La fin
Alexandre m'attendait dans mon bureau. Le voir me met du baume au cœur. Je m'approche pour l'embrasser mais il a mouvement de recul. J'ai du mal à y croire. Je ne comprends pas ce qu'il est venu faire si c'est pour m'éviter. Il a gardé un visage fermé alors que je lui souriais de tout mon cœur. Ça me fait beaucoup de peine. J'ai même une bouffée d'angoisse. Quelques larmes commencent à perler mais je fais tout mon possible pour ne rien montrer. J'attendrai d'être seule avec lui.
Je le suis vers la voiture de location. Il m'ouvre la portière en gentleman mais toujours sans un mot ni un regard.
- Pourquoi es-tu là ? Je lui demande.
- Pourquoi m'as-tu appelé ? Il me répond.
- Question pour question. Si tu veux tout savoir... J'ai eu peur d'être seule au moment de mourir.
- Tu es toujours en vie et en forme puisque tu peux toujours travailler...
- Oui tu as sûrement raison.
Je n'arrive plus à contrôler mes larmes. Pire encore, j'ai des hauts le cœur. Une nausée au parfum ferreux. Je demande à Alexandre de s'arrêter. Je sors de la voiture, je cours, j'ai besoin de partir, de fuir. Mon corps ne m'obéit plus. J'ai l'impression que mes tripes ne veulent plus de moi. Je ne me rappelle pas comment j'étais il y a dix mois, mais aujourd'hui, je sens la vie m'abandonner. Un bourdonnement dans ma tête me terrorise. Je me sens tomber. Alexandre est là. Il appelle, je l'entends... Je ne l'entends plus. Je ne suis plus.
J'ouvre les yeux, les lumières des gyrophares dansent. Il y a des branchements qui me lient à des robots sans âmes. Mes yeux sont lourds, ma tête martèle des sons que je ne comprends pas... Je cherche autour de moi, que des visages pressés, que s'est-il encore passé ? Je voudrais me lever mais j'en suis empêchée. Qui sont toutes ces personnes ? Où est Alexandre ?
On me conduit je ne sais où... J'ouvre les yeux, un homme est assis en face d'eux. Je ne le distingue pas, on m'a ôté mes lunettes... C'est un brun, ce n'est pas Alexandre. Ma gorge est sèche, ma bouche endolorie, j'appelle doucement "Alexandre"...
- Je suis là, me répond-il juste à côté de moi, le côté que je ne vois pas.
Je me tourne péniblement, il m'aide. L'autre homme bouge aussi mais n'ose trop s'approcher. Je le reconnais, c'est monsieur Roy. Il sait tout alors... Le sourire habite à nouveau le visage d'Alexandre, ça me réchauffe le cœur et me revigore. J'essaye de me redresser mais c'est douloureux et je lâche un « aïe » strident à déchirer les tympans. Je ne m'y attendais pas, on aurait dit que mon corps est en tous petits morceaux.
- Ne bougez surtout pas, vos points risqueraient de sauter, m'intime la voix de l'homme à ma droite.
- Mon amour, tu devrais écouter ce qu'il dit, il sait de quoi il parle, me conseille Alexandre.
Je ne comprends pas et l'interroge du regard. D'ailleurs il m'a appelée « mon amour », ce n'est pas dans ses habitudes.
- L'anesthésiste de garde n'était pas suffisamment disponible pour rester pendant l'intervention, m'explique-t-il, alors Marie a demandé à Marc d'assurer ce rôle en urgence.
- Je vous demande pardon de vous avoir mêlé à tout ça, je dis ces mots en tournant ma tête péniblement vers mon boss.
- Vous n'avez pas à vous excuser, j'étais disponible et je n'ai fait que respecter mon serment d'Hippocrate.
- Alexandre, as-tu vu mes lunettes ? je le questionne.
- Elles sont avec moi, tiens, en me les posant sur le nez.
- Merci, c'est mieux comme ça, je peux mieux vous voir. J'avais aussi une chaîne autour du cou, l'as-tu aussi gardée ?
- Non, je l'ai rendue à son propriétaire avec la bague, me répond-il.
- Je ne comprends pas, pourquoi tu dis ça ?
- Je l'ai redonnée à Marc, ajoute-il.
- Marc ? Pourquoi lui ?
Je pose ces questions plus pour moi qu'à Alexandre. J'entends alors mon voisin de droite se lever, je n'ose même pas me retourner pour voir son expression. Que s'est-il passé il y a quinze mois ? Était-ce juste un travail collaboratif ?
- Je la lui ai rendue parce qu'elle est dans sa famille depuis des générations. De plus au vu de notre relation, il me semblait plus judicieux de ne pas le laisser espérer.
- Tu as eu raison alors...
La déception s'entendait dans ma réponse. De quel droit pouvait-il prendre cette décision sans m'en parler d'abord. Un jour c'est « oui » un jour c'est « non ». Aujourd'hui je suis son « amour » mais que serais-je demain ? Je ne dis pourtant rien. Marc est mon patron et il est inconcevable pour moi de tout sacrifier pour les beaux yeux d'une vie passée dont il est désormais seul à détenir les secrets.
- Il est tard, je vais devoir vous laisser, nous interrompt Marc, « Alexandre je sais pouvoir compter sur toi. »
Les deux hommes se lancent des regards gênés. Je n'arrive pas à tout comprendre mais quelque chose s'est passé dans cette pièce avant mon réveil et il me semble en être la cause.
- Merci monsieur Roy, si j'ai bien compris je vous dois la vie.
- Vous ne me devez rien, et pour la énième fois je m'appelle Marc, il m'intime cet ordre tout en me serrant tendrement la main puis s'éclipse.
Je n'arrive pas à regarder Alexandre dans les yeux. Il semble lui-même gêné. La discussion que je voulais avoir avec lui devra donc attendre.
- Quel jour sommes-nous ? Qu'elle heure est-il ? Je pose ces deux questions comme pour me rattacher à une réalité tangible : Depuis combien de temps je suis ici...
- Nous sommes toujours lundi et il est à peine 22h.
Sur ces mots, il vient s'assoir à côté de moi et me prend la main gauche dans les siennes. Il commence à la caresser, tout en évitant les tubulures des perfusions. Il inspire profondément, il semble vouloir énoncer sa vérité mais se ravise. Il est ému, je le comprends mais je n'arrive pas à lui apporter mon secours. Il m'a blessée en m'imaginant affabulatrice, je n'ai plus confiance.
- Pardonne-moi je t'en prie, me dit-il finalement en portant la main qu'il tient vers son cœur.
- Et que dois-je te pardonner au juste ? Je lui demande avec un ton irrité.
- M'aimes-tu ? me supplie-t-il.
Sa question me surprend, je n'en connais pas la réponse. Pas à ce moment précis, pourquoi ? Devant mon mutisme, il reprend :
- À quoi penses-tu? Ou à qui ? Est-ce à Marc ?
- Je ne pensais pas à Marc mais j'essayais de trouver une réponse à t'apporter. Tu as posé une question précise et tu mérites la vérité.
- Pourquoi est-ce si difficile de m'apporter cette réponse ?
- Parce que je suis en colère, parce que je me suis sentie abandonnée, parce que j'ai eu peur de mourir seule et que tu ne m'as pas crue. Et parce que ma réponse de maintenant ne reflètera pas mon sentiment réel.
- J'ai eu très peur de te perdre.
- Que comptes-tu faire maintenant ?
- Je ne comprends pas ta question.
- Je suis toujours en vie, tu es rassuré. Tu pourrais repartir à Lyon...
- Je ne repars pas pour l'instant, il me coupe.
- Non ?
- Je m'installe à Paris si tu veux de moi.
- Je ne te ferai pas d'enfant.
- Je l'ai compris mais ne désespère pas pour autant.
Il dit ces mots avec espièglerie. C'est plutôt le ton que j'emploie habituellement, comment continuer à lui en vouloir... Moi je n'y arrive pas. Avec la main qu'il tient encore je l'attire vers moi pour l'embrasser. Un simple baiser peut-être mais il en dit tellement plus.
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