Je m'habille en sifflotant et en pensant à Hugo. Sûrement a-t-il eu un empêchement sérieux, et regrette-t-il sa dérobade. Sûrement cherche-t-il à me joindre pour s'excuser. Mais il ne le fait pas, ne l'a pas fait, et ne le fera sans doute pas, me souffle la voix de la raison, celle que je déteste.

Ton nom est dans l'annuaire et il n'a qu'à...

J'en laisse tomber ma serviette (je viens de sortir de la douche). Mon nom ne figure pas dans l'annuaire téléphonique: Marylou a ouvert la ligne téléphonique en donnant son identité. Et comme elle s'appelle Duboy et moi Corenta, Hugo ne risque pas de me retrouver de sitôt.

Tout s'explique. Il ne sait rien de moi hormis que je joue dans Électre et que je fréquente le lycée Fustel de Coulanges. Comment pourrait-il avoir connaissance d'une adresse qui n'est la nôtre que depuis trois semaines à peine?

Je me prépare un en-cas, jus de fruits et tartines grillées accompagnées de fromage et de charcuterie, lorsque la sonnerie du téléphone m'extirpe de mes pensées.

[- Je vois que tu es debout et que tu as retrouvé l'usage de la parole... il faut que tu promettes de mettre un chapeau, un béret ou ce que tu veux mais que tu te couvres la tête quand tu restes au soleil...

Comment a-t-elle su que c'était moi?! Je promets et tante Zoé se détend.

- Je voulais vous dire qu'oncle Al et moi avons décidé de prendre quelques jours de vacances, en tête à tête, ça fait longtemps que ça nous est pas arrivé... On peut vous laisser, tu crois? Ou tu préfères qu'on reporte le voyage à plus tard... Quand vous auriez pris vos habitudes...

-.Tu sais, les habitudes, ça pousse en quinze jours comme les radis, et tu peux partir le coeur en paix. On sera sages comme des images.]

Elle m'embrasse et raccroche ,soulagée d'avoir obtenu la permission d'une escapade en amoureux.
Comme quoi, les sentiments ne vieillissent pas. Al et Zoé s'aiment depuis plus de dix ans et il vielliront ensemble. Ils partagent la même passion, soigner et soulager les douleurs. Ils regardent ensemble dans la même direction au lieu de se regarder dans le blanc des yeux.

Mais bon bref! Tout cela ne me dit pas comment m'y prendre pour retrouver Hugo. Ni surtout comment il va s'y prendre, lui, pour me dénicher dans mon nid. Car c'est à lui de faire le premier pas. Moi je ne bougerai pas d'un pouce.

J'avale mon brunch en contemplant la photo accrochée sur le Mur qui nous représente toutes les trois: Marylou, Alice et moi. Elle date de quelques mois et pourtant j'ai l'impression que la fille qui sourit avec ses dents un peu écartés, les dents du bonheur dit tante Zoé, ne peut être moi. J'ai tellement changé en l'espace de quelques jours !

Je suis amoureuse. Et peut-être amoureuse d'un garçon qui ne mérite pas mon amour. D'un dragueur,d'un don Juan implacable qui s'amuse avec les sentiments des filles, qu'il prend et jette sans État d'âme.
C 'est un défi a relever. Mais j'aime l'inconnu, les défis, sinon je ne monterais pas sur les planches, sinon je n'aurais pas la force ni le courage d'affronter le verdict du public.
Et le courage, dit oncle Al, est la plus grande des qualités, la vertu suprême. Ne jamais renoncer, résister de toute ses forces jusqu'a l'extrême limite de celles-ci. Et gagner.

Je gagnerais

Il m'aimera. Grâce à mon amour, il changera, si ce n'est déjà fait. Il deviendra le garçon de mes rêves. Je serai celle qui saura le comprendre et le pousser vers le meilleur de lui-même. Je serai celle qui fera de lui un homme tel que je les aime, du genre oncle Al et mon père s'il était toujours vivant: généreux, et transfiguré par la passion qui l'anime. Je sais qu'Hugo a une passion sinon pourquoi et comment aurait-il pu, si jeune, écrire un roman ? Avant même de savoir qu'il était écrivain, j'avais sentie cette passion dans ces yeux, ce soir-là, le premier soir de notre rencontre.

J'ai eu de la chance .
ce qui ne m'empêche pas de me retrouver seule dans mon appartement neuf de cent cinquante mètres carrés avec une terrasse immense et vide donnant sur les érables de l'Orangerie.
Bref, une âme en peine qui attend qu'un Hugo vienne la délivrer. Mais viendra-t-il? Là est la question.

Je ne ferais pas le premier pas mais ça n'empêche pas de feuilleter l'annuaire. Il y'a trois Amoro à Strasbourg. Je me demande lequel est le bon. De toute façon je n'appellerai pas. Je ne veux pas passer pour une idiote.

"Quand on se fait poser un lapin par un garçon, dirait Marylou la sage, on ne lui accorde pas une seconde chance. Ça ne se fait pas. Point final."

Je ne suis pas sage, en plus, je meurs d'envie de saisir le téléphone qui luit dans la lumière du midi, à quelques centimètres de ma main. J'ai envie à en mourir de prendre ce foutu téléphone et de composer ces trois numéros. Avec un peu de chance, j'entendais sa voix... qui me dira...

Je méloigne rapidement de l'engin maudit. Je ne me donnerai pas en spectacle, hors scène. Je ne lui donnerai pas l'occasion de se moquer de moi une seconde fois. De me filer un rencard où il ne viendra pas.

******: Tu as mangé, Lola?

Ah Marylou vient d'arriver et s'avance vers moi, toujours impeccablement sexy dans sa robe noire cintrée qui moule adorablement ses rondeurs fines.

Je n'ai pas le temps de répondre qu'elle enchaine sur un ton de fatigue.

Marylou: Moi je suis crevée ! Alex a encore joué au grand boss ! Qu'est-ce qu'il peut m'agacer parfois avec ces certitudes, monsieur l'animateur je-sais-tout. Comme si la radio lui est inné ! Il n'est pas né avec un micro devant la bouche à ce que je sache !

Elle rit, seule de sa blague.
Moi, je souris légèrement. Je n'ai pas le coeur à m'esclaffer, et Alex est présentement le cadet de mes soucis.

Moi: J'ai déjà mangé, mais si tu veux je te prépare un truc vite fait, et je prendrai un dessert avec toi...

Elle secoue la tête, elle est d'accord.

Moi: au fait, lui ai-je demandé en désignant les roses, c'est pour toi ce magnifique bouquet?

Elle lève vers moi ses beaux yeux claires.

Marylou: Je ne sais pas, il n'y avait pas de carte. Elles sont arrivées il y a deux jours... En fait, elles étaient devant la porte. On ignorent qui les a déposées... Elles sont belles, n'est-ce pas?

Moi: C'est quelqu'un qui a le code, sinon comment aurait-elle fait pour rentrer dans l'immeuble ?

Marylou: Oh ! Tu sais, parfois la porte reste ouverte, et puis, on peut attendre que quelqu'un entre pour se faufiler à l'intérieur...

Moi: C'est sans doute un de tes fans...

Marylou: Ça m'étonnerait, il aurait envoyé les fleurs à la radio, pas ici, à moins qu'il ne m'ait suivi, il y as des dingues partout... Mais Lola, ne prends pas ça à coeur!
Ce n'est pas grave !

Je ne réponds pas mais préfère me diriger vers la cuisine pour mener ma mission à bien. Faire à manger, au moins ça occupe.

L'esprit et les mains.

Je n'ai jamais été aussi contente de nettoyer une laitue, ni démincer des oignons. Si je pleure, ce sera la faute aux oignons.

Pas celle d'Hugo, le traite !

Qui ne daigne même pas envoyer un petit mot d'excuse.

Soudain je réfléchis...
L'oignon m'échappe des doigts. Les roses rouges ! Et si c'était lui?

Il serait rentré, aurait sonné à la porte de l'appartement, Personne n'aurais répondu et surtout pas moi qui dormais, il n'aurait pas insisté, aurait déposé les fleurs sur le paillasson avec son mot à lui. Facile à traduire.

Marylou: Alors, c'est prêt ? M'interrompt Marylou, je meurs de faim !

Elle s'assied à sa place habituelle. Elle attaque le pain qu'elle émiette sur son assiette. Elle semble troublée. Les roses certainement, elle aussi aurait bien voulue le fin mot de l'histoire.

Moi, je suis presque sûre qu'il s'agit d'Hugo. Romantique comme il est, il trouvé ce moyen de m'approcher. Ce geste délicat me touche précisément.

Marylou: On est en train de créer une nouvelle émission, m'explique Marylou en attaquant sa salade, Plus exactement c'est Jonas qui en a eu l'idée... il est bourré d'idées ce garçon... Deux fois par semaine, le mardi et le vendredi, il donnera la parole aux auditeurs dans une émission qui s'intitule : "Aimez-vous l'amour?" Les jeunes et les moins jeunes pourront poser leurs questions sur tout ce qui touche l'amour et le sexe.

Moi: Et c'est Jonas qui répond?

Elle sourit puis m'explique:

Marylou: Pas seulement ! Il est aidé par un toubib , qu'on a trouvé grâce à l'oncle Al, un jeune qui effectue des remplacements...

Moi: C'est bien, réponds-je machinalement. Finalement le mangeur de cacahuètes a du talent...

Marylou: Tellement qu'il ne souhaite qu'une chose: qu'on lui épargne la fac !
Seulement pour l'instant, Alex ne peut pas le rénumérer à temps plein...
Alors il sera obligé de se rabibocher avec son père pour pourvoir survivre... Ou alors, c'est la guerre avec sa famille et il réclame une pension alimentaire. Il y a droit. J'en ai parlé à mon père qui dit que la loi prévoit que...

Le père de Marylou est avocat. Quand elle dit oncle Al, ce n'est pas tout à fait exact puisque tante Zoé est la soeur de mon père à moi. Donc sans lien de sang avec Marylou qui n'es que leur niéce par alliance. Ce qui n'empêche pas de s'aimer... Je crois même que Marylou s'entend mieux avec oncle Al qu'avec son propre père... Elle le trouve beaucoup plus tolérant, plus ouvert, plus moderne.

Moi: Écoute, ses histoires avec son père ne nous regardent pas ! Tout ce que je veux moi, c'est qu'il ne s'incruste pas... et j'ai peur pour Alice qui le regarde comme si c'était le bon Dieu...

Marylou: Alice?

Elle repose sa fourchette sur la table.

Marylou: Alice serait amoureuse ? demande-t-ell d'une voix tendue.

Moi: Ouais, c'est possible sauf qu'elle n'a pas l'àge ...

Marylou: Oh arrête avec l'âge ! Tu sais bien qu'on peut tomber amoureux à n'importe quel âge !

Elle arrête de parler et tend vers moi un visage soudainement inquiet:

Marylou: Tu crois vraiment qu'ils... Enfin que Jonas et elle...

Moi: Je n'ai pas dit ça, reprends-je vivement, mais ça m'étonnerait pas que la petite le trouve à son goût ! Il faut avouer qu'il est mignon, et elle aussi, alors ça ferait un beau couple.

Marylou repousse son assiette d'un geste brusque que je ne lui connais pas.

Marylou: Je vais demander à Jonas de prendre ses cliques et ses claques et d'aller voir ailleurs si nous y sommes!

Moi: C'est peut-être prématuré, on ne va pas le jeter à la rue ! D'ailleurs, franchement, pour Alice, ce ne serait pas la bonne attitude à adopter. Si elle en pince pour lui, il vaut mieux ne pas lui ôter l'objet de sa flamme.

La grande réfléchit. Ça prend un certains moment. Je commence à desservir la table. Je la regarde. Elle regarde au loin, si absorbée par ses pensées que si le prince charmant venait à passer, elle ne le remarquerait pas.

Elle finit par se lever en poussant un soupir:

Marylou: Tu as raison, Lola, inutile de précipiter le choses! Mais je vais quand même rappeler à Jonas qu'Alice n'a que quatorze ans...

J'étais sur le point de lui rappeler que l'amour n'a pas d'âge, mais je s'abstient en voyant sa mine froncée.

Il vaut mieux ne pas la chatouiller...

Marylou: Bon j'y retourne! Alex m'attend!

Elle me faire un signe de la main et s'éclipse.

L'appartement semble soudain perdre tout son charme

*********

Comment vous le trouvez?
Super long? Je sais mais à part ça, que pensez vous de ce chapitre??
J'attends vos impressions ❤❤❤