Rencontre fortuite - partie 3/3
Alors que les semaines suivantes auraient du n'être qu'appréhension et excitation, elles se teintent pourtant d'un effroyable pressentiment quand, un jour, en rendant visite à sa mère toujours dans le coma à l'hôpital, Jared surprend son père en conversation avec le médecin en charge de son cas.
Il est trop loin pour entendre ce qu'ils se disent et quand il les rejoint enfin, l'homme en blanc en a terminé et disparaît par une porte réservée au personnel. Mais le garçon a bien vu son père se couvrir la bouche de la main, il l'a observé se frotter le menton avec agitation, et maintenant qu'il est devant lui et qu'il lui demande s'il y a un problème, il se rend bien compte que l'adulte ne le regarde pas dans les yeux quand il lui répond que ce n'est rien, tout au plus quelques complications, mais rien de grave.
Pendant toute la semaine qui suit, la seconde de décembre, l'adolescent insiste pour rendre visite à sa mère quotidiennement et son père ne s'y oppose pas. Les heures qu'il passe avec elle, il lui parle de musique, du groupe, du concert qu'ils donneront dans 15 jours. Il lui raconte comme il a progressé en si peu de temps, il joue pour elle, lui détaille à quoi ressemble Elijah et à quel point il joue mieux que lui-même. Il lui avoue que le garçon a juré de faire de lui un Dieu de la musique. Il lui promet qu'il mettra tout son cœur et son obstination dans la réalisation de ce rêve. Il lui annonce qu'il a trouvé la chose qui le fait vibrer et qu'il sait ce qu'il veut faire de sa vie. De la musique. De la musique avec Elijah. Il lui parle encore et encore. Lui qui fut un enfant discret, taciturne, peu bavard, ne peut désormais plus s'arrêter de parler. Il veut qu'elle sache tout ce qu'il y a a savoir sur lui, sur sa vie, et il craint qu'elle ne puisse jamais lui rendre la pareille. Pourtant, si elle se décidait à parler, si elle se réveillait, il l'écouterait avec plus d'attention que jamais.
Sa mère jadis si belle, si forte, se transforme, et ce depuis des mois, en une petite créature fragile qui ne respire plus que par un indescriptible miracle. Mais ni elle, ni Jared n'ont jamais été croyants, et si les miracles ne peuvent déjà pas durer éternellement pour les abonnés au service mystique, ils ne risquent pas non plus de le faire pour les impies.
Ainsi, un vendredi à 14 h 30, Jared reçoit-il ce simple SMS de la part de son père.
« Il s'est passé quelque chose. Je viens te chercher dans 30 minutes »
Inutile d'en dire plus, Jared comprend à l'instant même où il voit que le message reçu vient de son père. Perdu, des larmes coulant de ses yeux sans qu'il puisse les contrôler, il fait la seule chose qui lui semble avoir du sens. Il contacte Elijah.
« Ma mère vient de mourir. J'ai besoin de toi »
Un quart d'heure plus tard, l'adolescent attend devant la grille de sa nouvelle école. Le visage rouge, reniflant, il espère qu'Elijah arrivera avant son père. Il ne veut pas de la compassion de l'homme qui a cessé d'aimer sa mère huit ans plus tôt, il veut juste poser sa tête sur l'épaule d'Elijah et pleurer jusqu'à s'en dessécher pendant que ce dernier le berce en lui caressant les cheveux.
— Ben alors ? Qu'est-ce qui lui arrive à l'autre, là ?
Arrivé en septembre dans une classe où tous les élèves se connaissent depuis qu'ils ont 12 ans, Jared n'a pas encore eu bien le temps de s'intégrer dans sa nouvelle école et il n'y a pas beaucoup d'amis bien qu'il soit de nature agréable à vivre. Le fait qu'il passe tout son temps libre à répéter avec Elijah ne doit pas y être pour rien, mais il ne se l'avouerait pour rien au monde.
Il ne connaît pas le garçon qui a remarqué son mal-être et qui vient de se poster devant lui. Il lui semble l'avoir déjà vu traîner avec certaines filles de sa classe mais ignore tout de lui. Sauf qu'il a une carrure à jouer au rugby ou au hockey, même sans protections.
— Tu chiales parce que t'as pas d'ami ou parce que t'es une grosse fiotte ?
— Laisse-le, Brian, intervient une fille de sa classe qui ne prend même pas la peine de s'approcher d'eux et hurle si fort que tous les élèves réunis devant l'entrée du bâtiment se retournent vers eux. Sa mère vient de mourir. J'ai entendu le prof de géo en parler avec la CPE.
Loin de lui donner envie de lui foutre la paix, l'information fait naître un rictus vicieux sur le visage carré de Brian.
— Voyez-vous ça, se moque-t-il. Alors comme ça le gros bébé a besoin de sa mômant. Mais, oh ! Ça va plus être possible.
Plusieurs élèves ricanent, un petit attroupement se forme autour d'eux et une fille de terminale le menace d'aller chercher un prof s'il ne décampe pas sur-le-champ, mais Brian se contente de rire.
Serrant les dents et les poings, Jared se prépare à sauter sur le colosse pour fracasser son sourire insultant quand une main se pose sur son épaule et le tire brutalement en arrière.
Alors qu'il rebondit durement contre le mur de pierres, il voit le poing d'Elijah s'écraser sur le nez de l'abruti.
— Ça, c'est parce qu'on ne s'attaque pas à mes amis, grogne-t-il avant de le frapper plus fort encore de son poing gauche. La mâchoire de Brian émet le son qu'un pot en terre produirait en rencontrant le sol pour la première et dernière fois, alors que ses dents laissent une traînée d'un rouge vif sur les phalanges du musicien. Et ça, c'est pour t'apprendre la décence, gros con.
Pendant un temps qui parait infini à Jared, plus aucun son ne leur parvint, que les gémissements de douleurs de la petite frappe.
Et puis d'un coup, tout se remet en marche. Certains élèves se mettent à crier, d'autres à se moquer, plusieurs s'éloignent de la scène de crime et, bien sûr, c'est ce moment que choisi un éducateur pour se pointer.
L'homme les interpelle, mais Brian ne le remarque pas et l'instant d'après il saute sur Elijah pour lui faire passer le goût de se mêler de ses affaires.
Quand le père de Jared arrive à l'école, dix minutes plus tard, il apprend d'une élève qui a assisté à toute la scène, qu'il est attendu dans le bureau du directeur. Là-bas, il trouve son fils, l'air plus malheureux qu'il ne l'a jamais vu, assis sur une chaise, Elijah, qu'il ne connaît que de vue mais qu'il sait ne pas appartenir à cet établissement, la lèvre en sang et en train de se faire bander les mains par une infirmière scolaire, un gros balourd le visage en sang recevant les premiers soins d'une seconde infirmière et deux hommes aux visages fermés et de très méchante humeur, dont un qu'il reconnaît comme étant le directeur.
La sentence tombe, clémente au vu des événements ; dix heures de colle pour les deux garçons de l'école, alors qu'Elijah voit ses parents et son propre établissement scolaire mis au courant de toute l'affaire. Il se retrouve privé de musique ainsi que de sortie pendant deux mois et écope de deux heures de colle supplémentaires.
— Le concert de Noël tombe à l'eau, s'excuse-t-il ce soir-là au téléphone avec Jared. De toutes façons, mes mains sont dans un tel état que même sans cette interdiction stupide, je crois pas que je pourrais jouer...
— C'est pas ta faute ! s'emporte le garçon en reniflant, c'est ce con...
— Je sais, le calme Elijah, je sais.
Il ne regrette pas d'avoir cogné, même si son corps n'est en aucun cas fait pour la bagarre, mais il regrette de n'avoir rien pu faire pour Jared. Après la longue heure passée en compagnie de tout ce petit monde dans le bureau du directeur, il a été ramené chez lui par ses parents furieux et Jed est reparti avec son père. Ils n'ont pas pu échanger un seul mot en privé et il sent au son de sa voix que son ami n'a encore pu s'épancher sur l'épaule de personne. Il l'a appelé à l'aide, mais pas pour le débarrasser d'une brute, pour le consoler, or Elijah a échoué.
— Viens demain, lui demande-t-il. J'ai pas le droit de recevoir qui que ce soit normalement, mais mes parents savent ce que... tu... Ils savent. Ce ne sont pas des enfoirés, ils comprendront que tu as besoin d'un ami.
— Merci, répond juste Jared, et peu de temps après ils raccrochent.
Le lendemain, comme prévu, la mère d'Elijah n'a pas le cœur à renvoyer chez lui le garçon aux yeux gonflés qui se présente les bottes pleines de neige pour voir son fils et elle le laisse entrer. Pour la première fois, Jared est envoyé à l'étage, et en montant en chaussettes les escaliers recouverts d'une épaisse moquette blanche, il observe la déco de la maison.
Ça n'apparaît pas au premier regard, ni même quand on passe suffisamment de temps en sa compagnie pour apprendre à le connaître, mais Elijah a été élevé dans un certain luxe et la maison de ses parents transpire la bourgeoisie.
Ses instruments se trouvant à la cave, il y passe cependant le plus clair de son temps. Il a même descendu une grosse partie de ses affaires et s'y considère davantage chez lui que dans sa chambre du premier étage où il ne fait d'ordinaire que dormir. Et encore, quand il ne passe pas la nuit sur le divan du studio, les soirs où il joue jusque bien trop tard, au point de s'effondrer de fatigue.
Jared frappe doucement à la porte que lui a indiquée Mrs Eilacin.
— Eli ?
La porte s'ouvre à la volée sur le visage inquiet d'Elijah.
— Elle t'as laissé entrer !
Malgré ce qu'il lui a dit le soir précédant, il craignait quand même un peu que sa mère lui refuse l'entrée. Heureusement elle n'en a rien fait.
— Entre, ajoute-t-il en voyant les yeux de Jed se remplir de larmes.
Sans même chercher à cacher ses intentions, Jared se précipite dans ses bras et un long sanglot s'échappe de ses lèvres.
D'abord un peu surpris, Elijah referme la porte et puis ses bras dans le dos du garçon. Il voudrait lui dire que ça va aller, mais il ne sait pas ce que cela fait de perdre quelqu'un et il ignore si ce genre de phrases toutes faites aident réellement à aller mieux. Alors il se contente de le bercer doucement contre lui en lui caressant le dos et le crâne de ses mains bandées, appuyant sa joue contre la tempe du garçon alors qu'il sent ses larmes couler dans son propre cou.
Ils restent ainsi, debout derrière la porte, un long, très long moment. Quand Jared se sent enfin mieux, il s'assied sur le lit double et, alors qu'Elijah s'y couche, ils se mettent à parler. De sa mère, de musique, du passé, de l'avenir.
En fin d'après-midi, la sonnerie de la porte d'entrée retentit et, quelques instants plus tard, des pas se font entendre dans le couloir. Elijah grimace en se tournant vers Jared qui s'est allongé à côté de lui.
— Les vrais problèmes débarquent, grince-t-il entre ses dents.
À ce moment, la porte s'ouvre et Feargus entre, furieux. Elijah lui a expliqué la situation le soir précédant par textos et il a été pris d'une forte envie de les dépecer sur le champ, mais en voyant les yeux rougit de Jared, il ne peut décemment pas continuer à leur en vouloir. Il pose l'étui de son violoncelle contre le mur, car il revient d'un de ses cours, fait craquer ses doigts et regarde ses amis tour à tour. Jed s'est redressé mais Elijah reste allongé et continue de le regarder en grimaçant, l'air de dire « désolé, mais j'ai rien fait en vrai, ça devait juste se passer comme ça ».
— Vous faites chier, lâche Feargus avant de se laisser tomber dans le fauteuil prés de la fenêtre. Vous faites vraiment chier. Ça aurait dû être notre premier concert.
— Y en aura d'autres, le rassure Elijah en souriant. Et, franchement, t'aurais vu comme je l'ai
amoché, ce gros lard, t'estimerais aussi que ça en valait la peine.
Feargus secoue la tête puis agite ses doigts devant son visage.
— On verra si tu penses toujours ça quand tu te rendras compte que tes p'tites mimines sont plus aussi agiles qu'avant. Enfin, au pire, je redeviendrais le guitariste principal et tu finiras derrière les caisses. J'ai peut-être tout à y gagner.
— Ça n'y compte pas trop, j'ai une légende du rock à former, et c'est pas derrière une batterie que j'y arriverais.
Les garçons se regardent, se sourient.
Sur le lit, Elijah prend la main de Jared dans la sienne et la serre un instant, espérant lui faire ainsi comprendre qu'il sera toujours là pour lui.
***
Hey les gens !
Si vous avez lu Degenerate Kings, j'espère que ça vous a plus de découvrir comment Jed et Elijah se sont rencontrés, et si vous ne l'avez pas encore lu, que ça vous a donné envie de le faire.
Je ne pense pas que je reviendrai à nouveau sur leur passé, il n'y aurait pas grand chose à en dire, sauf peut-être pour aborder leur rencontre avec Nora. Mais ce n'est pas pour tout de suite.
On se retrouve demain avec le début d'une nouvelle histoire.
La bise.
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