Chapitre 2 ~ Ole
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Ma tête tape contre la vitre en verre teinté de la voiture. Manifestement, la route que nous parcourons depuis dix minutes selon mon estimation est cahoteuse. J'ouvre les yeux péniblement. La clarté du ciel m'éblouit. "Bien dormi ?" me lance le conducteur, l'air narquois. Je réponds par un grognement affirmatif typique d'une personne venant de se réveiller et baille. "Nous arrivons dans cinq minutes à peine." précise l'homme. Mais arriver où ? Émergeant peu à peu des bras de Morphée, je réussis à ressembler pensées et souvenirs. Les nouvelles m'affligent. Une larme coule sur ma joue. Je l'essuie d'un geste brusque. Mes parents, mes pauvres parents... Le fil de mes pensées est coupé par l'observation de l'individu. "Nous y voilà." L'homme, prénommé Jacques Harrington, je m'en souviens à présent, me jette un regard dans le rétroviseur. Je détourne rapidement les yeux. Il soupire puis sort de la voiture. Cet homme n'a-t-il donc aucune compassion pour me mépriser ainsi ? Je jette un coup d'œil par la fenêtre. La voiture est garée dans une large cour au sol de gravier devant une imposante bâtisse. Harrigton est en pleine discussion avec une femme que je devine être la directrice de l'orphelinat. Elle est assez petite et toute menue. Elle est vêtue d'un tailleur chic, gris et rose pale et porte un collier de perles. Ses cheveux gris sont relevés en chignon très stricte dont aucune mèche ne dépasse. La détermination et la volonté se lisent sur son visage marqué par le temps. Je tends l'oreille et perçois leur discussion.
- Je tenais à vous prévenir. Cet enfant est...particulier. Il a tendance à prendre ses imaginations pour réelles.
- Qu'entendez-vous par là mon cher ? Il est totalement normal qu'un enfant totalement isolé se crée des petits amis.
- Mais il n'y a pas que ça Hortense. Voilà maintenant un peu plus de six mois que ses parents sont décédés, certes dans des conditions un peu déconcertantes, je vous l'accorde, mais je l'ai surpris, à l'instant, à pleurer.
- Vous êtes un sans-cœur Jacques. Vous n'éprouvez donc aucune empathie à son égard ?
- Hortense. Regardez... Laissez tomber. Mais croyez-moi. Un homme ne pleure pas.
-Tout être est doté d'une sensibilité qui varie selon les personnes. L'adolescent.. Mais savez-vous ce qu'est l'adolescence ?
- Pour sûr. La puberté est, chez l'humain, le passage physique d'enfant à adulte.
- Mais pas que. Tout adolescent, normalement constitué je le conçois, traverse une période difficile ayant le plus souvent un impact sur sa sensibilité et son irritabilité. Durant cette période, l'adolescent doit prendre des décisions et faire des choix qui influenceront sur sa vie, présente bien évidemment, future mais aussi passée.
- Passée ? Hortense! Permettez-moi de vous faire remarquer les absurdités que vous prononcez là.
- Ne m'interrompez pas Jacques. Je sais très bien ce que je dis. Oui, passée. En effet, si l'adolescent choisit d'apprendre , admettons, la raison du divorce de ses parents. Disons tout bonnement que son père aies trompé sa mère. Ce jeune homme, ou cette jeune femme, ne portera plus le même regard sur les faits passés. Certes , sa vie n'aura pas changé concrètement. Ses joies, ses colères, ses tristesses passées resteront les mêmes mais ça perception de la vie aura changé et cette révélation aura une conséquence concrète sur ses actes futurs. C'est certain.
- Bien que votre discours ait l'air tout à fait cohérent, je ne suis pas convaincu.
- Je propose de remettre cette discussion à plus tard. Dans tous les cas, ce jeune homme me semble tout à fait admirable. Il s'avère également que Mère Nature n'a pas commis d'erreur en ne vous accordant pas la joie d'être père.
Sur ce, laissant Jacques ébahi, la responsable s'en va en direction du manoir. J'esquisse un sourire. J'apprécie déjà cette femme. N'étant pas sensé avoir entendu ces paroles houleuses, je décide de faire semblant de dormir et c'est avec colère et violence que Harrington me "réveille". Il me secoue comme un prunier tout en utilisant un langage bien moins respectueux et raffiné qu'avec la gérante. Il finit par me lâcher. Je ne bronche pas mais mets un peu de temps à retrouver mes esprits. J'avais décidé d'agir en tant qu'adulte et de jouer la carte de l'indifférence. "Sors de la voiture!" me crache-t-il presque. Je m'exécute. Il me remet ma valise. Cette malle contient toutes mes possessions les plus chères. En effet, en quittant la maison, j'avais été contraint de faire un choix et avait dû abandonner tous mes livres et tout mon matériel scientifiques ou presque. Perdu dans mes pensées nostalgiques, je n'avais pas remarqué que Jacques était parti. Je le cherche alors du regard et l'aperçois près de l'immense escalier en compagnie de la directrice. Je les rejoins. La femme m'accueille avec un grand et chaleureux sourire aux lèvres. "Te voilà mon garçon. Jacques m'a beaucoup parlé de toi." Et ne m'a pas fait un portait particulièrement élogieux pour ce que j'en ai entendu. "Je suis heureuse de te rencontrer. Je suis Hortense Montgommery. Bienvenue à L'Orphelinat des Enfants de Gaïa." "Nous devrions rentrer." glisse Jacques. "Le petit pourrait prendre froid." dit-il en accentuant le mot "petit" et en souriant d'un air goguenard. Il pense peut-être que je vais répondre à sa provocation mais je n'en fait rien. "Il est vrai qu'il commence à faire frais. La nuit tombe. Rentrons et allons te présenter aux autres pensionnaires." déclare la directrice. Elle m'indique une direction à prendre et se retourne vers Harrington. Je décide de l'attendre. "Bien. Il est l'heure de nous quitter. Je ne vous propose pas d'entrer. Je sais que vous haïssez les enfants." spécifie-t-elle. Madame Montgommery faisait alors partie de ces gens à qui personne ne s'oppose tant ils dégagent une aura de puissance et de confiance en soi. Elle est une des ces personnalités qu'il ne vaut mieux pas se mettre à dos. Et c'est sûrement pour une de ces raisons que Harrington ne relève pas l'insulte qui lui est faite. Il redescend le perron, le pas lourd, la tête basse. Il marche jusqu'à la voiture, regarde une dernière fois en notre direction puis entre l'automobile et part. Quand nous ne voyons plus aucune trace de la berline, Hortense Montgommery se tourne vers moi et me sourit. "Tu viens ?" Nous entrons dans le bâtiment. Je ne vois aucune trace d'enfants, pas un jouet ou autre qui nous mettrait sur la voie d'une présence d'une quelconque jeunesse. Le vaste hall est très impressionnant et décoré avec goût. Dans le lourd silence, je m'autorise une question.
- Vous ne vous entendez pas très bien avec monsieur Harrington, n'est-ce pas ?
Elle sursaute légèrement au son de ma voix. Elle me répond calmement.
- Tu sais...
Elle fronce les sourcils.
- Au fait, quel est ton nom mon petit ?
Ses yeux bleus délavés, presque blancs sont perturbants. Pourtant, son regard est très doux.
- Je me nomme Ole. Vous n'étudiez pas les dossiers de vos pensionnaires?
Elle sourit. Encore.
- Non. Je préfère apprendre à les connaître autrement qu'en lisant un bout de papier.
Elle me prend la main délicatement. La sienne est chaude et douce. Cependant, sa poigne est ferme.
- Et concernant ta première question, Jacques est un grand ami. Il a seulement...des hauts et des bas. Il peut sembler rustre au premier abord mais c'est un gentil garçon.
- Permettez de vous poser deux questions. Pourquoi ne l'avez-vous pas alors inviter à rester ? Et pourquoi vous êtes vous montrée, excusez-moi, mais aussi désagréable avec lui ?
"Les choses sont faites ainsi." réplique-t-elle du tac au tac. Quelle réponse qui n'en était pas une ! Cela me fait penser que, malgré tout le respect que je lui dois, madame Montgommery n'est pas totalement juste dans ces décisions. Bien que je n'apprécie pas particulièrement Jacques en général, je pense que la réaction d'Hortense Montgommery était légèrement injustifiée. Tout cela me laisse perplexe. Nous nous arrêtons devant une porte. Elle l'ouvre et nous entrons dans un second hall, joliment aménagé et où se trouve un grand escalier de marbre blanc ainsi qu'une magnifique porte en bois ancien. Tous les enfants étaient là, assis en tailleur, attendant sagement. La directrice m'indique un fauteuil où m'asseoir. Ils sont une vingtaine tout au plus, âges de quatre à quatorze ans, à me regarder, pour la plupart, de leurs petits yeux, avides de curiosité. Dans le brouhaha général qu'a engendré mon arrivée, une petite voix fluette se fait entendre. "Comment tu t'appelles ?" Hortense Montgommery réclame alors le silence puis prend la parole.
- Bien. Posez vos questions à notre nouvel ami. N'oubliez pas de vous présenter avant !
Elle se tourne vers moi et chuchote.
- C'est un peu comme une tradition ! J'espère que ça ne te dérange pas !
Elle désigne une petite fille à la chevelure blonde, au visage rond et aux yeux bleus, manifestement bien plus courageuse que ses petits camarades. La fillette s'éclaircit la voix et prend la parole.
- Je m'appelle Amanda. J'ai six ans. Comment est-ce-que tu t'appelles ?
- Je me nomme...
Je m'interromps. La porte de bois s'entrouvre lentement. La tête d'une jeune fille paraît dans l'encadrement. L'étonnement transparaissait sur son visage. Je la fixai attentivement. Elle se faufile jusqu'à l'escalier puis monte les marches discrètement. La petite Amanda me rappelle à l'ordre.
- Bah, finis ta phrase.
Je lui réponds tout en continuant de regarder dans la direction de la fille. Personne n'a remarqué son arrivée tardive ou n'a fait de remarque.
- Je...je...Ole. C'est mon prénom.
La jeune fille s'était arrêtée dans l'escalier. Elle me regarde fixement à présent.
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