"Alors, c'est qui ?"

La tête appuyée sur ses coudes, légèrement penchée en avant, elle venait de poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis longtemps. On aurait pu croire qu'elle interrogeait un suspect dans une affaire policière si elle n'avait pas eu ce grand sourire aux lèvres. Face à elle, une jeune fille à la peau pâle en manque de soleil, le visage encadré par de longs cheveux châtains, baissait les paupières. Ses joues prirent des couleurs en entendant la question, avant qu'elle ne réponde d'un air un peu trop enjoué pour être vrai :

 "Mais personne!"

Son interlocutrice sourit de plus belle:

 "Là, je ne peux pas te croire! Tu as à peine entendu ma question que tu as baissé les yeux et rougi! De plus, ta réponse manque de naturel! Alors... Qui est-ce?"

La jeune fille n'osa pas lever les yeux et son teint se colora d'un rouge encore plus prononcé.

 "... Un copain du lycée.

 - Un copain seulement?

- Oui, bon, un ami.

 - Je préfère déjà ça! Et alors, tu l'aimes?"

Un silence lui répondit, mais la jeune fille osa lever les paupières pour regarder son amie en face.

 "Je crois bien..."

L'autre jeune fille sourit de plus belle face à cet aveu. Elle commençait à avoir mal aux joues avec son sourire jusqu'aux oreilles. Mais quoi de plus beau qu'une jeune fille bercée d'espoirs et de rêves tous plus doux les uns que les autres ?

  Elles avaient passé les deux premières années du collège ensemble. Elles étaient différentes et identiques à la fois. L'amoureuse démasquée était une virtuose du dessin et son amie, une habile de la plume. Elles apprenaient toutes deux une langue peu commune. Pour la première, c'était le japonais, pour la deuxième, le grec ancien. Elles avaient fait du théâtre ensemble, jouant le roi et la reine. L'amoureuse était un peu plus âgée que son amie, néanmoins, c'était cette dernière qui jouait le rôle de maman pour elle, toute tête en l'air qu'il puisse être possible. De temps en temps, elle venait au collège les cheveux en bataille, en ayant oublié de se coiffer. Son amie soupirait, un sourire au coin. On ne la changerait pas. Mais ce n'étaient pas ces souvenirs-là qui venaient à l'esprit de l'auteur de tant de lignes. C'était une main blanche devant son regard, accompagnée d'un avertissement :

 "Ne regarde pas!"

Dans la cour, un couple s'embrassait. Son amie soupirait, puis se détournait pour lui faire plaisir. La dessinatrice devait tenir à cette innocence que pouvait présenter son amie. Puis, un beau jour, elle fut en couple. Un beau soir bien plus tard, elle l'embrassa pour la première fois, le couple le plus innocent de la cour de récré. Elle revint de ce baiser dégoûtée. Ce fut la fin de leur histoire. Elle continua la sienne, un peu moins innocente, mais toujours simple et attachante. Dégoûtée d'un baiser, mais pas de l'amour remarqua son amie. "Allons bon, tout n'est donc pas perdu!" pensa-t-elle.