Les buses se taisent. Marylou sort de la cabine de douche et s'habille. Elle soigne toujours sa tenue même si à la radio, on ne peut qu'entendre sa voix. Elle prétend que le fait d'être hyper-sophistiquée l'aide à garder la forme devant le micro.

Marylou: J'espère que je vais bien m'en tirer aujourd'hui, que je ne vais pas me mettre à bredouiller devant le micro... En direct c'est mortel ! Et Alex est d'une exigence terrifiante, tout doit être nickel, sinon il se met dans des colères épouvantables !

Moi: Arrête Marylou ! Je sais que tu l'adores. Et lui aussi, sinon pourquoi serait-il venu te proposer ce boulot ?

Elle sourit puis secoue ses longs cheveux blonds.

Marylou: Oui c'est vrai ! Avoue-t-elle, c'est un vrai conte de fées! Je ne m'y attendais pas du tout. Moi qui avais l'intention de passer un été peinard, à meubler notre nid, à le décorer, à me balader, à ne rien foutre !
Au fait, je rentre déjeuner ! Tu seras là ?

Saut-elle du coq à l'âne pendant que je me dis qu'elle est plus ravissante que jamais dans son pantalon cintré et son chemisier plus cintré encore qui enveloppe à merveille les fines rondeurs de sa silhouette. Divine la silhouette. Je comprends pourquoi Alex est venu la supplier de venir travailler avec lui.

Moi: Je ne sais pas ! En tout cas, je te promets que le frigo sera plein !

Elle rit puis me fais un signe de la main, léger, comme elle, évanescent.

Marylou: Alors passe une bonne journée ! Moi je vais tâcher de les faire rire, c'est mon boulot ! Les gens adorent deux choses: qu'on les fasse rire et qu'on les fasse rêver. Si je réussis, je suis sauvée.

Moi: Mais tu es déjà sauvée, je lui affirme sans rire, tu as la plus belle voix que j'ai jamais entendue sur les ondes..

Elle sourit, contente mais pas satisfaite. Elle me ressemble: exigeante, persévérante, tenace.
Alice a la même opiniâtreté que rien ne peut abattre.

Comme le dit Zoé, notre tante : " Vous n'êtes pas trois sœurs pour rien !"
Le même fond sous une forme différente, du moins en ce qui me concerne.
Car si mes soeurs ressemblent à de blondes sirènes, moi j'ai tout du pruneau sec qu'on a oublié au soleil.

"Tu as une beauté différente, s'évertue a me répéter Marylou, relayée parfois par Alice, mais un charme fou !"

Je n'y crois guère. Je ne trouve pas les pruneaux secs particulièrement séduisants. Évidemment, on peut les faire gonfler pour leur donner du volume, mais alors ils ramollissent... beeuurk !! C'est encore pire !

Pruneau sec je suis, pruneau sec je reste.

Alice: Lola je file ! On se retrouve à midi quelque part? On pourrait aller manger un morceau avec Salomé et Sophie si ça Ne te dérange pas....

Alice, c'est la gentillesse incarnée. Douce, paisible, pondérée. Elle ne fait jamais de bêtise, elle ne prononce jamais de méchanceté, un vrai ange blond.

Tout le contraire de moi qui suis un peu trop impulsive. Et différente aussi de Marylou qui aurait tendance à être tyrannique, sous prétexte qu'elle est l'aînée et que nous sommes les petites...

Moi: Ok ! Avec ta copine si tu veux, elle ne me dérange pas. Je vais voir si Sophie a envie de se joindre à nous... j'aime bien quand on est à quatre ! C'est un chiffre que j'adore.

Quatre. Normalement nous devions être quatre : Marylou, Jérémie, moi et Alice.

Nous ne sommes que trois.

Alice sourit puis me fait la bise comme si on ne devais jamais se revoir. D'ailleurs chaque fois qu'elle me quitte ne serait-ce que pour une heure , elle m'embrasse, comme pour me dire adieu. Je la comprends: elle n'avait que trois mois lorsque maman l'a déposée dans les bras de tante Zoé en lui disant " à toute à l'heure ma chérie". Je suis sûre que depuis ce jour-là elle se méfie.

Je la regarde s'éloigner, si fluette, si fragile dans son pantalon mauve, ses cheveux serrés dans son cou frêle. Alice ce n'est pas seulement la gentillesse mais aussi la grâce incarnée.

Il faut la voir pendant les compétitions, si fine, presque diaphane, transparente sur la poutre, exécutant les saltos avec un charme qui ne laisse pas les jurés indifférents. Le plus souvent elle a droit à un véritable salve d'applaudissements. Marylou, à ces moments-là, devient toujours très pâle, elle dit que ses oreilles sont restées hypersensibles depuis l'attentat, que le moindre bruit soutenu la transporte en arrière.
Moi, je n'ai gardé aucune trace visible de cet horrible attentat qui à coûté la vie à nos parents. J'avais deux ans et ma soeur aînée quatre. Nous étions à Paris dans un grand magasin de la rue de Rivoli en train de choisir une peluche pour Alice qui était restée à l'hôtel sous la garde de tante Zoé quand la bombe a explosé à quelques mètres de nous. Ma mère est, m'a-t-on dit, morte sur le coup, et papa a succombé à ses blessures pendant le trajet à l'hôpital. Moi j'en suis sortie avec des écorchures, une vraie rescapée de l'Apocalypse. Marylou a gardé sur ses bras des traces de brûlures, des cicatrices devenues presque invisibles grâce aux multiples interventions chirurgicales qu'elle a subies pendant des années. Elle se souvient encore des hurlements, des odeurs de chair brûlée, et de la terrifiante pagaille qui a suivi l'explosion. Il suffit qu'elle pose le doigt sur sa peau pour que tout lui revienne en mémoire. Elle dit que j'ai de la chance d'avoir été si petite, de n'avoir rien pu enregistrer.
Pourtant, j'ai l'impression qu'au fond de moi, je sais tout. Je vois tout ce qui s'est passé... Mais ce n'est qu'une sensation.

Le plus terrible, c'est que dans cette tragédie j'ai perdu Jérémie, mon frère jumeau. Il paraît que nous étions inséparables, et que j'ai hurlé son prénom pendant des semaines après sa disparition. Après je me suis tue.

Maintenant je ne me souviens de rien. Même pas de son visage. J'avais deux and ans.

Quand j'avais deux ans, on m'a pris mon frère. Le seul frère que je n'aurai jamais...

(Alice en média)
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Chapitre 2 terminé !