TW: Trouble du comportement alimentaire

La fourchette en plein dans les pâtes. Pâtes grasses, nombreuses, jaunes, artificielles.

Il y a tellement de gens autour de moi. À chaque mouvement de tête, un visage plus ou moins familier, tantôt caché par un masque, tantôt en train de brouter.

Le self pullule de vie. De gens, d'élèves qui mangent, sans problème, ces pâtes dégoûtantes.

J'ai essayé.

Je n'y arrive pas.

C'est trop. J'ai faim, mais je n'ai pas l'appétit pour ça. Pas pour quoi que ce soit à vrai dire. Je suis affamé. Mon estomac gargouille. Mais c'est trop. Je ne pourrais jamais manger tout ça. Toutes ces pâtes. Grasses. Huileuses. Luisantes sous la lumière intérieure du self.

Je ne suis pas gros. Ou grosse, peu importe. J'ai même perdu du poids malgré des habitudes alimentaires normales et un traitement aux corticoïdes. Et pourtant, l'image qui se présente devant moi, m'imitant dans chaque miroir et chaque vitre, n'est pas celle que j'ai envie de voir.

Je veux être plus beau. Peut-être plus androgyne, peut-être plus jeune. Il est hors de question que je n'ai envie de devenir maigre. Et pourtant, ce n'est pas une image qui me fait peur.

Je ne veux pas être anorexique. Je ne veux pas finir avec un IMC d'en dessous de 13, un tube dans le nez, dans un hôpital psychiatrique, l'air d'un squelette habillé d'une combinaison de peau.

Mais je ne veux pas manger.

Je ne veux pas être plein. Cette sensation me terrifie presque, sans aucune raison. Peut-être que le nombre de fois que j'ai vomi après mon opération m'a brisé. Peut-être que c'est le trip. Peut-être le drain. Peut-être l'opération en elle-même.

Je ne veux pas manger.

Je tourne la tête vers la personne qui je pense être Anne. C'est elle, si elle ne s'est pas déplacée, mais je vois que dalle avec toutes ces larmes devant mes yeux.

"███, ça va?"

Je secoue la tête. Non, ça ne va pas. J'ai peur de mes propres pensées. Ma propre existence me rend misérable. Mes propres actions me dégoûtent.

J'ai besoin d'aide.

"Qu'est-ce qui ne va pas?"

"J'ai peur de bouffer!"

La pression dans ma tête explose et j'éclate en sanglots dans une explosion flamboyante de larmes chaudes coulant plus vite qu'un déluge de déception et de colère.

Je me laisse tomber dans les bras de mon amie. Elle me serre dans les siens, me laissant pleurer, attendant sans doute que ça passe. La table est plongée dans un silence.

a/n: Je fais de mon mieux pour pas penser à tout ça en ce moment. Entre le confinement et mon opération (j'ai eu une thymectomie pour ceux qui veulent savoir), je pense que je n'ai pas pris assez de temps pour suivre, et j'ai donc eu un breakdown phénoménal un beau jeudi au self. Je vais mieux. Ça me passera.