Obst7nation
Ils (mais pas nous) étaient là, dans les tréfonds inconnus de
L'Arche de nos
Existences.
*
La pluie s'abat sur les hublots, puis les gouttes dégoulinent lentement. Il y a un éclair, une vaste déchirure dans le ciel et les néons s'éteignent un instant. Quand ils se rallument, mon esprit sombre.
Je suis morne aujourd'hui. Trop de questions trouent mon cerveau sans pour autant me faire avancer et je soupire. Je repense aux couloirs, car en plus de réaliser ma folle inconscience, je n'arrive plus à me sortir ces souvenirs de la tête.
Et ça tourne, rebondit dans les recoins, si bien que je me retrouve incapable de penser à autre chose.
Je n'ai rien dit à HoSeok, car je ne sais pas s'il est avec eux.
Il semble être de mon côté, mais tant que je ne suis pas complètement sûr qu'il s'est détaché de l'Arche, je ne peux pas lui faire confiance.
Je ne peux plus faire confiance à personne.
-Arrête, TaeHyung. Tu n'es pas le centre du monde.
-Je ne prétends pas l'être.
-Tout le monde ne te veut pas du mal.
-Qu'est-ce que tu en sais ?
Même ma peur latente est étouffée sous ma fatigue. J'ai froid, et je passe mes mains gelées sur mes bras en m'enfonçant dans le canapé. Des chœurs d'églises résonnent jusque dans mes oreilles. Un orage éclate et couvre brièvement le grésillement des lumières.
Tu ne cilles pas, adossé au mur, tes pieds sur le sol rugueux, tes yeux dans les miens. Je te regarde sans vraiment te voir ; l'homme brun éternue. Je me sens vide à l'intérieur et je soupire encore.
Je n'en peux plus de tourner en rond.
Pourtant, je ne me sens pas capable de bouger. La même routine s'est installée depuis que je suis revenu du troisième étage. Je me réveille à la nuit tombée, salue HoSeok qui part se coucher, veille, mange au milieu du bruit du réfectoire, puis rentre dormir dans ma Cellule, pour me réveiller, le soir venu, et retourner veiller.
Je ne compte plus les heures, ni les jours, me lassant dériver dans le courant du quotidien. Je sais qu'il faudrait que je réagisse, que je réfléchisse pour sortir de là et de cette Arche que je ne comprends plus, mais je suis si las de penser que je reste statique.
J'ai envisagé qu'on m'ait drogué, ou quelque chose comme ça, car je n'ai jamais été dans un état semblable auparavant. Mais je n'ai aucun symptôme, alors j'ai balayé cette idée idiote.
Pourtant, elle est restée, lancinante. Et, suspicieux, j'ai arrêté de manger ce qu'ils nous servaient au réfectoire. Je ne contrôle pas la nourriture, et ils auraient aisément put glisser des médicaments ou de la drogue pour endormir ma vigilance.
Alors, je prends mes précautions. Je mange après toi, car tu es mon seul pilier, et je ne bois plus l'eau de ma Cellule. Tu n'avales qu'une petite moitié de tes assiettes, mais ton corps ne semble pas maigrir. En revanche, ton teint est creusé ; je pense que c'est à cause de l'absence de lumière.
Les néons ne remplacent pas celle du soleil.
-Pourquoi ne sors-tu pas, mon fils ?
-J'ai peur, dehors.
Mon regard se perd inconsciemment sur les creux de ton visage, mais je détourne la tête quand l'image de l'hurlante devient trop vive.
Trop acide pour mon esprit amorphe.
Je te vois vaguement bouger quand tu ramènes tes talons sous tes fesses.
On toque soudain à la porte de trois coups brefs et rapides.
« - Entrez.
- Salut, Tae.
- Hm. »
HoSeok s'assoit à ma droite, souriant pas vraiment ; le vieux meuble s'enfonce sous son poids. Je remarque tu t'agites un peu, comme souvent quand il est dans la même pièce que moi. Tes sourcils sont froncés et ta bouche se plisse quand il parle.
« -J'arrivais pas à dormir, alors je me suis dis que tu ne serais pas contre un peu de compagnie.
- Tu as souvent du mal à trouver le sommeil.
- Ouais.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas. L'ambiance, peut-être. Tous les autres semblent survoltés à cause des rumeurs.
- Quelque chose se prépare ? »
Je me redresse et me penche vers HoSeok, pendu à la vérité qu'il détient. J'ai le temps d'entendre trois respirations sifflantes de l'homme-papyrus et des bruits de pas au dessus avant qu'il ne reprenne la parole.
« - Un mec de notre ancien commando m'a dit qu'il avait vu plusieurs jeunes monter au troisième étage. Mais le plus étrange était leur démarche. Ils étaient droits comme des piquets et n'exprimaient rien. Comme des robots. Leur expression l'a effrayé et il a détalé, mais il raconte qu'ils portaient des longues blouses blanches et qu'ils étaient très musclés. Ils avaient des armes, aussi. »
J'en étais sûr ! Je me mets à rire, et HoSeok se fige en me regardant. Je me calme, essuie les larmes de joie qui ont perlées autour des mes yeux et réajuste mon uniforme. Il me regarde avec des yeux ronds, puis je lui concède que je devais avoir l'air d'un dément à rigoler comme ça.
Il hoche la tête, silencieux. Puis il se tourne pour me faire face, le visage inexpressif et je relève la tête. Sa voix grave résonne dans le silence.
« - Qu'est ce que tu en penses ?
- Je pense que c'était une sorte d'élite. Un commando spécial. Peut-être même celui qu'ils t'ont proposés de rejoindre.»
Il répète faiblement ce que je viens de dire. HoSeok se frotte les paupières et ses yeux sont fatigués.
« - Mais pour quoi faire ? L'Arche a assez de patrouilleurs, de veilleurs et même de soldats sur le Front.
- Je pense que ça a un rapport avec les rebelles. Genre envahir leur base ou un truc du même style.
- Le type a dit qu'ils avaient des armes sur eux. Mais je ne vois pas à quoi elles servent, car ils sont sur l'Arche. Il n'y a pas de danger, ici. Et les seuls résistants sont enfermés.
- HoSeok ?
- Quoi ?
- Je peux vraiment te faire confiance ?
- Tae. Qui t'as ramené discrètement dans ta Cellule l'autre soir alors que tu tenais pas du tout ton poste ?
- OK ; alors écoute. Je pense qu'ils veulent éliminer les résistants, mais aussi des gens dans la population.
- Quoi ?
- J'ai entendu mon père, un peu avant qu'on ne lance le troisième Souffle. Les gens ne sont pas tous favorables à notre installation brutale. Le peuple est mécontent, l'Arche est vulnérable. Elle craint des révolutions internes. Alors, je pense que si cette unité spéciale porte des armes, c'est pour éliminer les révoltes. Soit ils sont assez flippants pour que les gens arrêtent d'eux-mêmes, soit ils tireront sur ceux qui ne sont pas d'accord.
- Tu crois que l'Arche est capable de faire ça ?
- Oui. »
Il inspire profondément et je vois qu'il réfléchit. HoSeok croise puis décroise ses mains avant de les poser à plat sur ses genoux. Sa voix est tremblante et il a l'air triste, si triste.
« - Tae, je crois que si j'ai du mal à dormir...
Il ne regarde pas les hommes qui entrent dans la pièce et qui portent des blouses blanches qui ne cachent pas vraiment leurs armes.
...C'est parce que je me sentais coupable...
Il ne se lève pas quand deux garçons de l'unité spéciale me forcent à enfiler un vêtement qui bloque mes bras.
...Ne m'en veux pas, mais tu es trop dangereux...
Il tient fermement le canapé de ses mains tremblantes. Aucun des hommes ne parlent ni ne bouge. Statues de plâtre dans cet océan de tourments.
...Pour toi-même. »
Je le vois inspirer une dernière fois avant que les hommes ne me tirent hors de la pièce. La porte se referme et la dernière image que je vois est ton visage écarquillé de terreur qui se presse sur les barreaux et ta main qui tente vainement d'atteindre HoSeok pour lui faire du mal.
Où est-ce qu'ils m'emmènent pour me tuer car ils vont me tuer j'avais raison depuis le début sauf pour HoSeok mon dieu comment ai-je pus croire qu'il était digne de confiance personne ne m'aidera ici ils me veulent tous du mal ils veulent me tuer pour enterrer leurs immondes secrets dans ma tombe.
Je hurle, je frappe, je me jette dans tous les sens pour que ces mains arrêtent de toucher mon corps. Je suis enragé sous les regards des autres.
Je les maudis tous mille fois dans ma tête, puis dans ma bouche et ma gorge endolorie ne laisse plus passer qu'un filet de sang quand je tente de parler. Il ruisselle sur mon menton, et tâche leurs habits.
Quelque chose goutte sur le carrelage blanc.
C'est mon sang ?
Ou mes larmes ?
Peut-être un peu des deux.
Je m'étrangle avec mon souffle quand ils et moi passons devant mon sergent et mon père, l'un contre l'autre, dans les couloirs du troisième étage. Il me traine encore, mes pieds raclant le sol et des filets d'hémoglobine jaillissant d'entre mes lèvres.
Puis il me jette dans une pièce cloisonnée de matelas dont j'ignorais l'existence. Je tombe sur le ventre et essaye de me relever, pour les fuir, mais je ne parviens qu'à me tortiller misérablement.
Un long silence, puis la porte se ferme et j'entends les verrous de l'autre côté.
L'Arche est prête à tous les sacrifices pour préserver sa paix artificielle.
Je suis le sacrifice de cette mascarade ambulante.
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