Et après ?
Selon Marie l'opération s'est très bien déroulée. J'ai encore perdu quelques dizaines de centimètres d'intestins. Je n'ose même pas demander ce qui me reste ou même s'il m'en reste. Elle m'a tout de même rassurée ; elle a aussi pris le temps de tout contrôler avant de refermer. Selon elle le traitement fait effet et il faudrait le poursuivre jusqu'au bout. C'est elle le médecin et je lui fais confiance. Nous nous mettons d'accord sur une poursuite hebdomadaire des soins, à reprendre dans dix jours. Les prochains contrôles nous permettrons d'adapter les fréquences.
Alexandre passe ses journées avec moi, j'ai l'impression de me retrouver en décembre dernier quand il venait régulièrement me voir dans ma chambre 13. Que de chemin parcouru depuis mais la relation que nous construisons aujourd'hui me semble plus saine. Nous jouons tous deux à celui qui sera le plus espiègle : il rentre complètement dans mon jeu ce qui nous permet de garder une atmosphère sans nuage. Nous passons en outre une bonne partie de nos journées à nous défier aux jeux de sociétés. Nous ne parlons même plus d'avenir, en enfants insouciants que nous sommes. Je deviens d'ailleurs de plus en plus son "bébé" car j'adore me blottir dans ses bras.
C'est aujourd'hui que Marie signe mon autorisation de sortie. Je vais enfin pouvoir retrouver le bel appartement dont je n'ai joui qu'une seule nuit. Alexandre ne le connaît pas encore, il lui a préféré le petit studio que je loue à deux pas de l'hôpital Tenon. Il ne faudrait pas que nous prenions du retard car le prestataire doit me livrer tout le matériel pour les soins, et l'alimentation, vers midi. Si mon état s'améliore, je pourrais rapidement remettre quelque chose de solide dans la bouche mais pour l'instant je dois me satisfaire de mes perfusions. Marie m'a quand même prévenue que des injections de vitamines devraient malgré tout être poursuivies. Elle est toujours aussi prévenante et je lui fais entièrement confiance. Alexandre quant à lui n'est pas de mon avis : il est convaincu que sa demande de ne pas m'approcher de trop près, et ce jusqu'aux prochains contrôles, n'a pour but que de l'éloigner de moi pour laisser le champ libre à son autre cousin, Marc.
- Tu as une imagination débordante, je le taquine.
Lui ne trouve pas ça drôle, du tout. Il se méfie de tout ce qui vient de Marc. Il a ainsi vérifié tous les dossiers de travail que ce dernier m'a envoyés. Bien sûr aucun mot doux ne s'y trouvait. J'en riais visiblement mais intérieurement je lui en voulais. Il a toujours été jaloux mais là ça dépasse les bornes. De plus il n'a pas confiance en moi et ça me peine.
D'entente enfantine, nous passons rapidement à des disputes puis des réconciliations du même genre. Nous n'arrivons que rarement à être d'emblée d'accord. Par exemple sur un sujet comme la façon dont je dois m'habiller, il voudrait que je suive un peu plus les dictats de la mode. Pour moi un vêtement doit surtout être fonctionnel. Mettre des sommes folles dans des chiffons quand d'autres n'ont pas les moyens de se vêtir est inconcevable. Je préfère acheter peu, mais de qualité et donner ensuite la différence à des associations. Le plus ridicule est qu'il trouve ce que je fais génial tout en me reprochant de ne pas augmenter mon budget vestimentaire. Mon nouveau poste lui donnerait presque raison mais je préfère n'en rien lui dire. Il pourrait se croire meilleur qu'il n'est... D'ailleurs c'est aussi et surtout une question de fierté : si je le laisse toujours décider, je ne serai pas meilleure que la femme soumise que j'étais dans mon premier foyer. Et ça je n'en veux plus...
De retour dans l'appartement, Alexandre ne m'a rien laissé porter. Il est très avenant. Il m'aide aussi à me défaire de ma veste et des ordonnances qui m'encombrent.
Nous arrivons juste à temps pour accueillir la livraison du matériel qui m'accompagnera pendant plusieurs semaines. Nous installons directement le pied à sérum et posons aussitôt la première poche. Ces jours passés à l'hôpital ont permis à Alexandre d'acquérir une certaine assurance dans le maniement des perfuseurs et autres tubulures. Il est prêt à se reconvertir dans les soins infirmiers. Grâce à lui la présence d'une infirmière devient plus que superflue.
- Alexandre, chéri, tu devrais manger quelque chose. Je te vois maigrir à vue d'œil et ça ne me plaît pas, je m'inquiète pour lui.
- Tu peux parler, ironise-t-il.
Il commence ensuite à m'embrasser puis à me déshabiller. Je me rappelle des recommandations de Marie et n'arrive pas à me laisser entraîner.
- S'il te plaît Alexandre, ce n'est pas le moment, je le supplie.
Il n'arrête pas.
- Tu me manques terriblement, me répond-il au moment de prendre son souffle.
- Arrête ! Je crie, « Marc, Arrête ! »
Il a un mouvement de recul. Il est effaré. Au début je ne comprends pas mais au fur et à mesure je m'entends crier « Marc ». Je me replonge dans un passé douloureux. Il y a du sang de partout... Je me retrouve seule avec du sang plein les mains. Je me recroqueville, la position fœtale est la seule qui me convienne et me mets à pleurer et à gémir. Je ne vois plus personne, je n'entends plus personne. Je suis dans un monde de ténèbres, seule avec ma douleur.
Alexandre s'affole, il veut comprendre ce qui m'arrive, il n'arrive pas à entrer en contact.
- Catherine, parle-moi, me supplie-t-il.
- J'ai mal... il y a du sang, du sang... j'en ai plein les mains, c'est tout ce que j'arrive à dire et me mets à fixer mes mains. « Elles sont pleines de sang. Il y a du sang de partout sur les draps, les couvertures. Il y en a de partout. »
- Catherine, s'il te plaît il n'y a pas de sang, parle-moi, il me supplie à nouveau.
Mais rien, je suis ailleurs, je ne le vois toujours pas ni ne l'entends. Il appelle alors la seule personne qu'il pense pouvoir comprendre. Marc arrive peu de temps après. Lui aussi s'inquiète de ce qu'il voit. Son premier réflexe de médecin lui fait vérifier toutes mes constantes. Physiquement je vais bien. Psychologiquement je ne suis plus là. Alexandre le harcèle de questions, dont certaines sont inaudibles.
- Lui as-tu fait du mal ? L'as-tu violée ? Dis-le-moi Marc. Dis-le-nous, lui intime-t-il.
Marc est aussi abasourdi par mon comportement que par les questions de son cousin. Il reprend toutefois consistance et lui répond.
- Je ne lui ai jamais fait aucun mal.
- Alors explique-moi. Regarde-la. J'ai besoin de savoir, comment l'aider si je n'arrive pas à communiquer avec elle.
- Je n'étais pas là, j'étais au chevet de papa... quand elle a fait sa fausse couche, je m'en suis toujours voulu... Elle était enceinte de deux mois... Notre bébé... Marc n'arrive pas à finir sa phrase, lui aussi est assailli par la douleur.
Il vient s'assoir à côté de moi. Il me prend les mains ensanglantées dans les siennes et commencent à les embrasser. Lui aussi pleure. Il s'excuse des torts qu'il m'a causés par son absence. Alexandre observe et ne dit rien. Il est mal à l'aise : il comprend la nécessité de nous laisser seuls. Il s'éclipse sans mot dire. Il reviendra, peut-être...
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