3. Anger : Le repenti (2/2)
Le trajet depuis la forge les ayant fatigués, ils furent soulagés de mettre pied à terre. Ils rentrèrent les chevaux, les brossèrent, et s'empressèrent de rallumer le feu à l'intérieur de la maison. Ils étendirent leurs affaires humides au pied de la petite cheminée tout en tapant leurs mains transies.
— J'espère que Sven est en chemin...
— S'il est trop tard, raisonna Alban, il ne prendra aucun risque et dormira chez Aslog, comme convenu. Ne t'inquiète donc pas. À moins que ce ne soit la jalousie qui te ronge, car lui partagera le repas avec ta désirée !
Filip lui cogna l'épaule.
— Ris, ris ! On verra lorsque ça t'arrivera !
Il s'assit en tailleur, les paumes tendues vers les flammes naissantes. Sans le savoir, il venait de réveiller une douleur vive dans la poitrine de son benjamin.
Porté par un élan d'honnêteté et de transparence, Alban s'installa à ses côtés et fit remarquer :
⸻ Je ne t'ai jamais dit comment j'ai réussi à m'échapper du château de Gripsholm.
⸻ Si... Tu as tordu la nuque à ton geôlier...
⸻ Oui, mais ce que je ne t'ai jamais dit, c'est que je n'étais pas seul.
⸻ Aucun de mes hommes n'était encore entré, qui t'a aidé ?
⸻ Tu ne me croiras jamais.
⸻ Dis pour voir...
Alban ne savait pas plus que Filip pourquoi il revenait maintenant sur ce sujet. Il mira le bois noirci par la morsure incandescente des flammes. C'était dans un décor similaire qu'il avait dit adieu à Kristina, avant de grimper dans une barque et de fuir avec Filip.
— Crache le morceau, si déjà t'es lancé ! s'impatienta le blond. Un autre prisonnier ?
— C'était la princesse.
Filip se figea puis ricana :
— Elle est bonne, celle-là. Et plus sérieusement ?
— Tu te rappelles la jeune femme que j'avais rencontrée dans les bois ? Tu avais raison, c'était la princesse. Je l'ai revue, de nombreuses fois après cela.
— Revue ? Comment ? Tu étais le Ryttare, tu tuais ses gardes et encourageait le peuple à la destituer ! L'ignorait-elle ?
— Non, c'est sous cette identité qu'elle m'a rencontré.
— Ça n'a pas de sens, réfuta Filip. Elle aurait dû vouloir ta mort !
— Elle la voulait... J'ignore si cela venait de son jeune âge ou d'une gentille innée, mais elle m'a accordé le bénéfice du doute et a souhaité que nous soyons alliés.
— Alliés ? Et moi qui la croyais savante...
L'ancien soldat se tint la tête, comme s'il n'y comprenait rien. Tout en se levant pour récupérer une flasque d'alcool, il encaissait la révélation. Son hors-la-loi de frère avait entretenu des rapports étroits avec la princesse de Suède, dans le secret le plus total. Il avala trois gorgées de rhum. Le spiritueux était plus facile à digérer que cet énième mensonge. Les questions tournoyaient dans son crâne jusqu'à lui filer une migraine. Son frère avait-il espionné et suivi de près la princesse, dans le but de la tuer, ou se voyaient-ils comme des amants ?
— Elle dressait Önskan en contrepartie, compléta Alban.
— Euh... En contrepartie de quoi ?
— Je ne devais plus m'opposer publiquement à elle.
— Oh... Et tu estimes avoir rempli ta part du marché ? Parce que tu n'as jamais arrêté de réunir les catholiques pour lui nuire !
— Je sais... C'était mon but : obtenir des informations et m'en servir contre elle.
— Alban, bon Dieu ! gronda Filip. Tu te rends compte de ce que tu me dis ?! Je pensais avoir vu le pire de toi, mais non ! Tu as toujours de quoi surenchérir !
— Je croyais la haïr ! se justifia le brun, presque penaud.
— Tu « croyais » ?! Encore mieux ! Tu as fait tout ça alors que tu n'en étais même pas sûr ? Alban !
— Je ne haïssais que ce qu'elle représentait : son père, la royauté, le meurtre de nos parents...
— Tu t'es rapprochée d'elle, tu as attendu qu'elle ait confiance et tu l'as trahie ! La mort aurait été moins dure, comment as-tu pu ainsi concevoir lui nuire, durant des mois, cultiver des querelles ancestrales, mentir, duper, ... ?!
Abasourdi, Filip s'arrêta. Dresser le bilan de la malveillance de son frère à voix haute ne rendait que cela plus tragique. Le dégoût se mêlait à une profonde déception dans sa poitrine, qui se gonfla de peine.
⸻ Tu dois penser que je suis monstrueux... À juste titre. Ma stratégie était malsaine et inopportune. La princesse n'y était pour rien, elle était simplement... la cible parfaite. Si indulgente et naïve que c'en était facile et plus c'était facile, plus c'était grisant, grisant d'en faire une marionnette, de savoir qu'elle cherchait d'où venait l'espion alors que c'était elle-même qui l'introduisait à la Cour.
Le blond gratta sa barbe, pensif, avant de se rasséréner : Alban avait changé depuis, ce passage aux aveux n'en était qu'une preuve supplémentaire. Bien qu'il désapprouvait les vices de son benjamin, il abandonna ses envies de sermon et se contenta de murmurer :
— Pitié, dis-moi que c'est derrière toi, tout ce bourbier !
Alban fixa son frère, serein, et le lui assura.
— Bon..., concéda Filip. Par chance, tes magouilles ne l'ont pas tuée. Jamais je n'aurais pu te regarder dans les yeux si cela avait été le cas.
— Moi non plus...
— Mais pourquoi me partager ça aujourd'hui ?
— L'épée est pour elle.
Un silence les frappa. Filip but à nouveau et secoua la tête, incrédule :
— Alors là, vraiment, je ne te suis pas.
— Je dois me racheter.
— Tu es extrême autant dans la colère que dans la candeur.
— Réfléchis ! Elle vit à Tre Kronor, nous sommes allés au même endroit après l'incendie. Le couronnement se fera ici et non à Uppsala, où elle aurait dû se rendre ! N'est-ce pas un signe ?
⸻ C'est pas un signe.
⸻ Je crois que si. J'ai longtemps réfléchi. Le palais n'autorise aucun visiteur de bas rang si ce n'est lors des doléances ; il est impossible de se retrouver en tête à tête avec elle. En revanche, le jour du couronnement, tous seront les bienvenus. Je l'inviterai à danser et je lui raconterai tout.
⸻ Arrête, Alban. Qu'y gagneras-tu, si ce n'est te faire trancher la tête ? Tu es coupable de haute trahison.
⸻ Elle m'a tout de même sauvé la vie alors qu'elle avait vu quel monstre j'ai été.
⸻ Oui, bon, elle est gentille, et alors ? Rien ne garantie qu'elle le sera toujours. Oublie-la. Tu en as assez fait.
Il fit mine de se lever et son frère le retint d'un cri :
⸻ Un jour, tu m'as dit que je devais choisir quelle vie valait de mourir pour elle ! Celle-là.
⸻ Diantre, Alban, tu es un véritable imbécile. Oublie cette idée grotesque.
⸻ Je tiens à elle, Filip. J'ai mis du temps à le comprendre, mais...
⸻ Je me disais que le cachot t'avais fait du bien, mais tu as définitivement perdu la tête...
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