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54| Temps

⚠️ ce chapitre est extrêmement long... Aussi je suis très stressée à l'idée de le poster (je suis très contente du rendu mais bref) donc je vous répondrai dans quelques jours :')

Bonne lecture xx

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Min Chonay

La voiture progresse vers les barrières de sécurité, derrière se dressent les grandes tours du GM qui surplombent les mortels et engloutissent le ciel. Je passe par l'entrée arrière du centre, au volant d'un imposant van noir dont les vitres sont teintées. Une perle de sueur coule sur ma tempe à mesure que je me rapproche, j'essaie de ne pas crisper mes mains sur le volant. Il faut que je me détende. La voiture devant moi passe enfin la frontière, après six minutes d'angoisse. C'est à mon tour. Mes yeux inspectent les deux cabines de garde de chaque côté de la barrière. Je prends une profonde respiration et extirpe ma carte de l'APMM de mon veston.

L'un des gardes me fait signe de baisser la vitre. Son air sévère se transforme en une mine stupéfaite lorsqu'il me découvre au volant. L'expression neutre qu'arborent mes traits contraste avec l'appréhension grandissante fourmillant dans mon ventre. Ils se mettent tous les deux immédiatement au garde à vous.

« Bonjour agent fédéral en chef Min. Nous sommes obligés de savoir ce que vous transportez... »

Le plus proche des deux se penche légèrement vers la fenêtre et regarde à l'arrière du véhicule où un immense drap noir est tendu au-dessus des sièges. Les battements de mon cœur accélèrent, faites-en sorte que tout se passe bien.

« Des gadgets. » Réponds-je simplement.

L'autre gardien observe une nouvelle fois ma carte d'agent, peinant à y croire.

« On peut vérifier ..? »

Je jette un coup d'œil vers l'arrière puis au-delà des barrières, à la recherche d'un visage familier. Mais qu'est-ce qu'il fabrique ? Je tape du pied, nerveux, mon visage n'en montre cependant rien. Mon masque de fer les refroidit, ils déglutissent, hésitent à vérifier d'eux-mêmes et n'attendent que mon signal. Je regarde une dernière fois derrière les palissades : aucun mouvement, pas un seul homme. La nuit se met en plus à tomber et recouvre la ville de son voile sombre. Je ne peux les retarder indéfiniment, cela serait suspect.

« Oui, allez-y. »

Ma voix grave les fait frémir, leurs regards dubitatifs se posent dans le mien, impénétrable. Ils se tâtent encore une fois à vérifier le contenu de mon véhicule. Ma présence les intimide, mon aura d'alpha les encercle et les pare de doutes usants. Ils ont peur de mal faire, pourtant, ils ne font que leur travail. L'un d'eux ouvre finalement la portière. Mes poumons se compressent, l'air se comprime derrière les barreaux de sa cage. Reste calme Chonay. Je jette quelques regards en avant, plein d'espoir —toujours rien—, mon attention se repose sur le jeune garde. Nos yeux se croisent, il déglutit et les baisse aussitôt sur le drap.

Il inspecte dans un premier temps le dessus du linge, hésitant, les mains tremblant presque ; puis il attrape le bord. Mon corps se tend, il faut que je fasse quelque chose, mais quoi ?! Mon cœur s'affole, sur le point de pulvériser ma poitrine ; il s'apprête à soulever le tissu lorsqu'une exclamation cinglante le coupe net dans son action. Les gardes se retournent tous, main sur leur arme, vers l'agent qui vient d'arriver. Un soupir discret m'échappe, la pression sur mes épaules retombe d'un coup. Enfin.

Un homme trapu, aux cheveux bruns brossés soigneusement sur le côté, portant un costume taillé sur mesure pour sa silhouette carrée, se dirige en furie dans notre direction. Son badge brandi devant lui. C'est un collègue, l'agent Hyun, qui vient juste de me tirer d'affaire. Les gardes s'inclinent et le laissent arriver à mon niveau.

« Qu'est-ce que vous faîtes ? Laissez Chonay passer ! »

Les gardiens s'exécutent en vitesse et retournent dans leur maisonnée pour ouvrir la barrière. Je referme la vitre et attends que l'agent monte à l'avant avec moi. Il pousse lui aussi un long soupir, une fois la portière fermée, et me lance un regard complice.

« Désolé pour le retard, on a eu chaud sur ce coup-là. »

Je secoue la tête, à la fois excédé et amusé par son audace, et reprends ma route dans les profondeurs du GM. Mon collègue me guide dans l'obscurité qui se termine sur les portes d'un immense hangar, notre destination. Un hangar privé, sans caméra, où personne n'a le droit d'entrer sans l'accord de l'agent Hyun. Il est placé à un endroit idéal, non loin de la tour de contrôle, là où l'alimentation réseau est la plus élevée.

Les lumières blanches s'allument derrière notre passage et éclairent l'entrepôt vide, encerclés de murs d'acier où le moteur résonne et ajoute un côté inquiétant à cette atmosphère singulière. Les roues crissent sur le sol à l'arrêt, je descends sans attendre et pars ouvrir le coffre.

« C'est bon, la voie est libre. »

Je m'écarte et regarde le drap valdinguer en-dehors du coffre, sous des protestations virulentes.

« J'ai cru que j'allais mourir ! J'étouffais là-dessous ! » S'exclame Jungkook, sortant le premier du van.

Namjoon le suit et lâche un profond soupir de soulagement. Il prend avec lui son énorme sac rempli d'appareils et de matériel avant de frapper l'épaule du plus jeune.

« Tais-toi, tu peux même pas imaginer à quel point j'étais stressé quand le garde allait soulever le drap. C'est moi qui étais au bord hein ! »

Jungkook se retourne vers lui, la mine blasée.

« Oui mais toi au moins, t'avais de l'air. » Réplique-t-il.

C'est au tour de Hynseok de sortir, aidant ma femme à descendre du coffre. Sa voix rauque fait cesser leur querelle en un instant.

« Jungkook, arrête ça veux-tu ? On a plus important. »

Son fils le regarde dans le blanc des yeux, un échange acéré électrise l'air, pourtant aucun des deux ne désire en découdre. Ils souhaitent se pardonner mais leur fierté leur en empêche. Des hommes comme Hyunseok, j'en ai rencontré très peu dans ma vie. Il dégage quelque chose d'impressionnant, les gens auront tendance à vouloir lui tenir tête pour lui prouver qu'il n'est pas si charismatique que ça, qu'il n'est pas aussi solide et intelligent, pourtant au bout du compte, ils se retrouveront bien démunis face à sa force de caractère et sa présence écrasante. Jungkook ne fait pas exception, il aimerait lui prouver un tas de choses que des mots ne pourraient expliquer.

Une main délicate me caresse alors le bras, ses doigts fins viennent se glisser dans les miens. Je me tourne vers ma femme qui est arrivée en toute discrétion, ne voulant pas m'interrompre dans mon observation. Elle me connaît par cœur.

« Tu vas bien ? » Me demande-t-elle tout bas.

Un sourire tendre se dessine sur mes lèvres, mes doigts fermes se resserrent avec douceur dans les siens.

« Oui, ne t'en fais pas. »

Ma voix douce apaise ses inquiétudes qui persistent dans sa tête depuis que nous avons quitté la maison. Je veux la rassurer mais ne peux lui promettre la sécurité. Mon plan est risqué, mis en place dans la précipitation ; aucune étape de la mission est fiable. Tout peut basculer à n'importe quel moment si l'un de nous fait un seul faux pas, et pourtant, aussi fou que cela puisse être, nous allons le faire.

Mon collègue s'approche alors de nous et analyse chaque personne dans la pièce. Il nous compte et mémorise nos visages.

« Tout le monde est là ? » Dit-il d'une voix assez forte pour attirer l'attention. « Bien, j'ai récupéré des costumes trois pièces avec les mesures de Namjoon et Kura que tu m'as données Chonay. Si j'ai bien compris le plan, ils vont aller dans les prisons pour sauver ton fils ? »

Je m'avance d'un pas vers lui et hoche la tête, mon regard droit dans le sien.

« Exact. »

Un grognement à ma gauche parsème ma peau de chair de poule, ma tête se tourne vers Hyunseok, le regard ténébreux. Une aura malfaisante l'entoure et se propage autour de lui, nous étouffant. Il s'élance vers l'agent et se retrouve devant lui en une fraction de secondes. Une de ses mains l'empoigne par le col tandis que l'autre commence à fouiller ses vêtements, à la recherche d'un mouchard. La silhouette de mon collègue se tasse devant son immense stature. Il n'ose pas bouger, pétrifié par l'agressivité dont fait preuve Hyunseok.

Je me précipite vers le vampire et l'arrête dans ses gestes. Ses prunelles orageuses plongent dans les miennes inflexibles ; il me montre ses canines, l'air menaçant, mais son attitude ne m'intimide pas. Je resserre ma poigne autour de son bras et le tire à l'écart des autres, l'esprit agité. Hyunseok me foudroie d'un regard noir mais ne se débat pas. Une fois suffisamment éloigné, nos silhouettes se rapprochent dans un coin plus assombri, nous apparentant à deux comploteurs en pleine action.

« Je sais que vous ne faîtes confiance à personne... et vous avez raison. » Commencé-je d'une voix posée. « Mais il faut faire avec. Si cela peut vous rassurer, l'agent Hyun était présent lorsque votre fils s'est fait interroger à l'université, suite au meurtre de Kim Seokjin. Il avait déjà trouvé le comportement de l'inspecteur Jung très étrange vis à vis de Taehyung et souhaite nous aider à le choper. » Je chuchote encore plus bas. « En plus, il va rester sous votre surveillance dans le hangar, vous pourrez agir si vous le trouvez suspect. »

Il ne me répond pas tout de suite, pesant le pour et le contre, même s'il sait que nous n'avons pas le choix. Soit on coopère, soit on meurt. Il finit par hocher la tête au bout de quelques secondes, l'air grave, et revient auprès des autres ; non sans jeter un regard mauvais à l'agent. Hyunseok décide de suivre mes directives, il a établi une confiance en moi, comme chacun des membres du clan. Je dois tout faire pour honorer ce lien.

« Bien. Kura, Namjoon. Pendant que vous récupérerez Yoongi ; Jungkook et Hyunseok vous guideront. » Enoncé-je, en les regardant tour à tour. « Cependant, vous ne pouvez surtout pas prendre le contrôle des caméras, modifier leur trajectoire ou effectuer des zooms ; vous vous feriez repérer. Le GM possède un système de sécurité bien plus performant, à la moindre suspicion de piratage, l'alarme se déclenchera. Vous pourrez seulement leur indiquer le chemin ou les prévenir s'il y a un garde ou un autre agent. »

Jungkook hoche la tête, la détermination brûle dans ses prunelles. Hyunseok se dirige déjà vers le coffre pour sortir le matériel dont ils auront besoin pour craquer le système. Ma femme attrape un petit sac où se trouve les oreillettes, des petites puces que l'on coince dans le pavillon de l'oreille pour pouvoir communiquer, et en distribue une à tout le monde.

« Avec ça, vous pourrez communiquer avec nous. » Dit-elle aux deux vampires avant de se tourner vers moi. « Et si j'ai bien retenu, il y a un champ magnétique au sous-sol qui nous empêche d'établir une télépathie avec Yoongi, c'est bien ça ? »

« Oui, on pourra reprendre contact quand vous le sortirez de là. Ne pensez pas non plus à sauver Taehyung, il est dans une cellule trop éloignée et bien mieux gardée. » Lui réponds-je, calme.

Tout le monde garde le silence, on reste tous concentrés sur nos diverses tâches. Mes pas résonnent entre les murs du hangar, la température basse rafraîchit nos esprits échauffés. Mes yeux surveillent la moindre action effectuée entre les murs, rien ne m'échappe. J'inspecte en silence les préparatifs, me remémore en boucle chaque partie du plan, et ce que je dois faire pour qu'il réussisse.

Mon collègue s'avance de nouveau au centre de la pièce, ayant quelque peu retrouvé ses esprits, et s'adresse directement à mon cousin avant de jeter un coup d'œil à ma femme.

« Namjoon et Kura, il y a une porte que vous devrez passer avec des cartes d'accès... » Il leur tend à chacun une carte magnétique. « ...mais également, une deuxième qui nécessite l'empreinte de votre annulaire. Je vais les prendre et j'essaierai de faire au mieux pour les enregistrer dans la base des données avant que vous n'y arriviez. Sinon, vous ne pourrez pas passer la porte et vous vous ferez repérer. »

Mes pas s'arrêtent net, un silence de plomb s'abat dans l'enceinte du bâtiment. Ce n'était pas prévu. Le GM a élaboré son système de sécurité au cours de ces dix dernières années, ce n'est qu'en étant à l'intérieur de la structure que l'on peut en connaître les failles et les dangers.

Hyunseok n'apprécie pas ce changement, tout comme moi, mais son fils le maintient sur sa chaise pour continuer à préparer les ordinateurs. Kura, elle, s'éloigne avec l'agent Hyun, sans s'y opposer ou hésiter. Elle sait que j'arriverai à rattraper ce contre-temps. Namjoon la seconde, plus incertain, le doute vacille dans ses prunelles qu'il pose dans les miennes, tranquilles. Il veut être rassuré, tout ce qui est hors de son contrôle l'angoisse très vite, d'autant plus qu'il ne peut pas faire machine arrière. Je ne fais qu'hocher la tête, sans lui exposer de grandes promesses, mais lui insuffle un peu de courage. Une tonne d'incertitudes tourbillonne sans cesse dans mon esprit, de tous les côtés, à chaque instant, mais ma figure de chef de clan doit rester intacte. Nous sommes tous assaillis par nos angoisses et nos peines, mais naviguons sur le même bateau où les flots troubles du Styx peuvent nous engloutir n'importe quand.

Namjoon part les rejoindre et je me dirige vers Jungkook pour l'aider à ordonner cet amas de fils. Il faut relier les ordinateurs entre eux et orienter la parabole en direction de la tour de contrôle. Hyunseok arrive à nos côtés, un énorme moteur dans les bras.

« Ok, Jungkook passe moi le câble d'alimentation. On ne va surtout pas se brancher à l'électricité du bâtiment mais à cette base. Je ne prends aucun risque. »

Son fils s'exécute, ses gestes sont fluides et efficaces. Il ne perd pas de temps à se poser des questions, il sait où il va. Le système numérique n'a l'air d'avoir aucun secret pour lui, tout comme son père. Hyunseok a également beaucoup de savoir-faire, il connaît tous ses gadgets, a dû les vérifier encore et encore avant de les commercialiser aux plus grandes firmes d'armement. Tous deux savent s'y faire, craquent les codes et pénètrent le système, mais en regardant bien, ni l'un ni l'autre n'ont la même façon de procéder. Hyunseok n'a pas transmis son savoir ou même sa technique à Jungkook, son fils a tout appris par lui-même. Comment ? Je ne pense pas vraiment vouloir connaître la réponse, son père non-plus d'ailleurs. Depuis le début, tout me démontre qu'il était au courant des capacités de son fils mais n'a jamais voulu découvrir la vérité, ses agissements passés.

Une évidence me frappe soudain, un sourire étire légèrement la commissure de mes lèvres, attendri. Jungkook est la plus grande faiblesse et la plus grande force de Hyunseok, tout comme le sont mes fils.

« Tout est prêt. »

Jungkook m'arrache à mes pensées et pose son regard flamboyant dans le mien. Il attend mes instructions. Son père enfile un casque à hautes fréquences, muni d'un micro, et passe le sien à son fils. Namjoon revient à ce moment, en tenue, un costume noir qui sied à ses courbes. Néanmoins, sous cette allure remarquable se cache un jeune homme rongé par l'anxiété. Il se dirige vers son sac à dos et en extirpe sa boîte de pilules, les mains tremblantes, il prend la plus forte contre le stress, et l'avale sans hésiter. Je le laisse faire, il est loin d'avoir franchi les limites de son traitement. L'angoisse est naturelle ; en moi tout est ravagé, l'inquiétude me ronge constamment les tripes, je sais juste la maîtriser.

Je vois du coin de l'œil Jungkook observer la scène, apeuré à l'idée que Namjoon fasse une bêtise. Ce jeune loup épatant se retrouve perdu dans des insécurités entêtantes. Seulement, il va réussir à remplir sa part dans la mission, car s'il n'en avait pas été capable, jamais son père ne lui aurait donné l'autorisation de nous rejoindre. Nous devons nous faire confiance, là réside la vraie force de notre clan.

La figure mince de ma femme se place alors aux côtés du géant grelotant, sa main chaude se dépose sur l'avant-bras de Namjoon. Ils échangent un regard, Kura lui offre un sourire tendre.

« Ça va aller. » Lui chuchote-t-elle.

Namjoon se détend un peu et dépose sa peine dans un coin de son âme. La tension en nous diminue, même si le plus dur est encore à faire.

« Ok, tout est sous contrôle. »

Nous nous tournons en direction de cette voix grave et assurée. Jungkook et Hyunseok sont en position. Ils replacent leur micro et testent deux/trois fois nos oreillettes. Les six ordinateurs face à eux sont branchés les uns aux autres et reliés à l'énorme moteur ; sur leur écran, on peut voir défiler les vidéos de surveillance. Plus de 400 caméras qui tournent en permanence dans les bâtiments du GM. L'agent Hyun s'avance un peu vers eux, gardant néanmoins ses distances avec le père.

« Je reste là, et toi Chonay, tu vas aller distraire les gardiens dans la salle de surveillance ? » Me demande-t-il, soucieux.

Mes pas me mènent vers le coffre du van, ma main attrape un béret militaire que je visse sur ma tête. Personne ne fera vraiment attention à moi de cette façon. Dans la foulée, je vérifie une dernière fois que mon arme est bien chargée et refais le plein de munitions.

« Oui, je vais détourner leur attention quand Kura et Namjoon seront au sous-sol. Combien de minutes te faut-il pour entrer leurs empreintes dans la base ? »

« Quatre minutes environ. »

J'hoche la tête et pivote vers les membres de ma famille qui me regardent déjà.

« Ok, on enlève le « environ ». Vous n'aurez que cinq minutes à partir de la deuxième porte pour délivrer Yoongi. L'agent Hyun vous récupérera avec le van dans le parking du sous-sol. Evitez le plus possible les gardes, battez-vous que si nécessaire. » Mon regard décidé percute l'âme ardente de Hyunseok. « Aidez-les. »

Il reporte son attention sur les ordinateurs et acquiesce.

« Comptez sur nous. » Répond Jungkook.

Nous ne nous attardons pas plus sur les formalités. L'équipement est en place, la mission peut commencer.

Ainsi, Kura, Namjoon et moi, nous élançons vers l'extérieur du hangar après avoir vérifié qu'aucun garde ne patrouillait à l'entrée. Ils prennent à gauche et je m'aventure seul à droite. Au bout de quelques secondes, mon regard s'échappe derrière et capte celui de ma bien-aimée. Nos iris s'interpellent, se contemplent une dernière fois avant de faire face aux problèmes qu'engendrera notre action. L'amour et la peur se diluent dans le fond de ses prunelles, les portes de mon âme ne s'ouvre que pour elle.

Je t'aime.

Au tournant du couloir, les aiguilles du temps récupèrent les secondes et enclenchent le compte-à-rebours au fond de ma poitrine. Il faut faire vite, l'inspecteur Jung va bientôt prévenir le juge Lee de la connaissance de leur plan. Si les agents sont mis au courant, la mission échouera.

Mes jambes me portent dans les longs couloirs remplis de monde. Certains agents m'ignorent, portant peu d'intérêt à un « simple soldat », d'autres plus curieux s'attardent sur mon visage assombri par le chapeau et s'arrêtent en me reconnaissant. Je maintiens une cadence soutenue tout au long de mon trajet, ma silhouette esquive les corps mouvants, se pressant autour de moi. Mon cœur accélère à chacune de mes foulées, le stress grimpe petit à petit en mon être. L'ascenseur principal se trouve au fond de l'allée, les portes vont bientôt se refermer. Vite.

J'accélère un bon coup et arrive à rentrer juste à temps. A l'intérieur, les discussions battent leur plein. Les travailleurs sont tous serrés les uns aux autres et continuent de parler de leur dernière affaire ou de leur repas du midi. Seulement, lorsque je me place à l'avant, un silence s'abat dans l'espace clos. Tous les regards sont fixés sur moi, plus personne n'ose parler. J'ai même l'impression qu'ils se sont écartés et que leur respiration s'est coupée. Cette sensation d'être épié m'est désagréable, partout où je vais, c'est toujours la même chose. Les personnes changent de comportement en ma présence, certains pensent même s'attirer mes faveurs, leur hypocrisie m'horripile.

Je surveille ainsi avec la plus grande impatience les numéros des étages défiler jusqu'au seizième. A peine les portes ouvertes, mon corps s'échappe de la cage. Je fonce en direction de la salle des caméras, indiquée par divers panneaux. Là, de plus en plus d'agents s'affairent, pris dans des vagues successives, chacun penchés au-dessus de leur tablette ou suspendus à leur téléphone.

J'arrive enfin à me faufiler au cœur de l'activité, des longs corridors dédaléens et des bureaux à n'en plus finir. Là, dans une salle reculée où est inscrit « salle de surveillance », la lumière bleue des ordinateurs agresse la rétine. Une multitude d'écrans parsème les murs et illumine la pièce d'une lueur irréelle. Ma bouche s'entrouvre, ébahi par ce spectacle surprenant et grandiose. Ici, rien n'échappe à personne. Une trentaine de gardiens sont à leurs postes, assis sur de longues chaises en face de divers vidéos et observent chaque mouvement qui a lieu dans les bâtiments. Des agents s'activent autour d'eux et leur demandent divers enregistrements pour des enquêtes en cours. Cette effervescence me subjugue et m'angoisse. Vais-je vraiment réussir à détourner leur attention ?

Un agent, avec qui j'ai beaucoup travaillé sur ma dernière affaire, passe devant moi, les yeux rivés sur un calepin. Il m'avait ressorti les enregistrements d'il y a dix ans où on voit le père de Taehyung voler les données au sein du GM. Une nouvelle idée éclaire soudain mon esprit comme un éclair fulgurant qui s'abat sur les plaines de ma conscience. Ma main attrape d'instinct son bras, sans trop le brusquer ; son regard percute le mien. J'enlève de suite ma casquette et révèle mon identité sous ses yeux stupéfaits. Quelques personnes se dérobent de leur travail en me voyant, les gardiens se retournent sur leur siège pour confirmer les bavardages qui prolifèrent. Les distraire sera peut-être plus simple que ce je m'imaginais...

« Bonjour agent, puis-je vous parler un instant ? » Dis-je sur un ton pressé.

Ses sourcils s'arquent, la stupéfaction se lit sur ses traits. Il s'empresse de mettre son bloc-notes sous le bras et me prête toute son attention.

« Oui, bien sûr que puis-je pour vous agent fédéral en chef Min ? »

Je réprime une grimace à l'entente de cette formule de politesse et continue.

« Agent Min suffit. » Le repris-je, en lui octroyant tout de même un sourire de politesse. « J'aimerais en fait que vous m'apportiez les enregistrements que je vous avais demandés il y a quelques mois et que vous les affichiez sur tous les écrans lorsque je vous le demanderai. »

Il fronce les sourcils, confus, et se frotte les mains, l'air embarrassé.

« Tous les écrans ? »

« Oui, tous. » Répété-je cette fois-ci d'une voix ferme.

L'intensité de mon regard le met au garde à vous, il acquiesce plusieurs fois de la tête avant de s'exécuter.

« Aucun soucis. »

Il file sans plus tarder vers l'arrière de la salle, récupérer les enregistrements. Je me mets ainsi à marcher dans la pièce et fais semblant d'examiner le travail des gardiens qui n'osent plus se retourner, figés devant leurs vidéos surveillance. Mon regard se promène en réalité de caméras en caméras, à la recherche de deux silhouettes. Je finis par les trouver dans un des corridors, elles se pressent et évitent tout contact avec les autres.

Namjoon et Kura ont passé la première porte avec les badges, maintenant, il faut espérer que les empreintes soient enregistrées avant la deuxième. Il faut réussir.

Le visage d'Eumae se projette alors dans ma mémoire, une boule amère se forme dans ma gorge. Où est-il en ce moment ? Est-il encore en vie ? Les traits de Yoongi se dessinent ensuite derrière les siens, plus doux et enfantins. J'espère qu'il va bien, mon Yoongi... Ce que je m'apprête à faire pour les sauver va à l'encontre de tous les principes que je m'étais assignés, l'honneur du clan risque d'être bafoué et mon statut rejeté. Cependant, je ne peux me résigner à laisser tomber mes fils, quitte à faire basculer les fondements de ma vie. Je vais mentir à tous ces gens, grâce à l'estime et la confiance qu'ils me portent. Je vais tout démolir en cinq minutes.

Mes paupières se ferment, mon attention se focalise sur ma respiration lente et profonde. Je dois faire le vide dans mon esprit et ne pas succomber à la panique. Jungkook et Hyunseok font de leur mieux pour guider Kura et Namjoon, il faut aussi sauver Taehyung. Je n'ai pas le droit à l'erreur, il faut que je sois convaincant. Je rouvre ainsi les yeux et les pose sur ma femme, magnifique, gracieuse, contempler sa silhouette m'apaise étrangement.

Ils arrivent bientôt à la deuxième porte, les empreintes.

« Agent Min, tout est prêt. »

Mes prunelles ne quittent pas un seul instant la vidéo, mon cœur tambourine avec un peu plus de ferveur. Ils butent à la porte, un garde a l'air de les interpeller. Ils réessaient, une, deux fois, puis, elle s'ouvre après quelques caprices. L'air emplit de nouveau mes poumons, ne m'étant même pas rendu compte d'avoir coupé ma respiration.

Ok, maintenant, cinq minutes.

« Vous pouvez mettre la vidéo. » Lui annoncé-je.

Je me dirige vers une petite estrade au centre de la pièce, là où sont contrôlés les écrans, et m'y poste, l'air fier et confiant. Soudain, la salle tombe dans le noir. En une seconde, l'ensemble des vidéos de surveillance est remplacé par le vieil enregistrement. Des regards affolés s'échangent, des employés essaient de reprendre le contrôle des machines, certains sont même prêts à déclencher l'alarme. Quelques uns remarquent alors ma présence sur l'estrade, d'abord confus, ils font ensuite signe à leurs voisins de se taire.

Petit à petit, les visages se tournent vers moi, un calme oppressant s'abat dans cette salle où l'agitation est toujours reine. Au bout d'une minute, les regards curieux et perçants s'illuminent dans le noir, l'impression d'être épié par des prédateurs n'attendant qu'un frisson de leur proie pour l'attaquer. Je prends une grande inspiration et m'avance, ma comédie peut commencer.

« Comme vous pouvez le voir sur cette vidéo prise il y a dix ans par une des caméras de la base de données du GM, un homme a dérobé des informations à la source. »

Quelques murmures s'écoulent dans la pièce et créent un tapis sonore assourdissant. Les employés se tournent vers les écrans et regardent plus attentivement la vidéo ; ils la commentent, s'insurgent, se demandent comment cela a bien pu se produire. Ce tourbillon de paroles s'étend et martèle mon corps de craintes, je ne fais rien pour l'arrêter. N'ayant ainsi aucune réponse à leurs questions, le silence se rétablit de lui-même. Je jette un bref coup d'œil à ma montre : encore 3 minutes. Ma tête se relève vers l'assemblée impatiente.

« Six dossiers ont été dérobés il y a dix ans et n'ont toujours pas été retrouvés. Il est ainsi de notre devoir de veiller sur nos données, pour le bien de tous, et en priorité celle de la population. »

Plusieurs acquiescent, des sourires téméraires étirent leur bouche. D'autres restent fermes, préoccupés par mes propos inquiétants. Un malaise s'empare de mon corps, cette situation est tellement ironique. Je parle de sécurité pendant qu'un prisonnier s'échappe. Mon action me dégoûte profondément. Ce n'est pas moi ça, pourtant, je suis là devant ces braves agents à leur vendre un discours qui ne vaut rien.

« Cet homme, on ne sait pas ce qu'il voulait... Ni si ses intentions étaient bonnes ou mauvaises mais en tant qu'agent, il faut toujours pouvoir contrôler l'entrée et la sortie des informations. » Continué-je.

Tout simplement répugnant Chonay.

« Une enquête a-t-elle été effectuée ? » Demande soudain une femme.

Je me tourne vers elle, presque solennellement, et lui délivre toute mon attention.

« Oui, elle avance bien. Nous révélerons bientôt toute la vérité. »

Ma réponse égaille l'esprit des plus sceptiques, l'ambiance semble même être à la fête. Ils s'échangent des regards heureux et fiers, me transmettent leur joie et leur admiration avec quelques exclamations. S'ils se sentent autant concernés, la raison est simple : c'est parce que pour eux, j'incarne la réussite auquel beaucoup d'agents aspirent. Je suis un agent fédéral en chef qui fait la fierté de son pays.

J'ai honte.

« Je suis fier de pouvoir me tenir aujourd'hui devant vous tous. Ne vous blâmez pas de trop si un malheur venait à se produire, vous avez tous fait de votre mieux. »

Je regarde une nouvelle fois ma montre, les cinq minutes se sont écoulées.

« Merci à tous de m'avoir écouté. Vous pouvez retourner à votre travail. » Finis-je, le cœur lourd.

Des applaudissements font trembler les murs de la salle, les compliments fleurissent. Je suis dégoûtant. Mes pieds enchaînés aux remords peinent à descendre les marches de l'estrade, mes forces diminuent petit à petit au milieu de cet océan de corps. Mon regard évite le leur, pétillant. Je ne mérite pas tout ça, je vais les décevoir dans quelques heures. Les écrans reviennent ainsi à la normale, mes prunelles fatiguées parcourent les différentes caméras. Plus aucune trace de Namjoon et Kura. Ils ont réussi.

Je m'apprête à sortir de la salle, l'estomac retourné par ce qui vient de se produire, lorsqu'un agent m'interpelle et se courbe plusieurs fois devant moi. Mes pupilles se perdent sur sa silhouette, mon esprit devient blanc. Mais qu'est-ce que j'ai fait ?

« Merci pour votre discours, ça redonne le moral aux troupes vous savez. »

« De rien, tout le plaisir est pour moi. » Dis-je du tac au tac, tel un robot.

Je lui adresse un sourire de politesse et me précipite en-dehors, le cœur battant à tout rompre. Mes pas me mènent loin de mon infâme mensonge, de mes actes traîtres. Tout me revient en pleine figure. Comment vais-je pouvoir assumer toutes les conséquences ?Je reprends ainsi ma route d'un pas las, lorsque cette voix dont je pourrais reconnaître le timbre entre mille résonne dans ma tête. Mes membres se paralysent, mon regard se perd sur le mur blanc immaculé, reflet de mon esprit. Une grotte creuse et froide où l'eau calme abrite mes tourments.

« Papa ? »

Je mime son prénom du bout des lèvres, les lettres tombent au fond de mon âme et résonne entre les parois mouillées par mes pleurs. Je n'ai toujours rien dit qu'il continue de sa voix étranglée, complètement paniqué.

« Papa, c'est vrai pour l'exécution de Taehyung ? »

J'essaie de respirer. Mon souffle tremblant remue ces pensées atterrantes et contraste avec mon ton convaincu. Mes poings se referment avec violence, mes bras en tremblent presque.

« On n'a pas le temps de discuter de ça maintenant, il va falloir te battre. » Arrivé-je à formuler.

Tout autour de moi, le silence ; dans ma tête, le néant. Yoongi a entendu, il ne répond cependant pas. Le silence s'étire, ce silence éternel qu'aucun ne souhaite confronter. Le silence de quelqu'un, perdu et dont le cœur a été sauvagement piétiné par des desseins mortels.

« Papa... j'ai peur. »

Ma poitrine se remplit de nuisibles terrifiants, entendre mon fils se livrer me laisse immobile. Le lac sombre de ma grotte encaisse des pics neigeux où tout se brise et meurt. J'aimerais lui délivrer mes angoisses au creux de ses mains mais ne peux me le permettre. A quoi bon ? Je ferme les yeux et retiens les larmes dans mon être délabré, mon ton reste ferme malgré les sentiments désolants qui étreignent ma tête.

« Je sais... Protège ta mère et Namjoon, s'il te plaît... » Je marque un temps, ne me focalise que sur les battements de mon cœur. « Je ne te demande pas cela en tant que futur chef du clan mais en tant que mon fils. Tu es fort malgré tes faiblesses Yoongi. » Je suis fier de toi. « Courage. »

Je mords ma lèvre et me redresse, décidé à poursuivre cette mission désespérée.

« Merci papa... »

L'émotion m'assomme et se pare d'un mystère intriguant, un tas de mots plus justes et plus doux inondent ma tête mais les flots tempétueux m'empêchent de les repêcher. Ils restent emprisonnés dans un tourbillon de douceur pour retomber au fond des eaux croupies. Yoongi coupe la télépathie, mon être se retrouve démuni.

Je n'ai rien pu lui dire d'autre, de plus rassurant et cher à mon cœur.

Mes pas reprennent ainsi leur chemin, plus lents et désordonnés, mon corps chancelle à l'image de mon esprit qui ne sait plus. Je m'enfonce dans ce labyrinthe de couloirs inconnus, me demandant où aller, que faire, lorsque mon instinct d'alpha s'éveille soudain, puissant et violent. Mes yeux vides découpent la figure de ce grand homme, au long manteau noir, qui avance aux côtés de plusieurs agents. L'inspecteur Jung. Le danger éveille mon corps de sa profonde léthargie, tous mes sens en alerte. Je bondis sur le côté, sans réfléchir à deux fois, et me plaque derrière un mur. Le stress bat à nouveau dans mes veines, angoissé.

Heureusement, ils ne m'ont pas vu et passent devant moi avant d'entrer dans la salle des caméras. Merde, c'est pas bon. On n'a plus de temps à perdre. Je jette alors un dernier coup d'œil, m'assurant que personne ne m'aperçoive, et renfonce le béret sur ma tête. A partir de maintenant, il faut être invisible. Le doute et la peur sont balayés par mon objectif à nouveau dressé dans ma tête, clair et précis. Un feu ardent s'embrase dans le lac qui vire au teint vermeil.

Je clique sur mon oreillette et laisse entendre ma voix déterminée :

« Ici Chonay, on passe à la deuxième étape du plan. »


Kim Taehyung

Allongé sur le sol humide de ma cellule, ma silhouette se fond dans les ténèbres. Les yeux mi-clos, je peine à discerner les barreaux noircis par la crasse, ces remparts qui me replongent au sein du néant le plus terrifiant, celui de mon esprit. Je tourne la tête, un mouvement pénible qui éveille une douleur lancinante dans le creux de ma nuque. Je grimace, ma joue s'étale davantage sur le parterre glacial. Cette sensation poisseuse s'imprègne sur ma peau et se diffuse dans ma poitrine jusqu'à m'en pourrir le cœur.

À ma droite, un lit étroit est collé au mur, le matelas doit être aussi confortable qu'une planche de bois. Il m'est impossible d'atteindre cette misérable paillasse, immobilisé au sol. Mon âme s'est assombrie, perdue dans ses pensées mornes ; mon corps n'a plus de guide. Quelques ampoules éclairent l'obscurité, une lueur artificielle qui ne peut parer l'épaisseur de mes ténèbres. Le désespoir et la fatigue dominent la palette de mes émotions, aussi sombre que le couloir s'étendant sous mes yeux défaits. Les souvenirs surgissent soudain, perdus entre les mains joueuses de la Mort.

Ma fin est proche, je le sais.

Un rire amer franchit mes lèvres et rebondit sur les murs, une silhouette spectrale se détache de la pénombre en m'entendant ; un garde inspecte ce que je fais. L'homme reste muet en me voyant à terre, couvert de crasse, détruit ; il me considère un instant puis se remet à sa place. Le silence est assourdissant, les battements de mon cœur se sont éteints depuis un moment, ne laissant qu'un creux béant.

Tout ce que j'ai essayé de façonner depuis dix ans n'était qu'une vaine illusion, pourtant, elle me paraissait si réelle et si douce... Cette vie était un espoir, une chimère, un énième radeau auquel j'ai voulu m'accrocher pour survivre à cette tragédie. Je pensais réussir à créer quelque chose auprès de Hyunseok et Seoyeon... de Jungkook et... de Yoongi. Un sanglot étranglé ébranle le calme mortuaire de la prison. Ses traits fins se retracent sous mes paupières, étranglent ma peine. Mes lèvres miment son prénom, l'épousent à la perfection mais aucun son ne résonne.

« Monsieur ? On m'a prévenu de votre exécution. Nous partirons dans trois heures ... » Murmure soudain le garde.

Je n'ai même pas perçu l'homme bouger. Mes pupilles courent sur son visage telles deux fantômes errants et froids, il se détourne aussitôt et retourne à son poste. Ma voix brisée, abattue par mon destin cruel, s'étouffe dans la nuit.

« Ils ont gagné... Ils vont réussir à tuer le dernier survivant. »

Mes larmes amères coulent dans cet océan de noirceur qui m'emporte sur ses flots. Mes paupières se closent, en un instant, le fil de mes souvenirs se tisse dans le cimetière de ma mémoire. Dix ans se rembobinent comme un vieux film qu'on appréhende de visionner une nouvelle fois...

Ma candeur a toujours été un fardeau.

J'avais 11 ans.

J'étais dans la demeure familiale, mon père était encore à son bureau avec cette vieille enquête qui durait depuis quelques années déjà. Tout était paisible, le soleil brillait haut dans le ciel et le vent était doux. Ma mère était revenue du travail, mon frère et ma petite sœur étaient descendus jouer. Nous étions tous dehors à l'exception de mon père. L'odeur des roses et des cerises chemine dans ma conscience, les fleurs enivraient les recoins de notre jardin et les grands arbres dessinaient des ombres mouvantes sur les murs. J'étais allé cueillir un des plus beau lys et montais les marches quatre par quatre pour l'apporter à mon père.

Dans son bureau se trouvait toujours un océan de papiers ; cela faisait pourtant quatre ans qu'il n'était plus allé en ville travailler au GM. Seulement, la véritable raison, je ne l'avais jamais vraiment saisie. Il était toujours sur cette enquête dont il inspectait méticuleusement chaque élément, il y consacrait son existence. Il ne me montrait jamais le contenu de ses dossiers mais me laissait le regarder travailler. Voir sa grande carrure se détacher dans le tourbillon bleu me rendait insignifiant. L'admiration que je portais à mon père était sans limite. L'impression qu'un colosse se dressait devant moi et exécutait un labeur titanesque. Il était impressionnant, épatant. Parfois, mon menton se posait sur le bord de son bureau et mon regard plongeait dans ses yeux anthracites. Un reniflement amusé déridait alors ses traits froncés par la concentration.

Sa grande main venait plonger dans ma tignasse épaisse et la décoiffait sous mes protestations. Dans ces moments-là, il m'observait toujours avec ce sérieux et cette mélancolie qui lui étaient propres. C'était toujours ainsi avec mon père, on n'arrivait jamais à cerner ses pensées. Un mystère planait continuellement autour de sa vie.

« Un jour, c'est toi qui révèleras la vérité Taehyung. » M'avait-il dit.

Il me disait souvent ce genre de phrase énigmatique que mon jeune esprit ne pouvait saisir.

« Quelle vérité papa ? »

« Je t'en parlerai lorsque tu seras plus grand. » Me répondait-il toujours.

La sonnerie de l'interphone retentit alors à travers la maison. Le grand clocher résonnait fort dans ma poitrine, je me redressais et courais à en perdre haleine vers le portail. Ma mère avait ouvert la porte à la famille qui venait d'arriver. Ils nous rendaient visite au moins une fois par semaine, c'était chose commune de se voir depuis que nous avions déménagé à la campagne, il y a quatre ans.

Je me jetais ainsi dans les bras de l'aîné, Jin, qui me rattrapait en plein vol et me faisait tournoyer dans les airs. Mes éclats de rire faisaient frémir les feuilles des arbres. Il m'avait beaucoup manqué pendant son service militaire et je chérissais à présent chaque moment passé à ses côtés. Il était toujours là à me faire rire, des blagues toujours plus nulles les unes que les autres, pourtant, depuis son retour du service, j'avais senti que quelque chose s'était brisé en lui. Son sourire était moins lumineux que dans sa jeunesse innocente ; et parfois, ses yeux s'effaçaient dans le vide ; il voyageait ailleurs, seul dans ses pensées parsemées de mines. Cependant, il ne m'a jamais montré une seule faiblesse, ni à ses parents, ni à ses frères et sœurs. Sa force me fascinait, j'aspirais à devenir comme lui.

Quand nous étions ainsi tous réunis, une atmosphère paisible encerclait la maison. Nous avions l'impression d'être dans notre bulle, à l'écart des ennuis. Dans ces moments précieux, mon père descendait se détendre en compagnie de nos fidèles amis. Les repas étaient animés par nos discussions tantôt frivoles, tantôt enflammées. Les rires les ponctuaient et la brise printanière apportait de la fraîcheur dans nos cœurs.

Ma mère, elle, venait souvent me retrouver le soir. Quand j'étais tout petit, elle s'asseyait sur le bord de mon lit et passait du temps avec moi. C'était notre moment à nous, un moment que j'affectionnais particulièrement. Avant, elle me contait des histoires fabuleuses peuplées de personnages héroïques, puis à partir de mes 8 ans, elle préférait me demander ce que je gardais sur la conscience. Elle enlevait ces idées sombres de ma tête avant de retracer les lignes de mon visage et rabattre la couverture sur mes épaules menues. Ces gestes doux et lents apaisaient mon corps et mon démon.

Elle me faisait toujours me sentir en sécurité ; elle était mon port d'attache, la barque dans les ténèbres mouvants qui me ramenait toujours sain et sauf au bord de la rive.

« Maman, tu resteras toujours avec moi ? » Lui avais-je demandé un jour, innocent.

Ses yeux aimants m'avaient couvert d'un million de caresses.

« Bien sûr, je serai toujours là. » M'avait-elle répondu en tapotant doucement ma poitrine, à l'emplacement de mon cœur.

« Et papa aussi ? »

Elle m'avait souri et je n'avais pas su déceler l'amertume qui hantait son esprit.

« Oui, toujours. »

Tout était tranquille, à ce moment-là, et personne n'a pu anticiper la tragédie qui s'abattrait sur nos familles.

C'était une nuit de pleine Lune. Les songes enveloppaient mon esprit apaisé jusqu'à ce que quelqu'un ne perturbe mon sommeil. Je me suis réveillé avec difficulté, mes yeux cernés peinaient à voir le visage terrifié de ma mère dans le noir. Une odeur de brûlé m'avait saisi juste après, mon regard avait parcouru la pièce et s'était consumé dans les flammes pourpres qui engloutissaient mes rideaux. Je m'étais ainsi précipité derrière elle à travers les couloirs, les hurlements de mon frère et de ma sœur retentissaient à mes oreilles. Leurs cris déchirants martelaient mes tympans et remplissaient mon cœur d'une peur sourde. Ma mère ne lâchait pas ma main, se précipitant vers les voix ; nous allions tourner dans un couloir pour rejoindre le rez de chaussée lorsque nous vîmes un homme qui se tenait à l'entrée, une folie meurtrière brillait dans le fond de ses prunelles. Ce regard froid et bestial est resté ancré dans ma mémoire.

Il a brandi son arme dans notre direction, le métal froid brillait dans la pénombre et sa balle d'argent a déchiré la toile de nuit. Ma mère nous l'a fait esquiver de justesse et s'est précipitée à l'autre bout du couloir. Sa main tenait fermement la mienne, ses doigts m'en arrachaient presque la peau.

Là, au bout, il y avait une fenêtre, elle n'a pas hésité une seconde et m'a dit de grimper sur la gouttière pour m'échapper par en-bas, en rejoignant le jardin puis la forêt. J'ai hésité en voyant l'effroi dans ses pupilles d'habitude si chaudes et calmes mais le ton de sa voix était sans appel, elle était terrifiée.

« Taehyung, fais ce que je te dis et saute ! »

Je me suis donc exécuté, le coeur battant à tout rompre. La peur brûlait mes entrailles mais mon corps était emporté dans un tourbillon incandescent. L'adrénaline réussissait à me faire agir et animait mes gestes. J'ai pu ainsi atteindre le jardin, sous le sifflement des balles, et ai commencé à courir en direction de la forêt lorsqu'un coup de feu éclata, suivi d'un cri perçant, celui de ma petite sœur.

Je m'étais arrêté net dans ma course, les idées en vrac. Le doute, ce poison, tétanisait mes membres. Fallait-il y retourner ou pas ? Au risque de me faire tuer ? Mais ma famille ? Je ne suis rien sans eux... Comment va faire ma petite sœur, elle qui n'a toujours pas appris à se défendre ? Et mon frère, est-il en lieu sûr lui aussi ? Papa... Que fais-tu pour arrêter ça papa ? Les larmes brouillaient ma vue. Tant de questions tambourinaient dans ma tête, menaçaient de s'effondrer sur mon esprit abattu. J'étais effrayé, dissimulé derrière un grand chêne pour éviter ces balles sanglantes. Pourtant, avant même que je ne puisse prendre une réelle décision, mon corps avait bougé. Ma mère m'avait bien crié de fuir mais l'angoisse de les perdre, sans avoir rien fait pour les sauver, m'était insupportable. Je ne pouvais me résigner à les laisser dans cet enfer.

Je me suis donc retourné et ai foncé tête baissée dans la gueule du loup. Les hommes n'étaient plus aux balcons, me pensant sans doute déjà loin. J'escaladais ainsi une fenêtre ouverte au premier étage et fonçais en direction de la chambre de ma petite sœur. J'allais tourner lorsqu'un homme se précipita dans l'habitacle, mon cœur pulsait avec hargne contre ma poitrine. Mon regard est alors tombé sur les gros couteaux de cuisine, à ma gauche. Ils étaient glissés dans leur boite, utilisés pour couper le poisson ou la viande. Une idée insensée germait dans mon esprit drainé, déserté par la raison. Je fonçais comme un fou dans la cuisine et empoignais un gros couteau avant de m'élancer dans la chambre de ma sœur. J'ouvris la porte dans un grand fracas. Deux hommes se trouvaient là, celui qui venait de rentrer était le plus proche de moi. Il eut à peine le temps de se retourner que je plantais la lame dans sa chair. Je la sentais se déchirer, se modeler sous ma force démesurée. Le sang jaillissait de la plaie, le cri étouffé de ma victime m'éveilla de ma transe barbare. Je retirais doucement le couteau, les mains prises de tremblements, mon action m'était aussitôt revenue en mémoire. Je réalisais enfin lorsque l'homme tomba sur moi, raide mort, et me protégea des balles de son acolyte.

Je partis sans attendre de la chambre, mon tee-shirt souillé de sang, et me cachai derrière un des meubles du couloir. Le deuxième meurtrier me poursuivit en-dehors et s'arrêta de suite, ne me voyant plus. Il recommença à s'avancer doucement, ses pas étaient quasi indiscernables. Ma prise sur le couteau se raffermit, la peur était de nouveau repoussée. Mon démon repeuplait les terres ravagées de mon esprit, la rage pompait dans mes veines ; j'hurlais vengeance et ne souhaitais que faire la peau à ces hommes qui avaient osé s'en prendre à nous. Mon cœur se mettait à ralentir à l'allure de ses pas, mon esprit enseveli de pensées folles ne se concentrait plus que sur le souffle de ma proie. Il avançait à pas feutrés, ses sens en alerte ; encore un peu et il était à ma portée.

Il n'était plus qu'à quelques centimètres, prêt à être happé par mes dessins cruels, lorsque une déflagration inattendue nous fit traverser le mur.

J'étais sonné, ma tête tournait, mon corps avachi sur les ruines. Nous avions été projetés dans une autre salle, les dernières cloisons s'étaient effondrées. Le feu dévorait la maison, l'air devenait irrespirable. Un nuage de fumée nous embaumait de sa chaleur étouffante et ses cendres dansaient autour de ma silhouette svelte. Je me dépêchai d'en sortir, le bras gauche dans un sale état, et évitai avec habilité mon poursuivant pour filer une troisième fois vers la chambre de ma sœur. Du moins ce qu'il en restait. Les murs avaient été pulvérisés, les débris s'éparpillaient sur les meubles qui prenaient dans les flammes ardentes.

Ma tête se tournait de tous les côtés, l'angoisse montait dans mon être et me tordait le ventre, les poumons envenimés par la braise froide. Elle virevoltait dans l'air où la chaleur devenait de plus en plus insoutenable, mes forces diminuaient chaque minute, mon corps affaibli par les émanations de l'incendie.

Je la vis alors, là, au milieu des ruines. Mes yeux étaient écarquillés par l'effroi, les larmes au bord du précipice. Le bas de son corps était coincé sous d'imposantes pierres, son bras atrophié ne bougeait plus et une immense flaque de sang ajoutait sa touche finale à ce tableau désastreux. Je me précipitai vers elle et me jetai à genoux, les mains tremblantes, suspendues, ne sachant plus que faire. Une boule enserrait ma gorge et mes pleurs retentissaient dans toute la bâtisse prise dans le feu des enfers. J'étais au centre du chaos, ma petite sœur allongée sous mes yeux impuissants, moi, épuisé, tétanisé d'horreur. Dans un élan désespéré, je me mettais à soulever la pierre de toutes mes forces, mes genoux taillés par les bouts de verre jonchant le sol, pourtant, à ce moment précis, la panique voilait la douleur qui lançait chaque partie de mon corps.

Soudain, un coup de feu me fit tressaillir. La balle ricocha à quelques centimètres de moi. Je tournai la tête pour voir l'homme de tout à l'heure, une arme brandie en ma direction. Il était énervé, une veine apparaissait dans son cou et ses yeux se noyaient dans un océan de noirceur. Il allait tirer une seconde fois, le canon placé entre mes deux yeux. Il fallait faire quelque chose, n'importe quoi, mais mon corps refusait de bouger. J'étais figé, complètement anéanti par le corps décharné de ma petite sœur. Si je ne faisais rien, un deuxième cadavre allait s'échouer aux côtés du premier. Seulement, l'espoir diminuait, j'étais prêt à embrasser ce bout de plomb pour qu'il me sauve du cauchemar. Je fermais ainsi les yeux, vaincu.

Un cri de rage fit vibrer ma poitrine. Ma mère surgit de nulle part et sauta sur mon agresseur. Ses crocs sortis, sa figure menaçante le surplombait. Elle était prête à tout pour me sauver. Elle agrippa l'arme à feu de toutes ses forces et essaya de lui arracher, elle était déchaînée. L'homme déstabilisé tomba à terre, elle le fit rouler sur le dos, ses mains comme des serres de rapace tentaient de l'étrangler. La lutte n'en finissait pas, chacun se débattait au mieux pour échapper à l'autre. Mon cœur allait s'arracher de ma poitrine, je n'arrivais toujours pas à bouger et restais là, recroquevillé, au milieu du néant.

Elle arriva alors à tirer une arme du pantalon de son assaillant et la pointa sur lui, je vis cependant l'homme profiter de l'ouverture. Son revolver dirigé en direction de ma mère. Un nuage de poussière voila la scène, deux coups de feu ébranlèrent mon âme. Plus un bruit ne se fit. Le temps me parut long, il s'étendit, oppressant. Une des deux silhouettes que l'on pouvait à peine discerner se releva alors. Je n'arrivais pas à voir qui avait bien pu remporter ce combat acharné, la voir s'avancer me faisait angoisser.

La fumée se dissipa au fur et à mesure, et le visage terrassé de ma mère apparut. La joie remonta comme une bouffée d'air frais dans mon organisme, des larmes me montèrent aux yeux, soulagé ; cet instant de bonheur fut succinct. Mon regard fut attiré par son flanc droit ensanglanté. J'eus à peine le temps de réaliser qu'elle s'effondra. Elle se mit à ramper vers moi, désespérée, son visage me laissait entrevoir sa crainte. J'étais parvenu à la rejoindre, la voir dans cet état avait réussi à débloquer mes jambes prises de spasmes. Mes pleurs faisaient trembler la demeure engloutie par l'incendie.

Tout n'était que désolation.

Mes bras chétifs avaient recueilli son corps et logeaient sa tête au creux de mon torse. Sa main pâle s'éleva dans les airs et se déposa sur ma joue, la caressant du bout des doigts. Elle était douce.

« Enfuis-toi Taehyung... » Murmura-t-elle, les yeux voilés de tristesse.

Des bruits de pas résonnaient entre les ruines et se rapprochaient dangereusement de notre position. Je relevais la tête dans leur direction, craintif, mon cœur reprit sa course folle. Ne me voyant pas bouger, ma mère se mit à hausser le ton. Son bras s'échoua dans les cendres.

« Va-t-en Taehyung ! »

Son hurlement me terrorisait bien plus que le danger qui nous pourchassait. Si je m'en allais, elle allait mourir. C'était simple, simple et cruel. Les hommes se rapprochèrent encore, leurs silhouettes se mouvaient à travers les flammes.

« Je t'ai dit de partir ! »

Elle s'égosilla et des larmes se mirent à dégringoler sur son visage. Elle me repoussa de quelques centimètres, les mains chevrotantes, et se remit à me hurler dessus, en pleurs. Mon esprit se fissura, les souvenirs de cet instant se gravèrent dans mon âme.

« Enfuis-toi Taehyung ! »

Je n'ai jamais su pourquoi à ce moment précis je l'avais écouté, ni quelle force m'avait poussé. Mes pupilles restaient plantées dans les siennes effrayées tandis que mes membres se coordonnèrent. Je me relevai, mes jambes étaient faibles, elles arrivaient à peine à soutenir mon poids. Mes pieds reculaient à tâtons, mon regard posé sur son corps étendu dans les cendres noires.

« Cours ! »

Elle continua de crier, avec toujours plus de violence. Des hommes apparurent, nets, tels des diables débouchant des enfers. Ils coururent vers ma mère sans défense. Mon souffle se coupa, mes pas ralentirent mais son dernier hurlement, contrastant avec l'amour éclatant dans ses prunelles, me fit déguerpir.

« Cours Taehyung et ne te retourne pas ..! Jamais ! »

Je m'enfonçai ainsi à travers les ruines, esquivant les débris brûlants, et entendis un coup de feu au loin. Il résonna en moi, une larme amère glissa sur ma tempe. La joue qu'elle avait caressée me piquait, cette sensation délicate enfouie à jamais. Je sortis en quelques minutes de l'incendie et pénétrai la forêt obscure, les cris de mes poursuivants me glaçaient le sang.

Ils étaient proches et je n'étais plus assez fort pour leur échapper. De toute façon, qui me caresserait la joue ? A qui apporterais-je un lys ? Qui aurais-je pu protéger et admirer ? Qui ..?

Mes pensées se noyaient dans un brouillard lugubre et ma cadence ralentissait, mes poumons asphyxiés par les cendres ne me permettaient plus de continuer. Tout allait s'achever lorsqu'une main puissante m'attrapa soudain le poignet et me fit reprendre la course. Je relevais le regard sur le dos droit de cet homme. Le plus majestueux et intriguant des hommes. Mon père.

Mon frère courait derrière lui. Nous nous enfonçons tous les trois dans les bois, essayant d'échapper à nos ravisseurs. Une flamme se raviva dans mon âme, l'espoir me stimula. Je pensais qu'on aurait une chance de s'en sortir ensemble. Nous accélérions, évitions les racines, et arrivions à les semer au bout de quelques minutes. Ils criaient différents directions pour nous attraper, leurs mots ne faisaient que m'angoisser. L'impression qu'ils me percutaient de tous les côtés. Nous étions enfin arrivés vers l'autre côté de la petite vallée, bientôt un champ se serait étendu sous nos pieds et nous aurions pu nous cacher dans les grandes herbes, regagner le prochain village. Je reconnaissais le cerisier à côté d'un vieux bouleau, c'était un de mes endroits préférés.

Un sourire fleurissait dans ma poitrine, nous y étions presque, plus que quelques mètres... jusqu'à ce qu'une balle atteigne mon frère.

Mon regard s'était déposé sur sa silhouette, elle s'échoua sur la terre au ralenti, presque avec grâce, comme si ce n'était pas réel. Mon père se stoppa d'un coup et me poussa par réflexe dans les buissons épais, avant de s'agenouiller auprès de mon frère pour l'aider. Ma tête percuta le sol et me lança violemment, j'allais me relever pour leur prêter main forte, étourdi, quand une ombre menaçante étouffa les dernières étincelles qui subsistaient en moi. Un homme immense les surplombait, un revolver braqué sur eux.

Ses yeux glacials les scrutaient, un sourire sanguinaire déformait son visage illuminé de folie. Il se mit à ricaner, un rire froid à l'image de son propriétaire. La chair de poule parcourait mes bras, mon pouls semblait diminuer comme happé par la scène. Une tension brutale saturait l'atmosphère, leurs respirations essoufflées perturbaient le calme redoutable.

« Les informations sur nous, je sais que tu les as. » Dit-il, présomptueux.

Mon père soutint son regard incisif, il le défiait ouvertement.

« Si tu ne me le dis pas dans cinq secondes, je tue ton fils. »

Mon cœur s'était arrêté. J'avais cru mal entendre sa phrase. Elle m'effrayait et comblait ma poitrine d'angoisses étouffantes. Mon père ne fit rien, il devait être persuadé que c'était du bluff, il avait toujours été comme ça : confiant, maître dans tout ce qu'il entreprenait ; cependant la balle féroce fendit la brise délicate et pulvérisa ses dernières pensées. Mon frère s'échoua derrière lui, sa main frêle épousa l'herbe humide, prête à recueillir la source au creux de sa paume. Je retins un cri, des larmes silencieuses dévalaient mes joues abîmées de terreurs. Mon père était tétanisé, son regard se perdit dans le vide.

Le bruissement des feuilles donnaient un semblant de vie à la scène, j'avais froid. J'avais peur. Mon père ne voulait pas que j'intervienne, son attitude me le démontrait. Il n'a jamais jeté un coup d'œil dans ma direction pour garder ma position secrète. Il m'a poussé dans les buissons car il avait aussi anticipé ce genre de situation. Il était trop tard, il le savait depuis longtemps et me le faisait enfin comprendre.

Le meurtrier perdit cependant vite patience, agacé par l'attitude impassible de mon père. Trop calme. Il explosa au bout de quelques minutes, brandissant son arme.

« Tu sais, j'aurais préféré ne pas fouiller chez toi mais tu ne m'en laisses pas le choix. » Annonça-t-il. « Un dernier mot peut-être ? »

Un sourire infime s'esquissa sur le masque dur de mon paternel, il baissa la tête vers le sol.

« Un jour, tu révéleras la vérité. » Avait-il murmuré.

Sa phrase emplissait ma tête comme s'il n'y restait plus rien.

Un sourire sadique, se délectant de la désolation qu'il causait, se forma sur les traits flous du meurtrier. Le regard de mon père se posa alors dans le mien, il avait gardé sa tête basse de sorte à ce que l'homme n'intercepta pas notre échange déchirant. J'ai ainsi assisté à sa disparition. Ses prunelles semblables à des plaines désertes et solitaires m'avaient transmis sa peine et son remord, son expression resta marquée au fer rouge dans ma tête. Une brûlure lancinante s'était répandue dans mon âme comme une traînée de poudre, au moment où l'arme a libéré de ses entrailles ce petit bout de plomb fourbe et dévastateur.

Le bruit avait retenti dans la forêt noire comme le glas des morts.

J'avais attendu entre les feuilles, sous le choc, les émotions avaient quitté mon corps. L'homme était peut-être parti depuis longtemps lorsque je m'étais remis à courir, sans me retourner une dernière fois. Les cris de ma mère, le corps de ma sœur, la main de mon frère, l'aveu de mon père, tout était broyé en mon être. Mon démon se nourrissait du néant.

Cette nuit-là, la fumée déchirait le firmament de sa couleur orangée. Je m'étais enfui le plus loin possible du lieu du massacre, ne m'arrêtant de courir qu'au lever du jour.

J'ai erré pendant toute une année.

Mon périple a été long. J'ai foulé la terre de différents horizons, traversé des contrées que je n'aurais jamais envisagées explorer. Chaque paysage était différent et, pourtant, ils me paraissaient tous fades comme si les couleurs dans mon cœur s'étaient atténuées. Je n'entendais d'ailleurs plus ses battements. Mon être était ravagé. Ce regard froid et distant n'était aussi pas le mien, il arpentait parfois le visage des passants, à la recherche de réponses.

J'étais perdu... brisé.

Mes genoux flanchaient de temps à autre. La douleur dans mes membres surgissait subitement, me faisant prendre conscience d'à quel point j'étais épuisé. Les quelques détritus dont je me nourrissais ne suffisaient pas. Je m'arrêtais dans ces moments-là à une cabine téléphonique et composais sans relâche le numéro du clan Anje mais m'avais vaincu au bout de quelques minutes. L'espoir s'évanouissait. Mes forces m'abandonnaient et mon errance finirait tôt ou tard par déboucher sur le chemin de la mort.

Sans le savoir, j'étais arrivé dans une ville en périphérie de Séoul. Une nuit où je dormais sous le perron d'une bicoque, accompagné du concert torrentiel de la pluie, deux policiers m'ont réveillé et emmené au poste. Ils m'ont posé un tas de questions dont je ne pourrais même plus citer la première. Ma bouche était restée cousue, mon âme enchaînée au néant. Ils ont fini par laisser tomber et ont essayé de trouver mon identité par eux-mêmes, fouillant la base de données avec ma photo, en vain. Après plusieurs heures de recherche, ils avaient fini par abandonner. Tout le monde m'observait, intrigué, se demandait bien qui j'étais, ce que j'avais fait pour me retrouver dans cet état misérable. J'étais devenu un fantôme. Mon père avait déjà tout supprimé avant sa mort.

L'origine de mon nom, je l'ai trouvé là, assis sur ce banc trop pâle et trop dur de la station. Mon regard défait a parcouru l'immense tableau de personnes recherchées, ces affiches en abondance dont les bords étaient froissés. Ce nom de famille « Kim » revenait presque systématiquement dans la masse. Je n'ai alors pas trop réfléchi, lorsqu'un des policiers est repassé devant moi, ma bouche s'était entrouverte.

« Kim Taehyung. »

Il s'était empressé de le marquer sur un post-it avant d'alerter ses collègues de sa trouvaille. Suite à cela, j'ai été placé dans un orphelinat une semaine plus tard.

Le temps était long et mon humeur s'assombrissait un peu plus chaque jour. Je voulais être seul ; le monde m'effrayait, seulement cela, personne ne le comprenait. Chaque enfant qui se moquait de moi le regrettait amèrement, ils se retrouvaient amochés pour des raisons parfois bien trop futiles ; les femmes du pensionnat devaient sans cesse les soigner et m'avaient pris en grippe. Personne ne pouvait me supporter et tout le monde me craignait. Cette distance avec les autres ne faisait qu'élargir le gouffre béant dans mon cœur, mon démon avait toute la place pour s'y loger et grandissait, me dévorait petit à petit. Ma violence et ma tristesse rongeaient mon être comme de la vermine, les souvenirs heureux avaient disparu.

Les trois mois dans cet orphelinat ont été les plus douloureux de ma vie. Ils n'ont fait que renforcer la barrière que j'érigeais avec le monde. J'étais différent des autres, terrifiant et dangereux. Le monstre qui sommeille en moi m'angoissait, je ne savais comment le contrôler sans ma mère pour m'épauler, me bercer le soir de sa voix douce. Me la rappeler me fait toujours autant pleurer. Pourtant, aussi contradictoire que cela puisse paraître, sans mon démon, je perdais mon identité. Les vampires apprennent à contrôler leur démon au début de l'adolescence, à comprendre comment le monde fonctionne et surtout à différencier les pulsions de l'amour pour une âme-sœur ; c'est à cette même période que la vie m'a traîné dans la boue. Je n'avais ainsi jamais été capable d'apprendre à me connaître en profondeur, à apprivoiser la partie sombre de moi-même.

Monsieur Jeon était arrivé à ce moment de ma vie, tel un héros. Il m'a extirpé de ma solitude et de mon chagrin, tout en m'enfermant dans la quête impossible de mon identité. Mon démon avait été scellé par le collier et certaines de mes réactions m'étaient devenues incompréhensibles.

La première fois que je suis entré dans ma nouvelle maison, l'angoisse me tordait le ventre. Elle me paraissait immense et inquiétante. Une terre inconnue où le danger guette. Mon corps frêle se tassait derrière la jambe élancée de Hyunseok. Madame Jeon était arrivée vers nous, un plateau de cookies dans les mains, et s'était penchée vers moi en m'offrant un tendre sourire ; elle protégeait aussi un petit garçon derrière sa longue robe estivale. Il avait de grands yeux marrons qui me scrutaient, curieux. Mon démon s'était tout de suite réveillé, hostile. Cependant, le sourire du petit garçon laissa apparaître deux petites dents de devant —comme un lapin— qui m'attendrit. Hyunseok m'avait alors poussé vers lui, une main chaleureuse dans le dos, m'assurant qu'il n'y avait rien à craindre.

Ma tête était rentrée dans mes épaules, les joues cramoisies sous le regard joueur du plus jeune. Il a tendu sa petite main boudinée vers moi et a emmêlé ces doigts décorés de pansements à mon tee-shirt blanc. L'admiration et la curiosité dans ses prunelles me calmaient, cette innocence me réchauffait la poitrine.

« Alors, ça va être toi mon grand frère ? »

J'ai avalé ma salive, nerveux, et ai hoché simplement la tête. Mes pupilles n'ont pas quitté une seule fois son visage poupon, je crois que ce fut mon premier coup de foudre.

« Je m'appelle Jungkook ! » S'est-il exclamé d'une voix enjouée.

J'ai alors rassemblé toutes mes forces, rejetant toute la noirceur de mon esprit, et lui ai offert un sourire timide.

« Taehyung... »

Son sourire s'était agrandi davantage si ce n'était possible. Il m'avait ensuite tiré dans sa chambre pour que nous jouions à de multiples jeux, sous les regards attendris de ses parents. Au fur et à mesure du temps, la présence de Jungkook m'était devenue familière et chaleureuse, les sourires de Seoyeon étaient tout ce dont j'avais besoin pour me sentir mieux et Hyunseok m'apportait la sécurité. La vie reprenait son court au côté de ma nouvelle famille, la chaleur des rayons arrivait de nouveau à pénétrer mon cœur, seulement, la nuit tombée, les ténèbres revenaient enchaîner sa mince chair sous le firmament torrentiel.

La vie s'éteignait et les images de cette nuit-là revenaient. Elles étaient gravées dans le fond de ma pupille et, lorsque je fermais les paupières, elles se mettaient à tournoyer dans mon esprit tel un ouragan qui arrachait les dernières lumières sur les berges de ma conscience. Seoyeon venait me réveiller tandis que je criais ma grande peine dans ses bras, son pyjama trempé par mes pleurs intarissables. Hyunseok, lui, attendait que ma crise cesse avant de me rallonger dans mon lit et s'installer à mes côtés. Il restait jusqu'à ce que je me rendorme. Sa grande main calait ma tête contre son torse et me berçait doucement, jamais un mot doux ou une caresse, seulement sa présence qui me permettait de calmer la terreur habitant ma tête.

Le matin, au petit-déjeuner, Jungkook faisait toujours mine de ne rien savoir. Même si sa chambre juxtaposait la mienne et que mes hurlements l'ébranlaient et le terrifiaient tout autant que moi, il ne m'en avait jamais tenu rigueur et était toujours souriant, aimant. J'avais toujours été terrorisé à l'idée de le faire fuir mais il n'en était rien. Ce petit frère me faisait confiance et se confiait à moi, ce pouvait être tout, lorsqu'il s'était fâché avec ses amis ou quand il était triste car sa mère l'avait réprimandée. Il y avait peut-être là un espoir que je lui révèle aussi mes angoisses mais je n'étais pas prêt.

C'était pendant la nuit et au collège que je me sentais le moins bien. La réputation de l'orphelinat me collait à la peau. J'étais un sauvage, un « démon ». Je frappais sans la moindre hésitation ceux qui se moquaient de ma solitude, de ma maladresse ou de ma peur de l'autre. Même les plus téméraires avaient appris à m'éviter. Cependant, mes notes étaient toujours bonnes et ce fait énervait les professeurs aigris.

J'avais appris au fil des années à m'effacer pour ne plus causer d'ennuis, mon démon était mieux canalisé par mon collier et mes forces diminuaient. Ma silhouette s'éteignait dans un coin de la cour, hiver comme été ; au bout d'un certain temps, les élèves avaient aussi appris à m'ignorer et me catégorisaient différemment. « Le gars au fond de la cour » ou « le solitaire ». Ils avaient raison, ces surnoms me correspondaient, me caractérisaient ; pour autant, cet intérêt hypocrite mêlé à un mépris retenu me drainait. Subir cela tous les jours était semblable au chaos et influençaient mes changements d'humeurs qui devenaient de plus en plus incontrôlables. J'étais sans cesse tiraillé par l'envie de m'enfuir, de retrouver enfin la chaleur de la maison ; ou rester dans ma peine, suivre les leçons, supporter les critiques et les regards incisifs pour rendre monsieur et madame Jeon fiers de moi.

Mais cette peine a ressurgi un soir en des délires violents. La Mort pesait sur mes épaules, attendait de recueillir mon âme assiégée par ces cauchemars empreints d'une réalité cruelle : ma vie. Ma tristesse avait déchiré le firmament d'un hurlement perçant. Même éveillé, je me débattais encore avec mes draps, j'hurlais un à un le prénom de mes camarades de classe, ceux de ma famille et celle de Jin. Le collier autour de mon cou se resserrait à mesure que mon démon se réveillait, déchaîné et révolté. J'étais hystérique, je donnais des coups dans l'air, terrorisé par mes souvenirs. Mes cris se tarissaient peu à peu, ma gorge prise dans un étau. Ma voix ne devenait qu'un filet étouffé au bout de quelques minutes, mais ma rage, elle, ne s'atténuait pas. Je commençais à agoniser, étranglé, mais mon corps résistait. Je me tortillais dans tous les sens pour échapper à cette souffrance. La Lune faisait briller les larmes qui se décrochaient silencieusement sur mes joues creuses, comme les perles d'un collier qui se dérobaient et inondaient le drap de pensées désolées.

La porte s'était ouverte à la volée, contre toute attente, Jungkook était venu à mon secours. Il avait ses cheveux en pagaille, venant de se réveiller, ses traits encore enfantins étaient tirés par l'inquiétude. Il n'était pas bien grand au début du collège... Il avait sauté sur le lit et m'avait serré dans ses bras, me soufflant un tas de choses réconfortantes à l'oreille. Ses mots doux s'infiltraient lentement dans ma tête et apaisaient la tempête qui s'y était logée. Mon souffle reprenait peu à peu, le collier se desserrait.

Une fois revenu à mes sens, je l'avais enlacé à mon tour. Si fort. C'était à ce moment précis, au milieu des pleurs et de la tendresse, que quelque chose se déclencha en moi.

« Me quitte pas... » Avait susurré Jungkook au creux de mon cou, sa voix tremblante avait serré mon cœur.

Une larme avait roulé, silencieuse.

« Promis. »

Ma voix s'était brisée et la fatigue m'assiégea. Jungkook avait raffermi sa prise autour de ma taille et nous nous étions endormis ainsi, l'un contre l'autre, le calme s'était rétabli dans nos esprits.

Le lendemain, j'avais enfin pris la décision de révéler tout ce qui m'était arrivé à monsieur et madame Jeon. Le visage paniqué de Jungkook m'avait fait prendre conscience du gouffre dans lequel je croupissais. Je ne pouvais continuer à me cacher éternellement, en proie à mes peurs. J'avais attendu que mon petit frère soit sorti jouer avec ses amis pour tout dévoiler, la voix tremblante, le cœur battant.

Ils m'avaient écouté avec la plus grande attention, me laissant vider mon sac sans m'interrompre une seule fois. Un silence de plomb ponctuait les blancs dans mon récit et lorsqu'il fut fini, un malaise s'installa. Seoyeon avait beaucoup pleuré, ses larmes avaient fatigué de dix ans son visage délicat. Hyunseok, lui, m'avait serré dans ses bras, ôtant de mes épaules grêles le poids du désespoir.

« Tout va bien se passer à présent Taehyung. » M'avait-il murmuré. « Je te protégerai jusqu'à ma mort, je le jure. »

Mes paupières s'étaient fermées et ma respiration s'était calée au rythme des battements de son cœur d'or.

J'allais mieux après cela.

Au collège, la situation n'avait pas vraiment changé mais me rappeler qu'il ne me restait plus qu'une année dans l'établissement me consolait. J'allais enfin respirer.

Seulement, il me restait encore une étape : en parler à Jungkook. Cela s'avéra une tâche bien ardue. Je ne voulais pas l'effrayer, je ne voulais pas que son regard sur moi change. J'ai retardé ce moment le plus possible et continuais de l'observer grandir, toujours plus fort et beau. Il me rendait fier. Parfois, je revoyais en lui le malice de ma petite sœur et l'intelligence de mon frère. Un sourire mélancolique se dessinait alors sur mes lèvres. Les souvenirs heureux étaient revenus dans ma mémoire, mais toujours teints d'un profond chagrin.

Un beau jour de printemps, je décidais enfin de dévoiler mon passé à Jungkook. Nous venions de découvrir la trappe qui menait au sous-plafond et nous étions assis tous les deux sur les briques. La discussion était au début simple et bon enfant, puis, mes mots tâchés de pleurs ont été portés par le vent. Jungkook m'écoutait sans rien dire, une plaine chaotique habillait son regard. Je ne m'étais pas rendu compte à l'époque, qu'il était encore trop jeune, comme moi, trop pur pour être confronté à la réalité atterrante de ce monde. Je m'en veux encore aujourd'hui.

Il avait ainsi commencé à changer. Ce n'avait pas été radical mais, au fil des années, son cœur d'enfant s'était étouffé. Par ma faute. Quand je suis rentré au lycée, Jungkook était encore au collège. Il avait commencé peu à peu à changer ses fréquentations, des petites racailles qui lui avaient fait prendre sa première cuite en troisième. Je me souviens encore de l'état misérable dans lequel il s'était retrouvé. Il était rentré vers 4h du matin, heureusement pour lui, les parents n'étaient pas là ; je lui avais donc ouvert la porte après son acharnement sur la sonnette et l'avais retrouvé ivre mort, recroquevillé sur le paillasson, prêt à y passer la nuit.

« Mais qu'est-ce que tu fous ?! »

Il avait relevé la tête vers moi, un air perdu sur le visage. Un sourire idiot s'était alors formé sur ses lèvres sèches.

« J'sais pas... T'as mis longtemps al... J'lais dormir. »

Sa voix pâteuse m'avait tout de suite interpellé. Je me suis accroupi à son niveau, il empestait l'alcool.

« Putain Jungkook ! T'as bu ? » M'offusquais-je. « Allez relève-toi. »

Je lui tirais le bras pour le faire reprendre ses esprits mais je n'eues pas le résultat attendu.

« Non... j'bu que deux bo... »

Il n'a jamais pu finir sa phrase et a vomi tout ce qu'il pouvait sur les pantoufles toutes douces que Seoyeon m'avait achetées pour que j'arrête de me balader pieds nus dans la maison. Je me souviens de toute la retenue dont j'avais dû faire preuve pour ne pas lui hurler dessus. Le pire, sa tête était retombée dans la flaque verte-orangée et l'odeur commençait à me remuer les tripes. Un bras en-dessous de ses épaules, je l'avais hissé à l'intérieur de la maison et emmené jusqu'aux toilettes. Cette soirée, je n'avais pas fermé l'œil. Je l'avais nettoyé, lui avais apporté de l'eau et l'avais veillé pendant son sommeil. Le lendemain, ce petit ingrat avait juste grogné quelques injures et exigé que je lui apporte de l'aspirine...

Seulement, si ça n'avait pu être que cela... Mes années lycée s'était mieux déroulées. Il y avait plus de monde dans l'établissement, se fondre dans la masse était plus simple. Personne ne prêtait attention à moi, la solitude était ma seule compagnie ; je restais ainsi dans la cour lorsque le soleil daignait montrer sa parure. Ce mode de vie me convenait car rien ne bougeait en moi, mon collier ne s'était plus déclenché depuis ma crise au collège. Mon chagrin s'était dilué.

On ne peut pas en dire autant pour mon petit frère.

Quand j'étais dans ma dernière année, Jungkook rentrait au lycée. Ses relations étaient de pire en pire. Il passait ses week-end à sortir dans des endroits malfamés, le genre de lieu où l'on peut boire du sang d'inconnus, coucher avec eux et trouver des substances peu recommandées. Tout ça était bien évidemment interdit par la loi mais il n'avait pas l'air de mesurer le danger. Je n'aurais su compter le nombre de fois où il est rentré à la maison, débraillé, les yeux agrandis par des petites veines rouges et l'esprit désarçonné.

Il était devenu plus distant au fil du temps, il ne partageait plus ses craintes ou ses peines, pourtant, notre attachement ne s'était pas altéré. Notre relation s'était juste transformée, les non-dits s'éparpillaient dans nos silences et les secrets tronquaient nos mémoires.

J'étais rentré à l'université, plein d'espoir. Je voulais repartir à zéro, me faire des amis, me lancer des défis, explorer des capacités insoupçonnées et retrouver mon petit frère.

La première année, rien n'avait vraiment changé mis à part mon attitude irréprochable qui m'avait valu le poste de bibliothécaire de l'université. Là, j'ai découvert un nouveau lieu où me retrouver, parfois mes vieux démons revenaient me hanter entre les murs de la vieille bâtisse mais l'odeur des livres arrivait à m'apaiser. Je m'y sentais bien. J'ai ainsi cumulé les réussites, mes résultats en cours étaient bons, mon poste à la bibliothèque me convenait parfaitement et Jungkook revenait plus souvent à la maison. Il se plaignait parfois de ses amis —baragouinant un tas de choses que je ne saisissais pas— mais c'était clair, ils étaient une mauvaise influence pour lui. Seulement, les rares fois où j'ai voulu aborder le sujet, Jungkook m'avait remballé. « Ce n'est pas tes affaires » et il avait raison. J'avais donc laissé tomber et c'est finalement lui qui avait recommencé à discuter petit à petit. Peut-être lui avais-je manqué ? Il ne me racontait jamais ce qu'il faisait avec eux, ses "amis", mais il était plus ouvert sur les sujets qui le tracassaient.

Jungkook enlevait parfois son bracelet et m'expliquait la sensation que lui procurait son démon. Il avait l'air mieux lorsqu'il le faisait, plus sincère. Il arrivait à poser les mots justes sur ses sentiments. Je l'enviais. Moi, il était mort. Je ne l'avais plus ressenti depuis ma crise au collège. Quelque chose commençait à me manquer, seulement, impossible de comprendre quoi. C'est comme s'il y avait un rideau blanc dans ma tête. Lorsqu'une de mes réactions était inhabituelle, je m'arrêtais et passais à autre chose comme si ce n'était pas arrivé. Tout simplement car cela n'avait pas de sens pour moi, je ne pouvais l'expliquer.

Je ne me sentais pas moi-même, le collier me bloquait, et plus j'en prenais conscience, plus je me sentais différent. Pourquoi étais-je obligé d'en porter un que je ne peux pas enlever à ma guise ? A cause de mon traumatisme ? Ou était-ce encore autre chose ..? J'avais fini par me détacher du monde, j'apprenais plutôt à observer les gens et leur comportement. Parfois, plaisants ; d'autres, sans intérêt ; les derniers, hypocrites ; rares étaient les personnes mystérieuses dont je ne cernais pas les intentions. J'essayais de comprendre à travers ces émotions ce que je ne possédais plus, ce que l'on m'avait arraché. Assis devant la vitre d'un café, mon regard glissait souvent sur la foule agitée de Séoul. J'espérais, au fond de moi, trouver quelqu'un qui aurait bien voulu recueillir mon âme dévastée.

Deux années à l'université s'étaient ainsi écoulées et l'été était arrivé. La bibliothèque ouvrait ses portes pendant les vacances, et c'était sous un soleil de plomb que j'effectuais ma tâche. Je devais ranger tous les ouvrages rapportés ou laissés en vrac sur les tables d'étude. J'étais resté jusqu'à tard, une soirée où la Lune brillait de son éclat céleste. Le chariot devant moi, mes mains exécutaient machinalement leur travail. Je n'avais même plus besoin de réfléchir, je savais où se trouvait chaque bouquin.

L'allée 40 s'élançait sous mes pieds. A peine m'étais-je engagé dedans, un parfum agréable s'insufflait dans mes narines et happait mes sens. Il était là. Chaque jour, pendant les vacances, un client particulier venait lire divers ouvrages. Il s'installait toujours à la même table, son odeur saisissante se répandait dans tout le bâtiment et il était parfois pour moi difficile de me concentrer. Seulement, je n'étais jamais allé voir comment il était. Je me contentais d'humer son odeur.

Pourtant, cette fois-là, il était plus prêt.

Ma curiosité piquée au vif, j'avais décidé d'emprunter un chemin différent pour avoir une chance de le croiser. Mes pas dans l'allée résonnaient ou bien était-ce juste mon cerveau qui me le faisait croire ? Son odeur était de plus en plus forte, les battements de mon cœur accéléraient. C'était exquis. Je n'avais jamais rien connu de tel. Ma tête s'était alors relevée de mes babioles et mon regard avait croisé le sien d'un noir profond, hypnotisant.

Yoongi...

Du mouvement près de ma cellule m'arrache à mon passé, mes prunelles sombres observent les gardes s'activer dans la pénombre. Ils préparent ma sortie. Celui qui était positionné devant la porte, saisit son trousseau de clé et déverrouille la grille. Les deux autres se précipitent vers moi et me soulèvent du sol, me plaçant des menottes robustes autour des poignets. Leurs gestes brusques tiraillent mon corps courbaturé. Ils me font ainsi marcher en-dehors de ma cage, me faisant presser le pas, boitiller misérablement.

Le plus vieux des trois me regarde, il n'a pas l'air convaincu en voyant mon visage las. Il hésite à prononcer ses mots, une tonne d'interrogations tourbillonnent dans son esprit. Il doit se demander ce que j'ai fait pour en arriver là, pourquoi à mon si jeune âge on veut m'exécuter alors qu'il n'y en a pas eu depuis au moins vingt ans. Cependant, le travail et l'argent ont l'air important.

« Est-ce que tu as un dernier mot avant ta sentence ? »

Le silence est glacial, aucun mot ne me vient à l'esprit. Il faut juste l'accepter. Le garde me regarde d'un air peiné, perdu entre son devoir et la compassion. Il attend encore quelques secondes que je daigne lui répondre avant de se résigner. Il me place une cagoule noire sur la tête et les deux autres se mettent à me traîner. Le monde devient sombre. Je n'y vois plus rien...

cette lumière dans mon âme s'éteint.






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Petite histoire : j'étais dans l'avion quand j'ai écrit le chapitre et j'ai voulu faire une pause à un moment, j'ai donc eu la bonne idée de regarder "A Star Is Born" (que je n'avais pas pu voir au cinéma)... précision : j'ai dormi que 3h cette nuit et résultat : j'ai pleuré comme un gros bébé. Moi qui suis d'habitude une façade de pierre, ma mère s'est bien foutue de ma gueule. Bref, comment vous dire mon état quand j'ai repris l'écriture !

Sinon, avez-vous reconnu les cris de la mère de Taehyung ?
Au cas où, je vous donne la réponse : ce sont les bribes de souvenirs dont se rappelait Taehyung au début de RI (notamment chapitre 11 mais je les ai éparpillés un peu partout)

J'espère que vous êtes "content" de connaître enfin son passé mais aussi que vous arrivez à saisir toutes les subtilités psychologiques de Taehyung (qui est complexe)

Ame_futuriste xx

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