Minho n'avait pas eu de nouvelles de Changbin depuis plusieurs semaines, mais cela ne l'avait pas inquiété. Il était plutôt habituel qu'ils ne se parlent pas durant des jours — trop pris par leur travail respectif — mais cela ne signifiait pas qu'ils étaient en froid ou qu'ils ne reprendraient plus jamais contact. Les aléas de la vie faisaient que, parfois, l'un ou l'autre n'avait que peu de temps à consacrer à leurs amitiés. Mais aujourd'hui, ils étaient enfin en mesure de se voir, après plusieurs jours passés à tenter de trouver un arrangement qui leur convenait.

D'un pas pressé, Minho se dirigea vers l'ascenseur et appuya sur le bouton. Il ne cessait de regarder sa montre, soucieux d'être en retard au rendez-vous qu'ils s'étaient fixé. Il avait tout fait pour finir à l'heure, mais l'appel d'un client important avait un peu fait traîner les choses et le temps filait à une vitesse folle. Il soupira en entrant dans l'ascenseur et s'appuya contre une des parois en attendant qu'il descende jusqu'au parking souterrain. Cette journée n'avait pas été des plus calmes, encore une fois. En ce moment, sa société décrochait pas mal de nouveaux contrats pour réhabiliter de vieux bâtiments, alors Minho n'avait pas réellement le temps de se détendre. Il travaillait jusque tard le soir, même le week-end depuis son appartement, comment pouvait-il espérer avoir un moment à lui ?

Ce soir, il avait délégué les quelques dossiers qui lui restait à vérifier à son adjoint afin qu'il valide les projets. Lui, il avait une soirée à honorer. Être PDG n'était pas de tout repos, bien au contraire, il avait une boîte à faire tourner, des soucis à gérer, des employés peu coopératifs à encourager. Il adorait son travail, il adorait ce qu'il avait réussi à construire, mais parfois, il voulait juste déconnecter. Beaucoup pensaient qu'en tant que patron, il était privilégié, mais la réalité à laquelle Minho était confronté était bien différente. Certes, il avait de l'argent, il ne manquait de rien et pouvait se faire plaisir, mais il avait aussi de grandes responsabilités qui lui provoquaient du stress. Il ne partait jamais en vacances, il n'avait pas le temps de faire des rencontres, et parfois, la solitude pesait sur ses épaules.

Il arriva dans le parking et ramena ses cheveux vers l'arrière en avançant vers sa voiture. Il la déverrouilla et s'installa au volant. Il avait pu se payer le petit bijou dont il rêvait depuis longtemps, et il n'en était pas peu fier. Une BMW comme celle qu'il avait valait une petite fortune et il était heureux d'avoir pu se la payer, cela lui rappelait chaque jour ô combien il avait bossé pour en arriver là. Il n'était pas arrivé au sommet du jour au lendemain, il avait dû trimer pour d'autres entreprises avant de pouvoir créer la sienne. Ça n'avait pas toujours été facile, mais quand il regardait le chemin parcouru, il se sentait empli d'un puissant sentiment de satisfaction.

Il desserra sa cravate d'un geste habile, puis prit le temps d'envoyer un message à Changbin pour lui notifier de ne pas s'inquiéter de son léger retard. Une fois qu'il obtint une réponse, il démarra. La voiture fila sur les routes de Gangnam, dans la pénombre, jusqu'à arriver aux abords d'Itaewon. Il trouva un endroit où laisser son véhicule, un parking gardé qu'il préférait à une place aléatoire sur le côté d'un trottoir. Il ne voulait pas prendre le risque que sa voiture soit abîmée par des personnes pas assez sobres pour y faire attention. Avant de descendre, il enleva définitivement sa cravate pour l'abandonner sur le siège passager, puis s'assura qu'il était à peu près présentable.

Il envoya un message à son ami pour le prévenir de son arrivée imminente. En cette fin de semaine, les rues étaient bondées de personnes qui ne demandaient qu'à faire la fête. Certaines semblaient déjà un peu trop joviales pour un début de soirée, elles finiraient sans doute par terre ou sur le banc d'un arrêt de bus pour décuver jusqu'au lendemain. Minho grimaça. Les scènes de chaos le matin de très bonne heure ne lui manquaient pas. Il avait eu l'habitude de sortir avec ses amis durant un temps, mais il trouvait ça ridicule de boire à outrance jusqu'à se retrouver dans la rue à la limite du coma. Il s'était toujours demandé à quoi cela servait.

Il joua des coudes pour se frayer un chemin à travers la foule. Il avait l'impression d'aller à contre-courant dans cette marée de gens qui parlaient fort et riaient à gorge déployée. Il ne se sentait plus vraiment à sa place dans une ambiance pareille, et il maudissait Changbin pour l'avoir obligé à se déplacer jusque-là. En réalité, il n'avait toujours pas trouvé sa place dans la société. Oui, il avait une excellente situation et les affaires marchaient pour le mieux, mais il y avait encore un aspect de sa vie qui le bloquait.

Il soupira, déjà fatigué par le monde, mais il aperçut l'enseigne du bar où il se rendait. Il pressa le pas et arriva devant le bâtiment. Changbin l'attendait dehors et dès lors que leurs regards se croisèrent, ils échangèrent un large sourire. Ils se saluèrent rapidement, sans perdre de temps pour pénétrer à l'intérieur du bar. Ils prirent place autour d'une table basse, dans des fauteuils en velours bleu, puis une serveuse arriva aussitôt pour leur donner la carte.

— Ça fait grave plaisir de te voir ! s'exclama Changbin en se penchant pour lui donner une tape sur le bras.

Minho se retint de grimacer. Son ami avait de la force, même plus qu'avant, et il ne s'en rendait pas toujours compte.

— Alors, ça dit quoi les affaires ?

— Toujours pareil, ça fonctionne bien.

— Vu ta superbe montre, j'en doute pas.

Il pointa le bijou à son poignet et Minho lâcha un petit rire. Il n'était pas vraiment du genre à étaler ses biens aux yeux de tous, mais il ne pouvait pas non plus se forcer à adopter un mode de vie qui ne lui correspondait pas. Il avait de l'argent, il pouvait se payer certaines choses que beaucoup d'autres ne pouvaient pas, mais il n'allait pas se priver pour ces gens-là. Il ne se vantait jamais de ce qu'il avait, car il détestait ça, mais il ne pouvait pas non plus se cacher.

— Et toi ?

Changbin s'affala un peu plus dans son fauteuil, les deux bras sur les accoudoirs il croisa les jambes.

— Ça va aussi de mon côté. Je dois sortir un nouveau livre dans quelques semaines, on met tout ça en place.

Minho acquiesça, heureux de constater que tout allait bien dans la vie professionnelle de son ami. Changbin avait longtemps tâtonné pour trouver un métier. Il avait toujours cherché à se diriger vers le monde sportif puisqu'il adorait ça, et par chance, il s'était créé une belle communauté sur les réseaux sociaux avec laquelle il partageait beaucoup d'astuces de fitness. Il était devenu coach dans une salle de sport et avait déjà sorti trois programmes de remise en forme qui avaient cartonné.

Alors que Minho allait demander davantage d'informations, la serveuse revint pour prendre leur commande. Il arrêta son choix sur un mojito et son ami préféra une bière. Quand elle repartit, Changbin ne manqua pas de la reluquer de bas en haut avec insistance.

— Toujours en chasse ? plaisanta Minho.

Son vis-à-vis leva les yeux au ciel.

— Toujours. Faut bien que je profite de mon célibat.

Ils rirent en chœur. Changbin avait récemment quitté sa petite amie et depuis, il cumulait les conquêtes. Enfin, il ne l'avait pas quittée, il s'était plutôt fait larguer du jour au lendemain. Minho avait fait ce qu'il avait pu pour l'épauler, même si le travail ne lui accordait que peu de temps pour les autres, mais aussi pour lui-même. Mais il préférait s'occuper de ses amis avant tout quand ils en avaient besoin. Heureusement, Changbin n'était pas du genre à se laisser abattre. Il ne lui avait fallu qu'une semaine pour faire le deuil de cette relation qu'il pensait inébranlable, puis il était passé à autre chose.

Minho l'admirait pour sa force de caractère et sa détermination. C'était sans doute le sport qui lui avait appris tout ça, mais aussi sa visibilité sur les réseaux. Il était parfois confronté à des critiques, à des remarques déplacées, mais il allait toujours de l'avant et surmontait les obstacles avec brio.

— Toi aussi tu devrais profiter de ton célibat.

Leur commande arriva et, d'un sourire charmeur, Changbin remercia la serveuse. Ils trinquèrent et burent une gorgée de leur boisson, puis Minho soupira.

— J'ai pas le temps pour ça.

— Rectification ! Tu ne prends pas le temps.

— C'est pas aussi simple, tu le sais.

Changbin hocha la tête. Il savait parfaitement où Minho voulait en venir, mais il savait aussi qu'il utilisait cette excuse pour justifier le fait qu'il ne trouvait personne.

— Y'a des tas de mecs comme toi Minho, c'est juste que tu cherches pas à les rencontrer.

— J'ai pas le temps avec le travail. C'était déjà compliqué de trouver un créneau pour qu'on se voie.

— Des excuses et toujours des excuses. T'as pas eu de relation depuis combien de temps ?

Minho soupira encore. Il ne savait même plus à quand remontait la dernière fois où il avait eu un peu de chaleur humaine, et cela le fit rougir. Il se rendit compte que sa vie sexuelle se résumait à de petits plaisirs solitaires — quand il n'était pas trop fatigué pour ça. Il n'avait jamais réellement eu de relation sérieuse, juste des aventures sans lendemain et sans intérêt. Il avait couché avec quelques hommes, mais ça n'avait abouti à rien. En même temps, il ne cherchait pas vraiment à se caser. Il était plutôt à la recherche d'une sensation qu'il n'avait plus éprouvée depuis le lycée, un sentiment de plénitude intense lorsqu'il passait du temps avec celui dont il était tombé amoureux.

— C'est bien ce que je pensais, déclara Changbin, tu t'es pas envoyé en l'air depuis bien trop longtemps.

— Arrête, c'est gênant de parler de ma vie sexuelle comme ça.

— Ta vie sexuelle ? Mais quelle vie sexuelle ?

Minho déglutit. Il connaissait Changbin, et heureusement, sinon il se serait senti horriblement vexé par son ton moqueur. Il savait que c'était une façon de le faire réagir, de lui faire prendre conscience qu'il était peut-être temps de chercher une relation stable plutôt que de se terrer dans le travail. Parce qu'il savait que Minho avait envie de vivre une histoire sentimentale, qu'il avait de l'amour a donner et qu'il avait aussi besoin d'en recevoir. Mais il avait peur du rejet, peur de souffrir et de voir les prétendants défiler sans jamais trouver celui qu'il lui fallait. Il était tombé amoureux une seule et unique fois, mais cela remontait au lycée. Changbin connaissait toute l'histoire puisqu'ils étaient amis depuis cette période, depuis qu'ils s'étaient retrouvés dans la même classe et que le courant était tout de suite bien passé entre eux.

— Pourquoi t'as jamais tenté quoi que ce soit avec Jisung ?

Minho se crispa de la tête aux pieds et son cœur s'emballa dangereusement. Le seul fait d'entendre ce prénom lui donnait des frissons. Il n'avait jamais pu oublier ce jeune homme pour qui il avait craqué dès lors que leurs regards s'étaient croisés. Il savait qu'il y avait quelque chose entre eux, mais l'un comme l'autre n'avait jamais osé faire un pas en avant.

— C'est… j'ai pas trop envie de parler de ça.

— Tu l'as jamais oublié, c'est quand même pas rien comme situation. J'ai l'impression que tu restes bloqué sur ça, et franchement j'arrive pas à comprendre.

Il ne comprenait pas lui-même comment après tant d'années il n'était pas capable d'avancer. Il ressassait toujours le passé et s'en voulait d'avoir loupé une occasion pareille. Peut-être que leur histoire n'aurait pas durée, mais il aurait au moins essayé.

— Je sais pas, peut-être parce que même si on s'est jamais mis ensemble, je ressentais un truc hyper fort pour lui, et que j'ai jamais retrouvé ça avec quelqu'un d'autre.

— Mais des mecs il y en a à la pelle, il suffit de chercher.

Minho haussa les épaules.

— Ça me dit rien, je suis pas trop chaud pour faire des rencontres de toute façon.

— Crois-moi, il y a un truc entre tes jambes qui doit être bien chaud pour faire des rencontres. T'as pas peur que ça explose un jour ?

Changbin lâcha un rire avant de terminer le reste de sa bière d'une traite. Minho ne put s'empêcher de rire à son tour. Il devait bien avouer qu'il avait parfois envie de retrouver de l'intimité avec quelqu'un, ça lui manquait même s'il tentait de faire croire le contraire. Mais plus que du sexe, c'était une connexion spéciale dont il avait besoin. De l'affection, une personne qui saurait le comprendre et en qui il pouvait avoir confiance.

— D'ailleurs, fallait que je te passe le mot… annonça Changbin.

Minho fronça les sourcils.

— Y'a une réunion des anciens élèves bientôt, ça serait sympa d'y aller pour retrouver tout le monde.

— Hors de question, rétorqua-t-il.

— Pourquoi ?

— Parce que… non, j'ai pas envie de voir que tous nos anciens camarades ont réussi à se construire une vie heureuse alors que je suis encore solo.

Changbin secoua la tête tout en roulant des yeux.

— Je suis solo aussi, on se tiendra compagnie comme ça.

— On sait très bien que tu vas pas le rester longtemps. Tu serais même capable de te taper une de nos anciennes amies.

Il haussa les épaules.

— Pas faux, mais c'est pas le sujet. En plus, t'es peut-être célibataire, mais tu vas pouvoir te la péter. T'as ta propre entreprise, t'as un appartement magnifique et une grosse bagnole. Je t'assure que les copains vont être bien jaloux. Ils ont peut-être une femme, mais ils ont sûrement pas une aussi belle voiture.

— Tu dis vraiment n'importe quoi.

— Et puis peut-être que Jisung sera là.

Cette fois, Minho se figea. Il eut l'impression que son cœur avait cessé de battre. Il ignorait si c'était une bonne idée, peut-être que le revoir n'allait rien arranger. S'il découvrait qu'il avait quelqu'un dans sa vie, il risquait d'être terriblement déçu.

Mais peut-être que cela lui permettrait aussi d'enfin avancer.