13| Dérapage 👺
Kim Taehyung
Le ciel est ombragé, un orage va éclater. Quelques gouttelettes mouchettent les fenêtres. La sonnerie stridente retentit dans l'amphithéâtre, les élèves se précipitent pour sortir tandis que je reste à rêvasser, observant les nuages danser et déverser leur mauvaise humeur sur la ville. Le professeur me sort brutalement de mes songes.
« L'école est finie jeune homme ! Tout le monde sort ! »
Je suis pris d'un sursaut. Son ton dur ne laisse aucune place à la discussion. Je ne perds pas un instant et sors sous son regard sévère. Suite à notre séminaire, les cours ont ré-attaqué fort. Le travail ne fait que s'empiler sur mon bureau. La fatigue m'est sujette ces temps-ci et le mauvais temps n'arrange rien à cela. Je me dirige ainsi vers les casiers pour déposer mes affaires et retrouver Yoongi, espérant retrouver un peu de ma vivacité.
Je marche en sa direction et assiste à une scène pour du moins comique. Un petit rictus étire mes lèvres. Yoongi tire sur la poignée de son casier, le corps légèrement incliné en arrière, il essaie de ne pas arracher la portière coincée en tirant trop fort.
« Besoin d'aide peut être ? » Pouffé-je, en arrivant à son niveau.
« Ferme-la, je vais... » Il force un peu plus. « ...y arriver ! »
Le casier s'ouvre d'un coup. Yoongi est propulsé en arrière et atterrit par terre, une ribambelle de lettres se dépose à ses pieds. Il soupir désespéré, le voir ainsi ne fait qu'agrandir mon sourire malicieux. De toute manière, je souris tout le temps en sa présence. Il peste contre le casier et finit par ramasser son courrier, prenant soin de ne pas froisser le papier. Je m'accroupis à ses côtés et l'aide dans sa tâche, tout comme lui l'avait fait à la bibliothèque. Mes pupilles analysent les lettres éparpillées : de la paperasse et trois autres différentes, des lettres d'amour, pff super.
Je lève les yeux au ciel. Une tension étrange s'immisce dans mon ventre, s'ils veulent déclarer leur amour de cette façon pourquoi pas hein. Je brasse le plus de lettres possibles, voulant vite en finir. Mon efficacité surprend Yoongi qui me scrute d'un air étonné et me laisse terminer. Il se relève et me tends sa main pour m'aider.
« Merci Tae. »
Mon sourire rectangulaire apparaît ce qui amuse beaucoup mon compagnon. Yoongi me prend alors les lettres des bras et essaie de les fourrer dans son sac, ce qui est peine perdu. Il y en a beaucoup trop.
« Bon je vais les porter à la main t'inquiète. En plus, il pleut dehors donc ça sera plus pratique. Je les mettrai sous mon manteau. » Débité-je.
« Ok, merci Tae. Allons-y ! » Me dit-il, souriant.
Nous sortons du bâtiment en courant sous la pluie battante. Yoongi grogne de mécontentement en sentant les gouttes s'abattre sur lui. Au bout de dix minutes interminables, nous arrivons en-dessous d'un gigantesque perron, trempés jusqu'aux os. L'odeur de chien mouillé me frappe alors, un léger rire franchit mes lèvres.
« Te moque pas ..! » Rouspète-t-il.
Je ne peux retenir mon rire. Il ouvre ainsi l'immense porte et s'apprête à la refermer sous mon nez, mais je la bloque avec mon pied, lui faisant les yeux doux par l'embrasure. Un regard tendre adoucit ses traits, il oublie bien vite ma moquerie et me fait entrer. Nous traversons en trombe son jardin boueux et arrivons sous le porche. Il ouvre la seconde porte. L'intérieur est à couper le souffle. Rien à voir avec la propriété moderne des Jeon. La maison me fait penser à celle du séminaire : traditionnelle, spacieuse et élégante.
« Je t'en prie. »
Je pénètre à l'intérieur et observe tout autour de moi avec grand intérêt. Nous déléguons nos chaussures dans l'entrée pour des chaussons. Yoongi appuie alors sur un bouton rouge renfoncé. Une petite servante brune accourt et nous donne des serviettes pour nous sécher. Je la remercie plusieurs fois en m'inclinant avec respect et lui découvre une mine étonnée. Ses yeux arrondis et sa petite bouche entrouverte me font sourire. Elle s'en va aussi vite qu'elle est apparue, ne laissant qu'un vent frais derrière elle.
« Notre servante est sourde. Elle a juste été surprise par ton mouvement. » Me dit Yoongi.
« Oh, d'accord ... je ferai plus attention ... » Dis-je songeur.
« Ne t'en fais pas pour ça. Ta spontanéité a dû lui plaire. »
Yoongi sourit à sa propre remarque avant de m'attrape par le bras et me tirer à sa suite. L'endroit où ses doigts me touchent est brûlant. J'aime cette sensation.
« Du coup tu parles la langue des signes ? » Lui demandé-je curieux.
« Oui. Mes parents, mes grands frères, un de mes cousins et moi l'avons apprise pour qu'elle se sente à l'aise ici. »
« Elle vit ici ? » Demandé-je intrigué.
« Oui comme le reste de la famille, sauf exception. »
« Ta famille ? Vous êtes beaucoup ? » Ma curiosité est piquée.
« En ce moment, il manque quelques personnes mais oui. » Mes yeux le fixent, attendant plus de détails, alors il continue. « ... à ce que je vois, on veut plus d'information sur ma vie ... » Sa remarque lui vaut une tape sur l'épaule, il pouffe. « Il y a —on va dire— le « cœur de la famille ». Mon père et ma mère dirige cette propriété dans laquelle résident mes deux grands frères, mes grands-parents paternels, mes deux cousins germains : Namjoon et Jimin, mon oncle et ma tante. Les membres de la famille éloignée sont répartis un peu partout dans le monde, contrôlant parfois des territoires entiers ou accordant leur protection à certaines villes. » Termine-t-il.
J'hoche la tête et le suit à travers des couloirs décorés de photos. Elle m'a l'air en effet très grande sa famille.
« C'est génial ... » Murmuré-je, mon esprit s'égare dans la tourmente de mes souvenirs.
« Taehyung, viens jouer avec moi ! »
•
« Taehyung, t'as triché ! »
•
« Ouais, je confirme. » Sa voix m'extirpe de mes pensées. Il pousse une porte dans un endroit désert. « Voilà, ma chambre. »
Son odeur s'engouffre dans mes narines. Ce lieu sera celui de mon péché. Son parfum y est bien trop vivace. Il entre dans la pièce et dépose toutes les lettres sur son lit. Il s'assoit ensuite dessus et attend que je daigne bouger. J'hésite encore un instant, figé à l'entrée, mes pupilles parcourent chaque recoin, chaque meuble, chaque objet ; son odeur danse tout autour de moi.
« Entre, entre ... Je ne vais pas te manger ... » Susurre-t-il, avec un sourire en coin douteux.
« Idiot. » Je lève les yeux, mon attitude le fait rire.
« Pose le courrier sur le lit. » Me dit-il en tapant la place à ses côtés.
Je respire doucement et fais ce qu'il me dit. Je dépose les lettres puis le regarde en silence. Cet échange est perturbant. Une tension inexplicable se crée entre nous et fait frémir mon corps. Mon cœur pulse fort dans ma poitrine. Ses yeux sombres emplissent mon monde, il n'y a plus que lui, encore une fois. Qu'est-ce qui m'arrive ? La porte s'ouvre brusquement et explose notre bulle. Ma tête se tourne vers l'inconnue qui fait son entrée. Des cheveux noirs ébène et des yeux ténébreux contrastent avec un sourire lumineux et des pommettes rondes. La jeune femme se tient dans l'embrasure de la porte, elle m'inspecte de la tête au pied avant de m'offrir un immense sourire.
« Ooooh mon chéri, tu as enfin ramené un ami ! » Elle s'avance vers moi, main tendue. « Enchantée jeune homme,. Je suis Kura, la mère de Yoongi. »
Son comportement me prend de court, je me lève par réflexe et m'incline en signe de respect. Sa main reste en suspens. Monsieur Jeon m'a toujours dit de ne pas agir familièrement avec des personnes que l'on ne connaît pas, surtout plus âgées. C'est incorrect.
« Je me présente Kim Taehyung, madame. »
« Voyons ne sois pas aussi formel et appelle moi Kura, veux-tu ? »
Je me redresse et croise son regard rieur. Je déglutis discrètement, encore dubitatif, et finit par acquiescer. Si elle insiste, il ne faut pas refuser. Ses prunelles noires me déstabilisent, il y réside à l'intérieur une émotion insaisissable... comme un juge attend de trouver la faille.
« Maman, arrête de lui faire peur. » Yoongi accompagne son reproche d'un soupir las.
« Roh Yoongi, tais-toi un peu, j'essaie justement de le mettre à l'aise ! D'ailleurs, venez prendre un thé avec moi, nous pourrons faire plus ample connaissance ! »
La femme tape dans ses mains, excitée, et sort de la pièce en chantonnant. Yoongi, lui, soupire une énième fois et se lève du lit avec une petite moue. Son comportement adorable lui redonne un côté enfantin.
« Bon bah on y va ... Ne t'en fais pas, elle est très gentille. » Me sourit-il.
J'acquiesce, heureux, et lui emboîte le pas jusqu'au salon. Ce dernier est dans un style japonais, sobre et majestueux. Une longue fleur longe un des murs blancs et expose les contours d'un cadre où est déposé de l'encens. Il m'installe sur un des coussins en tissu noir, autour d'une table basse en cèdre, et se positionne à mes côtés. Sa mère arrive de suite avec la théière et demande à la servante de préparer les tasses.
Elle s'assoit ensuite face à moi. Je ferme mon esprit, l'impression soudaine d'être pris au piège, et arbore une mine décontractée. Son sourire sincère m'intrigue, elle a l'air de vouloir être gentille mais cherche quelque chose en même temps... seulement quoi ?
« Et bien Taehyung, je veux tout savoir ! Comment vous êtes-vous rencontrés ? » Me demande-t-elle.
Est-ce un interrogatoire ?
« À la bibliothèque, près de l'école. Je suis le libraire. »
Je détourne les yeux et croise ceux de Yoongi. Un océan calme y réside, j'y plonge sans hésiter et me laisse engloutir par ces flots apaisants. Nous repensons à cette rencontre dans l'allée 64 de la bibliothèque qui a changé bien des choses dans ma vie.
« Tu aimes les livres ? » Me demande Kura, brisant mon échange avec Yoongi.
Je reporte mon attention sur elle et essaie de me concentrer sur les questions.
« Je les adore, j'ai lu tout ceux de la bibliothèque ! » Lui réponds-je avec un petit sourire.
« Oh, je suis sûr que Yoongi aussi ! » Elle se met à rire. « Vous devez bien vous entendre sur ce point ! »
Un souvenir fleurit. Notre discussion à la bibliothèque me revient en mémoire, un sourire éclaire mon visage. C'était notre première vraie discussion.
« C'est vrai que nous en avons déjà discuté mais on n'a pas eu le temps de finir ... »
J'échange un regard complice avec mon compagnon, sa mère observe sans rien dire. Je me ressaisis alors, me demandant pourquoi son observation me gêne, pourquoi je me préoccupe de son jugement, seulement, la réponse semble bien trop enfouie en moi pour que je puisse la trouver.
« Au fait, entre nous Taehyung, une petite question ... Tu ne connaîtrais pas l'âme sœur de mon fils ? »
Cette question me bloque, mon cerveau n'arrive pas à bien procéder sa demande. J'ai l'impression que mon cœur ralentit, oublié de mes émotions. Yoongi se tourne vers elle et frappe sur la table, des dagues dans le fond de ses prunelles.
« Maman ! »
« Quoi ? Tu refuses de nous le dire ! » Réplique-t-elle sur le même ton féroce.
L'atmosphère de la pièce change doucement, je n'ai aucune envie d'être au milieu de cette querelle et décide de calmer tout de suite les ardeurs, détournant la conversation et oubliant ces émotions désagréables.
« Euh, pour ma part, je ne savais pas que Yoongi a une âme sœur ... » Débuté-je incertain. « Vous savez que les vampires ne sentent pas leur âme sœur ? Je veux dire ... ils ont l'instinct qui les guide jusqu'à elle mais comme ils ne peuvent pas la détecter à proprement parler, un vampire peut déjà avoir rencontré son âme sœur mais être passé à côté. »
Cette information intrigue madame Min. Elle lâche son fils des yeux et me dédie son attention. Une mine surprise tire ses traits, elle me jauge un moment, les sourcils froncés.
« Tu es un vampire ? »
Les battements de mon cœur accélèrent. Dans ma tête, la troisième guerre mondiale éclate. Seulement, mon air indifférent camoufle ces obus qui éclatent à la suite sur les terres de ma conscience. Peut-être qu'elle n'aime pas les vampires ! Elle va me mettre dehors ? Mais non, Yoongi est là. Mais alors je fais quoi ? Faut que je trouve un truc à dire ! Qu'est-ce que je dis ... Qu'est-ce que je dis !?
« Maman ne pose pas ce genre de questions, tu le sens bien qu'il n'est pas un loup. » Dit Yoongi, agacé.
Les prunelles de madame Min se posent l'espace d'une seconde sur Yoongi, avant de revenir sur moi, elle se reprend aussitôt.
« Oh oui, oui pardon Taehyung. » Ses excuses apaisent mes pensées chaotiques. « Je n'ai rien contre les vampires, rassure-toi ! Je suis surtout très contente que mon fils ramène enfin un ami ! » Elle m'offre un sourire chaleureux qui me détend un peu.
Seulement sa remarque ne plait pas à Yoongi qui lui laisse savoir. Les questions se bousculent dans ma tête, son ton belliqueux me provoque une sueur froide. L'ambiance reste tendue même s'ils essaient de me convaincre du contraire.
« Maman ... » Grogne Yoongi.
« Oh oui, excuse-moi ... » Déclame-t-elle. « Ne fais pas attention à lui Taehyung. »
Je lui souris, un sourire forcé, maladroit, qui démontre tout le stress qui me surmène. Je me replace sur le coussin et sens les ondes électriques dans la salle. La tension m'immobilise, un silence pesant étrangle mes idées de conversation. La mère de Yoongi m'enlève le poids d'en trouver une.
« Oh mince ! Tu ne bois pas de thé du coup, que suis-je bête ! » S'exclame-t-elle.
Elle s'apprête à se lever de table mais je l'en empêche, me levant à mon tour. Je ne souhaite surtout pas l'embêter.
« Aucun problème, ce n'est pas grave ! Vous ne pouviez pas savoir ! »
Elle tire une moue attristée et se rassoit lentement. Elle passe une main sous son menton, l'air de réfléchir, et soupire embêtée.
« Je n'ai rien pour les vampires à la maison de toute façon ... »
« Je vous assure, il n'y a aucun soucis. » Lui souris-je.
Nos regards se croisent, elle m'offre un sourire désolé avant d'enchaîner sur un ton stupéfait.
« C'est marrant tout de même, je ne ressens aucune once de pouvoir en toi... C'est pour cela que j'ai été surprise ... Comment cela se fait-il ? »
Mon sang se refroidit, un nœud se forme dans mon estomac. Sa question résonne dans ma tête comme un écho assourdissant, un nuage noir comble ma mémoire. Pile le sujet à ne pas aborder.
« Mmh... c'est à dire que... »
Je la fixe droit dans les yeux, fais de mon mieux pour ne pas perdre la face, mais je ne sais que répondre à cela. Leur révéler m'est formellement interdit; comment me sortir de cette impasse ? Les mots se perdent au fond de ma gorge, un mutisme profond s'empare de moi. L'angoisse escalade mon être, je ferme les yeux et résiste à la pression qui s'abat sur les dunes de ma conscience. Madame Min attend une réponse. Mes pensées se mélangent et finissent par ne former qu'un magma de mots difformes et embrouillés.
La servante trouve ce moment propice pour apporter les tasses de thé. Cependant, elle se prend les pieds dans le tapis et renverse le contenu de son plateau. Les tasses se brisent. Un bout de porcelaine vicieux trouve refuge dans son tibia, du sang se répand sur le parquet blanc et entache mon âme de folies meurtrières. L'odeur du sang frais brouille mes pensées, mes prunelles se braquent sur ce membre ensanglanté. Ma gorge devient sèche. Mes canines commencent subitement à me démanger, une faim incommensurable creuse mes entrailles, mes membres tremblent d'exaltation.
J'ai faim... très faim ...
Mon esprit s'embrume. Les décharges électriques dans mon cou ne me retiennent pas. Tout mon être s'abandonne à ces pulsions sanguinaires. Les prunelles apeurées de ma victime m'excitent énormément, un sourire cruel barre mon visage. Cette sensation est grisante. Je ne souhaite plus que croquer dans cette chair tendre et enfin assouvir ma soif, même si, au fond de moi une partie lutte. Ma conscience essaie de me retenir. Je me retrouve à nouveau tiraillé par l'envie et le manque, seulement, la folie aliène mes pensées.
Mon corps est pris de violents spasmes, je m'agrippe fermement à la table, essaie de lutter contre ce nuage de ténèbres qui brasse ma raison. En vain. Mon buste pivote vers la jeune fille, elle tremble comme une feuille, complètement terrorisée par le triste spectacle que je lui offre. Je distingue des voix au loin, infimes, mais ne peux les écouter. L'odeur du sang brise mes dernières barrières, il s'écoule jusqu'à mes pieds et plonge mon être dans la démence.
Je bondis à une vitesse fulgurante sur ma proie. Il ne me suffit qu'une fraction de secondes pour me retrouver devant elle. Quand, le sortilège psalmodié s'enclenche. Ce chant des enfers ressert le collier autour de mon cou comme des serres tranchantes. L'air ne passe plus. Mes poumons se rétractent, je suffoque. Les objets autour de moi ondulent, leurs contours se mélangent. Je sens mes forces m'abandonner d'un coup et mon sang se mêler à celui de la louve.
J'essaie de crier à l'aide mais rien ne sort de ma gorge. Je suis coupé de la réalité, pris au piège par mes propres pêchés. Mes doigts agrippent le collier de toute leur force, essaient de l'arracher, mais cette résistance m'est fatale. Il se rétrécit davantage et réussit à me priver totalement d'air. Des perles salées creusent des sillons sur mes joues creusées d'horreurs. Ma vue s'éteint.
Le sortilège prend fin lorsque mon corps anéanti s'écroule au sol et se sent pâlir entre les mains de la Mort.
Le démon a été retenu.
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