Nous sommes lundi. Le weekend est passé vite. Des contrôles en tout genre. On m'a vidée de tout mon sang. On ne m'a toujours rien donné à manger. Je n'ai pas faim à mon grand étonnement. Je vois bien que quelque chose cloche mais je ne sais pas encore quoi.

Toujours la même question sur mon identité. Toujours la même voix, avec sa rengaine, qui m'assaille : « tu me fais hérisser le poil »... J'en ai même la chair de poule... On frappe à la porte.

- Bonjour, je m'appelle Alexandre Alain, je serai votre aide-mémoire durant votre séjour parmi nous.

- Bonjour monsieur Alain, enchantée.

- Je viendrai vous voir tous les jours à la même heure jusqu'à ce que vous n'ayez plus besoin de mes services.

De l'autre côté de la porte, restée ouverte, on peut voir des femmes et des hommes en blanc épier tous ses faits et gestes. Je n'ai pas tout de suite compris, mais à le regarder de plus près, il dégage un charme fou ce docteur. Un aimant à tout ce qui croit encore au prince charmant.

Alexandre ressemble, à s'y méprendre, au Brad Pitt de l'époque d'Alexandre le Grand, avant qu'il ne décide de s'enlaidir. Un corps d'athlète, grand, blond aux yeux bleu très profond. Il est tel le Dieu Apollon, séducteur, au sourire assassin, des cœurs. Ses proies sont à n'en pas douter toutes les dames, voire des messieurs, qu'il croise. Et moi dans tout ça je me retrouve comme le taureau au milieu de l'arène. Les spectateurs sont nombreux attendant quoi ? Ma mise à mort ?

Intimidée, je remonte la couverture jusqu'au ras de mon cou car je n'étais pas vraiment vêtue. Une blouse d'hôpital sans attaches est alors mon seul apanage.

Je le fixe de mes yeux les plus interrogateurs.

- Je suis le psychologue du service, et on m'a demandé de venir vous voir pour vous aider à vous souvenir de votre passé. Pour vous aider à dépasser cette période de votre présent. Et pour vous aider à vous reconstruire un avenir.

De belles promesses en perspective... Il semble si confiant avec son sourire arrogant... je voudrais pourtant bien y voir, y croire... Comment va-t-il s'y prendre pour me ramener ce que je ne voudrais peut-être pas retrouver...

- Ah ! Vous n'êtes pas médecin !

C'est bizarre, mais c'est tout ce que j'arrive à dire. Dans ma bouche, ces quelques mots resemblaient plus à une accusation...

Il me fixe à son tour, l'air dubitatif...

Je me suis alors mise à rire, c'était plutôt communicatif car il s'y est mis aussi.

La glace est brisée.

- C'est important ? s'inquiète-il.

- Quoi donc ?

- Que je sois médecin ou non ?

- Non, c'est plutôt mieux comme ça. Au moins vous ne chercherez pas à m'empoisonner avec des anxiolytiques.

- En avez-vous besoin ? me questionne-t-il.

- Je n'ai peur de rien.

- Alors vous n'avez pas à avoir peur de moi.

- Je n'ai pas peur de vous. Je suis juste un peu gênée.

- Pourquoi ? s'amuse-t-il.

- Vous êtes vêtu en homme. Je suis vêtue presque en Ève.

- Auriez-vous voulu que je sois votre Adam ? badine-t-il tout sourire.

- Pour faire quoi ? je lâche un peu surprise.

- Je vois. Vous avancez en eau trouble, madame, mais n'assumez pas, il conclut.

- Oh.

Je viens de comprendre sa remarque. Jouerais-je un jeu dangereux ? Il faudrait que j'arrête. Étais-je déjà comme ça ? Est-ce pour ça qu'il était si en colère ? L'aurais-je provoqué sans le savoir ?

« Tu me fais hérisser le poil »

Toujours la même rengaine dans ma tête.

- Arrêtez, vous me faites peur ! je hurle.

- Madame ? s'inquiète-il

- Pardon, j'étais perdue dans mes pensées.

- Des pensées douloureuses j'imagine.

- A croire. C'est tout ce qui me revient de mon passé.

- Pour l'instant, mais nous allons déblayer tout ça. Dans peu de temps vous y verrez plus clair.

- Oui, je l'espère.

- D'ailleurs en parlant de voir, on m'a demandé de vous remettre ceci.

- Mes lunettes ! je me réjouis.

- Comment me voyez-vous maintenant ?

- Vous êtes vraiment très beau. Je comprends mieux pourquoi votre fan club est si nombreux.

- Vous me trouvez beau. Mais serai-je assez bon ?

- Est-ce une question ?

- Assurément, mais vous n'avez pas à y répondre pour l'instant. Il est midi, je vais devoir y aller. Et avant que j'oublie, Aurélie, votre kiné, viendra vous voir dans l'après-midi.

- Bonne journée à vous et pas de folies.

- Bonne journée à vous aussi. Mais quelles folies ?

Il repart amusé, tout en me faisant un clin d'œil. Pour un psy, assurément il ne joue pas sérieusement son rôle.

Je me retrouve à nouveau seule dans cette chambre terne. Couchée dans ce lit d'hôpital, je me mets à compter les points jaunis au plafond. Il y en a 25 ou 27, enfin peu importe. J'ai perdu le fil à cause de mes voix des profondeurs qui resurgissent et me martèlent constamment : « Tu me fais hérisser le poil. »

Mais qui es-tu ? Pourquoi ?

Et qui suis-je ?