tourne les talons après lui avoir fait un signe de la main, avant de marcher dans la rue du lotissement elle habite. J'ai préféré qu'elle me dépose ici pour ne pas qu'elle sache où est ma maison où je réside. On ne sait jamais elle pourrait avertir les gendarmes ou je ne sais quoi.
Sur le palier de la porte, je prends une longue respiration et j'entre. Le salon est vide, les lumières éteintes, ils doivent tous dormir encore. Je déglutis et à pas de velours je marche vers les escaliers après avoir retiré soigneusement mes chaussures. Mais quand je lève un pied pour monter la première marche un poids s'abat dans mon dos et me m'effondre violemment contre les escaliers. Je geins et un autre coup m'atteint dans le dos, avec quoi me frappe-t-elle ? Une chose est sur, c'est dur et ça fait mal.
Je me tais essayant d'étouffer mes gémissements et les sanglots de douleurs qui pourraient me submerger. Je reste à plat ventre et tordu de douleur dans les escaliers, les dents serrées; son visage s'approche de mon oreille. Rien qu'en entendant sa voix, son murmure rocailleux, j'ai envie de gerber.
– Si j'avais su que tu irais dormir chez Léna, je t'aurais interdit ! Ou même cassée une main, ou une jambe ? Vous êtes qualifiées à ce que j'ai entendu ?
Je ne réponds rien et un coup s'abat une fois de plus dans mon dos et je me mords la joue pour ne pas hurler. S'en ai trop je pleure, elle me grogne de commencer immédiatement dans le ménage. Je me redresse et monte une à une les marches avec difficulté, mon dos est insoutenable et je ne sais toujours pas quel a été son instrument de torture.
Dans ma chambre, je refuse de pleurer une larme de plus alors je pose mon sac et j'entame la descente. Je la croise à nouveau dans les escaliers et alors que je suis presque en bas, mon pied glisse en avant, mon buste part en arrière et je tombe dos contre les marches. La seule chose que je ressens c'est la douleur, la douleur et ses pas qui continue de monter vers sa chambre. Elle n'est pas directement responsable de ma chute, mais de l'état dans lequel je suis.
Je reste là au moins quatre bonnes minutes sans bouger. Les larmes me montent et j'essaye de me calmer. Je n'ai pas le droit de craquer à nouveau, pourtant la douleur est bel et bien. présente. Et forte. Je me demande même si je ne me serais pas cassé quelque chose en tombant. Quand je me relève des milliers de sensations me parcourent. La rage. La douleur. L'abandon. Oui, au bout d'un moment j'ai envie d'abandonner, de me laisser faire frapper, de me recroqueville sur moi-même et m'endormir pour toujours. Mon père serait triste et m'accuserait de plomber l'ambiance avec ma mort. Alors je reste en vie. Je me bats et je respire.
Autant dire que faire le ménage avec un dos atrophié est l'une des choses les plus compliqués que j'ai à accomplir. Pour la poussière, j'ai été limité, dès qu'il s'agit de lever les bras, une grimace me parcourt le visage et je ne peux pas la retirer. Dès que je me penche, cette même grimace reprend sa place sur ma figure. Il en est de même pour le balais et la serpillère. C'est une horreur. Pendant le repas, je n'ai pas la force d'avaler grand-chose et quand j'ai croisé pour la première fois de la journée son regard, elle me fixait avec haine. Je suis donc partie faire la vaisselle, le reste du ménage a été rapide puis je suis allé dans ma chambre, j'ai fais mon sac et suis descendu avec lenteur les marches.
– Je vais à la bibliothèque, dis-je timidement.
– Ne rentre pas après 18h00, précise-t-elle.
J'ai acquiescé et je suis sortie de la maison. Quand le vent m'a fouetté le visage, je n'ai pu m'empêcher de sourire. Je suis allée chercher mon vélo et malgré la douleur, j'ai réussi a pédaler jusqu'à la bibliothèque. Une fois là-bas je souffle, je me rends dans les toilettes et je regarde mon dos, des hématomes et quelques traces de sang commencent à apparaitre. Je m'en sors plutôt pas mal, niveau visuel puisque pour ce qui est des sensations n'en parlons pas. Je jurerai avoir quelques côtes de cassés.
Je marche vers mon endroit de la bibliothèque, c'est tout au fond, entre deux étagères de vieux livres dont personne ne veut et une baie vitrée qui donne sur un jardin magnifique; entre tout cela il y a une table. Et moi je m'assois toujours là, face à la baie vitrée. Je sors mes cahiers et commence à réviser, quand une main se pose sur mon épaule je sursaute, à la fois de surprise et de douleur.
– Salut Tori ! sourit Troy de toutes ses dents.
– Bonjour Troy, dis-je en replongeant le nez dans mes bouquins.
– Tu pars à quelle heure ?
– Dix-heures et toi ? demandais-je en me fichant complètement de ce qu'il va me dire.
– Quand je veux, mais je resterais jusqu'à dix-huit heures comme toi.
Le brun tire la chaise devant moi et s'installe avant de sortir lui aussi des cahiers. Je n'aurais pas parié pour le fait qu'il vienne vraiment travailler. Mais c'est bien. Les deux premières heures se passent dans le silence, quelques fois il me demande des choses qu'il n'a pas comprises et je lui explique calmement. À seize heures; il ferme bruyamment ses cahiers. Je relève la tête surprise par le bruit, et hausse un sourcil en le regardant me fixer avec un sourire.
– Bon aller ! J'ai fais mes devoirs toi aussi, maintenant on profite ! Oublie pas ce que tu m'as demandé, et je ne compte pas lâcher le morceau comme ça ! dit-il tout sourire.
– Que veux-tu faire ? dis-je en soupirant et en gardant les yeux rivés sur mon livre de maths.
– Tout d'abord on ira manger un truc à Starbuck et ensuite on fera des trucs cool.
– Des trucs cool ? demandais-je en haussant un sourcil.
– Ouais tu verras ! sourit-il en rangeant ses cahiers et les miens.
Parce que j'avais fini mes devoirs et parce que j'en avais assez du silence j'ai accepté. Une fois dehors, je souffle doucement et le regarde rapidement. Je n'ai jamais été à Starbuck, et je n'ai que quelques euros sur moi pour acheter la baguette de pain pour ce soir. Il marche à mes côtés et ça me perturbe légèrement, on ne parle pas, lui sifflote sur le chemin.
Devant l'enseigne, je suis légèrement gêné, premièrement parce que Troy m'invite à aller boire un verre et que nous sommes en ville. Et honnêtement j'ai peur qu'elle puisse me remarquer quelque part. Ou même Nathan; d'ailleurs cela fait un moment que je ne lui ai pas parlé. Non pas que ça me manque, au contraire devrais-je dire. Troy m'invite à m'assoir où je veux, et je choisis une banquette un peu plus loin pour être sûre qu'elle ne pourra pas me voir.
– Que veux-tu ? demande Troy en souriant.
– Euh... En réalité, je ne suis jamais venue ici... dis-je gênée.
– Ce n'est rien, tu aimes les chocolats chauds ?
J'acquiesce et il se lève pour aller prendre notre commande. Je passe une main sur mon visage en soufflant et regarde l'heure sur l'horloge dû restaurant. Il me reste l'équivalent d'une heure et demie. Troy revient, après m'avoir laissé pendant dix bonnes minutes seule mais avec deux verres dans les mains.
– Et un chocolat chaud pour la demoiselle, sourit-il en posant mon grand gobelet devant moi.
– Merci, mais tu as payé ?
– Ouais, au plaisir de t'offrir un chocolat chaud ! dit-il en me gratifiant d'un clin d'œil.
– Merci mais tu n'as pas à faire ça, dis-je très sérieusement en sortant mon petit porte monnaie. C'était combien ?
– Zéro, j'ai dis. Bon, parle moi de toi, sourit Troy en buvant une gorgée d'un Frappucino.
Parler de moi est toujours très difficile, je ne sais jamais quoi dire, la vérité est proscrite alors... que dire ? Je suis première de la classe ? J'adore le sport ? Je me fais frapper par ma belle-mère ? Non, pas ça. Je n'ai pas de famille parce qu'elle me haïe ? Je souffle doucement et hausse les épaules.
– Il n'y a rien d'intéressant à savoir sur moi.
– Je suis sûr du contraire, dit-il en me regardant si intensément que je dois tourner les yeux.
– Et toi ?
– Et bien, je vis ici depuis depuis trois ans, j'ai une petite sœur ainsi qu'un grand frère. J'adore le bowling, la papaye et hm, que veux-tu savoir de plus ? sourit-il en haussant les épaules ne sachant plus quoi dire.
– Tu sors avec Poppy ?
– Non pourquoi ? Dit-il en haussant un sourcil.
– Des rumeurs.
– Voyons Tori tu es la mieux placer pour savoir que les rumeurs sont toutes fausses, tu n'es pas aussi ennuyeuse que les autres le pense. Tu m'as tout de même poussé dans l'eau !
Je roule des yeux en l'entendant et lui lance ma serviette dans sa tête. Il hausse un sourcil amusé.
– Tu viens réellement de m'attaquer ? Mais où est la gentille petite Victoria Wilson ?
Pour toutes réponses je hausse une épaule avec un sourire énorme sur mes lèvres. Troy rit en me regardant doucement. Nous rions et parlons de plein de choses, du volley, du bowling, des cours, je vois bien qu'il essaye d'en apprendre un peu plus sur moi, mais je dévie avec agilité les questions vers d'autres sujets auquel il y a moins de rapport avec ma vie.
Je jette un petit coup d'œil à l'horloge, je dois partir dans un quart d'heure. Une partie de moi est un peu déçue mais aussi surprise d'être resté ici aussi longtemps sans que je ne m'en rende compte. Puis le regard de Troy se fait persistant sur ma personne et ça me déstabilise énormément.
– Pourquoi tu me regardes comme ça ?
– Je te trouve mystérieuse, dit-il doucement avec son sourire habituel.
– Je n'ai rien de mystérieux Troy, dis-je simplement en regardant mon gobelet Starbuck.
– Détrompes-toi Tori. Tu m'intrigues beaucoup.
– Il n'y a pourtant rien à savoir sur moi, dis-je en me levant rapidement.
Je rassemble mes affaires et enfile rapidement mon gilet, sans regarder Troy. Je me mords discrètement la lèvre. Tout ce qu'il me dit ne me dit rien qui vaille, il sait que je ne dis pas tout et j'ai la malheureuse impression qu'il essaye de lire en moi. Il se lève alors que je mets mon sac à dos sur mes épaules d'un geste rapide. Mais je regrette immédiatement ce geste et mon dos cri à la douleur. Je retire directement le sac et le prend plutôt en main, cachant toute souffrance qui pourrait apparaitre sur mon visage. Il me sourit doucement, il semble ne semble pas s'en être aperçu.
– Je te raccompagne chez toi ?
– Non, merci. Je rentre en vélo, mais merci quand même.
Je le remercie pour cet après-midi, il hoche la tête et je pars comme une voleuse. Complètement. Je retourne à la bibliothèque prendre ma bicyclette et je pédale jusqu'à la maison. Il s'était passé beaucoup trop de choses aujourd'hui, ça me stresse pas mal, j'avoue. Troy essaye de connaître mes secrets les plus personnels et cela me fait peur, qu'arrivera-t-il s'il est au courant ? Se moquerait-il de moi ? Croirait-il que je mente ? Personne ne se fait battre par sa belle-mère.
Personne ne pourrait croire à une histoire pareille Et je refuse d'avoir cette étiquette de "victime" du lycée. Je refuse de paraitre faible, je suis peut-être une des personnes les plus sérieuses et sûrement la dernière qu'on supposerait avoir ce genre de vie. Il y a du vent et quand je pédale, le froid me percute le visage violemment. Mon nez est déjà tout rouge et les larmes viennent rapidement s'accrocher à mes yeux.
Non pas parce que je pleure, simplement le froid, mais le fait que les larmes sortent de mon cœur me fait quand même du bien. Je n'ose jamais pleurer, du moins jamais devant quelqu'un. Quand je rentre, je tombe directement sur elle. Elle me grogne dessus dans l'entrée, en me coinçant contre la porte.
– Tu as bien profité petite salope ? siffle-t-elle entre ses dents.
– Qu... Quoi ? dis-je en commençant à paniquer par le comportement de cette femme répugnante.
– Je sais que tu as vu ton mec cet après-midi ! grogne-t-elle discrètement pour que Nathan ne nous entendent pas.
– Je n'ai pas de me.. commençais-je.
Je n'ai pas le temps de finir ma phrase qu'elle me pousse et que ma tête cogne violemment contre la porte. Je tombe au sol en gémissant.
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