1.
– Victoria ! me hurle sa voix.
– J'arrive, dis-je en me levant précipitamment de mon lit.
⠀⠀Une fois sur mes pieds je détale rapidement vers la salle de bain et après un furtif regard dans un miroir, un coup de serviette humide sur mon visage et une grimace plus tard je suis fais demi-demi-tour pour aller m'habiller. Je n'aime pas passer trop de temps dans la salle de bain, ça me rappelle à quel point elle me possède.
Niveau garde robe, je n'ai pas trop de choix car le lycée nous impose un uniforme composé d'un pull bleu marine et d'une chemise plus claire, une jupe pour les filles et d'un pantalon pour les garçons. C'est ma dernière année au lycée et je dois dire que je suis impatiente de passer mon examen final pour partir ensuite à l'Université et quitter ma vie actuelle.
J'habite près d'Oxford, en campagne dans un endroit un paisible. Oxford est une ville chaleureuse et animée d'Angleterre. Cette ville vit toutes les saisons sans restrictions, autant la canicule en été que la neige l'hiver. J'adore l'hiver pour le froid qui nous fait frémir, les sourires cachés sous nos écharpes mais nos yeux malicieux bien visibles, la fine pellicule d'air blanchâtre qui émane de nos bouches, le vent glacial qui nous décoiffe et surtout l'agréable sensation de boire un chocolat chaud alors que le thermomètre chute librement. Aujourd'hui le temps semble être agréable. Là est un des autres point fabuleux de l'Angleterre, il peut magnifiquement chaud à un moment de la journée et avoir une averse de pluie gelée l'heure d'après. Ici, on dit que c'est la magie du pays.
⠀⠀Mais pour le moment je suis toujours au lycée, et je vais finir par être en retard si je ne me dépêche pas sérieusement. Je prends mon sac de cours que j'avais préparé avec soin la veille et en descendant de ma chambre, je croise Nathan mon demi-frère. On s'est souvent retrouvés dans la même classe mais pas cette année. Il ne m'aime pas vraiment, tout comme elle, ils ont le même genre de blagues, souvent celles de mauvais goûts. Ils pensent m'atteindre mais ils ne font que me conforter dans l'idée que je ne fais vraiment pas parti de cette famille de tarés.
Dans la cuisine, le petit-déjeuner n'est pas servi car chacun prépare son propre repas, pas de collectivité entre nous. Il ne manquerait plus que ça. Blague de mauvais goût, Victoria. Mon père lit son journal avec ses lunettes sur le bout du nez, dans son pull à carreau Jack Wills il représente le parfait anglais et bien évidemment une tasse juste à ses côtés. Ce n'est pas qu'un mythe, ici c'est une obligation ! Il ne m'a pas regardé une seule fois depuis que je suis entrée dans la pièce. Mon père n'est pas très habile avec les enfants, il ne sait pas vraiment comment s'y prendre. Et ça me va, je n'ai pas besoin d'un père sur mon dos; j'en ai déjà assez avec elle.
Une tartine dans le toasteur et un thé plus tard elle entre et son regard noir me dévisage. Ce regard me ferait presque froid dans le dos si je n'étais pas habitué. Aujourd'hui la seule manière de lui plaire c'est de baisser les yeux.
– Arrête donc de t'engraisser tu vas finir énorme, grogne-t-elle entre ses dents. On t'attend dans la voiture bouge toi un peu tu veux!
– J'ai fini, dis-je.
⠀⠀Je jette le reste de mon thé dans l'évier et enfourne la tartine dans ma bouche. Je me suis sur-estimée car je manque de m'étouffer au passage mais je n'ai pas le temps pour ça ! Je cours chercher mon sac de cours que j'avais posé près de la porte d'entrée mais en arrivant devant la porte je ne vois nul part mon sac. Encore une mauvaise blague de Nathan je suppose. Je vous avais prévenue, il n'est pas vraiment drôle. J'ouvre la porte d'entrée et trouve mon sac dehors dans l'herbe fraîchement mouillée de la rosée du matin. Il est évidemment trempé et comme mon sac est en tissu mes feuilles seront des guenilles. En arrivant dans le garage, bien sûr la voiture n'est déjà plus là. Ils ne m'ont pas attendue. Il ne me reste plus qu'à parcourir le kilomètre qui me séparent de l'arrêt de bus le plus proche à pied et de courir pour avoir le bus à temps.
⠀⠀Je me mets donc rapidement en course et cinq minutes plus tard je suis près de l'arrêt et le bus ne tarde pas. J'ai bien fait de courir, tiens ! Et heureusement pour moi je suis une bonne sportive. Le fait d'être lâchement parti comme ils l'ont fait, mon frère et elle, ne m'a pas étonné. À la maison, je passe le plus clair de mon temps enfermée dans ma chambre ne souhaitant participer à la vie de famille. Elle en est ravie. En avoir marre de rester sans bouger pendant des heures m'a donné le goût du sport, l'envie de me défouler. Je me suis donc inscrite aux entraînements d'athlétisme et à l'équipe de volley féminin du lycée, j'ai donc des entraînements après les cours. Ça va me permets de me vider la tête un peu, car vivre avec elle est vraiment épuisant.
Le bus me dépose au lycée. En descendant, je vois se dresser devant moi le lycée, énorme mais qui, à mes yeux n'est plus aussi impressionnant qu'autrefois. Un bâtiment à lui tout seul doit au moins contenir une quarantaine de fenêtres, les murs sont construits de fabuleuses briques rouges typiquement anglaises, et d'un perron central en pierres blanches tout à fait ravissant. Des groupes d'élèves en uniforme bleu fourmillent de partout, plus ou moins prêts pour une nouvelle journée de cours. Je ne connais pas grand monde car je ne cherche pas forcément à sympathiser, je n'aime pas trop la foule, toutes ces personnes qui ne me ressemblent pas. Moi, je reste à l'écart de toutes ces amitiés naissantes et adolescentes. Tout ça par peur de devoir un jour ou l'autre faire part d'une partie de moi. Car c'est ce qu'attendent les amis tôt ou tard, qu'on se révèle un peu, chose que je déteste.
⠀⠀Léna, cependant a su me convaincre de ne pas la repousser éternellement. Très vite nous sommes devenues amies, elle ne connaît pas grand-chose de moi, mais elle n'a jamais cherché à me tirer les vers du nez. C'est principalement pour cela que je l'apprécie, et puis on travaille bien ensemble et on est très complices. Avec les années j'ai appris à avoir confiance en elle. Même si j'adore Léna, jamais elle ne connaîtra la vraie Victoria. En me voyant arriver près du portail, elle sourit et me rejoint. On s'étreint rapidement avant que je ne me détache, n'étant pas une adepte des trop grands contacts entre humains, c'est devenu ma nature d'être constamment sur la défensive et de ne pas m'attarder quand il est question de contact. Elle me sourit comme toujours. Je ne pense pas avoir déjà vu Léna faire la gueule.
– Comment tu vas ? demande-elle.
– Bien, toi ? je dis en regardant autour de moi.
– Parfaitement bien, merci.
Elle me prend le bras et m'entraîne à l'intérieur de la cour centrale, bondée d'uniformes bleus. Le lycée est plutôt un endroit agréable, il y a des bancs, des espaces verts, des infrastructures propice au travail tel qu'une imposante bibliothèque, une salle multimédia ouverte à tous et une cafétéria où l'on peut aussi bosser en groupe. Avec Léna nous parcourons les longs couloirs jusqu'à nos casiers. On fait part de nos emploi du temps, j'ai beaucoup d'heures littéraires, les langues et le sport sont mes matières préférés. À mon plus grand bonheur j'ai découvert au début de l'année que j'ai six heures de sport par semaine. Un cours tous les deux jours, c'est à dire le lundi, le mercredi et le vendredi, avec un minimum d'une journée de repos entre chaque. Dans mon planning j'ai aussi quelques heures de trous qui me laissent du temps pour étudier, et me reposer. Car à la maison, se reposer n'est pas la plus simple affaire du monde.
Léna et moi sommes ensemble dans la majeur partie des matières mais dans les mineures comme les options, nous sommes séparées. Elle a choisi la danse, là où j'ai choisi l'athlétisme, elle a préféré prendre le thème sciences alors que moi j'ai opté pour les arts. Mais nous commençons toujours notre première heure du lundi par anglais. Léna est une fille bien plus sociable que moi, elle va vers les gens et parle avec aisance. Elle est mon contraire en fait, d'extérieur, cela doit être assez amusant à voir. Elle est coquette, aimée par pas mal de gens, gentille et altruiste. De mon coté, je privilégie le recul face aux sympathies, l'ignorance des regards que l'on peut me porter et reste extrêmement studieuse. En entrant dans notre salle d'anglais, Léna s'avance vers une fille aux cheveux bleus/violets. Je l'avais déjà vu, mais je ne me suis jamais attardée sur elle. Néanmoins mon amie semble la connaître et me tire vers elle, pour me présenter sûrement. Léna, tu sais pourtant à quel point je déteste ça...
– Tori ! Je te présente Poppy, on travaille ensemble en sciences sur la multiplication des micro-organismes, Poppy je te présente ma meilleure amie, Tori.
– Salut,
Poppy me défigurant surement pour essayer de se rappeler où on aurait pu se croiser. Je ne lui en veut pas, j'ai fait la même chose dix secondes plus tôt et puis il faut croire que je suis plutôt inexistante ici.
– Bonjour, lâchais-je en hochant la tête pour paraître polie.
Je souris tout à fait pathétiquement. Je ne sais pas paraître gentille et accueillante. Désolé, ce n'est pas dans mes cordes, il faudra repasser. Je pars m'asseoir à ma place habituelle, pas loin de Léna. La salle se remplit petit à petit, des groupes d'élèves arrivent successivement.
– Hey ! dit Poppy en saluant un brun qui vient juste d'arriver.
Lui aussi, je l'ai déjà vu en cours, mais je suis tellement focalisé sur les leçons que nous donnent nos professeurs que je ne fais même pas attention aux élèves qui m'entourent. Quand Léna me parle des derniers ragots – elle est très au point là-dessus – ça rentre par une oreille et ça sort par l'autre comme on dit, si bien que quand mon oreille traîne; je suis toujours en train de lui demander « qui ça ? », ou du genre « tu es sûre que je la connais ? ».
– Ma Pop's, comment tu vas depuis ta cuite de samedi soir ? rit-il.
– Ne te moque pas ! Tu étais toi aussi démoli, ricane-elle à son tour. Oh, je t'ai parlé de Léna, je travaille avec elle en sciences.
– Troy, dit-il en souriant.
– Léna, et voici mon amie Tori, dit-elle en se tournant vers moi pour me présenter.
Je redresse la tête en entendant mon prénom, alors que j'étais en train de relire mon cours. Je fronce les sourcils et hoche la tête en direction du groupe. Le brun soutient mon regard quelques secondes avant que je ne retourne à ma relecture. Le professeur, assez jeune, entre et pose ses affaires sur son bureau et commence son cours une fois tous les élèves assis et attentifs. Léna se penche vers moi pour me minauder à l'oreille.
– Elle est gentille tu ne trouve pas ?
– Hum, je ne la connais pas. Je m'en fiche un peu en réalité.
– Troy à l'air vraiment sympa aussi.
– Hum hum.
Léna est une bavarde c'est là son principale défaut. Mais elle a énormément de qualité; elle est marrante, attachante, protectrice. Léna essaye de jouer les grandes soeurs avec moi, car elle pense que j'adorerai m'intégrer un peu plus. Faux, mais c'est mignon de sa part. C'est amusant parce que contre elle je suis complètement faible et vulnérable dès qu'elle pose son regard sur moi. Alors qu'en réalité je pense être réfléchie et sensée, ce que je ne suis pas avec elle. En face d'elle, je suis une personne différente que devant n'importe qui d'autre.
Je reprends le travail et la sonnerie me sort de ma concentration. Léna part ensuite de son côté pour son cours de sciences avec la violette tandis que je me dirige vers les locaux d'arts. Ce qu'on appelle les « locaux » est en fait un bâtiment entier consacré à l'art. Comme il y a les laboratoires pour les sciences, le plateau pour le sport, chaque partie du lycée a son utilité. Les locaux sont donc remplis d'étagères, de pupitres à dessins, de baies vitrées, enfin une vraie salle d'art quoi. J'ai tout de suite aimé cet endroit, on s'y sent bien. Je croise le regard du brun que j'ai « rencontré » plutôt, mais je ne lui laisse pas le temps de s'approcher que je pars m'installer devant mon pupitre.
Il y a une semaine de cela le professeur d'arts nous a donné un thème : l'expression des sentiments. J'avoue que ce thème ne m'inspire pas vraiment et pour faute, je ne montre presque jamais mes sentiments. Je n'ai pas beaucoup avancé dans mon projet, tout simplement parce que je ne sais pas sur quel sentiment me baser. Je trace quelques esquisses de ce que je compte faire et le cours passe rapidement. Ce thème je le haïs et je ne sait pas quoi en faire. Bien que l'art soit un de mes cours préférés, en ce moment je n'ai qu'une hâte : qu'il se termine. Et lorsque mon souhait se réalise enfin, c'est l'heure d'aller a la cafétéria.
Les repas sont dans l'ensemble bons, et équilibrés. Pour ma part, j'ai pris l'habitude de manger peu, je n'ai jamais vraiment eu un grand appétit. C'est pourquoi j'ai opté pour une pastabox. En face de moi Léna a plutôt penché pour du poisson pané et des patates écrasées. Elle regarde autour d'elle et sourit en me lançant une œillade malicieuse.
– Fait pas la gueule, ils viennent vers nous.
– Qui ça « ils », commençais-je.
Un plateau se pose à ma droite, je tourne le regard et découvre la violette souriante à mon côté. Léna ne perd pas le sien et elle commence à discuter avec Poppy et Troy (le brun) qui est aussi de la partie. Quant à moi, je reprends mon repas en silence.
– Donc vous vous connaissez depuis longtemps ?
Je relève la tête et constate que c'est le brun qui m'a adressé la parole, il me sourit. Je hausse un sourcil, toujours méfiante vis-à-vis des gens que je ne connais pas. Je reste silencieuse tandis que Léna lui explique comment je la repoussais sans cesse avant qu'elle n'ai pu avoir une réponse de ma part.
– J'ai ramé pendant au moins un mois, je crois que j'ai fini par la saouler ! Mais finalement ça en valait la chandelle.
– Donc, il faut que je persiste pour que tu veuilles m'accorder la parole un jour ? sourit le brun.
Il sourit et moi aussi, mais tout à fais faussement pour ma part. Il l'a comprit, il n'est pas bête au contraire je le soupçonne même d'être très malin. Je prends mon plateau après avoir haussé les épaules et part le vider dans une des poubelles mises à disposition. Je ne peux m'empêcher d'éviter les têtes inconnues. À la maison, elle me force à être une personne que je ne suis pas. Ici au lycée, j'ai mes propres pensées. Je ne suis pas influencé, je n'ai pas à réfléchir à chacun de mes gestes, si je ne veux pas faire d'effort, je n'en fais tout simplement pas. Cela peut paraître égoïste et aigri, c'est juste que j'ai vraiment pas que ça à faire. Je retourne ensuite à la table prendre ma veste et regarde Léna.
– Tu viens ? demandais-je.
– Oui, on se voit plus tard ? dit-elle en leur faisant un signe de la main.
Ils acquiescent et reprennent leurs discussions entre eux. Léna et moi partons dans les couloirs, beaucoup moins remplis que ce matin. Je m'arrête près de nos casiers respectifs et je pose dans mon compartiment les livres et cahiers qui ne vont pas me servir pour cette après-midi et ce soir lors de mes révisions. Je sens le regard de la blonde sur ma personne ce qui me dérange fortement. En tournant mon visage vers le sien, je remarque qu'il est tordu dans une moue légèrement inquiète.
– Tu ne les aime pas ? Demande-elle.
– Je ne les connais pas.
– Ils sont vraiment gentils tu sais ? Il faut que tu apprennes à les connaître ! Que tu te fasses de nouveaux amis, c'est prouvé qu'être plus social ça fait se sentir mieux !
– Tu dis ça à chaque fois Léna et ce n'est pas parce que je ne parle pas que je ne les trouvent pas gentils.
Intérieurement je suis agacée, mais ma voix reste douce, je ne veux pas blessé Léna elle à la fâcheuse tendance à se vexer à une vitesse phénoménale. Elle continue de me parler et je hoche la tête sans vraiment l'écouter, puis on se sépare et je pars pour mon cours d'athlétisme. Je sais que c'est le moment où je dois m'aérer l'esprit, seulement je songe déjà à mon retour à la maison. Je commence à avoir la trouille. La trouille de la voir, elle. Je sais que je ne devrais même pas la craindre mais c'est plus fort que moi. Elle me contrôle. Je ne suis qu'un pantin.
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