Kim Taehyung

Je m'enfonce toujours plus loin dans la forêt, les spectres de mon passé me pourchassent. Mon souffle erratique combat le froid qui engourdit mes membres et gèle à nouveau ma poitrine. Mon état se détériore, chaque partie de mon corps hurle à l'agonie, pourtant, ma course folle continue. Les ténèbres envahissent ma tête, engloutissent mes pensées. Ma vue se brouille de plus en plus, à travers les arbres se profilent des silhouettes noires hurlant leur haine sur mon corps terrassé.

« Tae réveille-toi ! »

« Vite !! »

•

« Ils arrivent ! »

•

« Attrapez-le ! »

— Il est là ! »

Le sang, les cris, la fuite. Tout est si net. Mon pied se prend soudain dans une racine, mon corps propulsé à terre. Les cailloux raclent mes jambes, j'étouffe un gémissement de peine. Terrifié par ces hallucinations saisissantes, mon être hurle de désespoir, supplie ces ombres horrifiantes de me laisser. Je reste ainsi là, foulé par ma folie, laissant étouffer cette flamme au fond de mon esprit.

******

J'entrouvre les yeux, épuisé, quand les ai-je fermés ? Mon regard vitreux arpente mes bras écorchés et observe mes mains violettes, détruites, celles d'un cadavre. Je me redresse sur mes coudes mutilés et serre les dents pour ne pas succomber à la souffrance. Là, tout au bout, une lumière éclaire le chemin. Ma raison encore vivante, mes jambes faibles se débloquent. Je puise dans mes dernières forces, grelottant, mortifié, et marche en direction de cette lueur. Je sors des feuillages envahissants et arrive sur un pic éclairé par la Lune, se trouvant face à la plus grande montagne de la région.

Je ferme les yeux et respire l'air froid de la nuit. Mes genoux cèdent d'un coup et mes sanglots se fondent dans la pénombre. Ma poitrine accueille ce vide familier. Mon passé s'égraine doucement, se détache de mes pensées embrumées pour laisser place à ce souvenir sensuel, interdit. La situation de tout à l'heure m'a échappé, Yoongi et moi n'aurions jamais dû avoir ce rapprochement physique si intense. Seulement, j'aurais beau m'avouer tous les mensonges du monde, une chose est claire dans mon esprit : j'ai aimé. Aimé ses caresses, ses suçons, ses baisers ...

Mon âme s'évade dans les ténèbres de la nuit et emporte mes pleurs avec elle. Elle flotte et vient toucher les étoiles, tandis que mon corps demeure, perdu entre la passion et ces souvenirs douloureux. Je vais peut-être m'écrouler là en fin de compte et ne plus jamais me relever... exactement ce qui aurait dû se produire, il y a de cela 10 ans. Je me recroqueville sur moi-même, épouvanté par cette fatalité qui plane au-dessus de ma tête. L'espoir de m'en sortir persiste alors dans mon esprit, ce désir rebelle, cette rage de vaincre ne se sont jamais vraiment éveillés, mais ils existent aujourd'hui grâce à lui.

« Yoongi ... » Murmuré-je.

Je veux qu'il soit là... je veux qu'il me protège. Mes lèvres s'embrasent à force de répéter ce prénom qui m'obsède tant, ma gorge se serre.

« Yo..Yoongi ... »

Je n'en peux plus de cette douleur, mon cœur est bien trop lourd. Mes oreilles fatiguées discernent alors mon prénom, une énième illusion. Yoongi m'appelle, ma folie est bien cruelle... cependant, mon corps jeté à l'abandon ressent la terre trembler légèrement sous lui. J'ouvre les yeux lentement, me focalise sur cette sensation. Des pas rapides foulent l'herbe, ils arpentent la forêt de long en large. Mon prénom est crié une seconde fois. Mon prénom. Ma tête se relève doucement vers la forêt lugubre. Sa voix.

Étreint d'une pulsion nouvelle, mes mots sortent aussi foudroyants qu'un éclair.

« Yoongi, je suis là ! »

J'entends les pas changer de de direction. Ils accélèrent et se rapprochent de plus en plus de ma position. Je me relève sur mes jambes flageolantes et ne mets pas longtemps avant d'apercevoir sa touffe noire d'entre les buissons. Il est essoufflé, son torse se soulève de façon irrégulière et ses cheveux collent à son front luisant. Ses yeux sombres s'aimantent aux miens. Il se précipite vers moi, paniqué, mais son approche me fait reculer. L'image de nos corps entremêlés hante ma mémoire. Je baisse la tête, me laissant submerger par la honte.

« S'il te plaît Tae... Laisse-moi t'approcher... Ça fait deux heures que je te cherche ... »

Deux heures..? Mon cœur s'agite. Je daigne cependant le regarder, la peur de faillir devant ses prunelles noires, de me faire envoûter de plus belle. Yoongi s'approche encore, son ton suppliant me noue l'estomac.

« S'il te plaît Taehyung, regarde-moi... Je me suis inquiété comme un fou. Je veux m'excuser pour tout à l'heure... J-j'ai perdu la tête ... » Finit-il en un murmure.

Il n'y a pas que toi qui as perdu la tête.

Son regard me transperce de tout part, me perturbe, l'impression qu'il peut déceler la moindre de mes faiblesses. Mon esprit est écartelé entre l'envie de le sentir contre moi, de le tenir fermement dans mes bras, et le devoir de me détacher, de m'éloigner pour notre bien à tous les deux et celui de nos familles.

« S'il te plaît ... Promis, je ne le referai plus. » Me dit-il déboussolé.

Sa promesse résonne dans ma tête, mes oreilles bourdonnent. Ça veut dire qu'il ne me touchera plus ... C'est la meilleure décision à prendre, pourtant, ma poitrine se creuse un peu plus à cette simple pensée. Je n'y vois plus clair, je ne comprends pas ce qui m'arrive. Ma peine est si grande en cet instant que je préfère y céder. Je décide de ne plus rien voir, ni penser, ni sentir, mais d'écouter mon cœur malheureux qui me guide sans hésiter dans ses bras.

Mon corps gelé se cale contre lui, mes doigts s'emmêlent à son habit et ma tête s'échoue sur son épaule. Yoongi referme ses bras autour de moi et m'emmitoufle de son odeur aussi dangereuse que vitale. Je me cache ainsi dans son cou bouillant, mon nez effleure délicatement sa peau cotonneuse. Mes membres froids et rouillés se réchauffent à son contact tandis que mon cœur paralysé pulse de nouveau dans sa cage.

« Tae, tu es gelé ... » Son souffle chaud s'abat dans ma nuque, un frisson parcourt mon dos. « Tiens, j'ai bien fait de la prendre. »

Il se détache de moi et m'emmitoufle dans une couverture que je n'avais même pas remarquée. Je reviens aussitôt auprès de lui, mon buste se presse contre le sien. Je ferme les yeux et m'abandonne à la douceur de notre étreinte. La chaleur de la couverture ajoutée à celle de Yoongi me redonne des couleurs. Il ne reste ainsi plus que nous, tout en haut de la montagne des dieux, près de la rivière où s'écoulent nos peurs et nos regrets. Nous trouvons notre souffle et notre liberté, là où nos corps et nos cœurs battent à l'unisson.

Un soupir d'aise s'échappe de mes lèvres, je me décale un peu et retrouve ses yeux lumineux.

« Ça va mieux ..? » Susurre-t-il au bord de mes lèvres.

Mon esprit se perd dans ses prunelles où les étoiles se reflètent, elles illuminent mon monde où ne résident plus que lui et l'infini.

« Ça va toujours bien quand tu es là ... » Réponds-je encore plus bas, ne voulant pas briser ce moment.

Sa main vient caresser ma mâchoire délicatement. Je ferme les yeux et apprécie la tendresse de son toucher. Nos souffles se rencontrent à nouveau, mes lèvres me picotent attendant quelque chose, quelque chose... Moultes sensations bouleversent mon âme. Tout contre lui, j'ai l'impression que chaque partie de mon corps dispose d'un cœur. Ma peau veut s'incruster dans cette autre peau qui se veut être la même. Mon âme ne vibre que pour lui, mon corps ne tremble que pour lui.

Nous nous laissons ainsi bercer par la nuit qui nous enveloppe de son silence. Seulement, Yoongi —personne imprévisible qu'il est— brise notre bulle d'air.

« Je voudrais pas dire mais tu as trouvé le meilleur spot où te réfugier. » Ricane-t-il.

Son changement d'attitude me déroute. Mes paupières s'ouvrent et mon regard plonge dans le sien, à la recherche d'une explication.

« Quand on plaçait les balises hier, je me suis aperçu que c'était derrière cette montagne que le soleil se lève. Si on attend un peu, on pourra le voir. » Me sourit-il. « Ça vaut le coup non ? »

J'hoche la tête, un sourire éclôt sur mes lèvres et transforme ma peine en un souvenir oublié. Yoongi m'attrape soudain par la taille et me pousse d'un coup sec vers la falaise avant de me ramener contre lui. Je pousse un cri strident et m'accroche à lui comme si ma vie en dépendait. Je me retourne d'un coup vers lui et le fusille d'un regard noir avant de frapper son épaule et le repousser loin de moi. J'essaie de camoufler le fou-rire qui me prend par un air offensé, en repensant au cri de fillette que je venais de pousser.

« Qu- qu'est-ce que t'aurais fait si tu m'avais lâché ? » Rouspété-je.

Il secoue la tête, amusé par mon attitude, et ancre son regard rieur dans le mien.

« Je ne te lâcherai pas. »

J'arrête de rire et le fixe, sa phrase sonnait différemment... Il me pousse alors avec son épaule et me regarde avec tendresse. Je cède en voyant sa mou et frôle son bras, joueur. Une lumière surgit soudain de derrière la montagne. Nous nous tournons vers le soleil qui illumine le firmament de ses couleurs orangés et réveille la vallée. Nos regards fixés sur l'horizon, épaule contre épaule, une énergie nouvelle s'empare de nos corps. Ce spectacle époustouflant fait naître un sentiment nouveau, il se mêle à ma rage d'exister, de devenir quelqu'un, et se mue dans une promesse inébranlable.

« Tu ne me lâcheras pas hein ... » Soufflé-je comme un secret.

« Jamais. »

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